Marco Kutscher fait indéniablement partie des grands noms du saut d’obstacles. Grâce à son classicisme, ses multiples apparitions au sein de la Mannschaft, notamment à la fin des années 2000, mais aussi à son association avec le tumultueux Cornet Obolensky (né Windows van het Costersveld), l’Allemand est devenu une forme d’icône de sa discipline. Après un peu moins de trois ans d’absence, le champion d’Europe de 2005 a retrouvé avec réussite les CSI 5*, fin janvier, à Leipzig. Avec la complicité du tout bon Aventador S (né Ahouast), le quadragénaire s’est hissé au cinquième rang du Grand Prix de la Coupe du monde Longines. Une belle satisfaction, mais pas vraiment une fin en soi, Marco Kutscher ayant déjà en ligne de mire la saison extérieure, qu’il espère pavée de belles compétitions, et, pourquoi pas, d’une Coupe des nations. Dans un long entretien, divisé en trois épisodes, le sympathique cavalier s’est confié sur son come-back remarqué, sa rencontre avec sa nouvelle star, son système ou encore ses souvenirs les plus marquants. Première partie.
En janvier dernier, à Leipzig, devant votre public, vous avez signé votre grand retour en CSI 5*, après un peu moins de trois ans d'absence à ce niveau. Comment avez-vous vécu le fait de goûter à nouveau à un Grand Prix Coupe du monde ?
J’ai vraiment apprécié d’avoir l’opportunité de monter à Leipzig. La Fédération allemande m’a accordé une place et, en raison de l’absence de quelques cavaliers, j’étais déjà pré-qualifié avant le début de la compétition. C’était une situation très favorable pour moi. Ensuite, tout a été encore mieux que je ne l’imaginais. Je sais que mon cheval, Aventador, est très prometteur et très doué, mais il a encore besoin d’expérience à ce niveau. Jusqu’à présent il n’avait évolué qu’en CSI 2 et 3* et disputé une ou deux épreuves à 1,50 et 1,55m. Il y avait donc un certain cap entre ces concours et le très haut niveau. Je n’étais pas complètement sûr de la façon dont il allait appréhender cela, mais Aventador est incroyable. Il est un peu spécial, mais est un très bon sauteur. Tout s’est bien déroulé vendredi, pour l’épreuve qualificative et je suis ravi de ses deux parcours de dimanche. Cela m’a donné un super sentiment pour continuer à ce niveau. Je crois que ce n’est pas la dernière fois qu’on verra ce cheval faire d’excellents parcours ! J’en ai fini avec les événements indoors pour cette saison et je suis désormais impatient d’attaquer à l’extérieur. Nous allons prendre une petite pause de quelques semaines avant de repartir en concours à la mi-avril. Il y a beaucoup de compétitions prévues cet été et j’espère qu’Aventador continuera à sauter de la même manière. Je crois et espère que ce sera le cas. C’est vraiment chouette de pouvoir de nouveau compter sur un cheval comme lui pour le sport.
Comment avez-vous rencontré Aventador S (ex Ahouast, Armitage x Charming Boy) ?
Je l’ai récupéré il y a environ un an, de propriétaires qui ne sont pas très loin de nos écuries. Ils m’ont demandé si je pouvais le monter et, au départ, j’avais quelques doutes. Il a toujours bien sauté, mais il était un peu surexcité. De fait, la communication entre nous n’était pas très bonne. Il était très frais, et est étalon. Le travail sur le plat semblait très difficile. Ma compagne, Eva (Bitter, excellente cavalière ayant notamment monté le regretté Stakkato, son fils, Perigueux ou encore Conte Bellini, ndlr), l’a monté et a cru en lui dès le début. Je me demandais si nous parviendrions un jour à disputer des épreuves un peu plus importantes en raison de ces difficultés rencontrées sur le plat. Mais, après ses premiers concours avec Eva, j’ai pris le relais. Le sentiment à l’obstacle a toujours été excellent et, avec le temps, nous avons progressé en piste. Je suis très heureux que ma compagne ait davantage cru en Aventador que moi au départ ! Nous avons eu de la chance.
Percevez-vous en lui le potentiel d’un cheval de championnat ?
Pour prendre part à un éventuel championnat, il a besoin de plus d’expérience, mais la qualité est là. Il a les moyens, est extrêmement respectueux et n’est pas regardant en piste. Il doit simplement devenir un peu plus régulier en concours, mais cela vient en pratiquant. Nous verrons après cet été où le chemin nous mène. Cette année, envisager un championnat sera de toute façon trop tôt, mais cela pourrait absolument être une option pour l’avenir. Nous devons voir comment les prochaines semaines et mois vont se passer. Dans tous les cas, je ne pense pas à cela pour l’instant. Je suis surtout heureux d’avoir un cheval avec lequel je peux participer à des compétitions plus importantes, tout en étant compétitif. Peu importe ce que l’avenir nous réserve ! Il n’a que dix ans, est assez solide, donc je suis optimiste pour les prochaines saisons et années. Forcément, il y aura une question économique à se poser. Notre rôle est aussi de vendre des chevaux et, lorsqu’ils sautent avec régularité à ce niveau, de bonne façon, beaucoup de personnes sont intéressées. Pour l’instant, sa propriétaire est plutôt détendue à ce sujet et son premier objectif n’est pas forcément de le vendre, ce qui est positif pour moi.
“Prendre du plaisir en travaillant avec les chevaux est mon objectif, plus que de d’évoluer en 5*”
Faisiez-vous de votre retour en 5* un but majeur, ou, à l’inverse, l’avez-vous vécu comme une sorte de bonus ?
Si l’on me demande ce que je préfère entre un CSI 5* et un concours de moindre niveau, bien sûr que la première option est plus attractive. Mais cela ne l’est que lorsqu’on a un cheval compétitif. J’ai évolué à haut niveau pendant des années, alors, je n’ai pas vraiment besoin de courir en 5*, dans le sens où je ne me sens pas mieux après l’avoir fait. Je ne me sens bien que si je peux obtenir des résultats, avec un cheval à l’aise. Je n’ai pas envie de faire acte de présence. Si je prends part à des CSI 5*, je veux avoir une chance de gagner quelque chose ou d’être classé. Et c’est le cas avec Aventador. Alors, je suis très content. De façon générale, j’aime travailler avec les chevaux, aller en concours, etc. Le nombre d’étoiles a peu d’importance. C’est simplement plus intéressant lorsqu’on a un bon cheval. Cela peut d’ailleurs être le cas avec un jeune prometteur, que l’on forme et fait progresser. Cela me procure aussi une grande satisfaction. Il n’y a pas besoin que ce soit en 5*. Prendre du plaisir en travaillant avec les chevaux est mon objectif, plus que de d’évoluer en 5*. Après avoir quitté les écuries de Ludger (Beerbaum, ndlr), j’ai pu continuer à très haut niveau pendant un bon bout de temps, mais notre fonctionnement implique que nous vendions des chevaux. Et il est normal de vendre plus facilement les meilleurs d’entre eux.
De nombreux observateurs étaient ravis de vous revoir au sommet. Comment vivez-vous le fait d’être devenu, au fil des années, un modèle, une icône pour beaucoup de passionnés ?
C’est un beau compliment, mais je ne me vois pas vraiment dans cette position. Ces vingt dernières années, notre sport a énormément changé. Tant de cavaliers extraordinaires ont fait leurs preuves. Des jeunes, qui bénéficient d’un entourage, qu’il s’agisse de leur famille, de sponsors ou de propriétaires, déjà rompu aux grandes échéances, ont accompli de très belles choses à haut niveau. Le nombre de cavaliers capables de disputer un Grand Prix 5* ou des championnats a considérablement augmenté ces dernières années. J’ai fait partie de ceux-là, c’est certain. Je suis heureux de ce que j’ai accompli et d’avoir retrouvé ce niveau ces derniers mois. Je me suis prouvé à moi-même que je suis encore capable de le faire, mais je ne sais pas quoi dire de plus. Je suis content que les gens prennent plaisir à me regarder en piste. Cela me procure un petit sentiment de fierté !
“Si tout se passe bien, j’aurai au moins quatre chevaux pour viser des parcours à 1,50m”
Avez-vous établi un programme précis pour la suite de votre saison, avec certains objectifs, ou allez-vous prendre les choses comme elles viennent ?
Je suis assez loin dans le classement mondial, ce qui me complique la tâche pour obtenir les sélections que j’aimerais dans certains événements très demandés. Je vais voir où je peux aller. Dans tous les cas, les portes me seront plus facilement ouvertes en Allemagne pour les concours majeurs. Sinon, j’espère avoir la chance de pouvoir disputer une Coupe des nations, peut-être pas au niveau 5*, mais en 3 ou 4*. Nous verrons ensuite où cela nous mène. Quand tout se passe bien, que les résultats sont réguliers, cela nous offre plus de possibilités. En tout cas, je n’ai pas de plan détaillé. Je vais reprendre la compétition en avril à Hagen, puis il y a plein d’événements printaniers. En Allemagne, nous avons également la chance d’avoir de super 4*, dont un nouveau, organisé près d’Hambourg (par Janne Friederike Meyer-Zimmermann et qui pourrait d'ailleurs profiter d'une étoile supplémentaire dès cet été, ndlr).
Sur quels chevaux comptez-vous pour épauler Aventador sur le devant de la scène ?
J’ai deux très bons neuf ans, qui ont déjà montré de belles choses l’an dernier. Tous deux se sont blessés, mais ils ne devraient pas tarder à revenir en concours. Ils ont été écartés de la compétition pendant pratiquement un an. Par conséquent, ils auront besoin d’un peu de temps pour revenir à leur niveau, mais ils seront en mesure de faire du bon travail aux côtés d’Aventador. Ensuite, j’ai également deux huit ans prometteurs, et un cheval de sept ans. Ils ont déjà évolué à 1,45 et 1,50m. Si tout se passe bien, qu’ils restent tous en bonne santé, j’aurai au moins quatre chevaux pour viser des parcours à 1,50m. Une situation plutôt confortable !
Comment fonctionne votre système et comment jonglez-vous entre le sport et le commerce ?
Globalement, ce n’est pas facile. Cela devient même de plus en plus difficile. Premièrement, nous avons besoin de bons chevaux. Notre façon de travailler dépend assez largement des chevaux que nous confient des propriétaires extérieurs. Il nous arrive d’acheter des chevaux nous-mêmes, mais la plupart ne sont pas à nous. Nous avons donc besoin de bons propriétaires, qui nous présentent de bons chevaux. Ensuite, notre objectif principal est de les vendre, lorsqu’ils atteignent un niveau intéressant dans le sport. Trouver le bon moment où les laisser partir est difficile. Dans tous les cas, on ne peut vendre un cheval que lorsqu’il saute bien et que les gens s’intéressent à lui. Finalement, en réussissant sur la scène sportive, on réussit aussi dans le commerce. En général, je décide du moment le plus opportun pour les céder.
Photo à la Une : Marco Kutscher et sa nouvelle pépite, Aventador S. © Sportfot