“Martin Fuchs donne une bonne image de notre sport”, Laurent Elias
Pour ce quatrième et dernier volet de notre série d’analyses sur les épreuves de la finale de la Coupe du monde Longines de saut d’obstacles, Laurent Elias dresse le bilan de ce beau championnat, lors duquel le grand sport était bel et bien au rendez-vous. L’ancien sélectionneur des équipes de France Séniors ne peut que saluer la performance de Frank Rothenberger, qui a fait un sans-faute tout au long de la semaine dans la construction de ses parcours, mais aussi les prestations de la jeune génération, représentée en premier lieu par les Britanniques Jack Whitaker et Harry Charles, aussi solides que brillants. Le technicien revient également sur la faute malheureuse mais ô combien coûteuse de Grégory Cottard et Bibici, et bien-sûr sur le sacre du prodige Martin Fuchs.
Quel bilan tirez-vous de la quarante-deuxième édition de la finale de la Coupe du monde ?
D’abord, j’ai trouvé qu’il s’agissait d’un magnifique championnat du monde indoor. Le chef de piste (Frank Rothenberger, ndlr) a fait un sans-faute de bout en bout. C’est ce que j’espérais et je trouve que tous les parcours ont été très, très bien dosés pour les chevaux. Nous avons vu des montures très bien finir la deuxième manche. Il y a eu un vrai suspense jusqu’à la fin, puisque nous avons assisté à des retournements de situation que nous n’imaginions pas obligatoirement. Perdre deux leaders (Harrie Smolders et McLain Ward, qui tenaient la corde à égalité avant le second parcours de dimanche, ndlr) est rare. McLain avait de l’avance, puis il a fait une finale assez moyenne avec trois fautes. C’est beaucoup. La machine à sans-faute a plié en fin de course. Il avait en plus un bonus d’une faute avant de partir, ce qui était un avantage considérable. Au moment d’attaquer la deuxième manche, il se retrouve en tête à égalité, et ses deux fautes le font plonger dans le classement. C’était un scénario difficile à imaginer, tant ces cavaliers sont expérimentés et ont un mental suffisamment fort pour ne pas flancher.
Qu’avez-vous pensé de l’ultime journée de compétition, qui a sacré Martin Fuchs ?
Derrière ces cavaliers expérimentés, il y avait toute la fougue de la jeunesse qui pousse. Bien qu’il ait un palmarès énorme, Martin Fuchs en fait toujours partie. Sa victoire n’est même pas une surprise. Nous étions un petit peu inquiets vendredi, car le cheval qu’il avait choisi (The Sinner, ndlr) semblait plus difficile à manœuvrer que Chaplin, qui l’accompagnait dimanche. Finalement, c’était une bonne stratégie, bien qu’un peu risquée. Chaplin a magnifiquement répondu présent dans la finale. On a senti un peu de fébrilité dans la deuxième manche, sur la palanque, qu’il a abordée très rapidement en supprimant une foulée. Mais Martin a été royal. À son âge, c’est un garçon qui a un palmarès inouï. Il n’a raté aucun des derniers championnats qu’il a courus, à part les Jeux olympiques, où les Suisses n’étaient pas à leur niveau. Le reste… champion d’Europe (en individuel à Rotterdam en 2019, puis par équipe à Riesenbeck en 2021, où le pilote était également médaillé d’argent individuel, ndlr), vice-champion du monde, vainqueur d’une Coupe du monde. C’est extraordinaire à son âge (vingt-neuf, ndlr). Très peu ont réussi à réitérer tant d’exploit à ce niveau aussi jeune.
Quand on gagne, il ne faut pas oublier l’équipe en coulisses. Celle de Martin, on la connaît, avec notamment son entraîneur et celui de Steve (Guerdat, ndlr) : Thomas Fuchs. Quand on obtient ce niveau de résultat à répétition, chapeau. Les cavaliers ne sont pas seuls : le staff et les systèmes qui fonctionnent avec eux sont extrêmement bien rodés et performants. Martin a acquis une vraie maturité. Il donne en plus une bonne image de notre sport. Il rend à ses chevaux ce qu’ils lui donnent. Il est heureux, oui, mais avec ses chevaux. L’accident de son cheval (Clooney 51, gravement blessé à une épaule après une chute au pré l’été dernier, ndlr) l’avait beaucoup affecté, mais il est reparti dans le haut niveau avec d’autres chevaux, en restant tout aussi performant. Il avait notamment gagné le Grand Prix de Genève avec un autre cheval (Leone Jei, récompensé de deux médailles aux Européens Longines de Riesenbeck, ndlr). Il est partout ! Il a un piquet de chevaux conséquent au niveau 5* et tout est parfaitement managé, dans ses choix d’échéances, etc.
“Ce modèle de championnat est juste sportivement”
Selon vous, quel rôle a pu jouer la pression lors de cette finale, où sept couples du Top 10 ont au moins concédé une faute lors d’un des deux tours ?
Je pense que c’est là où la finale était parfaitement dosée. Les parcours étaient délicats, mais pas insurmontables. Ils étaient suffisamment subtils pour qu’il n’y ait que trois doubles zéro - ce qui est très peu - de Martin, Jens Fredricson et David Will. Il s’agissait indéniablement d’une finale difficile avec deux parcours. Il fallait être présent tout le temps et ne rien lâcher. Les chronomètres étaient bien réglés, pas ahurissants, mais ils imposaient d’être dans le tempo. Le temps a d’ailleurs vraiment compté, puisqu’il a coûté un podium à Jack Whitaker. Son cheval (Equine America Valmy de la Lande, ndlr) n’est pas le plus rapide de la terre. Il l’a monté au millimètre et il manquait trois fois rien. Même ce petit défaut de tempo a eu une incidence considérable. Il n’est pas loin : il est cinquième. Mais cinquième et deuxième, dans un championnat, ce n’est plus la même histoire. On ne parle pas des quatre et cinquièmes. La gloire est aux trois premiers. C’est une sanction sévère pour une équitation exceptionnelle.
La pression, elle, existe dans tous les championnats. Il faut tenir, gérer les efforts. Ce qui est incroyable avec les chevaux lorsqu’ils sont très en forme, c’est qu’ils finissent, pour certains, encore mieux qu’ils n’ont commencé. Ils étaient vraiment dans la compétition, prêts et très entraînés. De leur côté, les cavaliers dominent le sujet. C’est rassurant, car ce modèle de championnat est juste sportivement. Ils ne portent pas atteinte à l’état des chevaux, dès lors que les chefs de piste tiennent leur rôle et que les conditions des pistes sont bonnes. Désormais, nous avons une vraie maîtrise des sols, notamment en indoor. Cela me fait penser au nouveau format olympique, qui est une hérésie. Le règlement et le fait que tout le monde ne passe pas par le même système de qualification sont un non-sens, vis-à-vis des cavaliers et des chevaux. Avoir des cavaliers qui participent à la finale individuelle sans avoir être passés par l’individuel pipe complètement les dés. Le format d’une finale Coupe du monde montre la vérité du sport. Les premiers sont vraiment les meilleurs couples. Dans notre sport, nous devons toujours garder à l’esprit la place du cheval. Certains pourraient croire qu’un format comme celui des Jeux olympiques allège la tâche des chevaux, mais ce n’est pas le cas. Lorsqu’ils sont prêts, un tour de plus n’est pas un effort insurmontable. Avec la Coupe du monde, nous avons un match de bout en bout, qui inclut de la stratégie, comme on l’a vu avec Martin Fuchs.
Hormis la prestation de Martin Fuchs, qu’avez-vous retenu des performances des autres cavaliers ?
J’étais assez confiant pour David Will, et il ne m’a pas fait mentir. Il n’est pas l’ancêtre de l’équipe allemande, au sein de laquelle il évolue officiellement depuis deux ans. Il a tenu son rôle en signant un double sans-faute en finale. Il n’y a rien à dire, même s’il avait reculé un peu après le deuxième jour (et un parcours à huit points, ndlr). Il monte remarquablement bien, avec beaucoup de sang-froid. Je l’avais vu lorsqu’il concourait aux Émirats : il était extrêmement performant. La participation allemande, qui était quand même importante (avec cinq couples, ndlr), n’a pas été très performante, voire décevante, surtout à domicile. Il y avait des jeunes (Philipp Schulze Thoppoff et Gerrit Nieberg, ndlr), certes, mais dans le classement final, il n’y a plus grand monde. Même s’il a concédé douze points en finale, Gerritt Nieberg est une bonne surprise. Cela montre que l’Allemagne a de nouveaux cavaliers talentueux, même si cette édition était un peu un calvaire pour eux. Mais ils vont revenir, je ne suis pas inquiet !
Dans mes pronostics, j’avais été plutôt réservé concernant les premières prestations des Américains. Cela s’est confirmé. Les États-Unis comptaient beaucoup de représentants, et, hormis McLain, qui se retrouve malheureusement septième, les autres sont vraiment loin. Le continent américain était en retrait sur cet événement-là.
J’avais fait d’Harrie Smolders l’un de mes favoris. Il a commis une faute de trop pour gagner, mais il est encore là. Il est deuxième et il y a zéro défaut à lui reprocher. La superbe performance revient à Jens Fredricson, car ce n’était pas une surprise tant il a été régulier. Chapeau pour sa régularité, qui l’a hissé sur le podium grâce à un double zéro en finale. Quand les meilleurs cavaliers Suédois en sont pas là, il y en a encore. Dans les grosses échéances, ils sont présents, préparés. D’ailleurs, l’autre bonne performance de cette finale est celle d’Angelica Augustsson Zanotelli, qui sort de piste avec deux puis zéro points. La formule est difficile : en courant très vite le premier jour, il faut savoir en garder un peu sous le pied pour la suite. Les trois Britanniques ont aussi été impressionnants, puisqu’ils sont tous classés dans le Top 12.
“Le niveau de régularité de Jack Whitaker et Harry Charles est inouï”
Depuis le début de la compétition, vous soulignez la forte présence de la jeunesse. Dimanche, les talents en herbe ont plus que tenu leur rang…
Le renouveau de la jeunesse est incroyable. Il y a des couples, qui ne sont pas encore très aguerris, qui parviennent à performer au plus haut niveau. J’ai un coup de cœur pour la jeune génération, dans laquelle j’inclus toujours Martin Fuchs, qui n’est pas si âgé ! Les jeunes, qu’ils soient Britanniques, Allemands, avec Gerrit Nieberg, ou Belges, avec Jos Verlooy, représentent la nouvelle équitation. Les deux performances à retenir, hors grands palmarès, sont celles des deux Anglais, qui ont été formidables. Harry Charles et Jack Whitaker, qui sont indissociables à mon sens, ont présenté une équitation remarquable, d’une sérénité absolue jusqu’au bout. Leur niveau de régularité est inouï. Jack rate le podium pour un point, et Harry Charles a fait une finale extraordinaire aussi. Ils ont un talent fou. Compte tenu de leur âge, ils ont eu un rayonnement et une dimension incroyables. Ils donnent en plus l’impression de ne pas subir la pression. C’est un peu la marque de fabrique anglaise depuis toujours. Lorsque j’étais concurrent et que je voyais les Skelton, John et Michael Whitaker, etc, j’avais le même regard. Ils semblent ne pas avoir d’émotions. Leur esprit combatif et leur flegme par rapport à l’enjeu est remarquable. Les deux jeunes étaient concentrés, déterminés, mais pas une main n’a tremblé. C’était assez prodigieux et je crois que c’est de bon augure pour l’avenir de l’équipe anglaise.
Alors qu’il faisait partie des possibles favoris pour une place sur le podium, Grégory Cottard a vu tous ses espoirs s’envoler après une grosse faute sur le vertical sur bidet numéro sept. Comment peut-on analyser cette erreur ?
Pour moi, elle est extrêmement surprenante. J’ai revu la vidéo et on ne voit pas la faute arriver. La jument saute très, très bien et il n’y a ni alerte, ni mauvais saut avant. Nous ne voyons pas tout l’abord sur les images, mais la distance semble bonne. La jument est droite et elle a une énorme surprise. Elle commet ensuite une énorme faute. C’est un fait incompréhensible. De plus, Bibici finit parfaitement son parcours. Le score pour une erreur est diablement lourd. C’est terrible. Je me mets à la place de Grégory et je ne veux surtout pas l’incriminer. Il a fait une très belle Coupe du monde et il se retrouve loin pour un saut raté. La jument finit tellement bien que l’on ne peut que se demander ce qu’il s’est passé, ce qu’elle a vu et comment elle l’a interprété. Jusqu’à présent, elle avait bien sauté les bidets. Ce qu’engendre cette faute est énorme. Heureusement, la jument n’a pas semblé marquée après cette faute et a dominé son sujet le reste du parcours, tout comme Grégory, qui n’a pas été affecté dans sa façon de monter. Tant mieux qu’ils finissent dans la sérénité. C’est tout de même rassurant pour l’avenir pour ce couple-là. Cela lui permet, malgré tout, de se donner un statut en début de saison. Il n’y a pas beaucoup de Français qui auraient aligné ce niveau de performance dans un championnat de ce niveau-là. Désormais, Grégory va démarrer sa saison extérieure. Il y aura un petit peu de repos à donner et des explications à trouver. Quand on est à cheval, on a un autre regard, et Grégory saura sans doute expliquer cette faute mieux que personne. En tout cas, en voyant la jument, on n’avait pas envie de la monter différemment. Bref, on pourrait refaire l’histoire. J’ai trouvé que Grégory avait très bien monté et c’est une avarie qui ne lui arrivera sans doute pas souvent.
Un dernier mot pour conclure sur cette belle édition du circuit indoor ?
Je me réjouis d’avoir pu suivre ce championnat. Pour moi, la Coupe du monde est vraiment un circuit sportif exceptionnel. Et il l’a été une fois de plus. C’est du grand, grand sport. Techniquement, c’est certainement le circuit le plus exigeant dans la façon de manoeuvrer les chevaux : il n’y a pas de temps pour l’erreur. Il faut que tout soit d’une précision incroyable : la vitesse, l’équilibre, l’interprétation des distances, etc. Magnifique championnat et bravo au chef de piste. Monter à cheval est une chose. Quand on conçoit des parcours, il faut qu’ils soient différents, bien dosés et adaptés au plateau. C’est extrêmement difficile. Le sport s’est révélé à la hauteur, sans que ce soit au détriment des chevaux ou trop sélectif. C’était un véritable point d’orgue et point final de la saison indoor. Maintenant, on repart vers le championnat du monde. C’est un autre objectif. Tout le monde a déjà en tête les étapes qui les conduiront à Herning. L’intelligence de préparation permettra aux meilleurs de s’imposer.
Photo à la Une : Martin Fuchs et Chaplin. © Richard Juilliart/FEI