“On ne croise pas cinquante chevaux comme Joe de Cerisy dans une carrière de cavalier”, Déborah Lefebvre (2/2)

Déborah Lefebvre n’est pas (encore) la cavalière la plus connue du circuit Jeunes chevaux. Pourtant, début septembre, les quatre sans-faute et la mention Elite décrochée par son remarquable partenaire, Joe de Cerisy, sont venus récompenser son travail de formation. À ses côtés depuis 2022, le puissant alezan brûlé a fait étalage de ses qualités. Installée dans l’Indre, sa cavalière bâtit patiemment sa destinée, sans brûler les étapes. De ses débuts aux rênes d’un compétitif Trotteur Français, en passant par ses premiers parcours à 1,40m et le lancement de sa propre structure, jusqu’à son inoubliable Grande Semaine 2025, la sympathique Berrichonne d’adoption a toujours mis un point d’honneur à tisser un lien privilégié avec ses complices. Gérant sa structure seule, sur une quinzaine d’hectares, Déborah Lefèbvre s’est, en plus, lancée dans l’élevage, notamment à partir de la lignée de Vallée d’Or III. Rencontrée dans son cocon des Pouzets, elle est revenue sur son parcours, son fonctionnement, a évoqué sa philosophie, son affixe, et évidemment fait l’éloge de Joe de Cerisy. Second épisode.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
Né à l’élevage de Cerisy, chez Gabrielle et Laurent Vincent dans la Manche, Joe de Cerisy est sorti de son cocon et a déployé ses ailes, début septembre à Fontainebleau. Doté de grandes qualités, le puissant alezan n’a connu qu’une cavalière, qu’il a propulsée au centre du jeu, depuis son débourrage : Déborah Lefebvre. Ensemble, le duo a gravi les échelons, jusqu’à décrocher la troisième place du championnat de France réservé aux entiers de six ans. À quatre et cinq ans, le fils de l’excellent Anglo-Arabe Chrome d’Ivraie avait déjà participé aux finales bellifontaines, mais une faute l’avait à chaque fois privé de la finale. Plus mûr et plus aguerri, il a cette fois concrétisé tous les espoirs fondés en lui… depuis toujours.
Bon sang ne saurait mentir
Ces dernières années, Laurent Vincent a vu défiler quelques chevaux de prestige dans ses prés, à commencer par Uno et Vénard de Cerisy, deux fils d’Open Up Semilly stars d’Edward Levy et Steve Guerdat. Sous la selle du Suisse, le second a brillé sur les plus belles épreuves du monde, et notamment à Calgary, où, à seize ans, il occupait encore la troisième place de l’exigeant Grand Prix Rolex cette année. Malgré tout, la réussite de Joe à Fontainebleau a particulièrement ému et ravi le Normand, présent sur place pour assister au dénouement de la finale avec sa fille et associée, Gabrielle. “Je n’avais jamais eu de cheval Elite dans les six ans. C’est formidable et cela me fait très, très plaisir”, s’est-il ému, comme en plein rêve en Seine-et-Marne.
La fierté de Gabrielle et Laurent Vincent lors de la remise des prix du championnat de France des six ans, à Fontainebleau. © Mélina Massias
Il y a une trentaine d’années, lorsqu’il s’est lancé dans l’élevage, Laurent n’aurait sans doute pas imaginé un tel succès. Et pourtant ! “J’ai toujours été un peu éleveur. J’avais vingt-cinq ans lorsque j’ai commencé les concours ; j’en ai soixante et un aujourd’hui. Au départ, je faisais naître quelques poulains avec les juments de mes parents. Je les avais montées, mais elles ne me plaisaient pas plus que cela. Alors, j’ai fini par les revendre”, retrace celui qui a longtemps fait naître entre cinq et six poulains par génération et a désormais augmenté ce chiffre autour de quinze. Dans le même temps, Jules Mesnildrey, immense éleveur, à l’origine des immortels Le Tôt et Diamant de Semilly, entre autres, commence à prendre de l’âge et souhaite se séparer de ses juments, dont les propres sœurs Lady et Noblesse de Semilly (Quick Star x Double Espoir). “Lorsque Jules, pour qui j’étais cavalier, a arrêté l’élevage, mon salarié de l’époque et moi avons emprunté de l’argent pour acheter ses juments et ses pouliches, car nous n’avions pas de sous !”, reprend le jeune sexagénaire. “Aujourd’hui, on ne le regrette pas ! C’est une souche formidable, qui produit des chevaux de caractère, mais merveilleux.”
En plus d’être la sœur de la très bonne compétitrice Lady de Semilly, ISO 163, Noblesse, la grand-mère de Joe, est aussi la tante d’une certaine Fleur d’Oz (Olimbos Merze x Papillon Rouge), dixième du Grand Prix CSIO 5* de Gassin le week-end dernier, cinquième de celui du Saut Hermès en mars et gagnante de trois épreuves à 1,55m, dont un Grand Prix 3*, cette saison sous la selle d’Alexa Ferrer. Cette souche, celle du fabuleux Le Tôt de Semilly, de son trois-quarts frère Le Plantero ou encore de l’étalon Quick Study, est aussi celle de Gino des Luthiers (Giovanni de la Pomme x Quincy, alias Quaprice Bois Margot), champion de France à quatre, Excellent l’année suivante et vainqueur de la finale indoor des Jeunes chevaux à Equita Lyon quelques semaines plus tard avec Alexandre Louchet. Très prometteur dans ses jeunes années, l’étalon a signé son grand retour sur la scène internationale en juin, après un an d’absence et sous la selle de Lorenzo de Luca, actuellement convalescent. Sa grand-mère, Java de Semilly, est la propre sœur de Manon de Semilly, la mère de Fleur d’Oz. Kaline de Semilly, soeur utérine de Java et Manon par Adelfos, est, elle, à l’origine de l’étalon Rêve du Paradis (ISO 165, Crown), et la grand-mère, entre autres, de Clin d’Œil du Paradis (ISO 157, Stakkato x Indoctro). Alors, forcément, pour Joe de Cerisy, également cousin de Garry de Cerisy (ISO 146, Up To You x Nervoso), régulièrement classé à 1,50m à huit ans avec Bertram Allen, bon sang ne saurait mentir !
Contrairement à Uno et Vénard de Cerisy, Gary de Cerisy, ici à Aix-la-Chapelle à huit ans avec Bertram Allen, est issu de la même souche que Joe. © Mélina Massias
“Noblesse et Lady de Semilly n’ont pas eu la meilleure production directe. En revanche, toutes leurs filles semblent très bien produire. Fiesta de Cerisy, la mère de Joe, est par Kannan. Joe est son premier poulain et je suis ravi du résultat ! Bien que notre but soit de vendre nos chevaux à trois ans, j’ai conservé le frère utérin de Joe par Darkhorses Brimbelles, Kali de Cerisy. Il s’agit d’un super cheval”, assure l’éleveur. “La souche donne des chevaux respectueux, très concours. Il faut parfois les rassurer, en raison de leur tempérament, mais en leur faisant confiance et en prenant le temps avec eux, ils révèlent leurs qualités.”
Couplés à ceux de Chrome d’Ivraie, dont la jeune production confirme tout son intérêt de père, les gènes de Fiesta de Cerisy semblent avoir fait des merveilles. Joe a d’ailleurs un propre frère, Japelou, qui, après une saison sur la Cycle classique à quatre ans aux rênes d’Alexandre Chanal, a sauté jusqu’à 1,25m en début d’année avec Shirley Boussard. Voulant effectuer des transferts d’embryons avec leur mère, Laurent a manqué de chance et s’est retrouvé, bon gré mal gré, à devoir changer son fusil d’épaule. Il se tourne alors vers Frédéric Lavoinne, du haras des Flagues, où est stationné Chrome d’Ivraie, qui, à cette époque, n’est âgé que de six ans et débute sa deuxième saison de monte. “Pour moi, ce n’était pas le croisement idéal, car Chrome comme Fiesta n’ont pas une locomotion parfaite. Mais en élevage, il n’y a pas de règle et Joe galope très bien !”, constate le Normand, très attaché au vrai Selle Français, l’Originel.
Entrée de piste entre décontraction et détermination pour Joe de Cerisy et Déborah Lefebvre. © Mélina Massias
De la Normandie au Berry
De ce croisement entre le fils de Jarnac et la fille de Kannan, est né un adorable poulain, au caractère particulièrement facile. “Joe a toujours été gentil. En règle générale, tous mes mâles sont castrés à dix-huit mois. Mais pour lui, nous avons fait une exception”, relate Laurent. “Joe a toujours été fidèle à lui-même. Lorsque nous avons commencé à le faire sauter en liberté, il aurait pu être un peu plus énergique, mais il a toujours été d’une extrême facilité. Il montrait déjà énormément de force, était respectueux, mais pas spécialement démonstratif. D’année en année, il a évolué, jusqu’à devenir un super cheval. Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus vu de cheval aussi compétitif et pratique sur le terrain d’honneur du Grand Parquet. Et je ne dis pas cela parce qu’il est né chez moi ! Depuis sa performance, je ne reçois que des compliments à son égard.”
À trois ans, tout juste débourré, Joe de Cerisy est présenté aux ventes NASH. Là-bas, il croise la route de Déborah Lefebvre, venue assister à ses premières enchères. L’objectif est clair : trouver sa perle rare, afin de concrétiser un projet initié avec Céline et Maxime Moczulski, un couple de passionnés, également impliqués dans l’élevage de Pur-Sang. Alors qu’elle souhaite choisir un hongre ou une jument, la Berrichonne tombe sous le charme de Joe de Cerisy et de sa gentillesse, au moins aussi grande que lui. Dans le rond de présentation, le jeune entier répète ses sauts avec beaucoup d’application… mais les enchérisseurs ne s’affolent pas. Une aubaine pour le trio, qui ramène son précieux bijou à Argenton-sur-Creuse. Là-bas, Joe suit une formation des plus classiques. “Dès le départ, le feeling est bien passé avec lui”, se souvient Déborah. “Au travail, il a pu se montrer délicat à ses débuts, mais il a toujours bien évolué et été réceptif. Il a fallu l’attendre, l’écouter et se montrer patient avec lui. Ses propriétaires l’ont bien compris et ne m’ont jamais mis la pression. Cela lui a permis de se déclencher cette année à six ans. J’ai très vite senti de la force sur son dos et du respect, qui est sans doute sa principale qualité. Et puis, il a une tête en or. Il est toujours partant, toujours content d’aller en piste ou de travailler. Pour moi, c’est un peu le cheval d’une vie pour moi. On ne croise pas cinquante chevaux comme lui dans une carrière de cavalier.”
Ici à cinq ans, le fils de Chrome d'Ivraie a bénéficié du temps nécessaire pour éclore. © Mélina Massias
Après trois saisons réussies, Joe de Cerisy a offert à sa cavalière et ses propriétaires une finale magique à Fontainebleau. “Face aux meilleurs cavaliers formateurs de France et aux meilleurs chevaux de leur génération, ce résultat était presque inespéré ! Joe n’a rien lâché et a répondu présent jusqu’au bout. Il m’a tout donné ! Dimanche matin, il aurait pu refaire un parcours tant il était en pleine forme”, savoure Déborah.
Place à l’avenir
Après cette très belle performance, la jeune trentenaire ne cache pas son ambition d’aller encore plus loin. “Disputer le circuit des six ans et cette finale était déjà très, très bien pour moi. Evidemment, j’aimerais aller encore plus loin, mais pour cela, je sais que j’aurais besoin d’être encadrée. On verra ce que l’avenir me réserve…”, glisse-t-elle. En 2026, il se pourrait bien que Joe, officiellement sur le marché, poursuive son chemin sous une autre selle. “Joe a été repéré, et c’était le but. Ce serait génial qu’il trouve la bonne écurie pour disputer la finale des sept ans l’an prochain !”, admet Déborah, qui espère que la semence de son complice, fraîchement approuvé, soit prélevée et commercialisée dans le futur.
Le magnétique Joe chez lui, aux Pouzets, à Argenton-sur-Creuse. © Mélina Massias
D’ici là, Céline et Maxime Moczulski espère bien poursuivre leur “collaboration heureuse” avec leur cavalière et amie et pourraient investir dans un nouveau diamant brut à polir. Déborah, elle, poursuit sa route et son œuvre, avec justesse, patience et espoir. “J’aimerais que mes poulains fassent de belles choses, que le nom de mon élevage se fasse une place dans le milieu”, rêve-t-elle avec pudeur. Quoi qu’il en soit, la suite se fera toujours les deux pieds bien ancrés dans le Berry, une terre d’élevage qui monte. “Les résultats de la région à Fontainebleau sont beaux, d’autant que la plupart des cavaliers sont basés en Normandie, et que le nombre de naissances de chevaux y est largement supérieur. Même si Joe n’est pas né ici, notre performance et celle de l’élevage de Nantuel dans le championnat des sept ans sont valorisantes !”, sourit Déborah Lefebvre. “Les associations régionales nous ont soutenus et cela fait très plaisir ! Nous ne sommes pas seuls dans cette histoire, il y a plein de gens derrière nous. Dès que je le peux, j’essaye de donner un coup de main à l’Association des éleveurs équins du Berry (AEEB), et je profite des concours de l’Association des éleveurs du Centre-Val-de-Loire (AECVL) pour présenter mes poulains.” Les pieds bien ancrés dans le Berry et l’amour des chevaux en leitmotiv, la sympathique amazone a toutes les cartes en main pour continuer de faire parler d’elle.
Entre son élevage et son rôle de cavalière, Déborah Lefebvre peut envisager un avenir radieux. © Mélina Massias
Photo à la Une : Sur le dos de Joe de Cerisy, Déborah Lefebvre a fait vibrer les tribunes de Fontainebleau lors de la Grande Semaine. © Mélina Massias