Président du Stud-book Selle Français de 2007 à 2012, puis de la Société hippique française (SHF) à partir de fin 2012, Yves Chauvin s’est retiré de la vie publique début 2021 pour “raisons personnelles” à la suite d’une “année très difficile à gérer pour la SHF en raison de la pandémie”. Homme de valeurs et de convictions, reconnaissable à sa chevelure blanche, à sa voix et à son franc-parler, apte à rassembler autant qu’à cliver, Yves Chauvin reste une figure de l’élevage de chevaux de sport. Cet été, l’éleveur de Cacao, Jazz Band, Ominérale, Ricoré et Baschung, parmi tant d’autres chevaux nés sous l’affixe Courcelle, a ouvert à Studforlife les portes de sa demeure bressanne, sous les fenêtres de laquelle s’ébrouent ses poulains de l’année. Un entretien à lire en trois parties. Voici la première.
Dans quel état d’esprit êtes-vous en ce début de mois d’août (entretien mené le 9) ?
Je vais bien. Je me suis rendu au Concours Interrégional (CIR) de Cluny la semaine dernière. Plusieurs chevaux nés à la maison y concourraient, dont deux de cinq ans dont je suis toujours propriétaire, issus de ma jument de cœur, Troublante Courcelle (SF, Kashmir van Schuttershof et Dancing Bride Courcelle) : Ici et Là Courcelle (SF, Cocktail de Talma), qui a un peu défrayé la chronique cette saison, signant un double sans-faute au CIR, et Ironie Courcelle, une fille de Mylord Carthago. Cette année-là, j’ai eu la chance d’obtenir trois poulains de Troublante, dont deux propres sœurs, qui s’avèrent très différentes. Puis j’ai eu Ici et Là, que j’ai gardé entier et qui a terminé deuxième de la qualificative des mâles Selle français de Chazey-sur-Ain. Il a réussi une très belle saison cette année. J’ai reçu des offres à chacune de ses sorties, mais sa vente n’est pas une urgence.
Début 2020, vous avez quitté la présidence de la SHF après huit ans de mandat. Toutefois, à vous entendre, on vous sent toujours autant passionné. Seriez-vous un hyperactif qui ne s’arrête jamais ?
Malgré le temps qui passe, on ne change pas sa vraie nature. Toutefois, je dois avouer que je me suis beaucoup apaisé. J’ai bien moins de tracas. Je me suis recentré sur ce qui me passionne depuis toujours : l’élevage. De fait, je m’occupe bien plus de mon élevage qu’avant et j’ai la chance de passer plus de temps avec mes chevaux. Avant, mon quotidien était une course sans fin. Aujourd’hui, j’ai enfin trouvé un équilibre plus agréable.
La première édition des ventes aux enchères Pierre Bergé et associés s’est tenue dans le cadre de Rock’n Horses, l’événement organisé par la famille Mortier en juillet à Courlans, dans le Jura. À cette occasion, vous vous êtes investi aux côtés de Guy Martin et d’une équipe dirigée par Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique, devenu président de cette maison de ventes aux enchères. Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette aventure ?
C’est avant tout une histoire d’amitié. On m’a sollicité et j’ai répondu présent. Je connais très bien Arnaud Montebourg, qui m’a proposé de le rencontrer en compagnie de Jean-Jacques Guyot, responsable des ventes de chevaux au sein de cette prestigieuse maison. Je me suis d’abord montré réservé, car j’avais passé suffisamment de temps au service de la filière pour ne pas avoir très envie de repartir dans une nouvelle forme d’engagement collectif. Arnaud voulait recueillir mon avis quant à son projet de ventes aux enchères de chevaux de sport. Je lui ai conseillé d’organiser cela durant une belle manifestation estivale. Le concours de Courlans m’est vite venu à l’esprit, mais il fallait encore voir si une vente pouvait s’insérer dans le déroulé de Rock’n Horses, dont l’organisation était déjà bien rodée. Alain Mortier s’est montré enthousiaste, et le projet s’est affiné peu à peu. J’ai conseillé à Arnaud Montebourg de choisir des personnes compétentes, capables de bien sélectionner les chevaux, citant le nom de mon ami Guy Martin. Quatre jours plus tard, Arnaud Montebourg, Alain Mortier et moi nous sommes rendus chez Guy, qui a accepté d’endosser le rôle de sélectionneur à la condition que je prenne moi aussi part aux sélections, ce que j’ai accepté.
Ne disposant que d’un mois pour constituer le catalogue, Guy et moi avons mouillé nos chemises en suivant attentivement les épreuves Jeunes Chevaux de quatre, cinq et six ans. Nous avons également joué le jeu en proposant chacun des chevaux de nos propres écuries et en mobilisant des éleveurs de la région. Je m’estime satisfait de la sélection faite. Concernant le déroulement de la vente, je dirais objectivement “Peut mieux faire”, ce qui est normal, s’agissant d’une première édition, avec de nombreuses pistes d’améliorations possibles. Et pour ma part, j’assume d’avoir œuvré au niveau régional, car il n’est absolument pas question pour moi de parcourir la France entière pour dénicher des chevaux.
Ces ventes, outre votre expérience, ont-elles suscité en vous une réflexion concernant la commercialisation des jeunes chevaux de sport ?
Oui. Premièrement, je dirais que les ventes de chevaux de trois ans doivent être laissées aux maisons qui en ont fait leur spécialité. Deuxièmement, j’ai ressenti un potentiel de développement relatif au marché des chevaux âgés de cinq, six et sept ans, disposant d’une bonne formation sur le plat sans pour autant présenter des résultats longs comme le bras, car les investisseurs veulent de plus en plus des produits prêts à consommer. Le concept du cavalier faisant investir son propriétaire dans un cheval pouvant concourir quelques semaines plus tard me semble porteur. De plus, les ventes aux enchères offrent l’avantage de s’affranchir d’une certaine opacité, qui règne chez les acheteurs comme les vendeurs. Enfin, troisièmement, j’ai trouvé intéressant et innovant de programmer ces ventes sur des lapses de temps relativement courts, en s’appuyant sur des vidéos et des essais possibles en amont.
“Toutes les nouvelles techniques de reproduction induisent des questionnements”
Êtes-vous engagés dans d’autres projets au sein de la filière ?
Oui, mais des projets totalement personnels, qui me regardent moi et moi seul (rires). Évidemment, j’ai toujours beaucoup d’idées et je continue à relever certaines choses que je trouve déconnectées de la vraie vie au sein de la filière, mais on ne peut pas être et avoir été.
Comment évolue votre propre élevage ?
J’ai la volonté de diminuer mon nombre de naissances en me concentrant sur la qualité, mais… je dois bien avouer mon incapacité à tenir cette résolution, car au bout du compte, je fais toujours saillir autant de juments (rires). Toutes les nouvelles techniques de reproduction induisent des questionnements, en lien aussi avec les évolutions du marché. À titre d’exemple, j’avais très bien vendu Cacao Courcelle (SF, Jalisco B et Java de la Croix par Mersebourg), le premier cheval médiatique que j’ai eu la chance de faire naître, à Pierre Baldeck lors de la finale nationale des six ans. Aujourd’hui, ce marché s’est décalé sur les chevaux de sept, huit et neuf ans, qui nécessite un fonds de roulement bien plus important. Par ailleurs, on est passé d’un système où les professionnels s’appuyaient sur les résultats de leurs jeunes chevaux à un autre où les cavaliers recherchent davantage de montures non surexploitées durant leurs années de formation. Parfois, le fait d’avoir trop concouru peut nuire à une commercialisation. Ce changement de mentalité me semble important. De nos jours, les cycles de la Société hippique française (SHF) sont majoritairement perçus comme des circuits de formation et non plus comme une finalité propre.
Faudrait-il alors décaler le Cycle classique que l’on connait, à savoir quatre, cinq et six ans, à cinq, six, sept, voire huit ans ?
Non, pas à mon sens. À chaque cheval correspond un circuit. Ils sont tellement différents, de même que les attentes des éleveurs et propriétaires, donc il faut être capable d’offrir un panel de solutions permettant de former au mieux chaque cheval, d’où la coexistence des épreuves Formation et Qualification. Il est primordial de proposer aux socioprofessionnels des épreuves leurs permettant de faire progresser au mieux leur chevaux en tenant compte de leur singularité. Là aussi on peut parler d’évolution des mentalités. Pour beaucoup, les finales nationales de Fontainebleau ne sont plus une finalité, mais un passage que chacun jugera utile ou non, tant en termes de formation que de commercialisation, Fontainebleau demeurant une formidable vitrine.
Vous avez évoqué les évolutions des méthodes de reproduction. Avez-vous eu recours à l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) ?
J’ai essayé une fois, il y a trois ou quatre ans, mais je ne crois pas vraiment en cette méthode, ce qui est peut-être stupide. Dans le cadre des méthodes traditionnelles de reproduction comme de l’insémination artificielle, tout repose sur des follicules et des millions de spermatozoïdes, dont un seul “gagne” à la fin. Avec l’ICSI, c’est très différent, dans le sens où la nature est forcée de donner un embryon avec un seul spermatozoïde présélectionné. Je suis en contradiction avec ce procédé d’un point de vue éthique et je crois qu’il est bon d’agir en accord avec sa pensée de temps en temps. Même si je dispose d’un nombre conséquent de juments qui feraient d’excellentes candidates, je n’ai donc pas reconduit l’expérience. Par ailleurs, j’ai atteint un âge me permettant de ne pas le faire.
Il faut reconnaître l’existence d’un marché des embryons, mais celui-ci reste selon moi fondé sur la spéculation, non sur l’élevage. Je le comprends, mais ce n’est pas mon truc. J’ai plutôt tendance à faire saillir mes juments à trois ans, afin qu’elles me donnent un poulain avant d’entamer leur formation. Vu le décalage évoqué précédemment, débuter la formation d’une jument un petit peu plus tard me semble pas dramatique.
“Les vaches ont une importance capitale dans la bonne gestion des prairies”
Combien de poulains avez-vous fait naître cette année ?
J’en ai eu cinq. Cinq ou six naissances par an, cela s’insère très bien dans mon système. Je suis certain d’avoir le temps nécessaire pour m’occuper correctement des poulains. Vu les installations et les surfaces dont je dispose, je pourrais en avoir plus, mais je préfère continuer sur cette base que je maîtrise.
Quel a été votre record ?
J’ai fait naître jusqu’à douze poulains par an. Depuis, nous avons sélectionné plus rigoureusement les juments en compétition. Je suis parti de beaucoup de souches différentes, essayant d’acheter les meilleures femelles, afin de pouvoir me faire un œil sur les caractéristiques de chaque lignée. Petit à petit, j’ai sélectionné les juments en fonction de leurs aptitudes et de leur caractère. Aujourd’hui, je pense pouvoir dire que j’ai un cheptel de mères triées sur le volet.
Quelles souches ont conservé vos faveurs ?
Sans hésiter, je citerai celle de Java de la Croix (SF, Mersebourg x Maroc, AA), qui m’a donné Cacao Courcelle (ISO 139, SF, Jalisco B) en direct, puis Ominérale Courcelle (ISO 167, SF, Kannan et Insoumise Courcelle par Caprice d’Elle), mais aussi les étalons Malito de Rêve (SF, Cumano) et Hermès de Rêve (SF, Quito de Baussy) via Dira Courcelle (SF, Muguet du Manoir x Grand Veneur). Je citerai aussi celle de Quolombia (SF, par Galoubet A et Ballerine III, par Rantzau, Ps, mère également Javotte D, à l’origine de la célèbre souche du Château, ndlr), qui m’a produit Hirsute Courcelle (ISO 153, SF, Rosire), elle-même mère de Quadesch Courcelle (ISO 159, SF, Cacao Courcelle) et bien sûr Dancing Bride (Almé x Sans Souci), mère de pléthore de performers, dont l’étalon Jazz Band Courcelle (ISO 140, SF, Le Tot de Semilly), Ricoré Courcelle (ISO 160, SF, Quincy), Rialto Courcelle (ISO 146, SF, Kannan). Ce sont mes trois souches-phare. J’ai aussi travaillé avec d’autres souches fondées par de grands noms de l’élevage comme Jean Pottier ou encore Jules Pinteaux, de l’élevage des Ifs, mais ces trois-là sont mes plus régulières, avec une petite prédilection pour Dancing Bride.
Combien de chevaux avez-vous actuellement dans vos prés ?
Entre cinquante et soixante, je dirais, et cela peut augmenter très vite ! J’ai la chance de disposer de plus de cent quarante hectares, répartis sur deux fermes. Cette surface rend mon élevage autonome en foin et en paille, grâce à une quinzaine d’hectares récoltés en céréales, sur lesquelles des rotations agronomiques sont opérées afin de conserver le potentiel de production des terres. Outre les chevaux, quatre-vingts bovins pâturent également mes terres. Certains m’appartiennent et j’en prends d’autres en pension, confiés notamment par mon ami Jean Martinot. Les vaches ont une importance capitale dans la bonne gestion des prairies. En effet, ne laisser à pâturer que des chevaux diminue peu à peu le potentiel prairial, même si l’on gyrobroie fréquemment les refus. Cela peut paraître bête, mais l’entretien de ses prés joue pour beaucoup dans la réussite d’un élevage. Plus je vieillis et plus je me rends compte que la nature est bien faite et qu’il ne faut pas chercher midi à quatorze heures.
Photo à la Une : Yves Chauvin pose ici aux côtés de sa chère Troublante Courcelle. © Thomas Danet Tribut / @un_hibou_dans_la_lune