“Mon objectif est de faire de Nimrod de Muze un cheval de championnat”, Pedro Veniss
Assis face au Terrain d’honneur du Grand Parquet, quelques minutes après le dernier tour de piste d’Eden Leprevost-Blin Lebreton, sacrée championne de France Pro 1 dans la carrière voisine, Pedro Veniss s’est prêté au jeu des questions-réponses. Présent à Fontainebleau avec ses deux meilleures montures, Nimrod de Muze et Boeckmanns Lord Pezi Junior, le sympathique Brésilien a profité de l’événement bellifontain pour poursuivre sa montée en puissance, avant le grand début des Coupes des nations, prévu à La Baule, en fin de semaine. Malgré le départ à la retraite de son inoubliable Quabri de l’Isle, en pleine forme dans sa nouvelle vie de jeune retraité, ce passionné de surf, désormais installé près de Barcelone, en Espagne, briguera une sélection pour les championnats du Monde de Herning, l’été prochain. Toujours engagé pour défendre son sport, le philosophe Auriverde évoque également quelques grands sujets d’actualité. Entretien.
Comment vous sentez-vous, ici, à Fontainebleau et qu’est-ce qui vous a motivé à participer à ce concours ?
Je suis très fan des concours en France. J’ai pris part à plusieurs compétitions à Fontainebleau et il s’agit d’un endroit que j’aime beaucoup. Je n’étais plus venu depuis les travaux (visant à rénover le site du Grand Parquet, ndlr), et je ne peux que féliciter tout le monde parce que le résultat est vraiment fantastique. Fontainebleau était déjà un bon site avant, mais maintenant, c’est encore mieux ! Je suis très content d’être là.
Quels sont vos objectifs pour ce week-end ?
Mes chevaux ont bien sauté cette semaine. J’ai monté Lord (Boeckmanns Lord Pezi Junior, Old, Lord Pezi x Quattro B, ndlr) le premier jour et Nimrod (de Muze, ndlr) le deuxième. J’ai été classé, même si ce n’était pas très haut dans le classement (rires). Mon objectif est maintenant le Grand Prix de demain (entretien réalisé le samedi 23 avril, ndlr), pour lequel je monterai Lord (le couple a terminé huitième, après une faute lors de l’acte initial, ndlr). Nimrod a très bien sauté hier et sera au repos aujourd’hui et demain. Ensuite, j’attends avec impatience les prochaines tournées espagnoles pour passer quelques semaines à la maison (rires).
Comment avez-vous rencontré Nimrod de Muze (BWP, Nabab de Rêve x Tinka’s Boy), douze ans, avec qui vous avez remporté un Grand Prix 4* en début d’année à Vejer de la Frontera ?
J’ai reçu une vidéo de lui lorsqu’il avait huit ans. Je l’ai directement apprécié, puis je l’ai vu en concours, à Gijon, au mois de septembre. Ma première impression s’est confirmée et j’ai rencontré ses propriétaires. Ils m’ont demandé si je pouvais venir chez eux, pour le monter et leur donner mon avis. Je l’ai tout de suite beaucoup aimé quand je l’ai essayé et ils me l’ont confié. Cela va maintenant faire deux ans et demi que je fais travailler Nimrod. Dès qu’il est arrivé, j’ai tout de suite senti qu’il était très bon, même s’il y avait encore beaucoup de boulot à faire sur son physique. Aujourd’hui, je suis très content que mon travail aboutisse à des résultats. Nimrod a très bien commencé la saison, puisque nous avons gagné un Grand Prix 4* ensemble au Sunshine Tour. Le chemin vers le niveau 5* est encore long, mais je pense que cette année va lui permettre de prendre de l’expérience. L’an prochain, il devrait être prêt pour obtenir de bons résultats.
Comment décririez-vous son caractère ?
Super ! C’est un hongre. Il est hyper gentil, vraiment adorable. En revanche, à la maison, il faut se méfier. Il peut parfois donner l’impression d’être un peu fainéant, et puis, d’un coup, s’il voit quelque chose, il peut passer du cheval le plus calme au monde au plus explosif ! Il faut faire attention et ne jamais croire qu’il va rester tranquille (rires).
Pourrait-il devenir un cheval de championnat à l’avenir ?
Oui. Nimrod est très régulier, ce qui est une qualité que l’on retrouve souvent chez ces chevaux-là. Il arrive à répéter ses parcours. Mon objectif est d’en faire un cheval de championnat.
Sur quels autres chevaux pouvez-vous compter à haut niveau ?
Cette année j’ai encore Lord, un étalon qui a très bien sauté l’année passée. Il a signé un double zéro dans la finale (du circuit des Coupes des nations Longines, ndlr) à Barcelone. Je pense qu’il s’agit d’une épreuve très difficile. Nous avons aussi fait de bonnes choses dans le Grand Prix 5* à Saint Tropez (le couple a terminé cinquième d’un temps fort de l’Hubside Jumping de Grimaud, ndlr). J’ai eu un peu de mal avec ce cheval au début. Nous avons commencé par gagner immédiatement au niveau 3*, puis, je lui ai peut-être laissé trop de libertés. Lord a un caractère allemand. J’ai ensuite été obligé de modifier mon système de travail avec lui. Cela a l’air de fonctionner ; je pense que j’ai trouvé un bon mélange, entre le fait de le garder discipliné et d’entretenir son moral.
Quid des jeunes chevaux ? En avez-vous dans votre piquet de chevaux qui pourraient atteindre le haut niveau dans quelques années ?
J’ai deux jeunes, un sept ans et un huit ans, qui me semblent prometteurs. Le plus jeune (Jobolensky Sitte, ndlr) est un étalon, fils de Cornet Obolensky. Je crois qu’il a un bon potentiel. Le second s’appelle Diferencio (van het Lindenhof Z, ndlr). Il est issu du croisement entre Diamant de Semilly et Darco et devrait aussi être un cheval d’avenir.
“De mon point de vue, Philippe Guerdat est le meilleur entraîneur du monde”
Allez-vous briguer une participation aux Mondiaux de Herning cet été, au Danemark ?
Je vais essayer. Mes deux chevaux ont très bien sauté en début d’année au Sunshine Tour. Mon prochain objectif est La Baule (du 5 au 8 mai, ndlr). J’aime beaucoup les championnats, donc j’aimerais vraiment être présent à Herning. Toutefois, il faut que j’obtienne de bons résultats et que mes chevaux et moi soyons en forme pour pouvoir être sélectionnés.
Depuis un peu plus de trois ans maintenant, Philippe Guerdat, qui avait conduit la France à l’or olympique à Rio en 2016, évolue à la tête de l’équipe brésilienne de saut d’obstacles. Qu’apporte-t-il à votre délégation ?
Pour moi, c’est une expérience incroyable. De mon point de vue, Philippe est le meilleur entraîneur du monde et nous avons une chance immense de profiter de ses conseils. Il a fait un super travail avec notre équipe. Avant lui, Jean-Maurice Bonneau avait déjà fait un boulot formidable. C’est lui qui a commencé lorsque Marlon (Modolo Zanotelli, ndlr) était jeune. J’ai disputé beaucoup de concours avec Jean-Maurice, des Coupes des nations 3*, des épreuves de deuxième ligue, etc. Nous avons formé des nouveaux couples, des nouveaux cavaliers brésiliens de cette façon-là. Désormais, ils concourent en 5*. Philippe a continué dans cette voie et nous sommes tous très, très contents de pouvoir compter sur lui. J’espère que notre aventure commune durera le plus longtemps possible ! (rires)
Peut-on imaginer revoir l’équipe brésilienne sur un podium lors d’un grand championnat ?
Nous travaillons en tout cas pour cela. Nous avons été médaillés (de bronze, ndlr) à Atlanta et Sydney (aux Jeux olympiques, en 1994 et 2000, ndlr). Nous faisons tout pour, un jour, retrouver un podium olympique. Le sport a changé : il faut des meilleurs chevaux, qui coûtent aussi beaucoup plus cher. Tout est un peu plus difficile, mais je pense que nous avons d’excellents cavaliers. Il y a une super ambiance dans l’équipe, nous sommes toujours ensemble et essayons de nous entraider. Nous allons faire de notre mieux pour obtenir de nouvelles médailles.
Comment se porte votre cher Quabri de l’Isle, fraîchement retraité ?
Il va super bien ! J’ai reçu une vidéo de lui en prairie pas plus tard qu’avant-hier. Il est beau comme tout. Il fait la saison de monte en frais en Belgique cette année. Normalement, je vais lui rendre visite la semaine prochaine.
“Je n’ai jamais été d’accord avec le nouveau format olympique et je ne le serai jamais”
Votre dernier concours ensemble aura été les Jeux olympiques de Tokyo, l’été dernier. Quel bilan tirez-vous de cette édition 2021 si singulière ?
Ces Jeux olympiques étaient différents. Avec le Covid, il n’y avait pas la même ambiance qu’habituellement. C’était très bizarre de voir toutes les tribunes vides. Dans le village olympique, tout le monde portait un masque, tout le monde avait peur. Nous devions nous tester tous les jours ; en deux minutes, tout pouvait basculer et on pouvait se retrouver à faire une quarantaine dans un hôtel à côté (rires). Il y avait beaucoup de tensions à cause de la pandémie. Avec Quabri, nous n’avons pas pu suivre la préparation que nous voulions (le couple ne devait initialement pas participer à l’échéance nippone, ndlr). Malgré tout, il a montré une nouvelle fois à quel point il est juste incroyable. Nous avons fait le choix de ne disputer que la Coupe des nations et il a sauté la première manche de façon magnifique. Il n’avait pas sauté du tout avant et il a directement couru cette épreuve. Il a été formidable. En deuxième manche, je le sentais moins en forme, j’avais le sentiment qu’il était moins bien au paddock. J’ai beaucoup hésité à entrer en piste ou non. Avec le nouveau format, ma décision était encore plus difficile, puisque si je n’avais pas pris le départ, nous n’aurions eu aucune chance. On perd rapidement sa motivation dans des cas comme cela. Je n’ai pas très bien monté mon parcours, mais je tâche de me souvenir du sentiment que m’a donné Quabri en première manche. Il s’est baladé. Ce cheval a quand même fait deux Jeux olympiques, deux championnats du monde et deux Jeux panaméricains. C’est simplement incroyable.
Le nouveau format des Jeux olympiques, avec trois cavaliers et aucun joker, a été remis en question par de nombreux cavaliers, dont vous faites partie. Pourtant, lors de la dernière Assemblée générale de la Fédération équestre internationale (FEI), en octobre, ce dernier a été entériné pour Paris 2024. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle et avez-vous encore des moyens pour faire bouger les lignes ?
Cette décision de rester à trois cavaliers est malheureuse. Ce n’était pas du tout l’envie des cavaliers. La FEI affirme qu’il s’agit d’une volonté du Comité olympique. Je trouve que ce que nous avons vu à Tokyo a prouvé que le format d’avant était mieux. Nous avons tout essayé pour faire changer les choses, mais cela n’a pas fonctionné. Dans notre malheur, nous avons au moins obtenu une petite modification, puisque la Coupe des nations se jouera avant les épreuves individuelles. Maintenant, j’espère que nos instances vont revenir à une formule avec quatre cavaliers et un drop score pour Los Angeles (où se joueront les Jeux olympiques de 2028, ndlr).
Les principales raisons invoquées pour justifier ce choix reposent, d’une part, sur une meilleure compréhension de la compétition par un public non-initié, et, d’autre part, sur une ouverture à davantage de nations, notamment émergentes. N’y aurait-il pas d’autres moyens de parvenir à ces fins ?
Je n’ai jamais été d’accord avec ce changement et je ne le serai jamais. Je ne pense pas qu’il soit difficile de comprendre une formule avec quatre cavaliers et un drop score. Avoir plus de nations est, à mon sens, une bonne chose sur le principe, mais si ces pays ne sont pas au niveau attendu, cela n’est pas positif pour le sport (lors de son Forum des sports, qui se tenait à Lausanne en début de semaine, la FEI a accepté de relever les minima qualificatifs pour les JO, ndlr). Ces décisions appartiennent au Comité olympiques et il ne nous reste plus qu’à espérer que nous puissions revenir à l’ancien format à Los Angeles.
“J’espère que les terrains en herbe perdureront”
Pensez-vous qu’il est important que les cavaliers s’expriment sur leurs idées, qu’ils prennent position pour ce qu’ils pensent juste pour le sport ?
Oui, je crois que c’est même très important. Nous le voyons bien aujourd’hui, dans la vie moderne, avec les réseaux sociaux et toutes les critiques que peuvent formuler les animalistes. Les gens qui parlent de cela ne se rendent pas compte de la réalité du terrain, d’à quel point nous traitons bien nos chevaux, les aimons. Beaucoup de chevaux sont heureux d’être en concours et éprouvent du plaisir en compétition. J’aurais bien aimé que l’une de ces personnes viennent à la maison pour voir à quel point Quabri était triste lorsqu’il voyait partir le camion, sans lui, en concours. Le jour où il s’est rendu à Genève, pour prendre officiellement sa retraite, il était content comme tout. Je pense qu’il est primordial, pour nous, cavaliers, de montrer la relation que nous avons avec nos chevaux. Je crois qu’il n’y a rien de plus beau que d’être connecté avec son cheval et de partager son plaisir à sauter et travailler.
Harrie Smolders suggérait par exemple d’ouvrir davantage les portes des écuries, afin que le grand public ne se base pas uniquement sur les quelques secondes passées en piste par les chevaux. Que pensez-vous de cela ?
C’est une très bonne idée. Harrie est quelqu’un que j’apprécie beaucoup, un vrai Homme de cheval et un grand cavalier. Ce serait une bonne chose de pouvoir montrer, avec les médias, tout ce que nous faisons, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept pour nos chevaux. Cela permettrait à nos détracteurs de voir que nous nous occupons bien de nos chevaux et qu’ils sont heureux. Parfois, on voit des équidés dont personne ne s’occupe, du moins pas autant que nous le faisons à haut niveau, et ils ne sont pas aussi joyeux que les nôtres.
Avec toutes ces critiques, craignez-vous pour l’avenir des sports équestres ?
Non, pas vraiment. J’espère que dans quelques années le monde va revenir un petit peu comme il était avant. Le concours hippique reste un sport, et il peut y avoir des accidents, comme dans n’importe quelle autre discipline. La majorité des chevaux éprouve un grand plaisir à sauter en concours. Pour nous, cavaliers, il n’y a rien de mieux qu’un cheval heureux de faire de la compétition.
L’écologie fait également partie des grands sujets du monde actuel. Est-ce une préoccupation compatible avec les sports équestres, qui impliquent de fréquents déplacements, souvent lointains ?
Les choses ont profondément changé. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de concours, les déplacements sont plus longs qu’avant, mais c’est à l’image de la vie : tout va beaucoup plus vite. Comme je le disais, j’espère que dans le futur, nous arriverons à ralentir les choses. La technologie est une bonne chose, aller vite aussi, mais il faut trouver le juste équilibre. Avant, lorsque le rythme de vie était un peu plus tranquille, c’était bien aussi !
Ce week-end, le Terrain d’honneur du Grand Parquet n’est pas utilisé. Dans le même temps, de plus en plus de pistes sont recouvertes de sable. Pensez-vous que ces terrains mythiques aient encore de l’avenir ?
J’adore les concours sur l’herbe et je suis un grand fan des de ces terrains-là. La piste ici est magnifique, mais, de temps en temps, la météo du printemps peut présenter des risques. Ce week-end, avec les championnats de France et les nombreuses épreuves organisées en même temps, utiliser exceptionnellement les deux carrières en sable était une bonne idée. Mais voir cette piste, comme cela, sans obstacle, ça donne envie de sauter (rires). J’espère que les terrains en herbe perdureront. Je monte beaucoup sur l’herbe à la maison et pour les chevaux, il s’agit d’un sol plus naturel. J’ai un meilleur ressenti sur le déplacement de mes montures sur l’herbe. J’espère que nous allons continuer à pouvoir profiter de ces concours traditionnels. Pour moi, sur un bon terrain en herbe, même lorsqu’il ne fait pas très beau, les chevaux n’ont pas de mal à sauter.
Ces dernières semaines, la jeune génération monte vraiment en puissance, comme elle l’a montré à Leipzig, lors de la finale de la Coupe du monde Longines. Quel regard portez-vous sur ces nouveaux visages du haut niveau ?
L’évolution du niveau de l’équitation est incroyable. Il a dix, quinze ans de cela, Néco (Nelson Pessoa, ndlr) me disait déjà “Pedro, la quantité de cracks cavaliers et chevaux est incroyable”. À l’époque, cela représentait un petit groupe de personnes, et aujourd’hui, c’est phénoménal. On voit des jeunes cavaliers, comme Jack Whitaker, ou même Eden Leprevost, qui vient de gagner les championnats de France (dans la catégorie Pro 1, ndlr), être très performants. C’est l’évolution de notre sport. D’un côté, cela nous pousse à travailler encore plus et à continuer de nous améliorer ; cela nous motive.
Quelle est votre philosophie dans la vie ?
J’essaye d’être le plus positif possible. Je pense que la vie est très courte et que j’ai énormément de chance de pouvoir faire de ma passion mon métier. Le plus important reste la santé. Si tout le monde est en bonne santé, il ne faut pas voir le négatif, travailler et être heureux.
En dehors des chevaux, avez-vous d’autres centres d’intérêt ?
J’ai toujours été passionné par le surf. J’ai commencé tout petit, au Brésil, puis j’ai passé vingt ans en Belgique. J’avais beaucoup de travail et peu de temps libre. Maintenant que j’habite en Espagne, j’essaye d’avoir un peu plus de temps pour le surf. C’est quelque chose que j’adore. J’arrive à me vider la tête, à être dans la mer, dans la nature et je ne pense qu’à mes vagues (rires). C’est aussi un sport incroyable et une vraie passion.
Photo à la Une : Pedro Veniss, devant le Terrain d’honneur du Grand Parquet, à Fontainebleau. © Mélina Massias