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“Monaco ne cesse de me surprendre”, Harrie Smolders

Interviews vendredi 15 avril 2022 Mélina Massias

Numéro un mondial pendant huit mois consécutifs en 2018, Harrie Smolders fait incontestablement partie des meilleurs cavaliers du monde. Ces quinze dernières années, le Néerlandais a fait preuve d’une immense régularité, malgré les départs à la retraite de ses deux cracks, Don VHP Z et Emerald van’t Ruytershof. Le jeune quadragénaire semble avoir trouvé la relève en Monaco, qui l’a conduit à la deuxième place de la finale de la Coupe du monde Longines de Leipzig le week-end dernier. Pouvant également compter sur Une de l’Othain, Bingo du Parc et les jeunes Escape Z et Uricas van de Kattevennen, le Oranje ne semble pas avoir dit son dernier mot. Entretien.

Quel bilan tirez-vous de votre finale de la Coupe du monde, que vous avez conclue à la deuxième place avec Monaco (Holst, Cassini II x Contender) ?

C’est toujours bien d’être sur le podium. Il s’agit d’un nouveau résultat fantastique (cette saison, Monaco et Harrie Smolders ont notamment terminé deuxième des Grands Prix 5* de Genève, Londres et Bois-le-Duc, ndlr). Nous étions dans le coup jusqu’à la fin, ce qui est super. En définitive, le sport décide de la place à laquelle nous figurons. Être sur le podium d’un tel championnat est un honneur.

Qu’avez-vous pensé de cette finale, qui n’avait plus eu lieu depuis 2019 ? Certaines personnes ont regretté l'absence de talentueux cavaliers, qui ne se sont pas qualifiés ou ont choisi de faire l’impasse sur l’événement…

Cette saison a été spéciale. Tout était incertain avec le Covid et beaucoup d’étapes qualificatives pour la Coupe du monde ont été annulées. Certaines personnes qui voulaient se qualifier ou étaient en bonne position n’ont pas eu la possibilité de courir les dernières étapes (celles de Bâle, Amsterdam, Bordeaux et Göteborg ont notamment été annulées en début d’année, ndlr). Malgré tout, nous avons vu du grand sport et je trouve que Frank Rothenberger (le chef de piste, ndlr) a effectué un travail fantastique. Les deux premiers jours, j’avais le sentiment que les parcours n’étaient pas tout à fait assez hauts, mais en fin de compte, il a toujours obtenu le bon nombre de sans-faute. Le temps accordé était toujours parfaitement défini et le niveau était très élevé.

Harrie Smolders et Monaco lors du tour d'honneur, à Leipzig. © Liz Gregg/FEI

Bien que vous auriez sans doute préféré être à sa place, quel regard portez-vous sur Martin Fuchs, vainqueur de la finale ?

Martin et toute son équipe montrent depuis des années qu’ils ont une très bonne gestion des grandes échéances et un vrai horsemanship. Son père (Thomas Fuchs, ndlr) participe également à cet excellent travail. Ils font toujours partie des favoris lorsqu’ils participent à un championnat.

La jeune génération a montré de très belles choses le week-end dernier, puisque Harry Charles et Jack Whitaker, vingt-deux et vingt ans, ont terminé quatre et cinquième. Que cela vous inspire-t-il ?

Ce n’est pas le dernier championnat où nous verrons ou entendrons parler de ces jeunes. Je l’avais déjà dit après Londres. Ces cavaliers peuvent compter sur un soutien solide. Grâce à leurs pères (Peter Charles, champion olympique par équipe à Londres en 2012 et champion d’Europe individuel à Saint Gall en 1995, et Michael Whitaker, multimédaillé aux championnats d’Europe, vice-champion du monde par équipe en 1986 à Aix-la-Chapelle et médaillé argent collectivement aux Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, ndlr), qui ont performé à haut niveau dans le sport, ils ont déjà de bonnes relations avec les propriétaires, les sponsors et les chevaux. Cela explique pourquoi ils figurent déjà à un tel niveau à leur âge.

“Monaco est comme une voiture de sport”

Comme vous le confiiez avant le début de la finale, Monaco disputait son premier championnat à l’âge de treize ans. Il a prouvé qu’il était largement à la hauteur de l’enjeu…

J’étais curieux de voir comment il allait appréhender un championnat, sur plusieurs jours. Ce cheval ne cesse de me surprendre ! Il a déroulé ces trois jours de compétition avec beaucoup d’aisance. Il était encore plein d’énergie, très frais, après son dernier parcours et il aurait pu en sauter davantage. Je le savais déjà un peu, puisqu’il récupère toujours très rapidement après de grosses épreuves. Il a du Pur-Sang dans sa lignée maternelle (ce qui a sans doute été utile dans la réussite de son frère, Erroll Gobey, en concours complet, ndlr). Je ne sais pas si cela a un lien, mais Monaco est comme une voiture de sport. Son accélération est très rapide et légère. C’est comme si les efforts de la semaine dernière ne lui avaient pas demandé tant d’énergie que cela.

Monaco disputait son premier championnat à Leipzig. © Sportfot

Comment avez-vous croisé la route de Monaco, que vous montez en compétition depuis cinq ans ?

Je l’ai découvert par l’intermédiaire d’un bon ami en Italie, lorsqu’il avait sept ans. Je me suis rendu au Global Champions Tour de Rome et nous avons organisé un essai, à une trentaine de minutes du concours. Le cheval avait principalement participé à des concours régionaux et il n’était pas très connu. J’ai directement eu un bon sentiment avec lui. Il était très léger, vraiment comme une voiture de sport. Malgré tout, il y avait encore beaucoup de points d’interrogations. J’ai fini par suivre mon instinct et lui donner une chance.

Pensiez-vous qu’il pourrait devenir un cheval d’un championnat ?

Non, pas vraiment. Dans mon esprit, je l’ai toujours imaginé comme un super second cheval, qui pouvait évoluer au niveau 5*. Il a fait ses preuves dans ce rôle, mais il a même fini par dépasser mes attentes. Il progresse constamment avec l’expérience, devient de plus en plus mature et facile. J’ai été surpris par l’aisance avec laquelle il a enduré ce championnat.

Pourrait-il devenir votre nouveau Don VHP Z ou Emerald van’t Ruytershof ?

Je ne pense pas qu’il le sera, puisqu’il l’est déjà !

“Je ne pense pas avoir déjà monté un cheval avec autant de moyens que Bingo du Parc”

L’an dernier, vous avez monté Bingo du Parc (SF, Mylord Carthago x Diamant de Semilly), un hongre Selle Français issu de la même souche que Valmy de la Lande (SF, Mylord Carthago x Starter), aux Jeux olympiques de Tokyo. Quelles sont ses principales qualités et quels sont vos plans avec lui cette année ?

Bingo est un vrai concentré de puissance. Je ne pense pas avoir déjà monté un cheval avec autant de moyens. C’est un vrai battant, intrinsèquement et dans son caractère. Il veut toujours faire ses preuves, montrer qu’il peut le faire. Il est respectueux, mais je crois que sa principale qualité est son côté battant. Il n’est peut-être pas le cheval le plus athlétique, ou le plus léger, mais il a une puissance incroyable et une grande envie de bien faire. Il veut montrer aux autres chevaux et aux gens qu’il est aussi capable. Ce week-end, il sera à Lanaken pour disputer un petit concours, puis il devrait enchaîner les 5* de La Baule et Madrid au mois de mai.

Outre Monaco, Harrie Smolders peut compter sur le puissant Bingo du Parc, comme ici aux JO Tokyo. © Sportfot

Qu’en est-il de Dolinn (KWPN, Cardento x Lux Z), classée jusqu’au plus haut niveau, et Une de l’Othain (SF, Conterno Grande x Cento), qui vous avait notamment permis de remporter le Grand Prix 5* de Hambourg l’an dernier ?

Dolinn est en ce moment avec sa propriétaire, Jennifer Gates. Je l’avais emmenée à Wellington, où je l’ai montée un peu moi-même. Puis je suis parti quelques semaines au Qatar et en Europe pour concourir. Jennifer a eu un mois sans cours et je lui ai dit de la monter, puisqu’elle était déjà sur place. C’est aussi ce que nous avions fait un peu l’année dernière avec Monaco. Quand elle a le temps, Jennifer monte les chevaux, et quand elle en a moins, je prends le relais. Quant à Une de l’Othain, elle est rentrée de Wellington la semaine dernière. Elle devrait normalement participer au championnat néerlandais de saut d’obstacles la semaine prochaine.

Qu’attendez-vous de vos deux jeunes étalons, Escape (Z, Emerald van’t Ruytershof x Heartbreaker) et Uricas van de Kattevennen (Holst, Uriko x Cassini I) ?

Ces deux chevaux ont maintenant dix ans. À cause de la pandémie, et aussi du fait que j’ai passé beaucoup de temps en Amérique l’an dernier, ils sont probablement un peu en retard pour leur âge. Ils ont seulement fait huit ou neuf concours en 2021, ce qui n’est sans doute pas assez pour leur âge. Le plan pour cette année est de passer à la vitesse supérieure et de découvrir à quel point ils sont bons, et quel niveau leur convient le mieux. Peut-être sont-ils des chevaux pour sauter 1,50, 1,55 ou 1,60m. Ils ont tous les deux participé au CSI 3* de Leipzig (organisé en parallèle de la finale de la Coupe du monde, ndlr), et ils ont tous les deux étés bons. Uricas était double sans-faute dans le Grand Prix et je crois qu’il était l’un des chevaux les plus prometteurs de l’épreuve. Je vais me laisser surprendre cette année en leur donnant les opportunités nécessaires. Je suis très patient avec eux, parce que je pense qu’ils ont énormément de qualités. L’idée est d’alterner entre les niveaux et voir où cela nous mène.

Le styliste Uricas van de Kattevennen, ici à l'Hubside Jumping de Grimaud. © Sportfot

L’an dernier, Jos Verlooy a pris les rênes de Nixon van’t Meulenhof (BWP, Denzel van’t Meulenhof x Carthago Z), en qui vous fondiez de grands espoirs. Était-ce prévu et comment avez-vous accueilli la nouvelle ?

J’ai formé ce cheval de ses cinq à ses huit ans. Il est assez difficile pour Jos de trouver la relève et quelques-uns de ses meilleurs chevaux étaient blessés. Il lui manquait quelques montures et c’est pourquoi ils ont décidé de lui confier Nixon.

Vous pouvez compter sur le soutien des écuries Evergate, notamment gérées par Jennifer Gates, depuis plusieurs années. Comment se déroule votre collaboration ?

Tout est très naturel. Je suis vraiment reconnaissant d’avoir des partenaires aussi géniaux qu’Evergate pour me soutenir. Cela veut aussi dire que lorsqu’ils sont propriétaires d’un cheval, je n’ai pas besoin de me tracasser à savoir s’ils vont le vendre. Notre relation a débuté lorsque j’entraînais Jennifer. Au début, cela était assez intense puisqu’elle avait pris une année sabbatique pour se concentrer sur le sport et voir jusqu’où elle pouvait aller. Elle a atteint le niveau 5* et a connu du succès. Ensuite, avec la pandémie, elle devait choisir entre l’école et l’équitation. Comme tout était incertain, je lui ai suggéré de se concentrer à 100% sur ses études et de garder les chevaux à côté, pour son plaisir. Désormais, elle en est à sa troisième année en école de médecine. Elle est très, très occupée cette année et elle s’intéresse à tant de choses différentes ! Elle a vraiment tout mon respect pour cela. Mon rôle à Evergate est aussi d’être une source d’inspiration et de créer les bonnes circonstances pour que tout le monde performe. Lorsque quelqu’un de l’équipe fait face à des problèmes, je suis là pour trouver des solutions. En somme, je suis un peu un architecte de l’ombre.

Ce week-end, à Lanaken, vous présentez d’ailleurs l’excellent Darry Lou (KWPN, Tangelo van de Zuuthoeve x Nabab de Rêve), jusqu’alors vu avec Nayel Nassar. Qu’est-ce qui a motivé la décision de vous en confier les rênes ?

Nous sommes extrêmement chanceux de pouvoir compter sur une excellente équipe de chevaux et cavaliers. Notre volonté est de former les meilleurs couples possibles pour chaque cheval et chaque cavalier. À ce moment précis, cela faisait sens que Darry soit en Europe avec moi. Cela permet également à Evergate de l’utiliser davantage pour l’élevage.

Harrie Smolders et Darry Lou à Lanaken. © Sportfot

“Dans les prochaines années, il sera très important que les cavaliers s’ouvrent davantage” 

Rodrigo Pessoa, triple vainqueur de la finale de la Coupe du monde, confiait à GRANDPRIX que vous étiez sans doute le cavalier le plus sous-estimé du circuit international. Qu’en pensez-vous ?

Oh… Je ne sais pas. Je suis assez humble, mais j’apprécie sincèrement les compliments des meilleurs du monde. Lorsque ces mots viennent de ses collègues, ils veulent vraiment dire quelque chose et sont les plus précieux. J’ai reçu beaucoup de messages après la finale de la Coupe du monde de personnes qui ont apprécié regarder mes parcours et je suis très reconnaissant d’entendre cela. Ces quinze dernières années, nous avons fait partie du top 25 mondial. Cela prouve notre régularité et notre réussite dans la gestion de notre écurie, dans la découverte et la formation de chevaux. Cela a toujours été notre travail, mais ces dernières années j’ai pu compter sur de bons propriétaires, qui me permettent d’en faire davantage. J’ai plus de chances en championnat et dans le sport grâce à cela. Mes parents et moi n’avons pas d’antécédents dans les chevaux. Alors, cela m’a pris plus de temps de regrouper les bonnes circonstances et de réunir les bonnes personnes autour de moi.

Tout le monde s’accorde sur la qualité de votre équitation. Quel est votre secret ?

Comme je l’ai dit, je crois que la régularité est la clef du succès. Cela demande beaucoup de dévouement. Nous avons de bons programmes pour nos chevaux, mais nous devons aussi beaucoup nous employer. Nous travaillons huit jours par semaine.

Monaco, sa groom, et sa fidèle propriétaire, Jennifer Gates. © Digishots

Après avoir été presque imbattables entre 2014 et 2015, les Pays-Bas reviennent sur le devant de la scène depuis quelques mois. Quel regard portez-vous sur ce retour en force ?

Dans notre pays, tout le monde dit que nous manquons de chevaux, de ci et ça. Mais je crois que nous commençons à élargir notre réservoir, à avoir plus de couples capables de disputer des championnats en ce moment. Cela ne peut qu’être meilleur. Si nous avons plus de concurrents, cela va élever le niveau au sein de notre nation. Plus il y a de défi, mieux c’est. Nous nous tirons tous vers le haut. L’an dernier, nous avons eu Maikel (van der Vleuten, ndlr), qui était troisième aux Jeux olympiques avec Beauville, qui est dans un bon âge (douze ans, ndlr). Il y a aussi Monaco, qui est au top en ce moment. Nous avons d’autres duos cavalier cheval en réserve. Je pense que nous ne serons pas les favoris cette année, mais nous allons avoir une équipe solide.

L’an dernier, Rob Ehrens a été remplacé dans son rôle de chef d’équipe par le Belge Jos Lansink. Quelles sont vos premières impressions avec votre nouveau sélectionneur ?

Bien-sûr, nous n’en sommes qu’à nos débuts. Jos était présent à Leipzig. Nous avions eu quelques réunions avant, mais il s’agissait de son premier concours. Les premiers jours, il était principalement dans l’observation. Il m’a laissé faire les choses comme j’en ai l’habitude. Jos est évidemment un cavalier, entraîneur et marchand émérite. Il fait preuve de beaucoup de horsemanship et cela se ressent dans les conseils qu’il nous donne.

Le bien-être animal est au cœur des débats. En 2019, à Rotterdam, puis surtout après les Jeux olympiques de Tokyo, l’an dernier, de nombreuses voix se sont élevées contre les sports équestres. En tant que cavalier, que pouvez-vous dire ou faire pour prouver à ces personnes que l’équitation n’a pas que des mauvais côtés ?

Je pense que dans les prochaines années il sera très important pour nous, cavaliers, de s’ouvrir davantage, de montrer plus qui nous sommes, comment nous traitons et entraînons nos chevaux. Il faut montrer les tenants et les aboutissants, en dehors des deux minutes que nous passons en piste : comment nous préparons nos chevaux, la vie que nous leur offrons, et les traitements d’athlètes dont ils bénéficient. Ce sera une clef pour que ces personnes soient de notre côté et que nous puissions continuer à promouvoir notre sport.

L'an dernier, à Barcelone, l'équipe néerlandaise à remporter la finale du circuit des Coupes des nations Longines. ©  Lukasz Kowalski/FEI


Photo à la Une : Harrie Smolders et Monaco. © Sportfot