“Nous allons en concours pour récupérer les flots qui récompensent notre travail à la maison”, Jodie Hall McAteer (2/3)
Jodie Hall McAteer est indéniablement l’une des pépites de la couronne britannique. À vingt-deux ans, cette talentueuse jeune femme progresse avec une régularité salutaire, année après année. En 2022, l’amazone, actuelle cent-vingt-huitième mondiale et treizième du classement réservé aux cavaliers de moins de vingt-cinq, a continué sa montée en puissance. Grâce à la complicité d’un certain Salt’n Peppa, avec lequel elle a gravi les échelons un à un, des Juniors jusqu’à un double sans-faute dans la Coupe des nations de Falsterbo ou encore une troisième place dans l’étape de la Coupe du monde Longines de Londres, la cavalière à l’accent so british s’est fait une place, dans une équipe solide et tirée vers le haut par la jeunesse. Après avoir pris quelques jours pour se ressourcer et tirer les enseignements de l’année écoulée, Jodie se prépare à poursuivre son œuvre en 2023, avec en ligne de mire le jumping d’Amsterdam, dans un premier, et, qui sait, peut-être un voyage en Italie cet été. Avant cela, elle s’est prêtée avec sensibilité et fraîcheur au jeu des questions-réponses. Son fidèle partenaire, ses espoirs de demain, l’expérience accumulée au sein de la Young Riders Academy, le rôle de sa coach mentale ou encore ses débuts d’équitante ; la Britannique s’est livrée tout en honnêteté. Deuxième des trois épisodes de cet entretien.
La première partie de cette interview est à (re)lire ici.
En 2022, vous vous êtes séparée de Mademoiselle-A (Corland x Cardento), une fille de la toute bonne Jonka-A et qui a rejoint le piquet de Beth Underhill. Quelle place accordez-vous au commerce dans votre système ?
En effet, c’est l’activité de mes parents. Ils ont toujours vendu des chevaux, depuis que je suis très jeune et lorsque je suivais le circuit Children on horses (une catégorie de compétition britannique pour les jeunes de douze à quatorze ans, sur des parcours à 1,30m à cheval, ndlr). Je montais plein de chevaux différents, et idem à poneys. Mademoiselle-A, par exemple, est arrivée sous ma selle à la fin de son année de sept ans. Il s’agit donc d’un projet sur le long terme malgré tout (la grise a été vendue dans sa dixième année, ndlr). Je ne saute pas nécessairement d’un cheval à l’autre et ne les vends pas en un ou deux mois. Le but est davantage de les former et de les conduire à un stade où ils sont prêts à rejoindre de nouveaux cavaliers. Mais cela est difficile. J’avais évidemment une très bonne relation avec Mademoiselle-A, mais parfois, et afin de pouvoir conserver Salt’n Peppa et d’autres de mes meilleurs chevaux, il faut en laisser partir un ou deux. C’est également la réalité de la position dans laquelle je me trouve. Je dois aussi être rentable financièrement parlant. Il faut que mon activité soit viable et malheureusement je dois parfois dire au revoir à certains de mes chevaux. En définitive, cela permet de garder la machine en marche et je prends du plaisir à former les chevaux à ce niveau et j’apprécie tout le chemin pour y parvenir. Lorsqu’ils rejoignent de nouvelles écuries, où quelqu’un d’autre peut s’amuser avec eux est aussi une bonne chose.
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Bien que vous soyez préparé à l’éventualité de voir certains de vos protégés partir vers d’autres horizons et que cela fait partie du métier, diriez-vous que cet aspect est difficile à gérer, notamment d’un point de vue mental ?
Oui, sans aucun doute. Ce n’est jamais simple. On passe tellement de temps avec les chevaux et pas seulement en selle, rien qu’à être auprès d’eux. Ils sont ceux à quoi je pense sept jours sur sept. C’est un sport vraiment dévorant ; ce n’est pas comme une raquette de tennis ou un ballon de foot que l’on range à la fin de la journée. On est toujours entre de se demander si les chevaux vont bien, et d’aller les voir le soir pour s’assurer que tout est en ordre, etc. Je ne suis pas mère, mais j’imagine que vendre ses chevaux s'apparente un peu à voir l’un de ses enfants quitter le nid, partir de la maison. Donc, non, ce n’est jamais facile, et particulièrement pas pour moi. Je m’attache énormément à mes chevaux. Je ne suis pas très douée pour faire l’inverse, même si mes parents me mettent souvent en garde. Ils savent que je ne suis pas la meilleure sur cet aspect, mais c’est la réalité des choses. Lorsque mes chevaux partent et sont performants, cela me rend aussi heureuse.
“Nous avions l’habitude de descendre dans les prés l’été et de courir partout avec quelques amis”
À vingt-deux ans, vous êtes en pleine ascension. Pouvez-vous revenir sur le début de votre parcours, votre premier souvenir équestre ?
Oh, mon premier souvenir… Pour être franche, je n’en ai aucune idée ! Mes grands-parents avaient un centre équestre à la maison, donc ce serait peut-être me promener en trottant sur le dos des chevaux d’école de ma maman ou de ma grand-mère, le week-end ou après les cours. Commencer à monter à cheval en quelque sorte. Nous avions l’habitude de descendre dans les prés l’été et de courir partout avec quelques amis. J’ai grandi entourée de poneys et de chevaux et me suis beaucoup amusée. Malgré tout, l’esprit de compétition est arrivé très rapidement. Je pense que j’ai fait mon premier concours officiel répertorié sur British Showjumping à sept ans. Particulièrement en Angleterre, le circuit réservé aux jeunes est très développé par rapport à d’autres nations. Les compétitions à poneys sont prises très au sérieux ; on traverse le pays de long en large la plupart des week-ends, en quête d’une qualification pour Hickstead, Londres ou pour le Horse of the year show (un concours très disputé et réputé outre-Manche à Birmingham, ndlr). J’ai donc très rapidement commencé les 128, puis les 138, les Children on horses également, puis les 148 (ces épreuves, dont la dénomination fait références à la taille, en cm, des poneys en question, sont respectivement réservées aux jeunes de moins de douze, quatorze et seize ans et pourraient être comparées aux catégories B, C et D habituellement utilisées en France par exemple, ndlr). Pour les 148, j’avais Tixylix (également montée par Jessica Mendoza puis par Eléonore, la sœur cadette de Jodie, ndlr), une ponette incroyable qui a fait énormément pour moi (la paire a notamment remporté l’argent individuel et l’or collectif lors des championnats poneys de Malmö en 2015, ndlr). Tout a évolué à partir de là. J’ai simplement continué à avancer, à gravir les échelons sur le côté sportif. On ne réalise pas vraiment le chemin parcouru ; maintenant que je regarde en arrière, je me dis que j’ai juste poursuivi ma route et je suis arrivée où j’en suis aujourd’hui, en construisant mon parcours.
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Avez-toujours su que vous vouliez devenir une cavalière de Grand Prix 5* ?
Je pense que oui. Lorsque j’étais plus jeune j’avais l’habitude d’aller à plein de concours - maman et papa avaient des chevaux -, avec quelques autres cavaliers, comme les Whitaker, etc. Quand j’étais toute petite, j’ai toujours voulu faire ça. Bien sûr, on ne sait jamais ce qui peut arriver et pour être honnête cela m’a toujours paru très loin. Si on ne prend pas du recul, on peut toujours avoir l’impression d’être à des kilomètres de ce que l’on veut atteindre, mais c’est un chouette sentiment que de me dire que je suis où je suis. Je me souviens qu’à mes débuts j’admirais les Grands Prix Poneys et les championnats d’Europe en me disant “oh, j’adorerai faire ça un jour” et puis je l’ai fait. Alors, on trouve un autre objectif vers lequel s’orienter. On ne s’arrête jamais vraiment et, parfois, on ne réalise pas où nous sommes arrivés ! Cela a été très bénéfique que je prenne une pause après Londres, de souffler un peu, d’intégrer tout ce qu’il s’est passé cette dernière année, ce que j’ai effectivement accompli et prendre du recul sur tout cela avant de repartir de l’avant.
Votre famille semble très importante dans votre parcours. Que représente son soutien pour vous ?
Ils sont tout pour moi. Ils sont mes propriétaires, parfois même mes chauffeurs quand je n’ai personne pour conduire jusqu’aux concours (rires) ! Ils m’aident de toutes les façons possibles. Bien sûr, ce n’est pas toujours aisé de travailler en famille. Nous ne sommes pas toujours d’accord. Je crois que c’est normal et qu’il en est de même dans toutes les familles. Mais au bout du compte mes grands-parents regardent tout sur en vidéos sur les livestream, mes parents essayent de venir dès qu’ils le peuvent, même si je suis si souvent partie que je me retrouve souvent seule. Malgré tout, ils ne sont jamais qu’à un coup de téléphone de moi. Ils sont à mes côtés à travers les hauts et les bas et c’est vraiment bien de pouvoir partager cela avec eux.
“Peut-être que si j’avais Hello Vincent aujourd’hui je serais en mesure de garder la main sur lui”
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En 2020, vous avez fait partie du programme de la Young Riders Academy, une véritable pépinière de jeunes talents. Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?
En entrant à la Young Riders Academy, j’avais entendu beaucoup de bonnes choses à son sujet, mais ce programme a réellement dépassé toutes mes attentes dans ce que l’on emporte avec soi après. Et pas seulement en tant que cavaliers, mais aussi en tant qu’individus. Les relations que l’on tisse, le réseau et les connexions que l’on crée à partir de cette plateforme sont inestimables et une aide précieuse. Il en va de même pour les informations pratiques qui nous sont enseignées, de l’aspect vétérinaire à celui des finances, en passant par les règles antidopage, la construction de parcours, etc. On apprend sur un large spectre et une multitude d’aspects du sport : l’entraînement pratique, l’entraînement mental, la nutrition. On retient tellement de choses. Je pense qu’il s’agit vraiment d’un super programme pour éduquer les jeunes cavaliers et le futur du sport. Je suis très reconnaissante d’avoir fait partie de la Young Riders Academy.
D’ailleurs, cette académie vous a permis de rencontrer Ben Schröder, le frère de Wim et Gerco, votre entraîneur depuis bientôt deux ans…
Oui, j’ai commencé à m’entraîner avec Ben à Tubbergen il y a environ deux ans. C’est un coach incroyable. Je ne le connaissais pas du tout avant de rejoindre ses écuries, qui sont aussi celles de ses frères, Wim et Gerco. Ben a sans aucun doute été d’une grande aide pour moi ces dernières années. J’ai progressé techniquement dans mon équitation mais aussi sur le côté management. Toutefois, les débuts n’ont pas été tout simples. Il y avait beaucoup à apprendre, et il y a encore beaucoup de choses sur lesquelles je dois progresser. En étant dans ce genre d'environnement, on apprend de nouvelles choses chaque jour, ce qui est vraiment bénéfique. Désormais, j’ai le sentiment d’avoir mis en place le bon système et il suffit de construire la suite là-dessus, de conserver mes chevaux en bonne forme, plutôt que de devoir intégrer de nouvelles choses. C’est agréable. Ben me donne également beaucoup de confiance et de discipline. C’est un excellent modèle de travailleur acharné pour moi. On récolte ce que l’on sème et nous allons en concours pour récupérer les flots qui récompensent notre travail à la maison. On travaille dur et on se prépare dans l’ombre, puis on performe et on met tout cela en valeur. Bien sûr, il faut parfois un peu de chance, et tout ne tourne pas toujours en notre faveur, mais il est aussi important d’accepter les moins bons moments et d’en tirer des leçons pour repartir de plus belle et continuer à avancer.
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Vous êtes aussi proche de Scott Brash, qui vous prodigue régulièrement des conseils. Vous lui avez également cédé l’excellent Coquin de Coquerie (Consul dl Vie x Fergar Mail), désormais renommé Hello Vincent, tandis que vous avez, un temps, pris les rênes de Hello M’Lord (ex Nimble, Krake x Crelido). Comment avez-vous commencé à travailler avec lui et quel rôle joue-t-il dans votre ascension ?
Scott est en réalité un très bon ami de mon père. Forcément, je l’ai toujours admiré en tant que cavalier. J’ai disputé des épreuves Jeunes Cavaliers avec Hello M’Lord. C’était un petit cheval adorable, qui a été vendu l’année dernière. Coquin de Coquerie était dans une situation similaire à celle de Mademoiselle-A. Le temps était venu et Scott était intéressé. Coquin avait tout le talent, mais, j’étais, en tant que cavalière, un peu plus jeune à ce moment-là. Je n’étais pas prête à lui faire franchir la marche suivante dans sa carrière. Peut-être que si je l’avais aujourd’hui je serais en mesure de garder la main sur lui, qui sait ! Mais nous avons pris la décision de le laisser partir chez Scott et c’est super de pouvoir suivre sa carrière et les voir gagner ensemble au plus haut niveau. Scott est très serviable, un grand soutien et toujours disponible. Avant que je ne parte chez Ben il m’a entraîné quelques fois dans ses écuries. J’allais chez lui et il m’aidait lorsqu’il avait du temps. J’ai beaucoup appris de lui. Maintenant je suis dans la même équipe que lui sur le Global Tour, avec les New York Empires. C’est un cavalier extraordinaire et quelqu’un que j’admire et respecte énormément pour tout ce qu’il a accompli dans le sport. C’est génial de pouvoir collaborer avec lui de temps à autre et je sais que je peux compter sur lui si j’ai besoin d’aide ou de quoi que ce soit.
La troisième et dernière partie de cet entretien sera disponible dès samedi sur Studforlife.com…
Crédit photo : © Sportfot. Photo à la Une : Jodie Hall McAteer sait s'entourer pour progresser.