« Notre sport autorise l’approximation, c’est l’erreur », Eric Louradour
L'entraineur français debriefe avec nous sur les épreuves de saut d'obstacles à Tokyo !
Pour Studforlife, l’entraîneur de renom international Eric Louradour a passé au peigne fin les épreuves de saut d’obstacles des Jeux olympiques de Tokyo. Au programme : nouveau format, dérive de l’équitation et performances suédoises.
Le nouveau format des Jeux olympiques a souvent été remis en question tout au long de ces épreuves de saut d’obstacles. De votre côté, que pouvez-vous en tirer ?
Pour ma part, je n’aime pas ce format pour trois raisons. La première est la façon dont sont jugés les couples avec des scores remis à zéro. La beauté d’un championnat est de voir l’évolution des duos au fur et à mesure des jours et qu’on remarque la qualité des chevaux ainsi que des cavaliers, ceux qui ont à la fois le physique et le moral pour ces échéances. La seconde est que certains pilotes n’ont pas foulé la piste, voire qu’une fois, alors qu’ils ont fait beaucoup de kilomètres et d’efforts pour se rendre à Tokyo. La troisième est l’ordre des épreuves. Les très bons cavaliers dans les épreuves individuelles sont désavantagés et prennent des risques en fatiguant leurs chevaux pour les épreuves par équipes, même si les Suédois ont été imperturbables dans la finale collective. Je comprends que le Comité International Olympique (CIO) souhaite faire participer davantage de pays émergeants, faire des médailles ‘faciles’ pour les nations fortes mais pour notre sport, ce n’est pas la meilleure image. À ce niveau-là, il faut être prêt à commencer et terminer le parcours. Je trouve d'ailleurs que notre sport autorise l’approximation, c’est l’erreur. Lorsqu’on regarde dans d’autres compétitions, si tu n’as pas le niveau, tu ne peux pas concourir. Je ne sais pas pourquoi mais avec les chevaux, les cavaliers veulent toujours atteindre le niveau supérieur et se permettent de penser que le cheval va leur sauver la mise. Je trouve ça regrettable et ça dessert l’image de notre sport. Si les cavaliers des nations émergentes veulent vraiment participer à des olympiades, il faut qu’ils viennent régulièrement se confronter aux Européens et Américains.
Justement, ce système ne pousse-t-il pas à sur-préparer les chevaux, à s’en interroger sur les valeurs de notre sport ?
C’est le danger du haut niveau et je le dis haut et fort depuis longtemps. Techniquement, les parcours sont de plus en plus compliqués, on demande aux chevaux d’être tellement respectueux que ça entraîne des abus. Le sport est devenu technique, avec des obstacles hauts et légers qui peuvent inciter à sur-préparer. Aussi, sur ce genre d’événement, il ne faut tout de même pas oublier que les obstacles sont imposants et sortent de l’ordinaire, -c’est aussi ça qui est fabuleux aux Jeux olympiques- mais ils entraînent des chevaux à se percher. Nous avons eu l’exemple avec le sumo lors de l’épreuve qualificative individuelle. Ces deux faits associés font qu’on peut tomber dans de la sur-préparation.
Grégory Wathelet et Nevados S (Calvados Z) passant l’obstacle habillé d’un sumo, pouvant être situé à la réception ou à la battue d’appel, qui a d’ailleurs effrayé bon nombre de chevaux. © FEI/Christophe Tanière
Pensez-vous que nous allons vers un retrait de sports équestres aux Jeux olympiques ?
Oui, par l’image que l’on donne à notre sport, sans parler des photos qui ont pu être postées sur les réseaux sociaux (photo du cheval de Cian O’Connor, Kilkenny, saignant du nez au milieu de son parcours ou encore de Shane Sweetnam, Alejandro, sautant très haut au dessus des chandeliers, ndlr) même si des incidents peuvent arriver. Nous allons à la dérive. Il est temps que les professionnels de notre milieu reprennent leur sport en main pour un avenir plus certain.
Nombreux ont été les grands noms à passer à côté de leurs Jeux olympiques à l’instar de Steve Guerdat, Martin Fuchs, Daniel Deusser ou encore Kent Farrington. À quoi cela peut être dû ?
Je pense encore qu’il y a un malaise dans notre sport. Aujourd’hui, on voit de grands cavaliers disparaître ou avoir du mal à trouver de bons chevaux. Tout a été basé sur l’argent donc automatiquement, ce sont de plus en plus les personnes très fortunées qui peuvent se permettre de pratiquer ce sport à haut niveau et les autres professionnels ont du mal. Nous sommes arrivés dans de tels extrêmes qu’aujourd’hui justement, ça prouve que notre sport est tombé dans l’exagération face à l’argent. Quand je vois que Kevin Staut n’est pas aux Jeux ou que Pénélope Leprevost n’a, selon moi, pas un cheval à la hauteur, ça me rend triste. Je suppose que Steve Guerdat comptait sur Bianca (éteinte en juin dernier suite à une tumeur au cerveau, ndlr) pour ces Jeux mais il lui manquait un vrai cheval pour la remplacer. La pandémie de Covid-19 a aussi entraîné l’annulation incalculable de concours et cela a également eu un rôle majeur dans la préparation en amont de cet événement. Quand les compétitions ont repris, les cavaliers ont été faire les concours qu’il y avait, notamment les étapes du Global Champions tour. Là encore, les chevaux ont dû être durement sollicités et l’aspect financier a pris les devants.
King Edward, piloté par Henrik von Eckermann, est LE cheval de ces Jeux olympiques avec ses six parcours parfaits !
Henrik est un bon cavalier et son cheval est exceptionnel. Il a participé à peu de concours avec lui au cours de la saison, mais en choisissant les bons, ce qui a rendu le couple entièrement prêt pour ces Jeux.
Peder Fredricson et All In sont les coups de cœur d’Eric Louradour pendant ces Jeux olympiques. © FEI/EFE/Kai Försterling
Le top d’Eric Louradour :
« En cent ans, Peder Fredricson est le seul cavalier au monde à avoir renouvelé sa médaille d’argent en individuel avec le même équidé, All In (Kashmir van Schuttershof). C’est là que l’on voit la grandeur de l’Homme de cheval qu’il est. Il est perfectionniste et organise parfaitement bien le travail de ses chevaux. C’est un cavalier loin de tout, ce qui le préserve de beaucoup et ne court pas après tous les concours. Je trouve qu’il est un exemple merveilleux et qu’un homme comme ça donne une si belle image à notre sport l’est aussi. »
Photo à la une : © FEI/Christophe Tanière