Michael Blake, Susan Fitzpatrick, Darragh Kenny et Denis Lynch analysent le succès des troupes irlandaises
L’hymne national irlandais n’a de cesse de retentir sur les terrains de compétitions internationales ces derniers temps. De Wellington à Vejer de la Frontera, en passant par Vilamoura, Abou Dabi ou encore Charjah et Barcelone, les Vestes Vertes se sont montrées redoutables. Mais comment expliquer un tel succès ? Michael Blake, chef d’équipe du trèfle irlandais, Susan Fitzpatrick, Darragh Kenny et Denis Lynch, tous trois cavaliers de haut niveau, apportent des éléments de réponse.
Bertram Allen, Darragh Kenny, Mark McAuley, Susan Fitzpatrick, Conor Swail, Denis Lynch, Daniel Coyle, Shane Breen, Shane Sweetnam, Michael Pender, Paul O’Shea, David Simpson, ... ; tous ces cavaliers ont au moins terminé dans le top 3 d’un Grand Prix 4* ces six derniers mois. En plus des résultats individuels des représentants irlandais, s’ajoutent des performances en Coupes des nations, avec une victoire au CSIO 3* Vilamoura en fin d’année dernière, suivie d’un succès au CSIO 5* d’Abou Dabi, puis au CSIO 4* de Wellington, quelques semaines après une deuxième place lors de la finale du circuit FEI, à Barcelone, en octobre dernier, ainsi que sur le circuit de la Coupe du monde Longines, puisque les deux ligues les plus disputées, celles d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, ont été dominées par Denis Lynch et Conor Swail. Avec onze cavaliers parmi les cent meilleurs du classement mondial Longines édité par la Fédération équestre internationale (FEI), l’Irlande est la troisième nation la plus représentée, derrière les États-Unis et la Belgique. En bref, les Gaéliques sont en pleine forme. Mais alors, comment expliquer cette insolente réussite ? Éléments de réponse avec le chef d’équipe national, Michael Blake, et trois cavaliers émérites : Susan Fitzpatrick, Darragh Kenny et Denis Lynch.
Si les Irlandais ont été couronnés de succès partout à travers le globe ces dernières semaines, la Floride semblait être the place to be pour une grande majorité d’entre eux. “Chaque année, nous venons à Wellington et mettons un point d’honneur à faire de concours un objectif majeur pour nous”, débute Michael Blake. “Les cavaliers saisissent aussi cette opportunité pour se mettre en avant à l’approche du reste de la saison. Ici, nous avons quarante-huit cavaliers qui participent aux épreuves internationales, ce qui est considérable. Dans un Grand Prix à quarante ou quarante-cinq, on peut avoir entre dix et douze Irlandais, ce qui est déjà conséquent. D’autres pilotes peuvent aussi choisir d’aller au Sunshine Tour, qui est devenu très populaire ces dernières années, mais Wellington reste une étape importante dans la préparation des Coupes des nations. Avec les concours en Espagne, cela nous permet d’établir un plan pour la suite de l’année. Pour autant, nous faisons attention à ne pas trop user les chevaux et à ne pas nous éloigner des échéances majeures. Nous devons carburer jusqu’à la finale des Coupes des nations de Barcelone et nous voulons obtenir des résultats significatifs.”
Une grande compréhension des chevaux
Titulaire de trois victoires consécutives en Grand Prix outre-Atlantique il y a quelques semaines, Bertram Allen fait partie des habitués de Wellington. Questionné sur l’hégémonie de son pays après sa moisson, le jeune homme évoquait la forte culture équestre présente au sein du clan irlandais. Son compatriote, Darragh Kenny, abonde en ce sens : “Nous avons une nation qui aime les chevaux et les sports équestres. C’est formidable de faire partie de cela et de voir tout le monde réussir. Je crois que l’apprentissage du horsemanship lorsque nous sommes jeunes et la façon dont on nous enseigne à prendre soin des chevaux sont très bons en Irlande. Dès notre plus jeune âge, nous comprenons très bien les chevaux. Je ne sais pas si notre culture est différente de celle des autres pays, mais nous engrangeons beaucoup d’expériences : nous montons beaucoup à poney, faisons de la chasse à courre, de grandes galopades dans les champs ; je pense que nous apprenons simplement à vivre avec les chevaux.”
Plus qu’une question de culture, la compréhension juste de l’animal semble être l’une des forces des Irlandais. “Je ne suis pas issu de ce milieu ; ma mère et mon père n'avaient aucun lien avec les chevaux”, explique Denis Lynch. “Je pense que beaucoup de cavaliers irlandais, surtout les jeunes, pratiquent le saut d’obstacles, le complet, les courses, le dressage, etc. Ils ont cette très bonne relation avec l’animal, avec les chevaux, qui leur confère une base solide. Nous grandissons avec cela et je pense que c’est là que tout commence.” Michael Blake et Susan Fitzpatrick confirment. “La façon dont les cavaliers s’entraînent et comprennent les chevaux en Irlande est très importante. Nous sommes un pays de chevaux et la profonde compréhension du cheval aide les pilotes sur le long terme. N’importe qui peut rencontrer du succès à court ou moyen terme, mais la réussite à long terme est plus difficile à atteindre. Trop de cavaliers viennent simplement pour monter à cheval, sans autre connaissance. Les Irlandais ont une véritable relation avec leurs montures : ils les connaissent bien au-delà de la piste. Ils savent ce que leurs chevaux aiment ou n’aiment pas, comment ils se comportent aux écuries, etc”, note le chef d’équipe. Et Susan Fitzpatrick de compléter : “Nous sommes très, très chanceux d’avoir beaucoup d’excellents cavaliers venant d’Irlande. Nous avons une culture équestre importante. La plupart des cavaliers a grandi autour des chevaux. C’est un immense privilège de faire partie de cela. Je suis aussi très reconnaissante envers nos propriétaires.”
“L’état d’esprit dépend beaucoup du manager”, Denis Lynch
Reconnus pour leur force de travail, les Irlandais apprennent dès leurs débuts à faire leurs preuves. “Lorsqu’on est enfant en Irlande, on a presque toujours un poney. Les jeunes pratiquent toutes sortes de disciplines et cela fait partie de notre culture. Certains sont plus riches que d’autres, mais la plupart des cavaliers ont travaillé dur, en débutant en poney-club. Ils ont souvent échangé des leçons contre un coup de main dans les écuries et ont gravi les échelons comme cela. Certains ne sont peut-être pas issus du milieu mais ont tout fait pour prendre des cours, aller en compétition et éveiller l’intérêt de leurs parents. Les sacrifices et la ténacité pour réussir rendent les résultats de nos cavaliers encore plus forts. Je crois que l’une des principales qualités des Irlandais est qu’ils travaillent plus dur que n’importe qui. Ils ont soif de réussite et comprennent les chevaux en long, en large et en travers”, reprend Michael Blake.
Pour autant, l’Irlande ne permet pas toujours, voire rarement, aux cavaliers d’évoluer convenablement à haut niveau tout en restant basé “à domicile”. Ainsi, la plupart des pilotes ont dû quitter leur pays pour poser leurs valises en Belgique, Allemagne, aux Pays-Bas ou même en France. “Beaucoup de jeunes Irlandais ont soif de réussite parce que, malheureusement, la plupart d’entre nous a dû, comme je l’ai fait il y a vingt-huit ans, quitter notre pays pour tenter d’avoir une stabilité pour pratiquer le sport que nous aimons. En Irlande, nous n’avons pas une base assez solide pour progresser à haut niveau, ce qui est vraiment dommage”, déplore Denis Lynch. “C’est quelque chose auquel nous devons vraiment penser. J’espère qu’au cours de la prochaine décennie, nous aurons un plus grand nombre de ces bons cavaliers installés sur place et pratiquant leur sport là-bas Ce serait incroyable d’avoir davantage de compétitions de haut niveau en Irlande, comme cela est le cas avec les courses, qui sont maintenant au même niveau que ce qui se fait en France, en Angleterre ou en Amérique.”
Malgré tout, ces aléas de la vie et l’éloignement géographique semblent donner aux Irlandais un supplément d’âme pour performer en compétition. Depuis le passage du Brésilien Rodrigo Pessoa, qui avait officié à la tête de l’équipe nationale entre 2016 et 2019, le Trèfle semble avoir retrouvé un véritable esprit d’équipe, essentiel à haut niveau. “Les années où nous avons été forts, comme celles où nous l’avons moins été, j’ai toujours été fier d’être Irlandais. Je crois que tout le monde devrait être fier de représenter son pays”, poursuit Denis Lynch. “Je crois que l’état d’esprit dépend beaucoup du manager en charge de l’équipe. S’il effectue bien son travail et gère correctement les cavaliers, nous avons automatiquement une bonne ambiance. Ces vingt dernières années, j’ai connu des bons états d’esprit comme des mauvais. Mais rien ne peut être tout rose tout le temps, surtout lorsqu’il s’agit de Coupes des nations et de championnats avec les attentes qui reposent sur nos épaules et la volonté de bien faire. Comme chacun sait, ce sport est plein d’émotions. [...] En règle générale, l’esprit d’équipe dépend beaucoup de la personne en charge, de sa façon de traiter chaque personne. En tout cas, il y a une bonne ambiance entre toutes les générations, les jeunes et moins jeunes.” Ce que plussoie Susan Fitzpatrick, qui fête son vingt-troisième anniversaire ce 5 avril : “Je crois que nous avons un bon système en Irlande. Beaucoup de cavaliers expérimentés essayent de transmettre leur expérience à la jeune génération. Nous sommes chanceux de bénéficier de cette culture, qui perdurent depuis de nombreuses années, et des conseils des entraîneurs, qui n'hésitent jamais à tendre la main aux plus jeunes. Nous recevons toujours le meilleur coaching possible.” Darragh Kenny partage également cet avis et estime que l’état d’esprit général est très positif.
Deux médailles collectives en vingt ans
Comme toujours dans le sport, et encore davantage en équitation, la réussite ne peut se résumer aux seules performances des chevaux et cavaliers. Autour d’eux, officient de grandes équipes, dédiées au bien-être des animaux. Éleveurs, grooms, propriétaires, vétérinaires, maréchaux-ferrants, ostéopathes, … sont autant de corps de métier primordiaux pour entrevoir le succès. “Il faut un village entier”, glisse Michael Blake.
Face aux récents résultats, l’Irlande apparaît logiquement comme une favorite pour les prochains championnats, à commencer par les Mondiaux de Herning. Mais comme le rappelle Denis Lynch, il ne sert à rien d’avoir des individualités performantes si leurs résultats ne se concrétisent pas collectivement. “Lorsque nous regardons notre histoire, nous avons seulement gagné deux médailles par équipes, ce qui renvoie à la question du manager. Individuellement, nous sommes incroyables, et l’avons toujours été. Dans les épreuves par équipe, malheureusement, nous n’avons pas connu autant de succès. La première médaille d’or que nous avons obtenue était à Arnhem, en 2001, puis la seconde était à Göteborg, à laquelle j’ai eu la chance de contribuer (avant cela, l’Irlande s’était seulement parée de bronze en 1979, à Rotterdam, aux Pays-Bas, ndlr). Je pense que les gens devraient se fixer l’objectif d’être performant lors des grandes échéances. Votre cheval de championnat ne peut pas concourir toutes les semaines pour tenter de remporter de l’argent. Si votre but est d’être dans l’équipe, il faut construire autour de cela et avoir la forme adéquate. J’espère sincèrement que le management et les cavaliers sélectionnables vont se fixer l'objectif d’être performant en championnat. C’est très important”, analyse Denis Lynch, dont les mots ont beaucoup de sens. À l'inverse, il convient de souligner que les équipes jeunes récoltent régulièrement des médailles collectives.
“L’une des raisons de ce manque de médailles collectives est sans doute la malchance”, plaide Susan Fitzpatrick. “Je n’envie pas le rôle du chef d’équipe ! Il est très difficile de choisir une équipe, et ce pour n’importe quel pays. Il faut sélectionner les bons couples et qu’ils soient en forme au bon moment. Je pense qu’il y a une part de malchance, car nous avons un excellent système et tous les cavaliers ont vraiment envie de performer et sont extrêmement talentueux. Le moment viendra où tout se mettra en place et nous obtiendrons ces résultats à nouveau en tant que collectif.”
Une chose est certaine : Michael Blake est aussi motivé que ses cavaliers, si ce n’est plus. “Je suis simplement ravi de pouvoir travailler avec un groupe si talentueux. Pouvoir compter sur de tels cavaliers rend mon travail facile. Ils sont tous très professionnels et savent ce qu’ils doivent faire. Lorsque nous établissons un plan, ils s’y tiennent. C’est très important. La différence entre la réussite et l’échec peut être très mince. La pire chose serait d’être complaisant. Il n’y a rien de tel qu’un cheval pour vous faire mentir. Mon père m’a un jour expliqué qu’en entrant dans le monde des chevaux, il fallait apprendre à gagner, mais aussi à perdre, car ce sport est composé à 90% de désespoir, et à 10% de joie. J’ai essayé de faire tourner ces statistiques en faveur du succès, mais il voit savoir appréhender les déboires”, complète Michael Blake. “Je suis extrêmement fier d’être le chef d’équipe d’une telle nation de cavaliers. Je ne pouvais pas rêver d’un meilleur job. Je vis pour ce que je fais et j’aime mon métier. Ce n’est pas du travail pour moi : c’est mon rêve, ma passion, d’amener l’Irlande à devenir la meilleure équipe du monde. J’espère pouvoir y parvenir pendant mes années en tant que chef d'équipe.” Rendez-vous à Herning, début août !
Photo à la Une : © FEI/Martin Dokoupil