Vitiki, un retour à haut niveau inespéré, mais rendu possible grâce à une grande dose d'optimisme (2/3)
L’histoire qui lie Vitiki à son cavalier, Yuri Mansur, aurait pu se limiter à une simple rencontre, fruit des aléas de la vie, puis à une ascension fulgurante vers le très haut niveau. Mais l’existence de l’attachant alezan a pris une tout autre tournure lorsqu’il a foulé la piste d’Aix-la-Chapelle, La Mecque des sports équestres, pour la première fois de sa vie, en juillet 2018. À la réception d’un obstacle, le fils de Valentino s’est fracturé le paturon, laissant craindre pour sa vie. Grâce à une immense dose de courage de sa part, et la positivité sans limite, presque utopiste, de son cavalier et de son entourage, l'Hanovrien de quatorze ans a remonté progressivement la pente, après une longue convalescence faite de hauts et de bas, jusqu’à retrouver les sommets. Fin 2021, une nouvelle opération a éloigné ce crack des terrains de compétition. Mais, tel un phœnix, l’alezan a de nouveau déjoué tous les pronostics, terminant deuxième du Grand Prix de La Baule, début mai. Ses proches, cavaliers, soigneurs et autres vétérinaires retracent l’itinéraire d’un cheval pas comme les autres. Car avec Vitiki, rien n’est impossible.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
Attentive au moindre détail, Louisie a surveillé avec minutie l’évolution de la guérison de Vitiki. Chaque jour, elle devait contrôler que rien ne s’insère entre la peau et le plâtre de son protégé. Après quelque temps, le bandage a commencé à appuyer sur la peau de l’alezan, si bien qu’il a fallu se résoudre à laisser sa jambe à nue un peu plus tôt que prévu. Ont alors débuté de tous petits exercices de rééducation, permettant de mobiliser, à la main et en douceur, le boulet de Vitiki. Puis, le battant a fait quelques pas dehors, avant de pouvoir marcher jusqu’à une carrière faite d’un sable très confortable, lui permettant de poursuivre sa réhabilitation. “Cela a duré des mois et de cinq minutes de marche nous sommes passés à dix, quinze, vingt, etc. Nous avons progressé très doucement, afin qu’il puisse retrouver de la mobilité dans son articulation. Nous avons également essayé différentes physiothérapies, notamment l’aquatraining, mais nous avons réalisé que cela lui faisait plus de mal que de bien car le fait de marcher dans l’eau lui demandait beaucoup d’efforts”, explique Louisie.
Un fer qui va tout changer
Alors que la rééducation de Vitiki est tumultueuse, Yuri sollicite Cristiano Pasquini, un vétérinaire italien rencontré à l’occasion de l’étape de la Coupe du monde de Vérone. Le scientifique accepte de rendre visite au miraculé pour tenter de l’aider dans sa reprise d’activité. “En théorie, la situation était terrible. Honnêtement, je ne voyais aucune issue envisageable dans le sport. Ma démarche était plutôt dans le but d’améliorer le confort de vie du cheval. J’avais dit à Yuri que l’on ne pouvait rien faire de miraculeux. Il a insisté, m’a dit que c’était le cheval de sa vie et qu’il était sûr que je pouvais l’aider et le faire revenir dans le sport. J’étais un peu gêné car je n’avais rien d’intelligent à dire tant la situation me paraissait vaine. Il a ajouté qu’il était prêt à tenter n’importe quoi, dans le respect de son cheval. J’ai fini par céder et j’ai utilisé ma dernière carte avec une ferrure très corrective. Nous lui avons donc posé un fer rock’n’roll, aussi appelé springtop. Cela permet une forte réduction de la tension imposée à l’articulation dans les mouvements de rotation du pied. Dix minutes après avoir été ferré pour la première fois, il était métamorphosé. Il était encore un peu inconfortable au trot, mais rien d’aussi important qu’avant. Alors, nous avons décidé de lui donner un peu plus de temps”, retrace Cristiano.
Avec de la patience et beaucoup d’amour, le moment de reposer une selle sur le dos de Vitiki est arrivé, provoquant une vague d’enthousiasme pour toute l’équipe du bel alezan. “Je me souviens de l’émotion que j’ai ressentie lorsque je lui ai remis la selle”, revoit Yuri. “Mais pour trotter, c’était une catastrophe ! Nous avons d’abord fait un pas, puis deux, trois, etc, mais il était boiteux. À l’époque, l’un de mes grooms, un ami, qui a longtemps travaillé pour Doda (de Miranda, ndlr) et qui est normalement très optimiste m’a dit ‘Yuri, lâche ce cheval au pré, il le mérite. Il ne reviendra jamais’. Mais, ce que peu de gens savent, c’est qu’à cette période-là, lorsque Vitiki n’allait pas bien, j’étais brisé dans ma tête. J’ai mis longtemps à redevenir moi-même. Quelque part, pour retrouver ma confiance et ma motivation, il fallait que Vitiki remonte la pente. Alors, à chaque fois, je me disais que j’allais continuer, juste un peu plus. Un jour, je me suis dit que j’allais essayer de galoper. Et là, j’ai entendu ‘clac’. Je me suis dit que j’avais aggravé la situation. Je l’ai repassé au trot et il trottait nettement mieux ! (rires)”
Après de longues semaines à prendre possession de son nouveau corps, Vitiki semble prêt à faire son premier saut. Yuri laisse l’honneur à son frère, l’une des nombreuses personnes à être tombé sous le charme de l'Hanovrien, de lui faire franchir un petit cavaletti. “Je suis parti en concours à Monaco. Un matin, en me réveillant, mon frère m’avait envoyé une vidéo à six heures. Il monte un peu à cheval mais n'a pas vraiment l’habitude de sauter. Et pour le premier saut de Vitiki après son opération, il a fait une georgette ! (rires) Nous en rigolons encore aujourd’hui. Je me suis dit qu’après ça, Vitiki pourrait tout ressauter”, plaisante le Brésilien. Progressivement, l’alezan reprend l’habitude de faire de petits sauts, mais le chemin reste semé d’embûches. “Mon ancienne groom, Caro, était toujours fâchée et me disait que je ne devrais pas faire ci ou ça. Parfois, il lui arrivait de boiter après certains exercices, alors je lui donnais quelques jours de repos et je recommençais gentiment. Je comprends la réaction des gens, mais c’était plus fort que moi, je ne pouvais pas abandonner. Je connais Vitiki et j’ai vu dans ses yeux qu’il voulait continuer”, reprend Yuri, qui décide qu’il est temps pour son complice de reprendre la route des concours. “Cristiano, qui a fait un travail formidable avec Vitiki et est grandement responsable de sa récupération, est venu le voir un lundi. À chaque fois qu’il venait, Vitiki trottait toujours un peu moins bien alors que je savais qu’il pouvait faire mieux. Ce jour-là, il m’a dit qu’il serait plus raisonnable que je commence à chercher d’autres chevaux et que l’état de Vitiki était un peu aléatoire. Et puis, le mercredi, j’ai téléphoné à Cristiano pour lui dire que j’avais emmené Vitiki à Saint Tropez pour sauter 1,20, 1,30m. Il a passé la visite vétérinaire sans problème. La façon dont il trottait était inimaginable. L’adrénaline du concours lui a fait du bien, et le simple fait de changer d’environnement l’a motivé. J’ai fait les choses en douceur à Saint Tropez et quand il est rentré à la maison, Cristiano était vraiment surpris parce qu’il trottait dix fois mieux qu’avant de partir !” Et Louisie de compléter : “À partir de ce moment-là, c’était fou. Toute la famille a été le voir à Saint Tropez et il était métamorphosé. Il avait gagné trente kilos de muscles, paraissait grand et se sentait enfin vivant. À la maison, il était un peu déprimé. Là, ses yeux brillaient, il était redevenu une vraie machine. Je me suis dit que Yuri avait peut-être raison et que c’était ce dont ce cheval avait besoin. Ensuite, nous n’avons plus pensé au passé et nous avons simplement repris progressivement avec lui. Ce cheval est incroyable, un vrai miracle.”
Vitiki déjoue les pronostics…
Véritable battant, le miraculé Vitiki renaît de ses cendres tel un phoenix. Après avoir traversé mille et une épreuve, l’alezan n’a cessé d’impressionner son monde en retrouvant, petit à petit, les CSI 5*. Au cours de son ascension, il a de nouveau fait face à des obstacles, a de nouveau eu besoin de temps pour retrouver ses pleines sensations au-delà d’1,40m, mais jamais ses proches n’ont baissé les bras. “Si Vitiki était un athlète humain, il serait Roger Federer”, clame Marcello Servos, faisant référence à l’un, voire le, meilleur joueur de tennis de l’histoire, souvent embêté par des blessures mais jamais vaincu par son corps. “Toute l’équipe a fait un excellent travail avec Vitiki, mais, à mon sens, Louisie, l’épouse de Yuri, a joué la plus grande part dans cette histoire. Tous les soins, tous les traitements, tout ce que nous avons proposé pour le cheval, elle l’a exécuté parfaitement, avec la précision d’une horlogère.”
Si les professionnels de santé ayant travaillé aux côtés de Vitiki s’accordent à dire que les soins apportés et l’attention portée à chaque détail ont joué un rôle primordial dans son retour au sommet, une part presque irrationnelle semble faire partie de cette histoire invraisemblable. Peut-être est-ce l’optimisme sans limite de Yuri Mansur ? “Beaucoup de gens disent que j’ai toujours été là, et c’est le cas. J’étais présente chaque jour, à prendre soin de lui, à lui administrer ses médicaments, surveiller chaque progrès à la seconde près, mais, quand on est dans une telle situation, il est difficile d’aller à l’encontre de l’avis plusieurs vétérinaires compétents, qui ont passé des années à étudier, et qui nous disent qu’il faut baisser les bras. Pour dire ‘non, on continue d’essayer’, il faut vraiment être passionné et mettre son cœur dans l’histoire. Et Yuri a toujours été cette personne. Il a toujours dit que Vitiki allait le faire”, loue Louisie.
Quatorze mois après son opération, Vitiki a retrouvé les pistes de concours. Lentement, l’alezan est reparti affronter des parcours plus importants. Début 2020, son cavalier l’a même emmené passer l’hiver en Floride, un pari risqué, que beaucoup jugeaient fou. “Après une épreuve nationale à 1,40m, j’ai décidé de l’engager à 1,45m, sur le concours international. Au paddock, il était formidable, mais, une fois en piste, c’était une catastrophe. On a fait sept barres. J’avais beaucoup de pression ! Tout le monde connaissait son histoire et l’avait remarqué. La limite est mince entre être un héros et un bourreau… Philippe Guerdat, qui était content de l’avoir vu sauter aussi bien au paddock, m’a dit qu’il serait un bon cheval, mais qu’il ne sauterait pas plus d’1,50m. Et puis, le mercredi, il y avait un Grand Prix national à 1,45m. Je me suis dit que j’allais essayer une dernière fois et il a gagné ! C’était une nouvelle étape de franchie et, même s’il était différent dans son corps, il progressait à chaque sortie”, se souvient Yuri. “À la fin, il a fait un point de temps dans le petit Grand Prix 5*, ce qui était vraiment bien. Ensuite, nous sommes restés longtemps sans concours avec la pandémie. En 2021, il est revenu aux États-Unis. Il allait de mieux en mieux et a pris part à son premier Grand Prix 5*. C’était le soir à Wellington et… il y avait une rivière ! Je n’en avais plus sauté avec lui depuis l’accident et je craignais un peu la réception, qui est toujours particulière. À la reconnaissance, je me suis dit ‘non de dieu, comment je vais sauter ça’ J’avais décidé que si la distance n’était pas bonne, je ferais une volte. Finalement tout s’est bien passé et il a fait un saut magnifique. Il a commis une faute, mais c’était déjà incroyable. Et puis, lors du dernier Grand Prix du Winter Equestrian Festival, le plus important de la tournée, qui est doté de 500.000$, il était sans-faute. C’était fou. Tout le monde pleurait. Dire qu’à ce moment-là, il n’était qu’à la moitié de ses capacités actuelles ! Il lui arrivait encore d’avoir de mauvaises réceptions ; il était encore en phase d’adaptation avec son nouveau corps.”
Photo à la Une : Vitiki lors de son tout premier parcours après sa convalescence, à l'Hubside Jumping de Grimaud. © Sportfot
La troisième et dernière partie de cet article est disponible ici.