Mi-décembre, la fédération française remercie son sélectionneur Philippe Guerdat, deux ans après une médaille d’or olympique historique, le tout avec une communication désastreuse et alors que le suisse était toujours soutenu par une majorité de cavaliers. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour voir l’ancien sélectionneur de l’Espagne, de l’Ukraine et de la Belgique rebondir et à la mi-février, on apprenait son retour aux affaires au sein de l’équipe brésilienne. Nous l’avons rencontré à New York alors qu’il était capitaine de l’équipe européenne toujours invaincue lors de la Rider Masters Cup.
Comment se passe votre mise en place au Brésil ?
Philippe Guerdat : « C’est un peu différent de ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Les premiers contacts ont été assez faciles. J’ai passé dix jours au Brésil où on essaie de mettre un système en place car le premier objectif est de se qualifier pour les Jeux Olympiques. C’est le point crucial de la saison. Nous avons tenté de faire un compte rendu de tout ce qui se passait, des chevaux mis à disposition… Je me suis rendu sur différents concours pour voir les forces que nous avions à disposition. Nous allons nous rendre au Touquet ce week-end en préparation à La Baule où je serai présent avec une équipe, avant de nous rendre à Saint Gall avec une équipe passablement remaniée par rapport à celle de La Baule. Nous irons ensuite à Geesteren avant de finaliser notre préparation pour les Jeux Panaméricains. »
Vous qui avez l’habitude d’être très présent sur les terrains de concours pour voir vos cavaliers, avoir des cavaliers sur différents continents, cela change la donne ?
P.G. : « Oui, évidemment. La plupart des cavaliers qui entrent en ligne de compte sont basés en Europe mais j’ai deux très bons cavaliers qui entrent en ligne de compte pour les Jeux Panaméricains qui ne viennent pas en Europe. Je vais aller passer 15 jours avec eux à Calgary pour voir si on peut les intégrer à l’équipe même s’ils n’auront pas fait de coupe des nations avec nous. »
En football, on conseille souvent aux entraîneurs limogés de faire un break avant de se lancer dans un nouveau défi. Pensez-vous que votre break a été suffisamment long que pour faire une véritable coupure après votre éviction de l’équipe de France ?
P.G. : « Oui, je pense. Je n’avais jamais pris de vacance depuis 10 ans et là, je me suis autorisé deux semaines de congés. Ca m’a permis de faire le vide dans ma tête. Néanmoins, je sentais que j’avais besoin de rebondir de suite. Au départ, j’avais une idée qui restait dans le milieu des chevaux mais qui était plus privée et plus dans le milieu familial… mais finalement, j’ai eu la chance de recevoir plusieurs offres, ce qui m’a permis de pouvoir choisir. Je ne peux pas dire maintenant si j’ai fait le bon choix mais je l’ai fait en fonction des possibilités et des cavaliers. »
Le concours avait déjà eu le temps de vous manquer ?
P.G. : « Oui ! J’ai déjà fait un bon sevrage mais c’est sûr que le concours me manquait énormément. Regarder sur internet, ce n’est pas la même chose que de le vivre comme j’en ai l’habitude. »
La vie est faite de choix. Aujourd’hui, vous regrettez de ne pas avoir pris des décisions différentes ? Je repense notamment après votre médaille d’or aux Jeux Olympiques lorsque votre fils Steve vous avait demandé de quitter votre place de sélectionneur pour vous occuper de ses travaux dans ses nouvelles installations ?
P.G. : « Non… et je ne veux pas voir les choses comme cela. J’ai toujours eu des possibilités de faire d’autres choses. Même si j’ai toujours dit que je ne voulais pas m’occuper de l’équipe Suisse de par la place de Steve… Après Rio, j’ai reçu une proposition concrète de la fédération suisse mais je reste persuadé que c’est déjà assez compliqué comme cela et je ne regrette pas d’avoir décliné car cela aurait rendu les choses plus compliquées. Je pense que dans la vie, on fait des erreurs mais mes choix, je ne les ai jamais regrettés. J’ai quand même vécu six années assez extraordinaires en France en tant que coach, étranger de surcroît ! J’avais appris à penser et à réfléchir un peu comme eux car même si je suis francophone, il y a des différences entre la mentalité suisse et la mentalité française. Je pense que je m’étais passablement adapté même si l’on m’a reproché un côté un peu trop suisse… mais je n’allais pas changer mon caractère. À la fin, j’ai quand même vécu une aventure fantastique avec des garçons dont certains vont me rester proche. »
Par rapport à vos expériences précédentes avec l’Ukraine, l’Espagne ou la Belgique, il y a à chaque fois des similitudes dans la manière dont cela se passe par la suite avec vos anciennes équipes ?
P.G. : « Je pense qu’ici, c’est une expérience avant tout très longue sur la durée car six ans pour un coach étranger à la tête d’une équipe nationale, c’est quelque chose qui normalement ne se fait jamais même si à la base, j’avais un contrat pour y rester 8 ans. On voit bien que généralement dans les autres équipes, les coachs étrangers font souvent une année ou deux mais rarement plus. Pour moi, la chose la plus difficile reste mon départ de Belgique au moment de l’éclosion de jeunes talents. Pour moi, aujourd’hui, c’est la meilleure équipe du monde et je suis fier aujourd’hui de pouvoir me dire que j’ai fait partie de leur éclosion en lançant ces jeunes en coupe des nations. Puis, comme je l’ai toujours dit et même si j’ai vécu six années formidables en France, mon équipe de cœur a toujours été et restera la Belgique. Cela ne va pas changer parce que j’ai été champion olympique avec la France. C’est quelque chose de différent. Cela a été une belle période et j’ai de bons souvenirs en France… mais mon équipe de cœur restera la Belgique. »
Vous avez néanmoins des regrets par rapport à la manière dont ce départ s’est réalisé ? Les messages de soutien des cavaliers, de beaucoup de propriétaires, des médias mais aussi du public français vous ont étonné par leur ampleur ?
P.G. : « C’est clair qu’avec la France, j’ai découvert les supporters. La Belgique, c’est beaucoup plus petit et ce n’est pas médiatisé de la même manière qu’en France. J’ai vraiment ressenti ce soutien et c’est quelque chose qui fait chaud au cœur, même si je vivais quelque chose de personnellement douloureux. Cela m’a mis du baume au cœur car ce que j’ai vécu, c’est quelque chose de difficile à exprimer, c’est vraiment intérieur. Je l’ai mal vécu et je vais devoir continuer à vivre avec car il n’y a pas un jour sans que je pense à l’équipe de France. »
Ce soutien vous a surpris ?
P.G. : « Je n’ai jamais fait cela pour ça. J’ai toujours été moi-même. J’ai fait des erreurs comme tout le monde en fait, que ce soit dans le sport ou dans la vie. J’ai toujours été honnête et fidèle, je ne suis jamais sorti de cette ligne là mais les évènements font que dans la vie, les chemins peuvent se séparer. Je n’ai pas du tout la prétention de dire que je n’ai pas fait d’erreurs mais je n’ai triché avec personne. C’est un métier où il est difficile de ne pas faire d’erreurs d’autant qu’il y a des intérêts divergents entre les propriétaires, les cavaliers, ce que les cavaliers disent aux propriétaires, ce que les propriétaires disent aux dirigeants qui ne sont pas toujours les mêmes et nous, nous sommes là au milieu ! C’est sûr que l’on doit faire avec tout cela et comme j’ai un franc-parler qui n’est pas du tout politique, cela peut parfois heurter. Ce sont souvent des choses qui, pour moi, sont anodines et que je ne relève même pas mais qui peuvent froisser certaines personnes. »
Ce côté direct, on le retrouve aussi chez votre fils et on a l’impression que comme pour vous, ça lui attire à la fois une grande sympathie du public mais lui complique bien souvent la vie.
P.G. : « Je pense que c’est une question de caractère et d’éducation. On est des gens entiers, lorsqu’on donne notre amitié, normalement c’est quelque chose d’indéfectible. On ne le fait peut-être pas facilement mais lorsqu’on franchit le pas, c’est pour la vie. On reste fidèle à nos idées même si on peut faire des erreurs. C’est quelque chose dont je suis fier et je suis fier de la manière dont mon fils défend les siennes. Je pense que dans le monde où l’on vit aujourd’hui et plus encore dans celui des chevaux, on manque de gens qui osent aller au bout de leurs idées. Il y a souvent des gens qui sont d’accord avec le principe mais qui à la fin ne l’appliquent pas. Il y a toujours beaucoup de gens qui vous disent qu’ils sont d’accord avec vous… mais au moment de monter aux barricades, on est toujours moins nombreux. C’est sûr que l’on s’expose à des oppositions et à des retours de manivelle… mais est-ce que ce n’est pas mieux d’être comme cela que d’être un politicien qui choisit le côté de sa veste selon les jours ? Je pense que c’est notre vie car Steve aussi bien que moi, nous sommes nature, nous ne jouons pas un rôle et même dans notre milieu, il y a trop de gens qui jouent un rôle. »
Mais cette attitude, même si elle vous joue des tours, amène un engouement autour de vous comme on en voit rarement.
P.G. : « Oui. Ce n’est pas quelque chose que l’on cherche, ni quelque chose dont nous avons besoin. Je ne pense pas que Steve a besoin de reconnaissance et moi non plus. Je ne veux pas parler pour lui mais je pense qu’il dira la même chose que moi : c’est une chose avec laquelle on peut très bien vivre. Nous avons toujours été comme cela et lorsqu’on a quelque chose à dire, on le dit tout simplement. »
Pour vous, comment voyez-vous la suite ?
P.G. : « Je la vois avec de la passion, ma passion. Je vais voir d’autres cavaliers, d’autres personnes… même si évidemment je recroiserai aussi des têtes connues. Je pense que l’on fait ça parce qu’on aime ça et on se fixe toujours des objectifs. Mon but était de me qualifier avec les français pour les Jeux Olympiques. Maintenant, je vais essayer de le faire avec les Brésiliens mais sans aucune arrière-pensée, en souhaitant que l’équipe de France puisse se qualifier pour les JO car il n’y a aucune raison qu’elle ne se qualifie pas… mais avec un regret que ce ne soit pas moi qui puisse mener cette mission à son terme, mais c’est la vie et elle en a décidé ainsi. »