À Bâle, début avril, Julien Epaillard et Donatello d’Auge ont écrit l’histoire. Le Normand et son Selle Français Originel sont devenus le deuxième couple français à se hisser au sommet d’une finale de la Coupe du monde de saut d’obstacles. Une réussite qui n’aurait pas été possible sans une femme : Susana García Cereceda Epaillard. Diplômée de l’Université de Madrid en sciences politiques et sociologie, l’Espagnole, épouse du numéro quatorze mondiale depuis vingt ans, est très attachée à la Normandie, où elle a établi le haras de la Bosquetterie, dans un lieu acquis en 1999. C’est elle qui a fait naître l'exceptionnel Donatello d’Auge, fils de Jarnac et Tequila d’Auge, par Hello Pierville, son cheval de cœur. Trois jours après un tour d’honneur inoubliable, Susana García Cereceda Epaillard revient sur cette réussite avant tout collective, l’itinéraire de son Selle Français Originel ainsi que ses rêves et souhaits pour l’avenir.
Dimanche 6 avril, Donatello d’Auge (Jarnac x Hello Pierville), que vous avez élevé, a remporté la finale de la Coupe du monde Longines de saut d’obstacles de Bâle, sous la selle de Julien Epaillard, votre époux. Que représente ce succès pour vous ?
Nous avons rêvé de cette victoire, et notre rêve s’est réalisé ! On ne peut pas être plus heureux ! C’est la réussite de toute une équipe. En élevage, la route est longue et beaucoup de choses peuvent arriver. Beaucoup de personnes ont contribué à ce moment, de celles qui s’occupent des poulains à leur naissance, à celles qui prennent soin des chevaux de sport. Je suis très, très fière, et heureuse pour le collectif qui nous entoure, mon mari et moi. La plupart des membres de notre équipe sont à nos côtés depuis des années. Nous avons vécu cela comme une famille. Créer des équipes aussi soudées n’est pas facile ! Caroline (Belouet, ndlr), la groom de Julien, est extraordinaire. Elle fait partie des personnes fabuleuses que l’on a eu la chance de rencontrer et qui restent à nos côtés. Le caractère de Julien participe aussi à cela, de même que notre système avec les chevaux. Nous essayons de les préserver et ne pas trop leur en demander, trop tôt. Nous n’avons pas la pression de devoir vendre nos chevaux, ce qui est un avantage. Lorsqu’il y a un impératif commercial, les chevaux doivent faire leurs preuves et performer beaucoup plus rapidement. Nous avons eu la chance de ne pas avoir à exiger quoi que ce soit de Donatello lorsqu’il était jeune. Il arrive à pleine maturité, après avoir été préservé dans sa jeunesse. C’est une vraie chance. Il est actuellement au paddock (entretien réalisé mercredi 9 avril, ndlr) et il va profiter d’une bonne semaine dehors ! Et il est fier de lui ! Il est très malin, très intelligent, et ce depuis toujours. Julien est aussi plein de maturité. En tant que cavalier, il a tout maîtrisé lors de cette finale. Il aime à dire qu’il a fait son travail, mais il y a beaucoup de personnes qui ne font pas leur travail aussi bien que lui ! Il a donné tout le confort nécessaire à Donatello, mentalement et sentimentalement. C’était un week-end extraordinaire. Remporter un tel événement n’est pas la même chose que gagner un Grand Prix un dimanche ! Avoir pu vivre des émotions comme celle-ci est formidable.
Julien Epaillard et son équipe ne sont pas près d'oublier ce dimanche 6 avril. © Mélina Massias
Comment avez-vous vécu votre semaine en terres suisses ? Par quelles émotions êtes-vous passée ?
Cela a été tendu ! Comme le disait Julien, heureusement que tous les week-ends ne sont pas comme celui-ci ! Dès jeudi, nous avions en tête qu’avec une victoire dans la Chasse, nous avions une chance de continuer sur cette lancée. Il y a eu de la pression jusqu’au bout, mais, en même temps, nous sommes restés calmes et tranquilles. Nous avons confiance en Donatello, que Julien connaît par cœur. Nous le pensions prêt pour cette échéance et nous sommes allés chercher cette victoire. Cette année, Julien a deux objectifs majeurs : la finale de la Coupe du monde était le premier. Le second est évidemment le championnat d’Europe de La Corogne cet été.
Que d'émotions sur le kiss and cry pour toute l'équipe qui entoure Donatello d'Auge. © Sportfot
Donatello d’Auge, dont vous ventez l’intelligence, est un Selle Français Originel. Attachez-vous une importance particulière aux origines purement françaises ?
Donatello a un mental et un cœur incroyables, qu’il a hérité de ses origines. En général, les chevaux français ont beaucoup de cœur. Il a aussi la volonté. Depuis que j’ai commencé à me passionner pour les chevaux et à élever, j’ai toujours connu les origines françaises, auxquelles je suis très attachée. J’ai un peu moins de connaissances en ce qui concerne les origines étrangères. Je suis parfois un peu plus perdue par rapport à leurs performances ou leurs caractères. Je suis fière d’avoir toujours cru en l’élevage français, même si, évidemment, nous utilisons aussi d’autres courants de sang. Hello Pierville, le père de la mère de Donatello, est un cheval cent pourcents français, que j’ai moi-même monté. Et je connaissais très bien Jarnac, le père de Donatello, puisqu’il a fait partie de l’équipe espagnole de saut d’obstacles, après avoir été monté par Timothée Anciaume (ainsi que Reynald Angot, entre autres, ndlr). Je voyais cet étalon très régulièrement. Il avait tous les moyens. J’aime bien croiser les chevaux que je connais, que je vois souvent en compétition. À l’époque, je n’ai pas hésité une seconde pour ce croisement ! Mais pourquoi avoir choisi Jarnac plutôt qu’un cheval allemand, par exemple ? Je ne sais pas. J’étais plus proche de lui et j’ai toujours aimé les origines françaises. Et je crois que je ne me suis pas trompée ! Mais, même en faisant son maximum, on ne peut pas tout maîtriser et on a toujours besoin d’un peu de chance.
Susana Garcia Cereceda Epaillard a de quoi être fière de Donatello d'Auge, qu'elle a élevé. © Mélina Massias
Au-delà du choix de croiser Jarnac à une fille de Hello Pierville, comment en êtes-vous venu à faire naître Donatello d’Auge à partir de cette lignée maternelle ?
Tequila d’Auge est la mère de Donatello. C’est une fille de Hello Pierville (Olisco x Muguet du Manoir) et Galoubette Mondain (Galoubet A x Nankin), une jument que j’avais achetée à quatre ans dans la Manche, puis que j’ai moi-même montée. Elle était très difficile, très chaude. Mon cavalier de l’époque (Rutherford Latham, ndlr) a d’ailleurs disputé les championnats d’Europe avec elle pour l’Espagne (en 2003 à Donaueschingen, puis deux ans plus tard à San Patrignano, ndlr). Galoubette était très puissante. Le père de Tequila, Hello Pierville, est le seul cheval avec lequel j’ai concouru à plus d’1,40m. Nous avons fait des épreuves jusqu’à 1,55, 1,60m ensemble. Il avait une tête et un cœur en or. C’était un cheval incroyable. J’avais donc les deux parents de Tequila à la maison, ce qui était très chouette. Ensemble, Hello Pierville et Galoubette Mondian m’ont donné Tequila. Malheureusement, elle n’a jamais fait de concours parce qu’elle s’est blessée à quatre ans au paddock. Les vétérinaires m’ont dit de l’opérer, mais que, malgré tout, il n’y avait pas de certitude pour une carrière sportive. Je n’étais pas convaincue par cette solution, alors Tequila est devenue poulinière. Elle était la fille de mes deux chevaux de cœur et l’histoire était jolie. Donatello a été son premier produit ! Aujourd’hui, je monte une autre de ses filles, Gisèle d’Auge, une fille de Kannan qui est donc la sœur utérine de Donatello. Elle a neuf ans et nous évoluons à 1,30, 1,40m. Elle a tous les moyens ! On verra si elle passe sous la selle de Julien à un moment donné (le Normand a déjà monté Gisèle d’Auge, à l’occasion de quelques parcours en novembre 2024, ndlr). Cela dépendra de son piquet de chevaux. Gisèle est une jument facile. Nous avions toute la famille de cette lignée là à la maison, ce qui rend les choses encore plus belles. C’est vraiment ma lignée de cœur. J’ai monté la grand-mère et le grand-père de Donatello, et Donatello aussi ! C’est formidable.
Tequila d'Auge, la mère de Donatello, n'a jamais pu s'exprimer dans le sport en raison d'une blessure. © Collection privée
Donatello est né sous la surveillance de Laure Panel. Sa victoire à Bâle est aussi un hommage pour elle. Laure est décédée dans la nuit du 30 au 31 décembre dernier, d’une maladie foudroyante, à quarante-cinq ans. Ce succès me tenait donc d’autant plus à cœur, car je me suis dit que cela était aussi en son honneur. Donatello était son cheval de cœur, le premier qu’elle avait fait naître. Elle a commencé l’élevage chez nous, et était restée à nos côtés toutes ces années. Elle a travaillé avec nous pendant vingt-deux ans. Tout est une histoire de famille chez nous, il n’y a pas d’autre façon de résumer notre fonctionnement. Le haras de la Bosquetterie n’est pas du tout industrialisé. On ne fait pas naître quinze poulains par an ; on veut rester à taille humaine, maîtriser l’évolution de chaque poulain qui naît chez nous. Sinon, il faut avoir des structures dédiées, et cela devient trop coûteux, à trop large échelle. Nous avons la chance d’avoir des gens soudés autour de nous, qui nous aident pour tout.
Donatello d'Auge, tout juste tombé dans la paille en mai 2013 ! © Collection privée
Poulain, comment était Donatello d’Auge ?
Il était chaud ! C’est pour cela que nous avons fini par le castrer. Nous avons eu du mal à prendre cette décision. Mais nous ne sommes pas étalonniers. Nous produisons des chevaux de concours et nous craignions de passer à côté de sa carrière en le gardant entier. On ne pouvait pas prendre ce risque. Hello Pierville, bien qu’entier, était un agneau ! On ne pouvait pas deviner qu’il était étalon. Donatello, lui, avait du caractère. On ne l’a pas castré très tôt, car j’ai beaucoup hésité. Il l’a été durant son année de cinq ans. Prendre cette décision a été très difficile, car j’étais vraiment accro à ses origines, même si elles étaient assez anciennes. Castré, Donatello a pu réussir toutes ces performances ces trois dernières années et demie. En règle générale, nous avons plus tendance à castrer les chevaux qu’à les garder entiers. Dans une perspective de commercialisation potentielle, cela est aussi plus simple. Et puis, cela l’est aussi pour la pratique du concours hippique en général, pour les voyages, pour leur vie, pour les mettre au paddock, etc. Julien adore laisser ses chevaux en troupeau au paddock. Comme ils sont déferrés, tous les chevaux de concours vivent ensemble. Au départ, Donatello vivait en groupe avec les autres mâles. Mais il était toujours dans son coin, un peu fâché. Il passait son temps collé au paddock des juments et ne les quittait pas des yeux. Alors, on a fini par le mettre avec les juments et il s’épanouit comme cela. Désormais, il vit avec elles et adore avoir son harem ! Le secret, c’est aussi de les écouter et de leur offrir ce qui les rend heureux.
Le roi Donatello et son harem à La Bosquetterie. © Collection privée
La seconde partie de cette interview sera disponible samedi en fin de journée sur Studforlife.com…
Photo à la Une : Susana García Cereceda Epaillard était une éleveuse, propriétaire et épouse comblée à Bâle ! © Sportfot