“Sans nos chevaux, nous ne sommes rien”, Henrik von Eckermann (2/2)
Sans doute pourrait-on l'écouter des heures durant, sans jamais se lasser, tant ses réflexions sont pertinentes et intéressantes. Le Suédois Henrik von Eckermann, plutôt discret de prime abord, se révèle être avant tout un Homme de cheval, à l'écoute de ses montures. Accordant beaucoup d’importance au fait de former lui-même ses cracks de demain, et de garder la main sur chaque détail, le pilote de quarante ans semble pleinement épanoui. Installé aux Pays-Bas, aux côtés de sa compagne, la Suissesse Janika Sprunger, mais aussi de son fils, Noah, qui a soufflé sa première bougie le 6 avril dernier, l’actuel troisième meilleur cavalier du monde briguera une sélection aux championnats du monde de Herning, cet été, au Danemark. Privé du CSIO 5* de La Baule, dont il espérait disputer les deux temps forts avec la vive Glamour Girl, le jeune père de famille a pris le temps de se confier. Il revient, entre autres, sur la sucess story de la Suède, son formidable King Edward, la construction des écuries Cyor et son expérience olympique. Entretien.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
Depuis plusieurs mois, mais surtout depuis les Jeux olympiques de Tokyo, où elle a été couronnée d’or, l’équipe suédoise de saut d’obstacles semble presque imbattable. Avez-vous une explication pour cette insolente réussite ?
Le succès que nous rencontrons en ce moment, et encore plus celui des Jeux olympiques, est lié au fait que nous avons trois bons cavaliers et trois chevaux exceptionnels en même temps (Malin Baryard Johnsson, Peder Fredricson et Henrik von Eckermann composaient l’équipe des JO avec H&M Indiana, H&M All In de Vinck et King Edward, ndlr). Il y a aussi beaucoup d’autres choses autour, qui, avec le temps, ont rendu l'équipe suédoise si talentueuse. Nous avons un excellent état d’esprit et Henrik (Ankarcrona, le chef d’équipe, ndlr) a fait un super travail en laissant toujours une chance à de nouveaux pilotes de se faire une place dans le sport.
Il est rare de voir un chef d’équipe aussi jeune et aussi talentueux. Quelle est l’influence d’Henrik Ankarcrona, quarante-trois ans, sur votre collectif ?
Il a pratiqué ce sport lui-même et est très ouvert d’esprit. Comme je l’ai dit, il ne craint pas d’essayer de nouveaux couples. Il y a une première fois pour tout le monde, mais Henrik laisse une vraie chance à tous. Il ne regarde pas seulement les résultats qu’obtiennent les cavaliers : il voit au-delà et détecte le potentiel de chacun. Ensuite, il est capable de leur laisser de l’espace, tout en leur donnant confiance, ce qui est primordial.
Longtemps, il a semblé que le réservoir de cavaliers en Suède était plutôt restreint. L’an dernier, notamment à Aix-la-Chapelle, le clan scandinave a prouvé l’inverse. De nouvelles têtes sont-elles encore sur le point de percer à haut niveau ?
Il y a toujours de nouvelles personnes qui émergent, mais on ne sait jamais qui sera le suivant ! Dans ce sport, il y a tant de choses qui doivent s’aligner pour pouvoir être vraiment performant au top niveau. Mais chacun peut suivre un chemin différent. Par exemple, Peder (Fredricson, ndlr) et moi allons en concours chaque week-end, essayons de gagner et de rester au sommet du classement mondial. Jens (Fredricson, le frère aîné de Peder, qui avait fait une pause en CSI 5* de 2014 à 2021, ndlr) est un parfait contre-exemple : lorsqu’il a un bon cheval, il établit un plan et performe, comme nous l’avons vu lors de la finale de la Coupe du monde (où il a terminé troisième avec Markan Cosmopolit, ndlr). Son fonctionnement est différent, mais tout aussi brillant.
“Depuis que King Edward n’a plus de fer, le sentiment en selle est complètement différent”
Chez les cavaliers suédois, le bien-être animal semble occuper une place importante…
Bien sûr. Sans nos chevaux, nous ne sommes rien. C’est tout. Je crois sincèrement que sans des chevaux sains et frais, non seulement physiquement, mais aussi mentalement, nous ne pouvons pas performer. Au plus haut niveau, et particulièrement en championnats, si nos chevaux ne sont pas dans la meilleure forme possible, alors nous n’obtenons pas de résultat. C’est ma règle numéro un : si mes montures sont saines, en bonne santé et se sentent bien, alors j’ai une chance. Sans cela, ce n’est pas la peine que j’aille en concours car je n’en tirerais rien de positif et ne pourrais pas évoluer sur le long terme. J’ai commencé ce sport avant tout parce que j’aime les animaux. J’ai grandi dans une ferme, au milieu des vaches. Il faut traiter les chevaux comme nos partenaires, sinon, notre association ne durera pas.
Pensez-vous que la mentalité suédoise est différente de celle d’autres pays ?
Je crois qu’il y a du bon et du moins bon dans toute mentalité. Je ne pense pas qu’un pays soit meilleur qu’un autre, ou que la Suède soit meilleure. Il faut davantage regarder les individualités.
Tout comme une partie de vos collègues, certains de vos chevaux ne portent plus de fers. Quelles réflexions vous ont mené à ce choix ?
C’est King Edward qui m’a poussé vers cette décision. Il a toujours sauté de façon très spectaculaire, mais quand nous avons commencé à le faire évoluer, il déviait toujours d’un côté et était un peu tendu. Avec tous nos chevaux, nous faisons toujours notre maximum pour qu’ils soient le plus confortables possible. Je sentais que le comportement de King Edward n’était pas fortuit. Même s’il a toujours été droit, il y avait une raison derrière son comportement. Nous l’avons fait examiner par nos vétérinaires, mais j’avais toujours le sentiment que quelque chose le dérangeait. À Doha, il y a un peu plus d’un an, j’ai discuté avec Julien Epaillard à propos des fers et des pieds nus. King Edward donnait parfois le sentiment d’être un peu sensible au niveau des pieds. Alors, nous lui avons retiré ses fers, dans le but premier de le rendre moins sensible. Puis, par la suite, je me suis dit ‘mais pourquoi le referrer s’il se sent mieux sans ?’ Alors j’ai essayé sans fer. Directement, j’ai eu de meilleures sensations. Il était plus relâché et sautait avec beaucoup plus de rectitude. Il n’a jamais boité et on ne voit sans doute pas la différence à pied - il trottait peut-être même mieux d’un point de vue extérieur avant -, mais le sentiment en selle est juste complètement différent.
Désormais, nous voyons également beaucoup de chevaux concourir sans guêtres. Des études soulignent d’ailleurs depuis longtemps que les protections peuvent avoir un effet néfaste en retenant trop de chaleur sur les membres des chevaux. Pensez-vous que cela va devenir commun dans le futur ?
Je ne sais pas. C’est quelque chose que j’ai remarqué, mais je suis encore trop effrayé à l’idée que mes chevaux puissent se blesser ou se marcher dessus. Notre sport se développe tout le temps. Peut-être que dans cinq ans nous penserons à des choses totalement différentes de ce à quoi nous sommes habitués aujourd’hui. Il y a dix ans, on aurait dit aux cavaliers de retirer les fers de leurs chevaux, ils se seraient sans doute demandé d’où nous venait cette idée ! De plus en plus, nous nous rendons compte que cela est plutôt bénéfique, mais chaque choix doit être individuel. Je regarde chaque cheval en tant qu’individu et, comme avec les humains, chaque cheval est différent. Peut-être qu’un a besoin de fers, l’autre non : peut-être qu’un a besoin de protections pour diverses raisons, et l’autre non. Nous en revenons à la base ; je veux avoir le temps pour chaque cheval, de façon à pouvoir prendre en compte tous ces détails et comprendre les besoins de chacun, en fonction de ses propres spécificités.
“Nous ne pouvons pas avoir des gens qui essayent de sauter des parcours qu’ils n’ont jamais affronter auparavant aux JO”
Le nouveau format olympique suscite de vifs débats chez les cavaliers. Où vous situez-vous sur ce sujet ?
Je crois que tout, ou presque, a été dit à ce sujet. C’est compliqué pour les cavaliers. Je ne crois pas que nous verrons de différences à Paris (l’épreuve par équipe devrait toutefois revenir avant l’individuelle, ndlr). Je pense que ce sera identique à Tokyo. Mais, pour être honnête, je ne pense pas tellement au fait qu’il y ait trois ou quatre cavaliers. Pour moi, il est beaucoup plus important que les personnes qui concourent aux Jeux olympiques soient prêtes pour un tel événement. Cela me semble primordial. On peut toujours discuter du fait qu’il y ait trois ou quatre couples, ce qui est mieux dans tel ou tel cas, ce qui l’est moins, etc. Mais, pour moi, il est inconcevable que des gens puissent se qualifier pour les Jeux olympiques d’une façon qui n’a rien à voir avec le niveau de cet événement. Oui, il y a des mauvais côtés au format à trois couples, mais, lorsqu’on parle de bien-être animal, le sujet principal devrait être l’accès aux Jeux olympiques (lors de son Forum des Sports, la Fédération équestre internationale a convenu d’augmenter les minima requis pour pouvoir prendre part aux JO de Paris, en 2024, ndlr). Nous ne pouvons pas avoir des gens qui essayent de sauter des parcours qu’ils n’ont jamais affronter auparavant, parce que le plus grand danger qu’un accident se produise avec les chevaux réside ici. Nous devons nous assurer que cela ne se produise pas.
Trouvez-vous important que les cavaliers prennent position et défendent ce qu’ils pensent juste pour leur sport ?
Oui, c’est sûr que ça l’est. Les cavaliers sont conscients de ce qui se passe. Si ce n’était pas le cas, ce serait plus problématique. Nous travaillons avec des animaux : nous ne pouvons pas penser aux intérêts politiques en premier. Cela devient très dangereux lorsque la politique s’invite dans le sport car nous avons toujours une responsabilité envers les animaux. On ne peut pas contourner cela avec la politique. Il faut construire le sport autour des chevaux, pas des politiques. Peut-être qu’il est possible de concilier cela dans d’autres disciplines, d’autres domaines qui n’impliquent pas les animaux, mais, dans notre cas, nous ne pouvons pas ignorer nos partenaires.
“J’aime ce que je fais et je n’ai besoin de rien d’autre”
Vous êtes devenu père pour la première fois, il y a un peu plus d’un an. Cela a-t-il changé votre vision de vos performances, du monde en général ?
Oui, assurément, cela a changé. Lorsque je montais chez Ludger, je pensais au sport et à rien d’autre. Si quelque chose se passait mal, j’avais l’impression que ma vie était finie (rires). Avec le temps, on apprend à gérer cela, et d’autant plus lorsqu’on a un enfant. Quand j’ai une mauvaise journée au concours, je suis toujours un peu frustré et je n’aime pas ça, mais, quand je rentre à la maison, que je vois mon fils et Janika, tout va bien.
Êtes-vous soucieux quant au réchauffement climatique ?
(il réfléchit) Pour être franc, en ce moment, je suis plus inquiet par la guerre (opposant l’Ukraine et la Russie depuis mars, ndlr). Je ne pensais pas le moins du monde que nous assisterions à une guerre, si proche de nous, en 2022. Je trouve même cela effrayant qu’il puisse encore se produire de telles choses de nos jours. Ce qui se passe en Ukraine est terrible et il n’y a aucun moyen de mettre un terme aux combats. Tant de personnes souffrent… Quand je pense à cela, je me demande ce que nous faisons, ici, à sauter par-dessus des obstacles, alors qu’à quelques kilomètres, des gens se battent pour survivre. Je ne veux même pas y penser.
En dehors des chevaux, avez-vous le temps de développer d’autres passions ?
Non ! (rires) Je prends plaisir dans mon travail. Je ne vois pas cela comme un métier. C’est simplement ma vie. J’aime ce que je fais et je n’ai besoin de rien d’autre !
Photo à la Une : Henrik von Eckermann au bord du paddock de La Baule. © Mélina Massias