Victoria Gulliksen et Papa Roach : du rêve à la réalité
Trois ans en arrière, Victoria Gulliksen était loin de s’imaginer, qu’un jour, elle monterait sur le podium de l’étape de la Coupe du monde Longines d’Oslo, en compagnie de son fidèle Equine America*Papa Roach. Pourtant, la paire a bien réussi cette incroyable performance, sur ses terres, le week-end dernier. Gravement blessé à un tendon dans un accident survenu lors d’un voyage en avion en 2019, le petit alezan a déjoué tous les pronostics pour offrir à sa cavalière ses plus beaux moments de sport. Éperdument attachée à son complice, la Norvégienne, fille du légendaire Geir, retrace son week-end haut en couleur, entre stress, réveil manqué et exultation partagée en famille, mais également sa formidable histoire avec le fils de Périgueux.
Parvenez-vous à réaliser la performance que vous avez réalisée, avec Equine America*Papa Roach (Perigueux x Zeus, ex Gordios), dimanche 16 octobre, en terminant deuxième du Grand Prix de la Coupe du monde Longines d’Oslo ?
C’était irréel ! Les gens verbalisent ce que nous avons fait, mais pour moi, cela reste difficile à entendre ! J’ai toujours commis une faute dans les épreuves Coupe du monde, regardé le barrage de l’extérieur et admiré les cavaliers qui étaient à la remise des prix. Cela fait tellement longtemps que je prends part à ce circuit (depuis 2012, ndlr) et je n’étais jamais parvenue à atteindre le barrage. D’ailleurs, je n’avais jamais réussi non plus à bien figurer dans un concours international à la maison (en Norvège, ndlr) ! Cette fois, je suis deuxième et c’est tout simplement incroyable pour moi. Je savais que mon cheval était en forme. En fait, il se bonifie avec l’âge. Il a super bien sauté toute cette saison, même si j’ai parfois été malchanceuse. Mais j’ai toujours su que Papa Roach en était capable. Il s’était bien comporté à Dublin, puis aux Mondiaux. J’ai enfin été récompensée par un bon résultat, c’est vraiment chouette.
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Comment s’est déroulée votre semaine à Oslo ?
Nous sommes arrivés une semaine plus tôt, le vendredi, puisqu’un concours national était organisé le week-end précédent. Nous avons disputé un Grand Prix national à 1,45m le samedi, duquel j’ai également terminé deuxième. Papa Roach a sauté deux super sans-faute. Ensuite, j’ai passé la semaine à la maison. Je l’ai principalement emmené en promenade dans les bois et dans les collines, pour le garder heureux et frais avant le CSI. Le vendredi suivant, j’ai pris part à l’épreuve à 1,50m. J’ai eu le sentiment qu’il se souvenait du fait qu’il avait dû aller vite lors de son dernier parcours, le barrage du Grand Prix national. Il était un peu tendu et très allant. J’ai écopé de points de temps pour cette raison ; j’ai vraiment dû le ralentir et lui faire retrouver son calme. Je lui ai accordé un jour de repos le lendemain et j’ai décidé de ne pas prendre part au Grand Prix devant mon public. Cela a été une décision difficile, parce que tout le monde s'attendait à ce que nous sautions cette épreuve, mais j’ai préféré penser d’abord à mon cheval. Je voulais l’avoir en pleine forme pour la Coupe du monde. Je l’ai monté le samedi matin, puis l’ai emmené marcher l’après-midi. Mon dimanche n’a pas commencé de la meilleure manière, puisque j’ai eu une panne de réveil ! Jamais dans ma vie il ne m’était arrivé de rater trois alarmes ! Mais j’avais sans doute besoin de ce sommeil supplémentaire. C’est peut-être ce qui a fait que j’étais d’attaque au barrage (rires). Papa Roach était vraiment bien lors de sa séance matinale. J’ai senti que je devenais de plus en plus nerveuse, parce que je savais qu’il était prêt et qu’il avait été super le matin.
Est ensuite venu le moment de la reconnaissance. Je dois avouer que j’ai eu de la chance avec mon numéro de départ. Par le passé, les vingt cavaliers avec le moins bon classement mondial passaient en première moitié d’épreuve, suivis par les vingt meilleurs. De ce fait, j’ai toujours eu des numéros assez proches du début de l’épreuve pour les étapes Coupes du monde. Désormais, le tirage au sort s’effectue d’un bloc pour les quarante qualifiés. J’avais donc le dossard numéro trente. Cela m’a permis de regarder quelques cavaliers, de ne pas me presser et de ne pas trop stresser. J’ai pris mon temps pour effectuer ma détente. Papa Roach était très bien. Je le sentais en pleine forme. Je ne lui en ai pas trop demandé. Il est rentré en piste et a tout donné. Dans la dernière ligne, tout le monde faisait cinq ou six foulées ; j’en ai casé sept ! (rires) Je savais qu’il allait être bien et je me sentais prête pour le barrage. J’étais tellement heureuse de mon sans-faute que je n’ai même pas vraiment pensé à la stratégie pour le barrage. J’ai monté dans l’idée de tout donner. Je n'avais pas peur de risquer quoi que ce soit. J’ai été aussi vite que je pouvais. Pas autant que Bryan Balsiger, qui est extrêmement rapide, mais, au moins, j’ai essayé (rires).
Le barrage de Victoria Gulliksen et Papa Roach à Oslo. © FEI.tv/Clipmyhorse.tv
Signer la plus belle performance de votre carrière devant votre public a dû rendre ce moment encore plus spécial !
C’était fou d’avoir tout le monde autour de moi : le propriétaire de Papa Roach, mes parents, mon petit-ami, Jordy Van Massenhove, etc. Ils étaient tous tellement heureux pour moi. C’était un sentiment très agréable de partager ce résultat avec toutes ces personnes. Ils m’ont tous dit que c’était fantastique et j’ai reçu un nombre incalculable de messages de la part des meilleurs cavaliers du monde. John Whitaker m’a même appelée pour me féliciter. C’était incroyable. Je n’avais jamais vécu quelque chose de la sorte. C’était irréel. Je suis si heureuse. Ce résultat était en plus historique, puisqu’aucun Norvégien n’avait obtenu un tel classement à domicile par le passé (le meilleur était celui de Geir Gulliksen, son père, et VDL Groep Quatro, troisièmes à Oslo en 2019, ndlr). C’était incroyable que ce soit moi qui puisse y parvenir, et c'est un très bon signe pour le sport norvégien.
“Papa Roach est resté éloigné des terrains de compétition pendant un an et sept mois”
Votre nom est loin d’être inconnu dans la sphère équestre. Cependant, avez-vous toujours nourri l’ambition de devenir cavalière de haut niveau ?
J’ai toujours adoré monter à cheval, depuis que je suis toute petite. À cette époque, j’avais mon poney shetland dans le jardin. Lorsque nous étions jeunes, mes parents étaient particulièrement occupés. Ils travaillaient très dur. Ma mère était employée dans un aéroport et mon père enseignait, montait à cheval et voyageait beaucoup. Mon frère et moi passions beaucoup de temps à la maison, où des nounous ou des grooms s’occupaient de nous. Nous devions nous débrouiller pour pas mal de choses. Mon plus grand plaisir dans cet univers réside dans mon amour pour les chevaux. Ce qui me motive tous les jours n’est pas une deuxième place dans un Grand Prix Coupe du monde - ça, c’est un énorme bonus -, mais depuis que je suis enfant, c’est le plaisir de monter, de voir les progrès des chevaux qui deviennent meilleurs, de prendre soin d’eux et de voir qu’ils sont heureux et profitent de la vie. Je n’ai jamais eu d’excellents chevaux, déjà prêts pour le sport. J’ai toujours dû composer avec de jeunes poneys, ou des chevaux difficiles, à problèmes. J’essayais toujours de les faire progresser. Maintenant, j’ai enfin un cheval d’une qualité incroyable, que j’ai formé depuis qu’il est jeune. Cela veut dire beaucoup pour moi.
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Comment avez-vous croisé la route de Papa Roach, que vous montez depuis 2017 ?
J’étais en train de regarder une épreuve Jeunes cavaliers lors d’un CSI en Autriche, lorsque quelqu’un que je ne connaissais pas est venu me voir. Il m’a demandé si je cherchais des chevaux. Je lui ai répondu “oui, toujours”. Il m’a alors dit qu’il avait un très bon sept ans qui pourrait me correspondre. Il m’a montré une vidéo, et j’ai bien aimé le cheval. Une semaine plus tard, je suis allé chez lui pour l’essayer. Nous étions dans un tout petit manège, qui ne pouvait accueillir qu’un seul obstacle. Je pense qu’il mesurait dix mètres de large par quinze de long. C’était vraiment minuscule. J’ai sauté l’obstacle et tout s’est bien passé. Je suis ensuite allé à l’Olympia (à Londres, où était traditionnellement organisée l’étape de la Coupe du monde avant qu’elle ne soit délocalisée depuis l’an dernier, ndlr) pour voir mon père et je lui ai montré la vidéo, en lui disant que le cheval me plaisait. Scott Brash était assis à côté de nous, et je me souviens qu’il a dit “ce cheval à quelque chose”, même s’il était encore vert. Nous sommes retournés l’essayer dans une carrière plus spacieuse et il a très bien sauté. J’espérais que mon père l’achète, mais il n’était pas trop convaincu. J’ai réussi à trouver un propriétaire prêt à acquérir 50 % du cheval, et nous avons acheté l’autre moitié. Voilà comment l’aventure a débuté.
Lorsqu’il avait sept, huit, et même neuf ans, Papa Roach était un peu déchaîné. Il avait beaucoup d’énergie. Il avait énormément de sang, et même trop de qualité par rapport à son expérience. Parfois, il avait du mal à gérer tout ça. Cependant, il a toujours été très gentil, doux et avec un caractère adorable. En rentrant d’un concours organisé à Athènes, où se tenait la finale du circuit des Coupes des nations de deuxième division, que nous avions remporté, assurant notre qualification pour le circuit principal, Papa Roach a été victime d’un accident. Une pièce en métal s’est détachée à l’intérieur du conteneur de l’avion et s’est coincée dans son fer. Le bout de ferraille a coupé le tendon de son postérieur. Il est resté éloigné des terrains de compétition pendant un an et sept mois (de juillet 2019 à février 2021, ndlr). C’était il y a trois ans. Les vétérinaires disaient qu’il était fini, mais j’ai cru en lui. Je lui ai laissé beaucoup de temps. À cette époque (en 2020, ndlr), nous étions en pleine pandémie de Covid-19, donc nous n’avions aucune pression pour le faire sauter. Désormais, il est super et j’espère qu’il le restera longtemps et que nous avons un long avenir devant nous. Son tendon est complètement remis et cela est dû à notre patience, qui a été primordiale. J’ai passé un an à le monter en forêt, sans qu’il ne voie une carrière ! Il s’est classé quatrième du premier Grand Prix que nous avons disputé après sa blessure, puis il a terminé neuvième des championnats d’Europe, nous étions huitièmes de l’étape Coupe du monde de La Corogne l’an dernier où j’avais écopé d’un point de temps, nous étions sans-faute à Barcelone (dans la petite finale, en 2021, ndlr), dans le Grand Prix majeur du Sunshine Tour, etc. Cette année il a participé à toutes les grandes Coupes des nations et a réalisé plusieurs sans-faute, ce qui nous a permis d’aller aux championnats du monde. J’ai toujours pris le plus grand soin de Papa Roach et j’essaye de ne pas trop lui en demander. J’espère que ce cheval vivra très, très longtemps. C’est mon objectif !
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“Mon rêve est d’être sur le podium aux Jeux olympiques de Paris avec Papa Roach”
Quelles sont ses principales qualités et comment décririez-vous son caractère ?
Papa Roach est très intelligent. Il n’a pas une technique classique, et a un peu sa propre façon de sauter, mais il est très athlétique et fait toujours de son mieux pour ne pas s’approcher des barres. Si on lui demande d’attaquer un obstacle, il sera toujours partant. Il est toujours avec son cavalier et n’essaie jamais d’être contre lui, ce qui rend ma tâche plus facile. Nous nous connaissons par cœur, c’est pourquoi cela fonctionne bien entre nous.
Il est adorable. Il est très proche de l’homme aux écuries, il fait des bisous, est très doux, et toujours calme, à la douche ou ailleurs. Il cherche toujours les câlins et lorsqu’il voit qu’on a des friandises, il réclame ! Il est vraiment gentil, et toujours agréable sur le plat. Il est très facile à monter. Il était plus difficile étant jeune, mais il a toujours été calme et respectueux lorsqu’on s’occupait de lui. Toutes les personnes qui le rencontrent, même si elles ne connaissent rien aux chevaux, voient tout de suite qu’il est le plus adorable des écuries.
Vous semblez entretenir une relation très particulière avec lui. Que représente-t-il pour vous ?
Il représente tout pour moi. J’ai toujours rêvé de terminer dans le top 3 d’une Coupe du monde, mais je n’aurais jamais pensé que ça arriverait ce week-end. Papa Roach a réalisé ce rêve. Il avait déjà écrit l’histoire en terminant neuvième des Européens de Riesenbeck, où j’étais la meilleure cavalière. Il m’a offert tant de sans-faute et a participé aux plus grosses épreuves qui soient. Je l’ai depuis tellement de temps ; il est très important pour moi.
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Après votre excellent début sur le circuit Coupe du monde, allez-vous tenter de vous qualifier pour la finale, prévue au printemps prochain à Omaha ?
Oui, c’est mon objectif. J’ai beaucoup de chance de représenter la Norvège, puisqu’il n’y a pas beaucoup de cavaliers qui se battent pour faire partie de ce circuit. En tant que pays organisateur du CSI 5*-W d’Oslo, la Norvège bénéficie d’une place pour chaque étape de la Coupe du monde. J’ai la chance de pouvoir participer à celle d’Helsinki cette semaine, puis de Vérone, Stuttgart et Malines. J’espère pouvoir collecter plus de points, mais j’en ai déjà dix-sept, ce qui n’est pas si mal ! Je vais surtout compter sur Papa Roach pour ce circuit. J’ai un très bon huit ans, mais il est encore jeune et les Coupes du monde sont des épreuves conséquentes. Papa Roach va devoir continuer sur sa lancée. (rires)
De quoi rêvez-vous pour l’avenir ?
Mon rêve est d’être sur le podium aux Jeux olympiques de Paris avec Papa Roach. C’est mon but. Ce serait incroyable. Même si ce sera très compliqué, c’est mon rêve.
Photo à la Une : Victoria Gulliksen et son cher Equine*America Papa Roach à Oslo, lors de leur plus belle performance. ©FEI/Roland Thunholm