Valmy de la Lande, un concentré d’énergie et d’agilité sublimé par Jack Whitaker (2/2)
Lors de la finale de la Coupe du monde Longines de Leipzig, Jack Whitaker a fait sensation avec un certain Equine America Valmy de la Lande. Ce Selle Français de treize ans, très remarqué lors de sa formation, en France, puis repéré et acquis dans la foulée par Michael Whitaker, tombé sous son charme, arrive à pleine maturité. Talentueux, sensible et diablement intelligent, le gris fait le bonheur de son cavalier, qui ose rêver des Jeux olympiques, mais aussi celui de son éleveur, Jérôme Leconte, qui voit ses longues heures de travail récompensées par les accomplissements de son protégé. Terre à terre, ce dernier s’évertue à perpétuer l’histoire de l’élevage de la Lande, riche de nombreux succès. S’il ne sera pas le dernier à briller sous cet affixe normand bien connu, Valmy reste bel et bien la star du moment. Portrait.
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Ne souhaitant pas vendre leur cheval, les Leconte fixent un prix important pour leur protégé, afin de décourager les potentiels acheteurs. Lors de la Grande Semaine de Fontainebleau, Valmy est forcément remarqué, encore davantage qu’habituellement, si bien qu’il finit par arriver aux yeux d’un certain Michael Whitaker.
Michael Whitaker, le coup de cœur
“Lorsque mon père l’a vu pour la première fois, il avait six ans. Il reçoit des tonnes de vidéos de chevaux”, relate Jack Whitaker, le fils de Michael. “Sur un lot d’images, mon père a essayé un ou deux chevaux, et Valmy en faisait partie.” Sur place, l’entente est immédiate. “Michael Whitaker adorait le cheval. Il a eu un coup de foudre tout de suite. Il a sauté 1,20m, d’une façon incroyable. Il avait le sourire tout au long de l’essai. J’ai halluciné. Ce cavalier, qui évolue en 5* depuis trente ans était-là, heureux comme un gamin. Il voulait le cheval et l’a acheté. C’est une histoire incroyable”, révèle Axelle Lagoubie.
Le deal est conclu, entre courtiers et investisseurs, et Valmy s’envole outre-Manche, pour de nouvelles aventures. À l'époque, la presse se fait largement l’écho de cette acquisition, qui anime déjà les discussions. “Je n’ai jamais monté un tel cheval dans ma vie”, dira même le Britannique, qui ne pouvait pas encore prédire l’avenir radieux de son gris. Très attendu, le Selle Français fait ses débuts internationaux en février 2016, à Offenburg, dans des épreuves réservées aux jeunes chevaux. Le fils de Mylord Carthago enchaîne ensuite les sans-faute et ne tarde pas avant d’accompagner son pilote en 5*, pour disputer les épreuves intermédiaires.
“J’ai été la groom concours de Michael Whitaker pendant dix ans. Je travaillais déjà pour lui lorsque Valmy est arrivé, quand il l’a acheté à six ans. La première chose que je me suis dit en le voyant c’est ‘il est vraiment petit’ !”, se rappelle Leïla Chew. “Il a peur de tout mais est un étalon absolument adorable et ne se comporte pas comme tel. Lorsqu’il a peur, il s’accroche à vos vêtements ou se cache derrière vous. Il est doux, mais juste tout petit (rires). Il est le cheval le plus adorable du monde. J’ai arrêté de travailler pour Michael il y a deux ans. J’ai eu un enfant, et il est adorable avec elle. Lorsqu’il la voit, il joue avec ses chevaux et est vraiment mignon.” Malgré sa gentillesse démesurée, le petit gris demeure un grand sensible. “Pour moi, les bons chevaux ont un peu de caractère et de tempérament, sans quoi, je trouve qu’ils ne sont pas si talentueux”, plaide Adélaïde Lautié. En concours, lors de ses jeunes années, Valmy n’a pas manqué une occasion pour occuper sa groom, qui a dû composer avec ses frayeurs, notamment dans les boxes, dont le toit ou les parois pouvaient l’inquiéter lorsqu’ils se mettaient à bouger. Passer dans les portes ou entrer en piste n’était pas non plus chose aisée. Pourtant, le talent du Selle Français n’a jamais été remis en question par ces à-côtés et Valmy a pu poursuivre sa route vers les plus belles pistes du monde.
Entre 2016 et 2018, Valmy poursuit sa progression, jusqu’à disputer son premier Grand Prix 5*, en avril, à Shanghai, ne laissant qu’une barre à terre. S’ensuivent deux années au plus haut niveau, des classements jusqu’en Grands Prix Coupe du monde et des victoires à Monaco et Villeneuve-Loubet. “Je me souviens d’un concours à Miami, une fois, où il refusait de passer sous l’arche pour aller sur la carrière. Alors, j’ai commencé à courir avec un seau de nourriture pour qu’il me suive (rires). C’était la seule façon de le faire entrer en piste. Il avait peur de tout et restait immobile au milieu du paddock de détente. Même s’il était nerveux, il faisait de son mieux. Il donne tout pour faire ce qu’on lui demande mais il ne sait pas toujours comment réagir. En revanche, il était parfait pour prendre l’avion. Il est vraiment spécial”, sourit Leïla. “Il y a environ deux ans et demi, nous avons aussi vécu un très bon concours à Stockholm, lors du Global Champions Tour. Il s’était classé troisième d’une belle épreuve et j’en garde un bon souvenir.”
En parallèle de sa carrière sportive, le fils de Mylord Carthago s’exerce également à l’élevage. Ses poulains, dont les premiers sont nés en 2015 en France, laissent présager de belles choses. “Ses produits sont encore jeunes, mais il les a bien signés. Ils ont le même caractère que le père : ce sont des chevaux qu’il faut attendre, et avec qui il faut composer. Ils sont hyper rapides et toniques. J’en ai plusieurs chez moi, et j’ai même fait un croisement avec Valmy et une fille de Marquis, ce qui donne deux fois Starter et deux fois Un Prince dans le papier. Il faut être un peu fou pour faire ces croisements-là, mais cela va être intéressant pour la suite”, glisse Jérôme Leconte, qui espère bien voir d’autres chevaux suivre les traces de son protégé.
Les Jeux olympiques en ligne de mire ?
Début 2020, en pleine pandémie et alors que le monde était à l’arrêt, la carrière de Valmy prend un nouveau tournant. Le gris change de pilote : après le père, le fils, Jack, s’installe aux commandes du petit crack. “Mon père s’est blessé à l’aine. Valmy peut parfois être vif, et lorsqu’on se met en selle, il lui arrive d’exploser. Je l’ai donc monté, l’ai emmené à quelques concours, puis mon père s’est rétabli. En fin de compte, il ne l’a pas repris dans son piquet ; il faut croire que j’ai été chanceux”, lance Jack Whitaker, toujours aussi flegmatique. “Valmy a toujours été ridiculement respectueux. Nous savions qu’il avait de grandes capacités, mais il était très vert et n’avait pas beaucoup d’expérience quand nous l’avons récupéré. Cela a pris du temps pour que tout se mette en place, mais notre investissement paie aujourd’hui.” Et ce n’est rien de le dire ! Dès ses débuts, en juillet 2020, le néo-duo se classe quatrième d’un Grand Prix 2* à Royan, puis enchaîne avec une neuvième place dans le temps fort du CSIO 3* de Drammen. La machine est lancée, et l’entente est parfaite. “Jack a fait un super travail avec lui. Il lui donne la confiance dont il a besoin. Ils sont fantastiques ensemble et c’est chouette de voir Valmy progresser et avoir la carrière qu’il mérite”, se réjouit Leïla Chew. “En plus, cela ne fait pas longtemps qu’ils forment un couple !” Et Adélaïde Lautié d’ajouter : “Michael Whitaker est une vraie légende, mais je trouve que Valmy est encore meilleur avec son fils.”
Des classements en Grands Prix, des doubles sans-faute en Coupes des nations, puis une première apparition commune en 5*, soldée par deux fautes dans le difficile Rolex Grand Slam de Bois-le-Duc, début 2021. Les choses s’accélèrent encore. Parfois malchanceux avec un quatre points ci et là, la paire fait preuve d’une immense régularité et s’offre une victoire à Londres, dans une épreuve à barrage à 1,55m, en fin d’année dernière. Retour à l’extérieur début 2022, à Vilamoura puis Doha, avant l’apothéose, lors de la finale de la Coupe du monde Longines de Leipzig. En Allemagne, Jack et Valmy sont les seuls à ne pas renverser la moindre barre de toute la compétition, pour terminer cinquièmes. “Le ressenti avec lui est incroyable. À chaque fois que l’on saute un obstacle, on a l’impression qu’il ne pourra jamais le faire tomber. Il donne une grande confiance en piste”, décrit Jack. “J’ai eu un super sentiment à Leipzig. Cela aurait été bien de finir un peu plus haut dans le classement, mais c’est le format d’un championnat. Je savais dès le départ que le premier jour ne serait pas mon point fort (le pilote a choisi de ne pas prendre de risques lors de la Chasse, pour ne pas faire monter en pression sa monture, ndlr). Mais il ne pouvait pas faire mieux : il a sauté de façon fantastique toute la semaine.”
À treize ans, Valmy semble avoir atteint son plein potentiel. Chez les Whitaker, outre-Manche, il profite d’une vie paisible. Chaque matin, son cavalier s’en occupe en premier, puis lui offre une sortie quotidienne au paddock. “Il est vraiment libre d’esprit. Il a son propre caractère, et il faut travailler avec lui. Lorsqu’il se bat pour nous, nous sommes normalement toujours sans-faute”, poursuit le jeune Britannique. “J’essaie de le garder aussi détendu que possible au quotidien. C’est le plus important, car lorsqu’il devient un peu trop chaud, il est tendu et se retient un peu. Le meilleur de lui ressort lorsqu’il est décontracté.”
Après ce premier grand rendez-vous réussi haut la main, le couple peut légitimement prétendre à de belles choses pour l’avenir. Les pieds sur terre, Jack espère pouvoir disputer quelques Coupes des nations cette saison. Le mois prochain, la paire s’alignera au départ du Rolex Grand Prix de Windsor, où il sera un sérieux prétendant à la victoire. “Ensuite, évidemment, j’aimerai participer à plus de championnats, et, pourquoi pas, aux Jeux olympiques”, se projette-t-il. Alors, rendez-vous à Paris, en 2024 ? Si tel est le cas, Jérôme Leconte ne manquera l’occasion pour rien au monde. “Je ne peux que regretter de ne pas avoir eu le culot de me déplacer à Leipzig. Mais ce n’est que partie remise”, assure l’éleveur, qui poursuit son œuvre avec discrétion et savoir-faire. “J’ai quelques chevaux très prometteurs, mais il faut savoir rester humble en toutes circonstances. Comme disait mon ancien vétérinaire, même à l’aube de la retraite, on peut être confronté à des cas d’école. Si on veut vivre heureux, vivons cachés !” Et comme le disait si bien Martin Luther King, que l’éleveur se plait à citer : “Crois en tes rêves, ils se réaliseront peut-être. Crois en toi, ils se réaliseront sûrement.”
Photo à la Une : Valmy de la Lande et Jack Whitaker à Leipzig. © Sportfot