Membre de l’équipe néerlandaise depuis de nombreuses années, Jur Vrieling a vu passer sous sa selle quelques cracks. Retraités ou vendus, celles et ceux qui ont quitté son piquet ont toujours laissé place à une nouvelle salve de talents. Long John Silver 3, Fiumicino van de Kalevallei et Griffin vd Heffinck n’ont pas dérogé à la tradition ces dix-huit derniers mois. Vendus, ces trois chevaux de Grand Prix ont permis au cavalier de cinquante-cinq ans de faire émerger Helwell du Chabus, Clear Heart ou encore Kannan Jr, qui n’ont pas fini de révéler leur potentiel au plus haut niveau. Toujours aussi passionné, avide de continuer à former des jeunes chevaux, comme il l’a toujours fait, Jur Vrieling évoque son piquet, ses espoirs, l’élevage, le succès de reproducteurs de ses anciens compagnons de route, ou encore les conditions de travail des grooms, entre autres sujets abordés. Entretien.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
Vous avez monté de très bons étalons par le passé, qui continuent désormais leur œuvre à l’élevage. Observez-vous leurs produits lorsque vous en avez l’occasion ?
Oui, bien sûr. Nous avons d’ailleurs un très bon Kannan x Zirocco Blue, qui appartient à Sára (Vingrálková, jeune et talentueuse cavalière Tchèque, notamment vue aux rênes d’Oscar des Fontaines, Limonchello NT ou encore Comme-Laude W, ndlr), dans nos écuries. Il y a beaucoup de jeunes chevaux qui sont des fils ou des petits-fils de mes anciens étalons. Ma relation avec la famille van de Langeweg est fantastique. Ils ont toujours été des propriétaires géniaux et m’ont toujours soutenu. Ils me prodiguent parfois des conseils quand j’en ai besoin. Avec Sára, nous avons de très bons jeunes chevaux, dont deux sept ans extrêmement talentueux.
Quamikase des Forêts, alias Zirocco Blue, a marqué la carrière de Jur Vrieling et brille désormais à l'élevage. © Dirk Caremans / Hippo Foto
De plus en plus de cavaliers lancent leur propre élevage, en faisant naître un nombre plus ou moins grand de poulains chaque année. Est-ce aussi votre cas ?
J’ai eu quelques poulinières, oui, mais il est compliqué de développer cette activité chez moi. Je n’ai pas beaucoup d’espace dans mes écuries, et j’ai trop d’étalons pour pouvoir faire davantage d’élevage. J’ai envoyé mes poulinières ailleurs, mais je préfère suivre tout cela d’un peu plus près, voir les poulains naître et grandir, tisser un lien avec eux. C’est vraiment dommage que je n’aie pas plus de place pour élever… Mais nous continuons à acheter quelques poulains et avons des poulinières.
Avez-vous déjà monté des produits de votre propre élevage ?
Oui, j’ai eu quelques bons jeunes par Zirocco Blue, Etoulon, Carrera. Carrera produit de très bons chevaux et fait partie des étalons que j’affectionne particulièrement. J’ai aussi élevé une super jument par Glasgow vh Merelsnet avec une mère par Baloubet du Rouet, Mississippi, que j’ai malheureusement vendue aux Etats-Unis. Parfois, nous n’avons pas vraiment le choix pour continuer à faire fonctionner nos entreprises. Mais cette Mississippi était une machine ! Elle était imprégnée de sang, un peu chaude, mais cela lui venait peut-être de son grand-père maternel. J’ai d’ailleurs aussi fait naître son frère utérin par Zirocco Blue, Levi Noesar, que monte Richard Vogel ! Ils ont déjà gagné des Grands Prix et de belles épreuves ensemble (l’alezan de tout juste neuf ans s’est déjà imposé jusqu’à 1,55m et avait notamment remporté la finale réservée aux jeunes chevaux à Aix-la-Chapelle l’été dernier, ndlr). Mais je crois que la Glasgow était encore meilleure, elle avait des moyens énormes ! J’ai aussi vendu une bonne jument pleine de Dallas en Italie. Une année, elle est restée vide et ses propriétaires l’ont remise au sport. J’ai essayé de la racheter, mais ils n’étaient pas vendeurs. Je l’ai laissée filer.
Jur Vireling est le naisseur de l'excellent Levi Noesar que monte Richard Vogel. © Mélina Massias
À votre avis, pour quelles raisons de plus en plus de cavaliers se mettent à élever leurs propres chevaux ?
Avant tout, je pense que c’est une bonne chose. Je constate qu’aux Pays-Bas, nous avons beaucoup d’éleveurs, des gens d’expérience, qui ont beaucoup de connaissances sur les chevaux. Ils ont su construire des souches et gagner leurs lettres de noblesse. Ces dernières années, ce genre de profil semble se faire de plus en plus rare. Je pense que le fait que certains jeunes cavaliers conservent une bonne jument de sport pour élever eux-mêmes permet de tirer à nouveau le niveau vers le haut.
Que pensez-vous, à titre personnel, des nouvelles techniques utilisées dans l’élevage, comme l’ICSI, ou encore de la sur-utilisation de certaines lignées maternelles ?
Je ne suis pas un grand fan de cela, mais je peux comprendre que cela ait un intérêt commercial. Cela étant, des clients à moi ont acheté, à un prix très élevé, un poulain de Chacco Blue avec la propre sœur de Hardrock. Sur le moment, ils se sont dit qu’ils avaient fait l’acquisition d’un pedigree très rare, exclusif. Et puis, quelques semaines plus tard, ils ont vu un autre produit du même croisement commercialisé lors d’une autre vente et ont fini par se rendre compte qu’il y avait en réalité neuf propres frères et sœurs ! L’exclusivité devient rare. Sur le papier, le croisement Chacco Blue avec la propre sœur de Hardrock est alléchant, mais s’il y a neuf poulains avec les mêmes origines… Je crois davantage dans l’élevage traditionnel. Pour moi, les poulains doivent grandir à côté de leurs mères. De cette manière, impossible d’avoir neuf poulains la même année, on en a qu’un ! Je peux comprendre le recours au transfert d’embryon, mais je n’accroche pas avec le reste.
Vous êtes-vous laissé tenter par des transferts d’embryons avec vos meilleures juments ?
Non, je suis vraiment de la vieille école ! J’aurais pu, mais je ne l’ai pas fait.
Le Néerlandais reste attaché aux méthodes d'élevage traditionnelles et n'est pas tenté par les nouvelles techniques disponibles en matière de reproduction. © Dirk Caremans / Hippo Foto
À votre avis, quelles actions pourraient être mises en place pour accorder plus de crédit et de reconnaissance aux éleveurs et à leur travail ?
Je pense que les éleveurs qui font naître un très bon cheval reçoivent de l’attention grâce à ses performances. Leur nom est aussi mentionné sur certaines listes de départ, ce qui est une bonne chose. Je pense qu’il pourrait être intéressant de leur accorder un pourcentage des gains des chevaux qu’ils ont fait naître. Et je pense qu’il n’y a pas besoin que les sommes soient très élevées. Ne serait-ce qu’un pourcent de la dotation, en plus de la mention de leur nom, leur apporterait déjà de la joie. Sans les chevaux, nous, cavaliers, ne sommes que des humains ! Nous ne sommes plus des cavaliers. Les éleveurs sont à la base de tout.
Vous avez gravi les échelons à force de persévérance et de travail, après être parti de rien ou presque. Aujourd’hui, beaucoup de cavaliers issus de familles très connues ou aisées, se fraient un chemin vers le plus haut niveau. Pensez-vous qu’il reste encore de la place pour des histoires comme la vôtre ?
Je crois qu’au bout du compte, être riche ou non n’a pas tant d’importance. La mentalité joue un rôle très important : ceux qui parviennent à atteindre le plus haut niveau sont ceux qui ont l’envie de travailler. Bien sûr, avoir la possibilité d’acheter un bon cheval facilite vraiment les choses, mais cela ne remplace pas le travail. Je pense qu’il y a encore beaucoup de possibilités pour tout le monde. La plupart des cavaliers néerlandais sont aussi partis de rien : Harrie Smolders n’avait rien et il est arrivé au sommet. Maikel van der Vleuten a eu la chance de pouvoir compter sur son père, qui a lui-même eu une belle carrière. En ce sens, il a peut-être franchi les étapes plus rapidement. Mais il y a plein d’opportunités. Quoi qu’il arrive, seules les personnes qui sont prêtes à beaucoup de sacrifices et s'entraînent en conséquence réussissent. Les cavaliers qui travaillent le plus sont les plus récompensés.
"Avoir la possibilité d'acheter un bon cheval facilite les choses, mais ne remplace pas le travail", dit notamment le Néerlandais. © Mélina Massias
En février, il y a eu plus vingt-quatre événements de niveau 4 et 5*. Les épreuves de ce niveau sont de plus en plus nombreuses chaque week-end. Qu’en pensez-vous ?
C’est bien pour le sport, et pour les cavaliers, qu’il y ait autant de concours, contrairement à avant. Mais il faut veiller à avoir une bonne gestion : on ne peut pas enchaîner les concours les uns après les autres. Il faut prendre le temps entre les événements majeurs, participer à des concours de niveau moindre pour préparer ses chevaux et essayer d’avoir un plan bien défini pour les compétitions les plus importantes. Cela ne peut pas fonctionner si on enchaîne cinq CSI 5* à la suite, à moins d’avoir une équipe exceptionnelle derrière soi, en mesure de faire progresser les chevaux en son absence, et un large piquet de chevaux. Sinon, il faut établir un très bon programme, avec les concours auxquels on participe, ceux qui servent de préparation et ceux où l’on ambitionne de gagner.
À quel point votre équipe est-elle importante dans votre réussite ?
Sans mon équipe, je ne suis rien. Si certaines personnes qui travaillent aux écuries venaient à arrêter, j’aurais un immense problème ! André, par exemple, gère toute la partie élevage avec moi. Il organise tout, entre les étalons et les juments. Si je devais faire cela moi-même, je n’aurais plus le temps de monter à cheval ! Il fait un travail incroyable, et en totale autonomie. Idem pour ma cavalière maison : elle ne m’appelle jamais, à moins qu’il y ait un vrai problème. Je sais que toute l’écurie est entre de bonnes mains et je peux me concentrer sur les concours. Cela fait une grande différence. Sans une équipe de premier ordre, la quantité de travail est trop importante. On ne peut pas se permettre de collaborer avec les mauvaises personnes.
En particulier durant la saison indoor, les grooms doivent se plier à des horaires à rallonge, avec des épreuves débutant tardivement, tout en devant se lever tôt le lendemain afin de nourrir les chevaux et s’assurer que tout aille bien. De fait, leurs heures de sommeil ne sont pas nombreuses. Comment gérez-vous cela ? Est-ce quelque chose qui vous inquiète ?
Hier, par hasard, j’ai demandé au groom qui était à côté de nous aux écuries s’il pouvait nourrir mes chevaux pour que ma groom puisse dormir une heure de plus. Elle avait enchaîné pas mal de concours, et des épreuves assez tardives à plusieurs reprises. Les grooms aiment leur métier, l’exercent pour l’amour des chevaux et continuent, coûte que coûte. Mais nous devons penser à cela, en tant que cavaliers, et je suis sûr que les organisateurs le font également. Enchaîner les concours, encore et encore, n’est pas possible. Il faut avoir une bonne relation avec son ou ses grooms, pour pouvoir parler avec eux, savoir s’ils ont besoin d’un jour de repos supplémentaire ou autre chose. Ce métier est de toute façon motivé par l’amour des chevaux. Si on ne l’a pas, il faut trouver une autre profession.
Avec Helwell du Chabus, Jur Vrieling a une excellente jument. © Mélina Massias
Avez-vous déjà songé à embaucher une personne pour conduire le camion et vos chevaux en concours, voire à avoir deux grooms lorsque le programme de compétition le nécessite ?
Lorsque j’étais plus jeune, j’ai une fois conduit le camion pour rentrer à la maison, depuis Rome, d’une traite. C’est un sacré périple après un week-end de concours ! Quand on y pense, on devrait être heureux que tout se passe bien dans la plupart des cas. Désormais, il y a des pauses obligatoires sur les trajets. La réglementation implique de bien organiser tout cela et je pense que c’est une bonne chose. Lorsqu’il y a de très longs trajets, j’emploi un chauffeur, car il y a trop de risques. La valeur des chevaux est trop élevée pour prendre le moindre risque. Conduire un camion est le métier d’un chauffeur. Pendant le concours, il peut se reposer. Les grooms, eux, doivent parfois rester debout jusqu’à 1 heure du matin, voire plus, trois nuits de suite, puis prendre la route le dimanche soir à 20 heures. Cela constitue un risque inutile pour les grooms, pour les cavaliers et pour les chevaux.
Après une folle réussite sous les ordres de Rob Ehrens, et quelques années aux côtés de Jos Lansink, l’équipe des Pays-Bas a, depuis quelques mois, un nouveau chef d’équipe en la personne de Wout-Jan van der Schans. Quelles sont vos relations avec lui ?
Je connais très bien Wout-Jan, qui est un ami ! Il y a toujours des cavaliers avec lesquels on a des atomes crochus, avec lesquels on peut échanger et partager : Wout-Jan en fait partie. Il était déjà une sorte de partenaire d’entraînement pour moi, dont je pouvais solliciter l’avis en cas de question. Maintenant, la seule chose qui change, c'est que je devrais l’écouter ! (rires) Ce ne sera pas simple de prendre la suite de Rob Ehrens et Jos Lansink, mais c’est un super gars. Les résultats dépendront aussi de la qualité des chevaux que nous conserverons aux Pays-Bas. Il débute, en tout cas, avec une tâche difficile. On ne doit pas l’oublier. En ce moment, nous n’avons pas des Zenith, Bubalu, Verdi ou London (les quatre stars de l’âge d’or de l’équipe néerlandaise de saut d’obstacles, ndlr) pour former une équipe. À l’époque, si l’un d’eux avait commettait deux fautes, les trois autres étaient sans-faute. Et ce n’est pas souvent arrivé que l’un d’eux sorte de piste avec huit points ! C’était une période incroyable, mais les choses ont changé depuis.
Jur Vrieling connaît bien le nouveau sélectionneur des Pays-Bas. © Sharon Vandeput / Hippo Foto
Vous avez pris part à tous les grands championnats, avez monté nombre de chevaux d’exception dans votre carrière. De quoi rêvez-vous encore aujourd’hui et qu’est-ce qui vous motive à continuer votre métier avec la même passion ?
Quel pourrait être mon rêve ? Désormais, j’aide Sára et la voir gagner une médaille, quelle qu’elle soit, serait un bon rêve ! Je n’ai pas de problème pour rester motivé. Par exemple, j’adore travailler avec Sára, on se tire vers le haut mutuellement. Je pense que cela participe à rendre mon quotidien encore plus intéressant. Monter seul n’apporte pas autant d’amusement que de le faire aux côtés de quelqu’un d’autre. On s’aide tous les deux, on échange sur des détails, qui font toute la différence à haut niveau. J’aime bien entraîner quelques cavaliers, mais avec parcimonie. Je ne le ferai pas toute la journée, car j’aime toujours autant monter à cheval !
Photo à la Une : Jur Vrieling garde une motivation intacte. © Mélina Massias