Prime aux naisseurs mondiale : idée utopique ou projet réaliste ? (1/3)
Les discussions à ce sujet ne datent pas d’hier. Pourtant, la prime aux naisseurs n’a rien perdu de son intérêt et, surtout, de sa nécessité. En France, cette récompense financière bienvenue, d’autant que la situation économique des éleveurs reste précaire, a bien existé, avant de progressivement disparaître dans les années 2000, remplacée par la Prime d’aptitude à la compétition équestre et secondée par la Politique agricole commune. Une désertion que déplorent des grands noms du milieu, à l’image de Xavier Libbrecht ou encore Bernard Le Courtois, pour ne citer qu’eux. Tous deux font d’ailleurs partie de celles et ceux qui militent pour que soit financée, chaque année, une enveloppe européenne, voire mondiale, en mobilisant 1% des dotations globales versées dans l’ensemble des compétitions disputées sous l’égide de la Fédération équestre internationale. En 2022, pour le saut d’obstacles, discipline olympique la plus rémunératrice, plus de 138 millions d’euros ont été distribués dans les CSI labellisés 1* à 5*. Si le principe d’une prime aux naisseurs est loué par l’écrasante majorité des acteurs concernés, des blocages surviennent concernant sa mise en œuvre concrète. En cause notamment, la situation déficitaire de nombreux propriétaires, faisant face à des coûts toujours plus élevés, les statuts de la Fédération équestre internationale, mais également des questions techniques encore sans réponse. Premier épisode d’un article en trois volets.
Saint-Lô, octobre 2022. Sous la nef du grand manège du Pôle hippique, les cavaliers et leurs montures ne sont pas les seules stars du spectacle. À l’occasion de traditionnel CSI 4*, le Groupe France Elevage (GFE) convie au cœur de l’arène les éleveurs des chevaux français auteurs des meilleurs résultats du week-end dans les épreuves comptant pour le classement mondial Longines. Face à un public de connaisseurs, ces travailleurs de l’ombre, premier maillon du sport, se voient alors remettre des chèques, en récompense des performances de ceux qui furent, un temps, leurs protégés. Cette initiative a permis de remettre en lumière la prime aux naisseurs (PAN), un concept cher à tous les amateurs de génétique, disparu progressivement en France dans les années 2000 et inexistant, de façon généralisée, à l’échelle européenne et mondiale.
[revivead zoneid=48][/revivead]
“Nous trouvions cet encouragement assez juste, quelle que soit la taille de l’éleveur récompensé. C’était un petit retour sur la qualité du travail fourni par les naisseurs, en fonction des résultats de leurs produits. Nous savons que l’éleveur est au début de la chaîne et qu’à très haut niveau, l’économie est bien différente de celle de l’élevage”, explique Brice Elvezi, particulièrement sensible à ce sujet, de même qu’Arnaud Evain, fondateur du GFE. À son niveau, le syndicat d'étalonnage développe d’ailleurs, depuis trois ans, une récompense visant à reconnaître les femmes et hommes ayant fait naître les meilleurs poulains issus de leur collection d’étalons.
Dans le fief normand, terre d’élevage par excellence, l’initiative était encore plus large. “Nous avons essayé de créer quelque chose d’innovant, qui peut interpeller”, reprend Brice Elvezi. “Nous avons réalisé plusieurs simulations afin de trouver le juste milieu. Nous nous sommes concentrés sur les quatre épreuves comptant pour le classement mondial, dont trois étaient labellisée 4* et une 2*. L’idée était de ne pas trop diluer les sommes versées, afin qu’elles ne deviennent pas dérisoires et annule l’effet voulu. Il nous a donc semblé cohérent de récompenser les trois meilleurs chevaux français, quel que soit leur stud-book d’origine. Cela a donné lieu au versement de quinze primes.” Une réussite pour cette action, qui a permis à des éleveurs de tous horizons, implantés aussi bien dans la Manche, en Charente-Maritime qu’en Indre-et-Loire, d’être mis à l’honneur.
Guy Duchamp, à la tête de l’affixe d’Iscla a ainsi pu bénéficier d’une récompense financière pour les performances de son tout bon Best Of, notamment troisième du temps fort du CSI 4* sous la selle de Nicolas Layec. “Savoir qu’un produit de son élevage est reconnu fait toujours plaisir. Cela nous encourage et nous offre une forme de reconnaissance. L’aide financière n’est pas énorme, mais l’élevage de chevaux repose sur la passion. Ce n’est pas une production comparable à celle d’animaux de rente”, explique-t-il. “C’est la première fois que je reçois une telle récompense, en dehors des primes PACE classiques (la Prime d’aptitude à la compétition équestre vise à récompenser les meilleures mères de gagnants, ndlr), dont nous avons la chance de bénéficier, notamment grâce à Signora (une fille de Sophie du Château, ndlr). Je ne sais pas si une prime aux naisseurs générale est envisageable, mais elle est souhaitable ! Nous avons besoin d’aide. L’élevage n’est pas une activité très rentable. Cette dernière est difficile et faite de plaisirs et de déceptions. Lorsque nous recevons des choses positives, nous les prenons avec plaisir. Il serait intéressant que la prime aux naisseurs soit attribuée par le stud-book Selle Français et qu’elle soit calculée en fonction des gains qu’obtient chaque cheval, comme cela existe déjà pour les chevaux de course. Lorsqu’on a la chance d’avoir une bonne souche, une jument qui produit bien, il faut en profiter. Cependant, en ce qui nous concerne, nous cherchons toujours à l’exploiter modérément. Nous ne sommes pas des acharnés, nous n’allons pas aller vers l’ICSI (injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde, qui permet, théoriquement, d'obtenir un grand nombre d'embryons, même avec des juments peu fertiles, ndlr), ou des choses comme cela. Nous essayons d’avoir du respect pour nos juments. Signora prend de l’âge, et, il arrivera un jour où il sera trop difficile de la féconder, la fertilité diminuant avec l’âge. À ce moment-là, nous la laisserons vivre tranquillement, sans lui ponctionner les ovaires.”
[revivead zoneid=48][/revivead]
Si le GFE n’a pas vocation à prendre la place des instances qui pourraient généraliser cette PAN, il espère bien pouvoir relancer la machine et faire naître d’autres initiatives similaires. “Nous essayons, chacun à notre niveau, de remettre en lumière cet encouragement et, donc, d’inciter les politiques à reprendre cette idée dans les années à venir, qu’il s’agisse des stud-books, de la société-mère, la Société Hippique Française (SHF), ou de la Fédération. Nous retombons souvent sur des relations politiques et des priorités qui diffèrent selon les structures. Les budgets sont également limités, ce qui ne simplifie pas la coordination d’un projet global. C’est toutefois ce que nous voudrions essayer de mettre en place à terme, pour les éleveurs et notre filière. Nous espérons que cela fera des petits et que nous pourrons débloquer un projet plus grand, qui devienne ensuite international, avec, par exemple, un fond qui soit financé par 1% des dotations des épreuves. Ce faible taux ne devrait pas trop empiéter sur les revenus des uns et des autres, mais ferait la différence à la fin”, appuie Brice Elvezi. “Nous voulons rester à notre place, mais notre rôle est aussi d’apporter une nouvelle énergie, des idées et d’aider à aboutir sur un succès dans la gestion et la promotion de notre filière.”
Légitime et méritée
[revivead zoneid=48][/revivead]
Depuis plusieurs années, certaines personnalités, impliquées de près ou de loin dans l’élevage, militent pour un retour d’une prime aux naisseurs, nationale, voire mieux, européenne ou internationale. Bernard Le Courtois est de ceux-là. En 2022, et comme il l’avait déjà fait en 2016 notamment, le Normand, à la tête du haras de Brullemail milite, dans une chronique publiée dans le numéro 139 du magazine GRANDPRIX pour “une prime légitime et méritée aux naisseurs”. “Le 3 juillet, j’ai regardé avec grand intérêt le Grand Prix Rolex d’Aix-la-Chapelle. Cette magnifique et mythique épreuve était dotée d’1,5 million d’euros, dont 500 000 euros offerts au seul couple vainqueur. Hélas, les éleveurs ayant fait naître ces valeureux champions n’ont rien perçu de cette généreuse manne. Je suis scandalisé, depuis quarante ans que j’élève des chevaux, de voir à quel point toute l’industrie des sports équestres, dans le monde entier, méprise les éleveurs de champions, alors que le cheval sera toujours le premier maillon indispensable à la chaîne. Aujourd’hui encore, le nom des éleveurs ne figure même pas sur la liste de départs des épreuves de ce superbe CHIO d’Allemagne”, écrit-t-il en préambule.
Et de reprendre : “Dès lors, quand un cheval atteint le haut niveau international, ne serait-il pas logique que son naisseur touche une prime correspondant à une petite part de ses gains ? Pour certains acteurs de notre filière, rentabiliser leur structure d’élevage n’est pas toujours un objectif dans la mesure où cette activité est pour eux un hobby coûteux bien plus qu’un gagne-pain. Pour tant d’autres, petits ou moyens, ces réalités économiques représentent un grave péril. C’est surtout à ces derniers que je pense quand je revendique une prime aux naisseurs, même si tous devraient pouvoir la percevoir. En n’agissant pas à ce sujet, les dirigeants de notre filière semblent considérer qu’élever des chevaux de sport est un loisir de gens aisés ne méritant pas d’être aidés à pérenniser cette activité et améliorer leurs sélections. [...] À ses débuts, le montant de la prime aux naisseurs (PAN) (en France, ndlr) a atteint 30 % – oui, vous avez bien lu ! Une aubaine pour les éleveurs de cette époque glorieuse, ‘qui a duré moins longtemps que les impôts’, surtout quand les gains internationaux des chevaux de haut niveau ont commencé à sérieusement augmenter, au fil de la décennie 80. Je me souviens d’une anecdote que m’avait raconté le célèbre cavalier et éleveur Michel Pélissier. Une année, l’étalon I Love You, grand gagnant sous couleurs américaines qu’il avait fait naître, était en tête des gains au niveau mondial. Au même moment, en France, quelques grands cracks Selle Français gagnaient bien leur vie aussi, les plus célèbres et performants étant Flambeau C et l’étalon Galoubet A. Cette année-là, à eux trois, ils auraient capté une trop importante partie de l’enveloppe de la PAN. Michel Pélissier, qui s’apprêtait à recevoir une très belle somme correspondant à 30 % des gains de son protégé, avait commandé un camion neuf. Hélas pour lui, les Haras Nationaux ont commis l’illégal et l’inacceptable, édictant une règle rétroactive selon laquelle le taux de la PAN baisserait de 30 à 10 % à compter de l’année… précédente. Michel dut renoncer à son camion. Aujourd’hui, tous les éleveurs seraient enchantés de percevoir 10 % des gains des chevaux qu’ils ont fait naître.”
[revivead zoneid=48][/revivead]
Le contexte d’alors semble avoir favorisé la disparition progressive de cette prime. En cause, la “la conjonction de deux tendances lourdes de l’évolution de l’équitation en France”, éclaire Xavier Libbrecht, ancien rédacteur en chef de L’Eperon et très investi sur la question de la PAN. La première d’entre elles ? “La fermeture de l’administration des Haras nationaux”, complète l’expert en la matière. La seconde, elle, revêt de la direction suivie par la Fédération français d’équitation (FFE), autrefois appelée Fédération française des sports équestres. “S’en suivit une refonte totale des catégorisations de cavaliers et des niveaux d’épreuves, et, dans le même temps, une baisse significative des dotations de compétition, dont un pourcentage revenait aux éleveurs, comme le rappelle Bernard Le Courtois. Les sommes distribuées devenant dérisoires ; la prime à l’éleveur l’était tout autant, jusqu’à devenir superfétatoire”, rappelle également Xavier Libbrecht.
“Le nombre de naissances de chevaux de sport a fortement chuté partout il y a dix ans, avant de repartir légèrement à la hausse et de se stabiliser actuellement, alors que le nombre de cavaliers augmente et que la demande en chevaux de qualité est difficile à satisfaire. Il sera de plus en plus difficile pour eux, sans doute, de se fournir en chevaux exceptionnels car ils valent de plus en plus cher compte tenu de leur rareté et de la mondialisation de ce marché. Les propriétaires doivent alors aligner des millions d’euros pour s’équiper de nouvelles montures. Alors, de grâce, que l’on ne vienne pas nous expliquer que les éleveurs n’ont pas d’importance. Ce premier maillon de la chaîne est primordial. Si le nombre de poulains reste stable ou baisse à nouveau, comment tous ces cavaliers aux prétentions sportives de haut niveau vont-ils s’équiper ? S’ils veulent continuer à assouvir leur passion et leur soif de victoires, voir leurs mécènes les pourvoir en montures de luxe et se faire plaisir à suivre leurs ‘chers’ chevaux aux quatre coins du monde dans les tribunes ou les espaces VIP des plus prestigieux CSI et CSIO, les marchands, courtiers et coaches continuer de s’enrichir en doublant ou triplant le prix des chevaux par leurs commissions, les mentalités doivent évoluer, et les éleveurs doivent être considérés à leur juste valeur”, ajoute l’homme à la tête de l’affixe Mail. “Pour pérenniser ce système, il faut leur attribuer une part des gains des chevaux qu’ils ont fait naître. Sinon, le machine risque fort de s’enrayer.”
La deuxième partie de cet article est disponible ici.
[revivead zoneid=48][/revivead]
Photo à la Une : Le GFE a remis plusieurs chèques aux éleveurs des meilleurs performeurs du dernier CSI de Saint-Lô. © Pixels Events