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Pius Schwizer, l’expérience et la fougue

Pius Schwizer
Reportages lundi 22 juin 2020 Oriane Grandjean

Première partie de notre rencontre avec Pius Schwizer ! Le Suisse nous parle de ses débuts. 

Pius Schwizer semble avoir toujours fait partie du paysage helvétique. Pourtant, le chemin du Soleurois vers le haut niveau a été long. Celui qui - comme il le dit lui-même - n’abandonne jamais, a persévéré pour atteindre les sommets. Et les efforts paient : en 2010, il est n°1 mondial. Le palmarès du Suisse compte une médaille de bronze par équipe aux Jeux Olympiques en 2008, une médaille d’or aux Européens de Windsor en 2009 ainsi que deux podiums en Coupe du monde avec Ulysse et la phénoménale Carlina. Retour sur la carrière du champion de Suisse en titre, qui nous a ouvert les portes de ses écuries d’Oensingen. Le cavalier de 57 ans parle avec franchise de sa vision du sport de haut niveau ainsi que de sa philosophie de vie.

Racontez-nous comment vous avez débuté l’équitation. Venez-vous d’une famille de cavaliers ?

Non, pas du tout. Mon père était paysan et marchand de bétail. J’ai grandi dans une ferme à Eich, près de Lucerne, où j’ai vite été mis à contribution pour les travaux agricoles. Mon père n’avait jamais monté à cheval, car mon grand-père avait coutume de dire que les chevaux étaient là pour travailler aux champs, et non pour être montés sous la selle. Je ne sais pas s’il en avait ressenti de la frustration, mais lorsque j’ai manifesté de l’intérêt pour les chevaux, il m’a laissé l’opportunité d’apprendre l’équitation, notamment auprès de très bons cavaliers, comme Willi Melliger. Mon frère et mes trois sœurs ont eux aussi monté dans leur jeunesse, mais n’ont pas poursuivi de carrière sportive.

Quand avez-vous fait vos premiers pas à haut niveau ?

Très tard ! Nous n’avions pas d’argent pour acheter des montures de qualité. Je n’avais donc pas d’autre choix que de trouver des chevaux bon marché et essayer de les faire progresser, sans avoir pour autant le moyen d’atteindre le haut niveau : je n’ai jamais participé à des championnats d’Europe juniors ou jeunes cavaliers. Je me contentais de monter au niveau régional, en 120 et 130 cm. Je devais composer avec les chevaux que j’avais, et j’ai monté beaucoup de chevaux difficiles. Avec du recul, je suis convaincu que cela a contribué à me construire en tant que cavalier. Puisque je ne consacrais pas tout mon temps à l’équitation, j’ai aussi fait d’autres sports, comme le football ou la course à pied. J’ai même gagné un semi-marathon ! Maintenant, tu dois choisir très tôt quel sport pratiquer, mais à l’époque, on pouvait se permettre de toucher à tout. A 26 ans, j’ai débuté au niveau national car j’avais de meilleurs chevaux. Les gens remarquaient aussi que lorsqu’on me confiait des chevaux, je les faisais progresser. On a commencé à me voir comme un cavalier capable de m’en sortir avec des chevaux particulièrement difficiles. Dès lors, ma carrière a tranquillement évolué. Je suis convaincu que cette lente progression a été une chance, car j’ai pu monter une palette de chevaux très différents. J’ai beaucoup appris. Notamment le fait de ne jamais abandonner… Aujourd’hui encore, c’est un principe qui me tient à cœur.

Vous êtes devenu un professionnel plus tard que bon nombre d’autres cavaliers. Quel métier avez-vous d’abord pratiqué ?

J’ai d’abord fait un apprentissage de boucher. C’était un choix pragmatique pour moi, qui côtoyais ce monde depuis toujours, mais voulais avoir plus de liberté que mon agriculteur de père. En fait, dans notre région, beaucoup de bons cavaliers étaient bouchers, comme Willi Melliger. Cela n’était pas franchement mon truc, mais j’ai eu la chance d’avoir un très bon maître d’apprentissage, qui était aussi marchand de chevaux et me laissait monter. Chaque jour, je pouvais ainsi parfaire mon équitation.

Et quand se sont passés vos débuts en international ?

Pas très rapidement non plus. J’ai vite eu du succès au niveau national, mais le pas a été long à franchir. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque dont je parle, il y avait des cavaliers incroyables dans l’équipe de Suisse : Willi Melliger, Markus et Thomas Fuchs, Lesley McNaught, Beat Mändli, Urs Fäh... Autant dire que c’était difficile d’intégrer cette équipe. Mais je n’ai jamais abandonné, car je savais qu’un jour j’y aurais une place. Cela m’a certes pris du temps pour y arriver, mais j’y suis toujours, quelques décennies plus tard, et c’est quelque chose qui compte pour moi. Les débuts ont été rudes : j’ai fait des milliers de kilomètres pour monter dans les concours auxquels je pouvais participer, aux quatre coins de l’Europe… J’ai serré les dents, mais cela a payé. J’ai construit mon écurie, le succès est arrivé, j’ai été numéro un mondial en 2010 et cela m’a prouvé que j’avais eu raison de persévérer. Etre n° 1 de ton sport, ce n’est pas rien ! Ce n’est pas donné à tous, et il y a bien des bons cavaliers qui ne pourront jamais devenir n°1. C’est une grande fierté. Cela reste le meilleur moment de ma carrière. Cela n’aurait jamais pu se concrétiser sans les chevaux d’exception qui ont croisé ma route, comme Carlina, Ulysse, Nobless et les autres.

En près de 40 ans de carrière, vous avez côtoyé de nombreuses générations de cavaliers et vous êtes toujours là, toujours compétitif…

Pour durer, il faut savoir rester en forme. Je dois dire que j’ai de la chance d’avoir toujours pris soin de mon corps : je fais beaucoup de sport, je n’ai jamais fumé ni bu d’alcool. Je ne dis pas que j’ai fait tout juste, notamment avec les femmes, mais je prends soin de moi. La drogue, je n’en parle même pas : je n’y toucherais pour rien au monde ! Si l’on veut percer dans le sport de haut niveau, il faut de la condition physique, mais aussi une bonne capacité à résister à la pression. Il faut être fort dans sa tête pour affronter tout cela, et je pense que mon éducation est pour beaucoup dans ma manière de gérer ces aspects. Les sponsors, les clients, les finances, tout cela fait partie d’un ensemble de facteurs que l’on doit maîtriser, comme dans n’importe quelle entreprise. Sans parler des propriétaires qui t’appellent pour te dire que tu as mal monté : dans ces moments-là, il faut avoir les épaules solides et continuer son chemin. J’ai eu des propriétaires formidables comme des très compliqués. En toutes circonstances, il faut faire avec, aller de l’avant et croire en soi.

Aujourd’hui, les cavalières et cavaliers de haut niveau ont toutes et tous des programmes d’entraînement physique pour être des athlètes accomplis. Pensez-vous que vous avez été un précurseur de cette tendance ?

Je ne me suis pas vraiment posé cette question. Il n’y a rien de prémédité dans ma manière de faire : je travaille beaucoup, tout au long de la journée, et c’est tout. Je n’ai jamais ménagé mes efforts, jamais compté mon temps, jamais regardé ma montre parce que j’étais pressé de finir la journée. Mais pour revenir à la question de la forme physique, je dois dire que cela fait déjà un certain temps que je me demande si le poids des cavaliers ne devrait pas faire l’objet d’un débat : la FEI a des règles ultra-strictes, par exemple pour le contrôle des guêtres ou le serrage de la muserolle… Pour moi, un type trop lourd qui se met en selle risque bien plus de faire souffrir son cheval que ce n’est le cas pour d’autres pratiques. Et si on pesait les cavaliers, comme on le fait pour les jockeys ?

La suite demain...