Parfois clivant, L’Arc de Triomphe n’en demeure pas moins un reproducteur de premier ordre. Raoul Deschildre ne s’y est pas trompé, utilisant le fils de Landor S pour fonder la base de son élevage, à partir de juments de faible valeur. Univers de Ch’ti, l’une des premières stars à avoir émergé de son savoir-faire, tout comme Fini l’Amour, vainqueur du Grand Prix 2* de Lyon début novembre et grand espoir de Marie Pellegrin, en sont deux fils. Discret, celui qui est à la ville grossiste en viande dans le Nord de la France retrace l'ascension de son élevage, évoque sa philosophie, l’importance du sang et ses futurs espoirs.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
En 2015, lorsque Fini l’Amour voit le jour dans le Nord-Pas-de-Calais, son éleveur, Raoul Deschildre, accueille dix-sept poulains supplémentaires, un record pour son élevage. Issu du même cru que Frou Frou d’Amour, ce petit poulain noir descend encore d’une autre lignée. Celle-ci ne trouve pas sa source auprès d’une jument Pur-Sang… mais d’une Trotteuse, baptisée Magda des Sarts et élevée par Fernand Floribert Dubois, à Cartignies, dans le Nord. Pascal Deroullers la croisera deux fois à son étalon maison, Ramsès de Beuvry (Diableur x Unicol’Or), donnant une jument : Rafale de Beuvry, saillie une seule et unique fois, à deux ans. “La grand-mère de Fini, Rafale de Beuvry, est arrivée dans mon cheptel un peu par hasard, grâce à une histoire de troc. J’utilisais déjà beaucoup L’Arc de Triomphe à ce moment-là et j’ai naturellement croisé cette jument, qui avait du sang de Trotteur Français par sa mère et d’Anglo-arabe par son père, avec lui. La pouliche née de ce mariage, Union de Ch'ti, n'avait pas très jolie tête. Je l’ai à son tour fait inséminer à deux ans, par Canadian River (Capitol I x Lord). Je me suis dit qu’il ramènerait un peu de chic et de force à cette petite jument. Cela a donné Boom d’Amour, pour laquelle j’ai de nouveau utilisé L’Arc, donnant un linebreeding assez court, avec la présence de cet étalon deux fois dans le pedigree de son poulain, Fini l’Amour”, narre Raoul. “Fini était un petit poulain, qui ne payait pas vraiment de mine au début. Puis nous l’avons mis dans des pâtures dans l’Avesnois. Sa mère était un peu difficile, avait du caractère. Lui était un électron libre. Dans ces prairies, il sautait les haies et les clôtures ! Il était le seul à faire cela et se retrouvait en plein milieu des champs. Je ne courais pas après lui, car cela ne sert à rien de courir après les chevaux : il revenait voir sa mère tout seul. Mais il lui arrivait fréquemment de sauter les clôtures. C’était un jeu pour lui.”
“Fini l’Amour est aussi maniable qu’un poney”, Marie Pellegrin
Fini l’Amour, unique descendant de sa mère, grandit paisiblement et reste auprès de son éleveur, qui ne possède ni terres, ni ferme, ni structure, jusqu’à ses quatre ans. “Je fais tout avec des amis et des connaissances. Par mon métier, certains clients à qui j’achetais des bêtes m’ont proposé de mettre mes chevaux sur leurs pâtures lorsqu’ils partaient à la retraite. J’arrive donc à placer mes chevaux comme cela. C’est un peu de boulot !”, glisse celui qui gère son élevage seul. Une fois les bases inculquées à son hongre, Raoul le laisse partir vers de nouvelles aventures. “C’était un petit cheval, très vif, très dynamique, plein de sang. Je me suis dit que j’aurais peut-être du mal à le vendre. En élevage, on est parfois obligé de vendre certains chevaux en-dessous de leur valeur pour faire rentrer de l’argent…”, poursuit-il. Finalement, son protégé trouve une nouvelle maison et fait ses débuts en compétition en Normandie, avec Alexa Hinard-Dufour, à partir de l’été 2019. Il signe cinq sans-faute en autant de sorties à quatre ans, puis ne concède qu’une faute au cours de sa saison 2020 sur sol français. Dans la foulée, Fini l’Amour s’envole en direction des Etats-Unis, où il passe quelques mois sous la selle de Sydney Shullman. En juillet 2021, le Selle Français reprend le chemin de la compétition en France, avec Nicolas Paillot puis Manon Ravenel, avec qui il effectue la majeure partie de son année de sept ans.
“J’ai acheté Fini en 2022, alors que j’étais blessée à l'adducteur. Je regardais mon cheval sauter lors d’un concours à Villers-Vicomte, lorsque j’ai croisé ce petit cheval noir, avec une cavalière que je ne connaissais pas. J’ai eu un coup de foudre. Je l’ai regardé en piste, il a pris le galop, a sauté le premier obstacle et je me suis dit ‘je le veux’. Un vrai caprice ! (rires) J’ai levé la tête pour voir qui le regardait, j’ai repéré Nicolas Paillot que je connais très bien : c’était son cheval, on a discuté et on s’est tapé dans la main. C’était il y a deux ans, Fini avait sept ans”, retraçait Marie Pellegrin, cavalière et propriétaire du petit phénomène après leur victoire à domicile, samedi 2 novembre, dans le Grand Prix 2* d’Equita Lyon. “Je suis très attachée à ce cheval noir que j’adore vraiment. Il est aussi maniable qu’un poney. Il est magnifique et il le sait : plus il y a de la foule qui le regarde, plus il y a de bruit, mieux il saute. Il adore qu’on lui dise qu’il est beau et qu’on le regarde.”
Retour aux sources
S’il y en a bien un qui apprécie plus que les autres d'observer Fini l’Amour se mouvoir dans la peau d’un félin sur les pistes internationales, c’est bien son naisseur. “On est heureux de voir ses poulains arriver à haut niveau”, savoure-t-il. “Mon élevage est une belle histoire, mais surtout le résultat de vingt ans d’élevage, d’échecs, de déceptions, d’accidents, etc. L’élevage demande énormément de temps, de soins à apporter aux chevaux. Vingt ans plus tard, on apprécie le chemin parcouru. J’ai commencé à élever à partir de 2004, 2005. En 2024, je vois quelques chevaux qui sortent de l’ordinaire. C’est une véritable satisfaction ! Malgré les difficultés que l’on peut rencontrer, les chevaux et l’élevage procurent aussi beaucoup de joie, quand on a de bons et beaux poulains, que les poulinages se déroulent sans encombre, etc.”
Aujourd’hui peut-être plus encore qu’il y a vingt ans, la philosophie de Raoul reste des plus actuelles. “Dans le sport, on recherche des chevaux qui ont beaucoup de sang. Il faut des petits chevaux très réactifs, très souples. Certains reproducteurs sont faits pour produire des grands chevaux, un peu lourds et plein de force. Mais, à mon sens, ce sont davantage des chevaux faits pour aller tout droit. Ils pourraient sauter des montagnes, mais je ne crois pas que ce soit le type de cheval recherché en compétition. Mon but est d’avoir des poulains avec beaucoup de sang et d’influx”, souligne celui qui a pris la suite de l’affixe d’Amour, un temps développé par son ami Philippe Dievart. “J’essaye toujours de mettre le mot Amour dans le nom de mes chevaux. Cela me sert d’affixe et se marie avec beaucoup de choses !”, sourit-il.
Après avoir connu quelques générations très nombreuses sur le plan des naissances, pour un peu plus d’une centaine de produits enregistrés à son nom selon le SIRE, Raoul Deschildre a fortement diminué son cheptel ces dernières années. Le sexagénaire n’entend toutefois pas s’arrêter en si bon chemin. “Cette année, j’ai eu un poulain et j’en attends également un pour l’année prochaine. En 2025, je vais faire saillir, si tout va bien, cinq ou six juments”, prévoit celui qui a également fait naître des Pur-Sang de course. D’ailleurs, un retour aux sources est sur les tablettes pour les prochaines années. “Il me reste une seule jument Pur-Sang. Même si on ne parle plus autant de L’Arc de Triomphe aujourd’hui en reproduction, je pense qu’il faut continuer à l’utiliser. De fait, je vais marier cette jument Pur-Sang à L’Arc l’an prochain. Puis mes autres juments iront probablement à L’Arc, Conte Bellini ou Big Star si je peux l’utiliser”, détaille-t-il.
Parti de rien il y a vingt ans, Raoul Deschildre a parcouru un chemin remarquable avec son élevage d’Amour. Grâce aux conseils de Philippe Dievart, à leurs analyses des mariages générationnels réussis et à l’apport de bon sang dans ses lignées, l’Annœullinois a trouvé un cocktail gagnant. “Ce n’est que vingt ans plus tard que l’on a le résultat. Lorsque j’ai commencé, je n’avais pas de souche, rien. De fil en aiguille, nous avons multiplié les croisements, du sang anglo s’est marié avec du selle, des chevaux de sang et des origines diverses et variées”, résume l’éleveur. Quant à savoir de quoi il rêve pour l’avenir, Raoul Deschildre se montre réaliste : “Rêver ? Les rêves sont-ils faits pour être accomplis ou pour toujours rêver ? J’arrive à un âge où il faut réfléchir. L’élevage coûte cher. Pour l’heure, je peux encore compter sur mon activité professionnelle, qui fonctionne. L’idée est de pouvoir continuer à élever quelques poulains par an. Si je trouvais une exploitation agricole, avec de quoi m’occuper et une activité équestre à côté, il serait peut-être envisageable d’augmenter à nouveau l’élevage, mais dans ce milieu, c’est parfois un peu difficile… Je ne suis pas non plus cavalier professionnel. Cela fait dix ans que je ne suis plus monté sur un cheval. J’étais cavalier amateur et je faisais cela pour m’amuser. En tout cas, je compte bien continuer l’élevage.”
Photo à la Une : Marie Pellegrin et Fini l'Amour. © Sportfot