“Nicolas Layec a un feeling que peu de cavaliers ont”, Bruno Rocuet (1/2)
Depuis ses deux titres de champion de France, décrochés à Fontainebleau grâce à Ghana du Gast et Hatlantika, l’écurie Rocuet enchaîne les résultats. Si ces jeunes espoirs profitent désormais des herbages en attendant le printemps prochain, leurs aînés à l’expérience plus importante ont pris la relève avec brio. Alors que l’année 2022 touchera à sa fin à l’occasion d’une escapade ensoleillée, d’abord à Vilamoura ce week-end, puis à Oliva ensuite, Bruno Rocuet, marchand, cavalier et éleveur reconnu, dresse le bilan des derniers mois écoulés. De l’arrivée de la pépite Nicolas Layec en tant que cavalier jeunes chevaux dans son fief, à la progression de sa fille, Margaux Rocuet, et des espoirs fondés en Djibouti de Kerizac, le Breton se projette avec lucidité sur l’avenir. Interview en deux volets.
Après votre excellente Grande Semaine de Fontainebleau, et de très bons résultats ces derniers mois avec vos montures plus aguerries, quel bilan tirez-vous de l’année 2022, qui n’est pas tout à fait achevée ?
Tous nos jeunes chevaux sont rentrés avec nous après Fontainebleau et sont désormais au pré. Nous avons environ cinquante chevaux à l'entraînement. L’effectif est pratiquement divisé par deux, avec une trentaine de jeunes chevaux. Cette année, seul Nicolas Layec, mon nouveau cavalier, les a montés. Il a fait six-cent-cinquante parcours avec mes chevaux en 2022, alors que nous n’avons pas fini l’année ! Il devrait arriver à un total de sept-cents tours avant 2023. En arrivant à la maison, il n’avait pas une très grande expérience en piste, du moins pas au niveau où il évolue aujourd’hui. Comme l’an passé, nous avons connu une très belle saison avec les jeunes chevaux. En 2022, la qualité était supérieure en quantité par rapport à 2021. Nous avons emmené quatorze montures Fontainebleau, sur les vingt qualifiées. Certaines étaient d’ailleurs issues de mon élevage. Je suis très fier d’avoir conservé certaines juments de concours, à l’image de La Luna du Thot (Flipper d’Elle x Shaliman du Thot), l’une de mes meilleures complices, ou encore Artolita D (Artos x Jackson). Nous avons fait le sacrifice de ne pas les vendre et elles nous le rendent bien. L’histoire ne s’arrête pas le jour où leur carrière sportive prend fin. Elles m’ont donné du plaisir en piste et m’offrent désormais de bons produits. Elles ne sont plus toutes jeunes, mais font encore des poulains (notamment en transferts d’embryons ou via l’ICSI, ndlr). J’ai également la chance d’avoir un étalon, Best Of Iscla (Diamant de Semilly x Kannan), que j’utilise à l’élevage et qui produit très, très bien. Le mariage entre mon étalon et mes juments fonctionne bien, tout comme celui entre mes jeunes chevaux avec mon nouveau cavalier ! Nous avons une très bonne génération de quatre ans, qui n’a pas été à Fontainebleau. À cet âge, ils vont au pré après le CIR. Mais la machine est lancée et rendez-vous en 2023 !
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Depuis que je fais ce métier, je crois que je n’ai jamais eu un tel piquet de chevaux d’âge. Margaux (Rocuet, sa fille, ndlr) est très bien équipée, tout comme Nicolas, qui n’avait jamais goûté au niveau 3 ou 4* avant. Il est arrivé chez moi il y a pratiquement un an jour pour jour et n’avait jamais affronté de parcours à 1,50m. Il a tout de suite été dans le vif du sujet et a désormais quatre montures pour ce niveau. C’est assez rare, d’autant plus qu’il est mon employé. Il était huit-cent-trente-sixième cavalier mondial en octobre et il a gagné plus de quatre cents places en novembre ! Il n’a pas disputé beaucoup de CSI, mais depuis Fontainebleau et le départ en vacances de tous les jeunes, il est à fond. Il vient d’enchaîner quatre concours au niveau 3 et 4* avec de super résultats.
L’an prochain, Margaux récupérera peut-être certains jeunes, mais, cette année, elle avait un groupe de vieux chevaux important. Nous avons délibérément choisi qu’elle se concentre sur eux. Lorsqu’elle avait Trafalgar Kervec (Quaprice Bois Margot, ex Quincy x Diamant de Semilly), qui est désormais en pré-retraite, comme cheval de tête, la donne était différente. Son piquet avait déjà de l’expérience, et elle pouvait jongler entre les jeunes et les moins jeunes. Avec des chevaux comme Djibouti de Kerizac (Quincy x Le Tôt de Semilly), Dubaï du Cèdre (Baloubet du Rouet x Diamant de Semilly), Coolcream Berence (Kannan x Le Tôt de Semilly), ou Lady Lulu 2 (Lord Pezi x Cordalmé), par exemple, il est mieux qu’elle dédie ses semaines à eux. Ces chevaux, qui restent jeunes, demandent du travail et de la rigueur. Quoi qu’il en soit, entre les chevaux qui sont sous la selle de Nicolas et de Margaux, nous avons un excellent capital. Margaux a disputé plusieurs CSI 5* cette année, une Coupe des nations Séniors (à Gorla Minore, en juin, ndlr), où la France termine deuxième, et le Grand Prix associé, dont elle a pris la troisième place avec Djibouti. Mes propriétaires, et notamment Mario Zindel (co-propriétaire, entre autres, de Djibouti de Kerizac avec Bruno Rocuet, ndlr) nous ont aidé à conserver cette qualité de chevaux.
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“Nicolas Layec a peut-être un truc en plus”
Comment gérez-vous la répartition de vos cartouches entre Nicolas et Margaux ?
Il y a parfois des chevaux avec lesquels Margaux s’entend un peu moins bien. Cela a, par exemple, conduit Nicolas à récupérer Bulgarie d’Engandou (Vargas Ste Hermelle x Calvaro), que montait Kevin Staut. Elle n’est pas évidente et Kevin en a fait le tour. Elle a sauté les plus gros parcours du monde l’année dernière (l’alezane a notamment pris part à cinq Grands Prix 5* en 2021, à Knokke, Chantilly, Dinard, Bruxelles et Rome, ndlr), mais, à la fin, elle n’avait plus envie. C’est un peu la même chose avec Best Of, que j’ai depuis qu’il a deux ans. Avec Margaux, cela n’allait pas trop, donc Nicolas en a pris les rênes. Il a également Chesca de Kergane (L’Arc de Triomphe x Elan de la Cour) et un excellent cheval de neuf ans, déjà classé en 3*, qui appartient à Monsieur Herpin : Du Valon (Kannan x Quidam de Revel). Nicolas manque encore d’expérience, mais tous les gens qui l’ont vu monter à cheval soulignent son super sentiment. En montant des chevaux de cette qualité, on rattrape son retard beaucoup plus vite. À Saint-Lô, il était le meilleur cavalier du label 2*, et troisième du Grand Prix 4*. Il a autant de bons chevaux que Margaux, même si à la base, je l’ai employé pour être cavalier jeunes chevaux (rires). Il partage son temps entre les deux. Il faudrait presque que je trouve un cavalier supplémentaire pour monter les jeunes ! Ce n’était pas vraiment prévu qu’il se retrouver avec autant de chevaux, d’autant plus que ceux-là ne sont pas vraiment sur le marché et que nous avons envie de poursuivre l’aventure avec eux.
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Justement, pourriez-vous en dire un peu plus sur Nicolas, qui s’est révélé aux yeux du grand public ces derniers mois, d’abord en étant récompensé par le titre de meilleur cavalier de la Grande Semaine, puis en rivalisant avec quelques grands noms pour terminer troisième du Grand Prix 4* de Saint-Lô, pour sa première tentative à ce niveau ? Il donne l’impression d’être particulièrement humble et discret…
Il a beaucoup de talent, et est copain avec tous les chevaux. Il fait du très bon travail. À Fontainebleau, sans dire que toutes sont des cracks, ses montures étaient vraiment chouettes. C’est un peu du sur mesure pour lui ; les chevaux ont de la frappe, sont modernes et ont un truc en plus. J’étais content pour lui et toute l’équipe, parce que cela demande beaucoup de travail. Après sa troisième place dans le Grand Prix 4* de Saint-Lô, il a donné une interview à GRANDPRIX. On dirait un enfant : il s’excuse de tout, d’être troisième, d’être là. Il ne comprenait même pas ce qui lui arrivait ! Il est surpris de tout. C’est vraiment un chouette garçon. Je ne le connaissais pas d’avant, mais beaucoup de gens si, puisqu’il était en région parisienne. Il a monté pour des marchands, à un niveau moindre, mais tout le monde le trouvait déjà talentueux. Il a eu une expérience en Belgique, chez François Mathy, puis il a été au haras de Riverland. Pour la petite histoire, il avait postulé chez moi il y a déjà deux ou trois ans, mais je ne l’avais pas retenu, trouvant qu’il manquait d’assurance. En quelque sorte, je le pensais un peu trop fragile pour prendre la suite de Valentin Besnard. Il faut être solide ; il y a beaucoup, beaucoup de travail aux écuries. Je lui ai préféré Corentin Derouet, et lorsqu’il est parti à son tour, Nicolas a de nouveau fait acte de candidature. C’était il y a un an. Je n’étais pas plus emballé que cela, mais une fois à la maison, tout a été très, très vite. Tout le monde n’a que des choses positives à dire sur lui. Philippe Rozier m’a dit “on savait qu’il avait du talent, mais là, c’est la classe !”. Nicolas apprend encore, mais il le fait vite. Il a un feeling que peu de cavaliers ont. Il est tout fin, n’a pas de force du tout. Il manque encore de technique et se repose sur son très bon sentiment, mais il progresse tous les jours. On ne dirait pas qu’il manque d’expérience, parce que la manière est belle. Tout le monde l’adore, et je crois que les chevaux aussi ! Il peut tout piloter : les grands, les petits, les chauds, les froids, etc. Il donne parfois l’impression que toutes ses montures sont un peu similaires, mais ce n’est pas le cas. Ghana du Gast (Ogrion des Champs x Ogano Sitte), le champion des six ans, est un vrai Monsieur. Il faut le vouvoyer, sans quoi, il vous explique la vie ! Il a une équitation moderne, beaucoup de liant et de fixité, comme l’a souligné Jean-Maurice Bonneau lorsqu’il commentait le Grand Prix 4* de Saint-Lô. Son centre de gravité est toujours au bon endroit, il n’est jamais en déséquilibre devant ses pieds. Comme il n’est pas très connu à ce niveau, il y a un effet de surprise de le voir monter aussi bien.
Humainement, Nicolas s’entend super bien avec tout le monde. Il est gentil, trop gentil. Il ne croit pas encore trop en lui. J’ai eu des cavaliers qui montraient beaucoup plus d’assurance. Il peut être un peu tête en l’air, mais lorsqu’il est sur le dos d’un cheval, c’est du bonheur pour tout le monde. C’est agréable à voir, tout comme ça l’est pour les chevaux ou les propriétaires. Il s’investit beaucoup. C’est aussi normal que la motivation soit là avec les chevaux qu’il monte. Quel que soit le résultat - et il signe beaucoup de performances - il reste super humble. Il ne va pas prendre la grosse tête, ça c’est sûr (rires). Ce n’est pas le style à donner des leçons aux autres. J’ai eu de la chance avec mes cavaliers, mais lorsqu’on entend les gens parler, Nicolas a peut-être un truc en plus. C’est difficile à définir, mais il a quelque chose en plus. Alors qu’à pied, il peut partir au concours en oubliant sa selle ! (rires) Une fois le pied à l’étrier, et qu’il n’a pas oublié sa selle, ça va aller au bout. À Fontainebleau, mes propriétaires m’ont même dit qu’il fallait l’augmenter, que c’était une perle. Cela m’a beaucoup fait rire ! En tout cas, pour l’instant, l’histoire est belle.
“Iliade KDW finira sa carrière à la maison et deviendra poulinière”
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Qu’avez-vous prévu pour la fin de saison ?
Nous allons finir au soleil. Nous irons d’abord au CSIO 3* de Vilamoura, avec Margaux, qui a récupéré Iliade KDW (Indoctro x Braham St Simeon), ma jument de cœur. J’ai arrêté de monter en concours pendant sept ans, puis j’ai acheté cette jument. Margaux l’a montée, puis je me suis remis à cheval à Oliva. C’est un lieu vraiment cool, où il fait beau. Cet endroit m’a donné envie de remonter, d’autant que personne ne me connaissait. Il n’y avait donc aucun stress. Lorsque j’ai arrêté la compétition, et sachant que cette jument était très, très bonne, je l’ai confiée à Kevin Staut l’année dernière. Elle a énormément gagné, notamment à 1,55m et a obtenu un super indice (166, ndlr). Nous l’avons récupérée et Margaux la monte désormais. Elle est super pour les épreuves intermédiaires. Iliade finira sa carrière à la maison et deviendra poulinière. Elle a déjà trois poulains, et deux sont en route pour 2023. Nous avons moins d’ambitions qu’avec Kevin, qui a fait le Global avec elle, puisque nous n’avons pas encore accès à tous les concours. De ce fait, nous allons finir l’année au soleil, à Oliva, avec Margaux et Nicolas. Nous n'avons pas une grande activité à la maison en ce moment. Nous sommes en train de mettre en route nos étalons de trois ans et demi, mais notre pôle jeunes est en stand-by. Nous avons de très bons étalons de trois ans. D’habitude, je ne le fais pas, mais comme le meilleur d’entre eux est un fils de Best Of, je vais le montrer un peu et faire quelques concours de qualification pour les mâles. Il est né à la maison et est vraiment exceptionnel. Cela nous vend du rêve !
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Photo à la Une : Nicolas Layec et l’étalon Best Of Iscla à Dinard. © Mélina Massias