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“Brazyl du Mezel est une belle histoire”, Lucien Hecht

Brazyl
vendredi 18 août 2023 Mélina Massias

Fidèle à ses valeurs depuis le début de son élevage, dans les années 80, Lucien Hecht a vécu l’un des plus beaux moments de sa vie, le week-end dernier, lorsqu’un dénommé Brazyl du Mezel a conquis le Graal, dans le Grand Prix CSIO 5* de Dublin. Du haut de ses onze ans, le grand alezan a concrétisé de la plus belle des manières une saison remarquable avec François-Xavier Boudant. Né au cœur de la Lorraine, le fils d’Haloubet du Gorze a été le premier produit de sa mère, la petite et regrettée Unizie du Mezel, et a commencé sa carrière… en concours complet. Retour sur les débuts d’une star.

Le petit village de Saint-Julien-les-Gorze, en Meurthe-et-Moselle, tout près de Metz, était en fête, dimanche 13 août. Onze ans plus tôt, naissait chez la famille Hecht un certain Brazyl du Mezel. Après une saison exceptionnelle, leur ancien protégé leur a offert un magnifique présent en s’imposant dans le Grand Prix CSIO 5* de l’historique du Dublin Horse Show. “Cette victoire est la cerise sur le gâteau. On ne pensait pas du tout à elle ! Nous savions que Brazyl avait bien évolué, mais de là à gagner à Dublin… Nous avons un peu de métier, donc nous sommes très prudents. Nous avons suivi la compétition et, au fil des passages, avons commencé à y croire. Tout le monde est très, très content”, savoure Lucien Hecht, à la tête de l’affixe du Mezel aux côtés de son “associée”, qui n’est autre que sa fille, Marie, elle aussi aux anges après ce triomphe. 

Brazyl du Mezel a le chic pour donner le sourire à son cavalier, François-Xavier Boudant, comme ici lors d'un tour d'honneur que l'on imagine inoubliable, à Dublin, après un triomphe mérité dans le Grand Prix CSIO 5*. © Sportfot

Débuté au milieu des années 80, l’élevage du Mezel avait déjà tutoyé le haut de l’affiche il y a quelques années, grâce à Quiness du Mezel (Elan de la Cour x Tenor de Condé), aux honneurs dans bon nombre d’épreuves internationales jusqu’à 1,50m, notamment sous la selle du Lorrain Simon Delestre. Mais la victoire de Brazyl est d’une tout autre mesure. “Au bout de quelques décennies d’élevage, c’est un peu le Graal”, se réjouit l’éleveur attaché aux qualités du Selle Français. 

Brazyl du Mezel, âgé d'un an, dans les prairies de la famille Hecht. © Collection privée

Merci Grenat de Grez

Si l’histoire de l’affixe du Mezel, qui enregistre chaque année deux à trois poulains, a débuté il y a maintenant quarantaine d’années, celle de Brazyl trouve sa source un jour de 2002. “Cela fait longtemps que nous faisons de l’élevage, qui est plus une passion qu’un métier. J’ai beaucoup apprécié un cheval qui s’appelait Grenat de Grez (Saphir Rouge II x Socrate de Chivré). Un jour, alors que nous étions à la foire aux foals de Saint-Lô, je me suis dit que si je trouvais une pouliche de Grenat de Grez, on l’achèterait”, retrace Lucien, qui fait alors l’acquisition d’Ocarina du Luot (Grenat de Grez x Si Tu Viens). Inséminée à deux ans, Ocarina donne à son nouveau propriétaire une première pouliche, par Quite Easy I (Quidam de Revel x Landgraf I), au printemps 2005. Baptisée Reybahne du Mezel, la belle suit le même chemin que sa mère et est rapidement croisée au tout bon Apache d’Adriers (Double Espoir x Felix, PS). Elle donne ainsi Unizie du Mezel, qui deviendra, peu de temps après, la mère du génial Brazyl. “À l’époque, pour gagner un peu de temps, je faisais saillir les pouliches à deux ans. Je trouvais qu’il s’agissait d’une bonne formule sur le plan économique, puisque les jeunes juments sont quasiment toujours très fertiles. Et cela n’a pas empêché Reybahne, qui a réalisé une carrière très honorable au sein des rangs du CSEM de Fontainebleau, de tourner en compétition jusqu’à treize ans, avant de prendre sa retraite de l’armée. Elle est aujourd’hui à la maison et nous a donné trois poulains depuis (par Iolisco de Quinhon, Nervoso et Gold des Lys, tous trois porteurs du label Selle Français Originel, ndlr). Je pense toujours que la génétique représente 25% du futur d’un poulain, et que son environnement est responsable des 75% restants”, précise le Lorrain, toujours lucide et rationnel sur les réalités de l’élevage. 

L'adorable Unizie du Mezel, mère de Brazyl, lorsqu'elle était pouliche. © Collection privée



Unizie, fruit du mariage entre Reybahne et Apache, a quant à elle bien failli ne jamais engendrer le grand Brazyl, qui dépasse le mètre soixante-dix au garrot. “Unizie, la mère de Brazyl, était une toute petite jument ! (rires) J’étais toujours sur mon schéma de mise à la reproduction à deux ans. En voyant Unizie, je me suis dit que je ne pouvais pas la faire inséminer tout de suite, qu’elle était trop petite. Seulement, elle était cyclée de manière extraordinaire et l'œil de l’éleveur n’a pas résisté”, se remémore Lucien. 

La matrone Unizie, mère du meilleur représentant de l'affixe du Mezel. © Collection privée

La décision est donc prise et Unizie est conduite au centre de mise en place, chez Claude Muller. Verdict : la petite baie est prête à être inséminée. Lucien demande alors à Claude s’il n’a pas quelques paillettes dans sa cuve, afin de le dépanner. “Il m’a dit ‘je n’ai rien de disponible, à part Haloubet de Gorze (Galoubet A x Hidalgo de Riou)’. Haloubet est né à cinq kilomètres de la maison, mais il n’appartenait plus à son naisseur. J’ai alors appelé son propriétaire, qui est un ami que je connais bien, pour savoir s’il voulait bien me laisser une saillie d’Haloubet. Il a répondu favorablement à ma demande, et tout est parti comme cela”, détaille l’heureux naisseur du vainqueur du Grand Prix d’Irlande. “Si on résume, Brazyl est une belle histoire.”

Brazyl, âgé de deux ans. © Collection privée

Un caractère en or

Le fils du “Baloubet lorrain”, comme certains aiment à qualifier Haloubet de Gorze, dont la production très confidentielle a pourtant donné de bons performeurs, grandit paisiblement dans les prairies de la famille Hecht, où il est élevé “comme tout le monde”. “Brazyl a toujours été sympa”, loue Lucien. “Nous l’avons présenté à trois ans, puis il est retourné au champ. À l’automne, nous reprenions habituellement les jeunes pour leur faire faire quelques promenades de temps en temps. Brazyl est le dernier trois ans que j’ai monté en balade. J’avais soixante-cinq ans, et j’en étais déjà au stade où on ne prend plus trop de risques. Il avait du sang, mais était absolument adorable.” 

Brazyl pose ici aux côtés de Boréale du Mezel, une bonne fille de Scareface de Mars classée "Elite" à quatre ans et commercialisée par la suite. © Collection privée

Ce caractère en or, Brazyl ne semble pas en avoir perdu la moindre once, si bien qu’il a conquis la famille Boudant ces cinq dernières années. Doux géant, le grand alezan a d’abord suivi un cursus classique, faisant ses armes à quatre, cinq, six et sept ans, avant de croiser la route de François-Xavier. Pour la petite anecdote, le Selle Français a pourtant entamé sa vie de cheval de sport dans une autre discipline : le concours complet, où sa grand-mère s’était elle-même illustrée par le passé, obtenant un ICC 126. “À quatre ans, nous trouvions Brazyl un tout petit mou, même s’il n’a jamais manqué de sang. Avec Alain Fortin, avec qui je travaille depuis trente ans, nous nous sommes dit qu’un séjour chez Grégory Schneckenberger, qui était à l’époque militaire sur Metz, lui serait bénéfique. On lui a dit d’essayer de le sortir en complet, pour lui montrer des choses. Il avait un beau parcours de cross chez lui. Brazyl n’était pas très regardant et il a donc fait une seule et unique épreuve de complet”, explicite Lucien. 

Brazyl du Mezel a débuté sa carrière... en concours complet ! © Mélina Massias

De retour dans les écuries d’Alain Fortin, Brazyl est confié à la cavalière Elodie Barrer, qui le guide parfaitement à quatre ans. “Plus timide à cinq ans”, l’alezan commence à révéler son plein potentiel à six ans, année au cours de laquelle il signe “une super saison”. “Brazyl a été longtemps en tête du Top 100 de la Société hippique française (SHF). Cela n’a pas tenu jusqu’au bout, mais il enchaînait sans-faute sur sans-faute en début de saison. Alain, qui l’a monté à cinq et six ans, a continué à le monter à sept ans. Comme Brazyl tournait bien, nous avons pris la décision de le confier à Sofian Misraoui, qui s’en est très bien sorti. Ils ont terminé sixième de la finale réservée aux chevaux de sept ans et Brazyl a été vendu dans la foulée, à son propriétaire actuel (Lionel Maurice, qui l'avait initialement acquis pour son plaisir personnel, avant de la confier, par amitié et avec confiance, à François-Xavier Boudant, ndlr)”, retrace le naisseur du fils d’Haloubet de Gorze. “Et puis, il est arrivé dans les écuries de François-Xavier Boudant.” Grâce au soutien indéfectible de Céline et Lionel Maurice qui, à n'en pas douter, concède d'énormes sacrifices pour conserver leur pépite en France, l'histoire n'en est que plus belle. Sans eux, que serait-il advenu de Brazyl ? La folle vague de bonheur qui emporte tout sur son passage depuis quelques jours après le plus triomphe de l'alezan n'aurait peut-être jamais vu le jour. Dans une telle réussite, tout un collectif mérite d'être justement récompensé : de l'éleveur, aux propriétaires, en passant par les soigneurs, les vétérinaires, ostéopathes et autres parties prenantes dans la réussite d'un couple.

Dublin, Saint-Gall... Brazyl du Mezel a disputé de très, très beaux événements cette année. © Sportfot

Depuis la fusion de toute une équipe autour de Brayl, l’aventure est un peu un rêve éveillé pour la famille Hecht. “Cela fait un bout de temps que Brazyl nous fait plaisir. Nous l’avons vu progresser avec FX, c’est vraiment top. FX est un vrai cavalier, un homme de cheval ; pas un pilote. Surtout, il gère Brazyl d’une super façon. Il lui accorde des temps de repos, puis reprend sur des parcours à 1,35m, qui lui servent d’entraînement. C’est impeccable. Pourvu que cela dure ! Lorsque les chevaux évoluent comme Brazyl, le téléphone sonne. Il faudra voir comment les propriétaires réagissent”, ajoute le Lorrain. 

Une petite virée à la plage pour Brazyl en marge du CSIO 5* de La Baule. © Sportfot




“Je suis attaché à conserver les qualités du Selle Français”

La progression exponentielle de Brazyl du Mezel est la juste récompense d’un élevage familial qui a toujours suivi ses convictions et a sû rester “à taille humaine”, comme le titrait Marc Verrier dans GRANDPRIX Magazine en 2014. En utilisant tôt leurs juments à la reproduction, Lucien et Marie ont pu avancer à vitesse Grand V. Alors que certaines juments issues de l’année des “O”, cru 2002, donnaient encore naissance à une descendance directe en 2023, Ocarina du Luot, elle, était déjà arrière-grand-mère à neuf ans ! Pour autant, et ne souhaitant pas multiplier le nombre de naissance sur leurs terres, le duo n’a encore jamais eu recours au transfert d’embryon ou à l’ICSI. “Jusqu’à présent, nous n’avons jamais fait de transfert d’embryon, mais nous devrions avoir un poulain issu de cette technique l’année prochaine. Nous avons une fille de Reybhane, la grand-mère de Brazyl, qui a montré quelques dispositions sur ses premiers parcours. Janyce a quatre ans et nous avons fait un transfert avec elle au printemps. Elle reprendra le travail au mois de novembre et nous verrons si elle confirme ce qu’elle nous a montré. En tout cas, nous l’espérons”, glisse le discret éleveur. Avant de reprendre : “Malheureusement, nous avons perdu la mère de Brazyl l’année dernière. Elle avait quatorze ans, était suitée d’une pouliche de six semaines et a déclenché des coliques dans la nuit. Nous n’avons pas pu la sauver… C’est triste. Elle nous avait donné une sœur utérine de Brazyl par Kannan, Elsass du Mezel, qui avait remporté la finale des cinq ans à Equita Lyon en 2019. Elle tourne encore très bien jusqu’à 1,35m. Elle n’a pas les moyens de Brazyl mais est très régulièrement sur le podium.” 

Elsass du Mezel, une sœur utérine de Brazyl, ici sous la selle de Julia Dallamano. © Agence Ecary

Cette famille maternelle compte également d’autres jeunes pousses à qui, à n’en pas douter, sera donné le temps de grandir paisiblement. Beaucoup d’entre elles sont d’ailleurs issues d’étalons Selle Français “pure souche”, tout comme la plupart des poulains issus des autres familles maternelles qui participent au fleurissement de l’affixe du Mezel. Pour autant, pas question non plus de fermer la porte aux étalons étrangers. Pour Lucien, le tout est de fonctionner avec raison. “Je suis attaché à conserver les qualités du Selle Français”, abonde l’éleveur lorrain. “Utiliser un cheval étranger une fois de temps en temps pour améliorer un caractère fait partie d’une notion de sélection. Mais je ne suis pas trop enthousiaste à l’idée de le faire systématiquement. Ce n’est pas non plus facile de trouver des étalons complètement exempts de sang étranger. Mais, lorsqu’on utilise un cheval présentant un courant de sang étranger, qu’on l’a vu fonctionner, on reste tout de même assez proche de l’essence de la race. Un stud-book fermé ne me semble pas être une bonne chose. Il faut savoir l’ouvrir, mais le faire à bon escient.”

Progressivement, Brazyl du Mezel a gravi les échelons, jusqu'à devenir un habitué des places d'honneurs et autres remises des prix. © Sportfot

Même si Lucien avoue avoir réduit le nombre de chevaux présents à l’élevage, en parallèle de Brazyl, qui a l’avenir devant lui, plusieurs jeunes chevaux portent fièrement l’affixe du Mezel. De quoi laisser présager de belles choses pour les prochaines années. Pour autant, et malgré la réussite certaine de son travail, le discret éleveur lorrain est resté fidèle à lui-même et ses valeurs. Pas question, donc, de s’emballer, et encore moins de prendre la grosse tête. Lucien sait trop bien de quoi le monde équestre est fait. “J’ai pour principe de ne pas nourrir de rêves sur mes poulains”, confesse-t-il. Nous les regardons lorsqu’ils commencent à avoir l’âge de fonctionner un petit peu. Grâce à notre collaboration avec Alain, nous avons pris l’habitude de bien observer tous les chevaux et de choisir attentivement ce que nous conservons. Peut-être que nous en avons vendu certains qui auraient mérité d’être gardés, mais ce n’est pas grave. Ils auront fait le plaisir de quelqu’un d’autre.” Et du plaisir, Brazyl et les autres n’ont pas fini d’en procurer à leur entourage et au monde entier.

L'excellent Brazyl du Mezel fait montre d'une régularité impressionnante à haut niveau. © Scoopdyga

Une caresse bien méritée pour l'attachant Brazyl, qui fait le bonheur de tous ceux qui croisent sa route. © Sportfot

Photo à la Une : Brazyl du Mezel et son fidèle cavalier, François-Xavier Boudant. © Sportfot