"Vitiki nous a appris une grande leçon", Yuri Mansur (3/3)
L’histoire qui lie Vitiki à son cavalier, Yuri Mansur, aurait pu se limiter à une simple rencontre, fruit des aléas de la vie, puis à une ascension fulgurante vers le très haut niveau. Mais l’existence de l’attachant alezan a pris une tout autre tournure lorsqu’il a foulé la piste d’Aix-la-Chapelle, La Mecque des sports équestres, pour la première fois de sa vie, en juillet 2018. À la réception d’un obstacle, le fils de Valentino s’est fracturé le paturon, laissant craindre pour sa vie. Grâce à une immense dose de courage de sa part, et la positivité sans limite, presque utopiste, de son cavalier et de son entourage, l'Hanovrien de quatorze ans a remonté progressivement la pente, après une longue convalescence faite de hauts et de bas, jusqu’à retrouver les sommets. Fin 2021, une nouvelle opération a éloigné ce crack des terrains de compétition. Mais, tel un phœnix, l’alezan a de nouveau déjoué tous les pronostics, terminant deuxième du Grand Prix de La Baule, début mai. Ses proches, cavaliers, soigneurs et autres vétérinaires retracent l’itinéraire d’un cheval pas comme les autres. Car avec Vitiki, rien n’est impossible.
Les deux premières parties de cet article sont à (re)lire ici et ici.
“Lorsqu’il a commencé à remarcher et retrotter, je trouvais qu’il s’agissait déjà d’un miracle”, confesse Philippe Guerdat. “L’an passé, lorsque Vitiki était sans-faute dans le Grand Prix de Wellington, toute la famille était en pleurs. Pour eux, c’était comme une victoire. Je ne croyais pas que ce cheval reviendrait, à l’inverse de Yuri, qui a toujours été positif. Le chemin a été long. Aujourd’hui, il trotte de façon magnifique. Il sait qu’il doit se protéger, notamment à la réception des sauts. Mais il est tellement malin qu’il peut le faire. S’il n’était pas plus intelligent que les autres, il n’y arriverait pas. Il est tellement généreux et respectueux de nature qu’il parvient à tout.”
…et fait chavirer les cœurs !
“J’ai toujours souligné à quel point Yuri est fort mentalement. Il l’a surtout été au début, en choisissant de poursuivre avec Vitiki, tout en le respectant. Désormais, le cheval est redevenu un vrai bodybuilder, avec une encolure et une croupe musclée. Il devient de plus en plus constant avec le temps, c’est incroyable”, ajoute Cristiano Pasquini. “Les traces des lésions seront toujours présentes, mais Vitiki est sain et capable de concourir. En piste, il ne change jamais de pied et ne se décale pas d’un côté ou de l’autre pour compenser une gêne. Tout est normal. Lorsque j’observe Vitiki, je ne me dis jamais que nous en avons trop fait. Jamais, jamais ! C’est une histoire fantastique, et il est certain que ce cheval est un vrai battant. Il est formidable et sa volonté à toute épreuve a joué une grand rôle dans sa rémission. Il fait partie de ces chevaux qui ont envie d’aller en concours, de se battre pour leur cavalier et de faire de leur mieux. Il est de cette trempe de champion. Cela fait une grande différence. Bien-sûr, il y a eu le travail de toute une équipe, mais il faut aussi mettre en lumière le comportement de Vitiki, qui est un athlète incroyable.”
Avec son histoire si touchante et inspirante, Vitiki fait tomber n’importe qui sous son charme. Aux écuries, personne n’a résisté aux regards attendrissant du puissant alezan. “Mes enfants demandent toujours de ses nouvelles. Ma fille adore lui faire des bisous et à chaque fois qu’elle arrive aux écuries, elle cherche où il est. Il est adorable avec eux : il ne bouge pas, baisse sa tête et attend de recevoir des caresses et des câlins. En revanche, si c’est moi qui entre dans son box, il ne veut pas toujours me parler ! Mon fils, Pedro, le monte tout le temps. C’est dingue parce qu’avec Yuri, Vitiki est toujours très motivé, il peut être un peu sur l'œil et frais. Mais avec mon fils, il est complètement mou. Il peine presque à marcher. À Aix-la-Chapelle, mon fils le montait dans le paddock de détente, où les autres chevaux galopaient, sautaient, etc. Faire un tour de piste leur a pris une éternité ! Ils étaient en train de s’endormir tous les deux”, plaisante la mère de famille. Et Yuri d’ajouter : “Après ses huit mois de boxe, mon fils, qui avait sept ans, pouvait le promener tous les jours. Il sait qu’il faut être calme et c’est l’une des choses qui l’a aidé à récupérer. Il est aussi gentil qu’un chien et il adore les gens. Il a un caractère formidable ; il est vraiment spécial.”
Grâce à l’affection et l’amour sincères de chacun des membres de son entourage, qui se sont relayés de bon cœur pour lui apporter une caresse, un bonbon ou un moment d’attention, Vitiki a surmonté cette première épreuve. “Tout le monde veut faire partie de l’histoire de Vitiki car il est à part. Chaque personne qui entrait dans les écuries en tombait amoureux pendant sa convalescence. Toute l’équipe a participé à sa guérison car ils ont mis leur énergie à son service. Il ne faisait pas cela par contrainte ; non, ils voulaient tous l’aider. C’est cela qui a fait la différence”, estime Louisie. Leandro Bessil, actuel groom de Vitiki, a vécu son retour à la compétition de l’intérieur. Tout juste débarqué dans les écuries de Yuri Mansur, ce soigneur dévoué a veillé au grain pour le petit miraculé. Depuis lors, l’alezan n’a pas vraiment de traitement de faveur et est considéré comme n’importe quel autre cheval. Seule de la glace est appliquée de façon systématique sur ses membres après le travail, ainsi que des bandes en zinc pour aider à la récupération après des efforts plus intenses. “Nous faisons tout pour qu’il soit au mieux. Il est incroyable et a toujours envie de faire les choses. Il est toujours en forme ! Nous passons plein de bons moments ensemble. Chaque matin, lorsque je viens faire son box, il se frotte contre moi et réclame des câlins. Il pose sa tête sur mon épaule, et, tant que je ne l’ai pas caressé, il ne me laisse pas nettoyer son boxe (rires). Il est très spécial et je crois que tout le monde l’aime bien”, sourit Leandro, qui précise également que Vitiki est sensible, notamment aux bruits.
Une nouvelle opération fin 2021
Alors que tout semblait sourire à Vitiki en 2021, sa fracture au paturon n’étant plus qu’un lointain souvenir, son cavalier l’a senti baisser de pied en cours d’année. Malgré quelques bons résultats, l’alezan enchaîne les petits pépins de santé. “Il a commencé à avoir des infections, puis à chauffer sur les parcours. Il perdait en moyens et sautait bizarrement. En revanche, il trottait de façon magnifique et était vraiment en pleine santé. Je ne comprenais pas vraiment ce qui lui arrivait”, confesse Yuri. “Et puis, j’ai commencé à écouter un bruit, semblable à un cornage.” Après une batterie d’examens vétérinaires, un kyste est détecté dans le sinus gauche du fils de Valentino. En fin d’année, et alors que son cavalier manque de chance avec son piquet de chevaux, Vitiki passe une nouvelle fois sur la table d’opération. Une chirurgie impressionnante plus tard, l’Hanovrien se dirige vers une nouvelle convalescence. “C’était horrible à voir. Avec la chirurgie, il avait perdu beaucoup de sang et était complètement amaigri. Il n’avait plus un muscle sur son corps. Je me suis dit que cela allait être long…”, reprend le Brésilien. “Il m’a accompagné au Sunshine Tour et, petit à petit, il a retrouvé sa condition physique. À la fin de la tournée, j’ai sauté un Grand Prix avec lui et il s’est offert un classement. Je me suis dit ‘mais quel cheval’.”
Après trois semaines de repos, Vitiki s’est envolé pour Miami et Mexico, en avril. Outre-Atlantique, il a repris ses marques à très haut niveau, signant d’excellents parcours dans la Global Champions League. Et puis, Yuri a tenté un coup de poker en débarquant à La Baule. “Je n’étais pas sûr qu’Alfons puisse sauter la Coupe des nations. Alors, j’avais prévu d’emmener Vitiki au cas où. Neco (Nelson Pessoa, ndlr) n’était pas du tout d’accord avec cette idée. Il me disait que je faisais une connerie, mais je sentais mon cheval en pleine forme. Il a passé une journée à essayer de me dissuader d’emmener Vitiki à La Baule. Une fois sur place, il a fait un sans-faute le premier jour, puis mon fils l’a monté vendredi et samedi. Et dimanche, il a plus que répondu présent. Il est tout simplement incroyable”, savoure Yuri, qui a terminé deuxième avec la manière sur la piste du stade François André, laissant place à un grand moment d’émotion. Et Leandro d’ajouter : “Lorsque j’ai commencé à préparer les autres chevaux pour partir à La Baule, Vitiki grattait dans son box, comme s’il voulait nous accompagner. Yuri a décidé de l’emmener et d’aviser sur place. Et puis, il a été magnifique ! Après le Grand Prix, nos téléphones n’ont pas arrêté de sonner (rires).”
Regarder vers l’avenir
En quatre ans, Vitiki semble avoir vécu mille vies, surmonté l’impossible à plusieurs reprises, avec une volonté de fer inoxydable. “J’avais rencontré ses naisseurs à Aix-la-Chapelle, juste après son accident. Ils m’avaient dit que, depuis qu’il est né, il avait toujours eu quelque chose”, glisse Yuri. Désormais, il ne reste plus qu’à espérer que la vie laisse un peu de répit à Vitiki. “Nous n’avons jamais forcé le destin. Si le cheval avait éprouvé trop d’inconfort, le plan était de lui offrir une retraite au pré. Il y a eu des hauts et des bas dans sa convalescence, ce qui est parfaitement normal, mais jamais, ô grand jamais nous l’avons poussé hors de ses limites. Son état s’est amélioré progressivement et avec constance. Cela a pris du temps, mais Yuri a été extrêmement patient et calme. Il a su attendre son cheval. Il a toujours cru, rêvé, depuis le départ, qu’il parviendrait à le sauver. Honnêtement, je ne sais pas trop comment il a réussi à rester si positif. À mon sens, cela était complètement utopiste au départ, mais, à la fin, Yuri avait raison”, s’étonne encore Cristiano Pasquini.
Face à ses récentes performances et ses progrès constants, que rien ne semble plus pouvoir entraver, Vitiki offre la possibilité à son entourage la perspective d’un avenir radieux. “Il m’est arrivé de me dire que tel ou tel cheval pouvait être limité à un certain niveau. Avec Vitiki, cela n’a jamais été le cas. Il est toujours en progrès et donne tout à Yuri. Il sait lorsque les épreuves sont importantes. Jusqu’à maintenant, il était encore en phase d’apprentissage. Toutes ses péripéties l’ont rendu un peu tardif, mais, désormais, il est temps pour lui de mettre en pratique ses connaissances. Il a toute l’expérience nécessaire et Yuri le connaît par cœur et sait gérer son caractère”, ajoute Louisie, qui ne peut s’empêcher d’avoir des frissons en imaginant l’avenir de son protégé. “À croire ce que j’en vois, Vitiki a un brillant avenir devant lui”, lance Jack Snyder, qui a revu son patient à l’occasion des deux étapes du Longines Global Champions Tour de Miami et Mexico.
Immense fan du concours d’Aix-la-Chapelle, Yuri fait de l’événement allemand son objectif majeur avec Vitiki. Toute son équipe espère enfin pouvoir performer sur cette piste mythique. En 2021, l’alezan avait de nouveau foulé l’enceinte du stade de la Soers. L’émotion de ses retrouvailles hautes en couleurs passées, le pilote brésilien aura l’esprit libre pour se concentrer sur ses parcours dans un mois. Et puis, pourquoi ne pas penser aux Mondiaux, qui auront lieu à Herning, début août ? Le choix reviendra à Philippe Guerdat, sélectionneur national. Si le sympathique Suisse a d’autres plans en tête, il assure ne pas fermer tout à fait la porte à Vitiki. “Je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose lors d’un championnat, mais d’un autre côté, s’il se maintient en forme et parvient à encaisser les efforts, pourquoi pas”, imagine le fin tacticien. “Ce n’est pas ma première option pour Yuri, mais on ne peut pas dire qu’il n’a aucune chance. Si quelque chose doit se passer pour Vitiki, la décision sera prise en accord avec Yuri ; je ne le pousserai jamais à monter ce cheval-là lors d’un championnat.”
Au-delà des performances sportives, l’avenir de Vitiki s’écrira surtout aux côtés de Yuri et sa famille. “Lorsqu’il sera à la retraite, il restera dans notre jardin, à la maison, pas aux écuries”, assure le cavalier. “Vitiki est un cheval spécial. Son accident à Aix-la-Chapelle a sûrement été le jour le plus dur de ma vie. Je vivais mon rêve et, en une fraction de secondes, je me suis retrouvé en enfer. Pour autant, si on me proposait de changer le cours des choses, je refuserais. Ma famille, mes enfants et moi avons appris énormément grâce à ce cheval. Je me suis amélioré comme cavalier, comme Homme de cheval et comme personne. Nous avons appris une grande leçon : il faut croire que tout est possible. Alors, le rêve peut vraiment devenir réalité.”
Photo à la Une : La joie de Yuri Mansur et Vitiki en sortie de piste à La Baule. © Mélina Massias