Il y a des juments qui rentrent dans l'histoire pour leur palmarès, d'autres pour leur production. Très rares sont celles qui arrivent à combiner les deux. Uélème fait partie de ces exceptions. Après avoir permis à Olivier Jouanneteau de se révéler au plus haut niveau, ce sont ses produits qui prennent le relais sur les pistes internationales. Rencontre au haras de Villers avec son cavalier de toujours, Olivier Jouanneteau puis sa dernière cavalière, sa fille Pauline. Deux cavaliers qui continuent aujourd'hui à monter ses produits et leur descendance.
PARTIE 5 : PHILOSOPHIE ÉQUESTRE
Vous, vous n'utilisez pas et vous ne présentez pas d'étalons à deux et trois ans ?
L'étalon Selle Français de 6 ans, Voyageur of Lulu (Armitage x Uélème).
« Si, je pourrais en utiliser ou faire les concours de trois ans, la seule chose, c'est que je pense ces chevaux-là ont la vie dur. C'est-à-dire que dès le début de leurs trois ans voire fin de leur deux ans, il faut les garder dans des boxes, les mettre au travail et pour moi, c'est comme les chiens d'exposition. Il faut les soumettre à un travail, faire en sorte qu'ils soient en bon état mais pas trop gros… Sans mon système à moi, cela nécessiterait un employé de plus pour s'occuper de 7-8 mâles qui resteraient confinés en boxe à 3 ans et peut-être que j'aurais chaque année un cheval du haras de Villers dans les 10 meilleurs de sa génération mais ce serait un cheval qui n'aurait pas vécu la moitié de sa jeunesse normalement. Nous ici, à trois ans, ils sont au pré et ils y retournent également à la fin des finales de Fontainebleau à 4, 5 et 6 ans. C'est d'ailleurs à ce moment-là que nous rentrons les trois ans pour les débourrer. Avant cela, je ne les ai jamais vus sauter à part exceptionnellement un ou deux. C'est aussi un problème de temps, ils sont élevés en stabulation et après, c'est de l'individualisation et du boulot, j'en ai déjà plus qu'assez. »
C'est une force vous pensez, de les laisser grandir sereinement ?
« Je pense que pour eux, c'est bien mieux d'être au pré à l'âge de trois ans que d'être confiné dans un box, d'être sélectionné au mois de mai et d'être remis au pré après. Je pense que ce sont des bêtes de show et qu'il faut les dresser comme tel. C'est un autre métier et je pense que ce n'est pas que la façon dont c'est fait actuellement est ce qu'il y a de mieux. Je pense que ça demande beaucoup de préparation si on veut être dans les premiers. On ne peut pas sortir un cheval du pré et leur montrer. Il faut le travailler, le faire sauter et tout ce que cela comporte. »
Uélème vous a fait devenir un professionnel du milieu équestre ou vos autres activités ont toujours une grande importance ?
« Non, je ne pense pas qu'elle m'ait rendu plus professionnel que d'autres. Je pense que le tout est un état d'esprit. Certes, je suis artiste mais comme je l'ai toujours dit, je fais les choses sérieusement sans me prendre au sérieux. C'est un peu la définition de ma personne. Je suis très conscient de ce que je fais bien et de ce que je fais mal. Maintenant, je n'en rajoute pas. Je fais les choses avec une certaine liberté en sachant très bien où je vais et ce que je vais faire. Quand je regarde a posteriori avec Uélème, je ne pense pas avoir faire de grosses bêtises avec cette jument-là. Je l'ai amenée à ce niveau-là avec de la réflexion. Je ne suis pas un cavalier issu d'une grande famille de cavalier avec un père qui pouvait me dire ce que je devais faire ou pas. J'ai pris des conseils à droite, à gauche. J'ai été chez Eric Navet pour travailler un peu et c'est tout un édifice qui s'est construit avec beaucoup d'autocritiques. Il y a plein de choses que j'aurais pu mieux faire. J'ai été plein de fois second de Grands Prix, je pense que j'aurais pu en gagner plus mais je n'étais pas le cavalier le plus rapide du monde, je le sais et j'assume. »
Aujourd'hui, voir un de vos enfants avec un des descendants d'Uélème, c'est un rêve ?
« J'ai toujours voulu préserver mes enfants de ce qu'ils pensaient être un métier mais qui n'en est pas un. Ça peut le devenir mais au départ, les chevaux, c'est une passion. Pour faire tourner une boutique, il faut quand même être passionné et avant de très bien gagner sa vie, il faut déjà avoir la chance de produire des bons chevaux et de les vendre correctement. La route est longue et pour gagner sa vie, par rapport à d'autres métiers, on est quand même sur le pont 24h/24 avec des journées qui n'en finissent pas. Il faut que les gens en soient conscients. Pauline a été la première à vouloir travailler ici, j'ai tout fait pour qu'elle ne le fasse pas. Elle travaillait à Paris, elle a fait autre chose dans la vie et maintenant, c'est son choix. Si elle ne veut plus monter demain, elle pourra toujours faire autre chose. Moi, s'il m'arrivait un truc ou que je voulais arrêter les chevaux, j'ai toujours ma ferme. Je peux aussi faire autre chose. Il faut avoir une certaine ouverture d'esprit car les chevaux, c'est bien mais c'est tellement prenant et on ne sait jamais ce qui peut vous arriver. Une carrière, et cela vaut pour tout sportif, il suffit de vous casser une main. Les chevaux qu'un propriétaire vous a confiés partent chez un autre et vous ne les reverrez pas. Vous repartez à zéro avec votre petite chaise roulante. Il faut quand même être un peu philosophe là-dedans. Au moins, quand vous êtes propriétaire de vos chevaux, vous êtes sûr de ne pas les perdre. Après, il faut bien manager le truc pour bien gagner sa vie. Les types qui ont connu une belle carrière à haut niveau et qui sont repartis avec leurs petites valises et pas grand-chose dedans, il y en a plein.
Olivier Jouanneteau et ses enfants Lucie, Martin et Pauline avec Tandeme.
Ça ne suffit pas d'être doué. Moi, je ne suis pas un surdoué de l'équitation. Je suis plutôt réfléchi je pense. Si je fais ça, c'est que j'ai construit un truc petit à petit et que j'ai un peu de recul sur ce qu'il faut faire. Mes enfants bénéficient de mon expérience et je pense que c'est tant mieux, ils avancent plus vite tandis que moi, je me suis fait tout seul, je suis quasiment autodidacte. C'est aussi une satisfaction. J'aurais été plus vite à l'époque si j'avais eu des profs qui avaient pu m'ouvrir les portes du haut niveau car le haut niveau, c'est encore autre chose. On voit bien qu'actuellement, tous les gamins qui réussissent dans ce sport-là ont soit des parents qui leur achètent des chevaux très chers avec les coachs qui vont avec, soit des fils de cavaliers issus du sérail mais il n'y a plus beaucoup de gens qui sortent du chapeau avec un cheval qu'ils ont su emmener. Mais on a toujours l'espoir que ça arrive. »
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
« Sincèrement, je ne suis pas aigri du tout. Je pense avoir eu un parcours équestre plus qu'intéressant, j'ai fait 10 ans en équipe de France en faisant des internationaux. Cela m'a ravi et j'ai eu la chance de le faire sans gâcher le « jouet » que j'avais. Cela m'a permis d'arriver sur autre chose. Je monte encore car je me fais encore plaisir mais ma carrière est derrière moi. J'adore faire travailler les gens, les chevaux avec les idées que j'ai, avec ma vision du cheval bien travaillé, avec la recherche du travail vers l'avant. Lorsque je fais de la peinture ou de la sculpture, j'aime ce qui est beau et joli. Je pense que dans l'équitation, il faut aussi que ce soit beau, joli et harmonieux. Le beau style fait partie de la réussite pour les gens qui vont chercher l'excellence : un beau cheval monté élégamment de façon discrète et efficace. »
La quatrième partie est à retrouver ici
Retrouvez l'interview de Pauline Jouanneteau ici