Toutes les bonnes choses ont une fin. À bientôt soixante ans, Ludger Beerbaum a décidé de mettre un terme à sa carrière de cavalier de haut niveau, sept ans après avoir tiré un trait sur la Mannschaft. À Aix-la-Chapelle, face à son public et après avoir pris part à un ultime Grand Prix 5*, le Kaiser a tiré sa révérence, prenant de court la plupart de ses proches et de ses fans. Si sa veste grise n’apparaîtra plus sur les plus belles pistes du monde, celles de ses cavaliers continueront de briller aux quatre coins de la planète et lui gardera bel et bien le pied à l'étrier à un niveau moindre. Multi médaillé, reconnus par tous, parfois dans la tourmente, Ludger Beerbaum a indéniablement marqué l’histoire de son sport. Avec ses écuries et ses diverses implications dans tous les aspects du sport, l’Allemand entend continuer d’écrire sa légende.
Un dernier Grand Prix, un dernier tour de piste, un dernier bain de foule. Depuis dimanche 2 juillet, jour du troisième sacre de son ami et compatriote Marcus Ehning à Aix-la-Chapelle, Ludger Beerbaum est officiellement un cavalier de haut niveau retraité. Alors que la remise des prix du Grand Prix venait à peine de s’achever, le Kaiser allemand est apparu à cheval, à l’entrée du stade équestre de la Soers. Dans un mélange de confusion, d'effusion et d’étonnement, celui qui fêtera son soixantième anniversaire fin août s’est avancé, face aux tribunes encore pleines à craquer. Muni d’un micro, le pilote à la veste grise caractéristique a commencé à prendre la parole. En quelques secondes, sa voix s’est gorgée de trémolos, qui se sont transformés en larmes quelques minutes plus tard.
“À un moment donné, il faut écouter son horloge biologique et prendre une décision avant que tout le monde ne vous dise que vous êtes trop vieux pour faire du saut d’obstacles, ou qu’il n’est plus aussi agréable qu’avant de vous regarder en selle qu’avant. J’ai certainement mis à l’épreuve nombre d’entre vous, fans d’équitation, avec une histoire ou une autre. Vous m’avez toujours soutenu, chaque année, dans la victoire et la défaite, malgré vos propres préoccupations”, a déclaré Ludger Beerbaum à son public, celui d’Aix-la-Chapelle, écrin témoin de certains des moments les plus marquants de sa carrière. “J’espère pouvoir être un spectateur pendant de nombreuses années, comme vous tous. Cette année, je me suis senti un peu comme un vieux chien autorisé à retourner à la chasse. Même si je n’étais pas à la remise des prix, j’ai plutôt réussi une bonne prestation (entachée d’une seule faute à la rivière en première manche avec Mila 64, née Mank, ndlr). J’ai passé de grands moments en tant que cavalier, voyagé à travers le monde et eu de formidables expériences. Il est désormais l’heure de faire place à la jeune génération. C’est un plaisir pour moi de prendre cette décision, qui n’est pas facile pour moi, au plus beau concours du monde. Je continuerai à dévouer ma vie aux sports équestres. Je ne peux pas complètement arrêter de monter à cheval, puisqu’il s’agissait et s’agit de ma raison de vivre. Je vais continuer à former des chevaux, et à les présenter en compétition à un petit niveau.”
Sous l’ovation des siens, le champion a déroulé un ultime tour d’honneur, après avoir quitté un peu plus tôt la piste, au pas, saluant chacune des tribunes qui l’entourent pendant le Grand Prix. Remis de ses émotions, Ludger a partagé un verre avec Marcus Ehning, dans le calme ayant de nouveau recouvert le stade de la Soers après une après-midi riche en émotion.
“Avec la retraite de Ludger, une époque s’achève, non seulement dans le saut d’obstacles allemand, mais aussi à l’échelle mondiale. Ludger a façonné le sport en tant que cavalier comme aucun autre. Je suis content qu’il reste impliqué dans notre discipline grâce à son écurie de concours, mais aussi dans son rôle d’organisateur de compétitions”, a complété Hans-Joachim Erbel, Président de la Fédération équestre allemande.
Une décision surprise
À en croire l’expression de Philipp Weishaupt ou même de Daniel Deusser en conférence de presse, Ludger Beerbaum a réellement surpris tout le monde en annonçant sa retraite du très haut niveau. Il y a encore quelques semaines, le Kaiser ne semblait même pas envisager cette possibilité. Finalement, face à son public, l’occasion lui a semblé opportune. Alors qu’il ne devait initialement pas prendre part aux épreuves d’Aix-la-Chapelle cette année, l’Allemand a obtenu à la dernière minute une wild card, lui octroyant le droit de se confronter aux meilleurs mondiaux. Son cavalier, Eoin McMahon, s’étant blessé à la main, Ludger a repris les rênes de Mila, qu’il lui avait laissées le temps de sa propre convalescence en début d’année. Très en forme, la grise avait une belle carte à jouer dans le temps fort dominical, toujours richement doté et ô combien prestigieux. Si une faute a privé le duo d’un deuxième tour, voire d’un barrage, l’occasion était trop belle pour ne pas la saisir. Même si elle ne s’est pas soldée par une victoire, la trente-cinquième apparition de Ludger Beerbaum à Aix-la-Chapelle restera à coup sûr gravée dans les mémoires.
Un palmarès éloquent
En plus de quarante ans de carrière au plus haut niveau, Ludger Beerbaum s’est érigé en tant que légende de sa discipline. D’abord apeuré par les chevaux, le jeune garçon s’est rapidement pris au jeu, pour construire une solide carrière. Dès ses débuts, l’Allemand sait s’entourer, d’abord du regretté Herman Schridde, puis de Paul Schockemöhle, qui jouent chacun un rôle déterminant dans l'ascension de la star en devenir. Au fil du temps, Madeleine Winter-Schulze lui accorde à son tour sa confiance en investissant dans de nombreuses montures. La femme d'affaires restera sa plus fidèle propriétaire.
De son premier grand championnat, en 1984 en tant que Jeune Cavalier, à son dernier, en 2019, à l’occasion de la finale de la Coupe du monde Longines de Göteborg, Ludger a accumulé quatre médailles d’or olympiques, près d’une trentaine en tout et plus de titres de champion d’Allemagne que n’importe lequel de ses homologues à la veste rouge. Le cavalier a de fait connu les hauts et les bas du sport. En 1988, année de son premier sacre olympique avec la Mannschaft, il avait dû seller The Freak, un cheval prêté pour l’occasion, sa monture habituelle, Landlord, s’étant blessé. En 1992, après qu’une rêne a cassé, le Kaiser a dû sauter de Classic Touch en plein parcours, avant de s’imposer en individuel le lendemain. De nouveau récompensé avec le collectif d’outre-Rhin à Atlanta en 1996, Ludger a vu un titre individuel s’envoler devant ses yeux, Ratina n’étant pas en mesure de prendre le départ de la finale. En 2004, avec le génial Goldfever, l’idole de toute une génération est éliminée, en raison d’un contrôle positif de son cheval à un substance interdite, visiblement utilisée pour traiter une gale de boue, ce qui prive l’Allemagne d’une nouvelle breloque dorée. Ludger profite des Jeux olympiques de Rio, en 2016, pour disputer son dernier grand championnat en équipe et aide ses coéquipiers à décrocher le bronze collectivement. Quelques mois plus tard, alors que Marcus Ehning remporte son barrage face aux champions olympiques en titre, Nick Skelton et Big Star, né What A Quickstar R, avec Prêt A Tout lors de la finale du circuit des Coupes des nations Longines, le cavalier le plus titré de tous les temps annonce ranger sa veste nationale au placard. Il ne la ressortira qu’une fois, en juillet 2022, pour rendre service à son chef d’équipe, Otto Becker, du côté d’Hickstead.
Champion olympique, champion du monde par équipe, champion d’Europe et vainqueur de la finale de la Coupe du monde, triple lauréat du mythique Grand Prix d’Aix-la-Chapelle, Ludger a vu passer sous sa selle pléthore de cracks, de Ratina à Goldfever, en passant par Classic Touch, Chaman, Lavillon, Couleur Rubin, Gotha, Coupe de Cœur, Zinedine, Casello, Chiara 222 ou encore Champion du Lys. Sa dernière complice de haut niveau, Mila, lui a permis de regoûter aux joies des victoires au plus haut niveau, en 2022, à Doha puis Mexico, et surtout de disputer son dernier Aix-la-Chapelle, avec une sixième place à la clef dans le Prix de l’Europe. Désormais, toujours un pied à l'étrier, le multimédaillé va prendre du recul, sans jamais être bien loin du cœur du sport.
En parallèle de son palmarès éloquent, Ludger Beerbaum a dû faire face à quelques coups durs, à commencer par son élimination aux Jeux d’Athènes en 2004, puis à de nombreux débats à son retour d’Hong Kong en 2008. En 2021, il s’associe au sulfureux Andreas Helgstrand dans le but de devenir un “leader mondial de l’équitation”. Un an plus tard, une affaire révélée par la chaîne allemande RTL Television secoue son image, tandis que les poursuites sont abandonnées quelques mois plus tard, faute de preuves. Rodé dans l’exercice de la communication, et enclin à la discussion, le Kaiser s’est toujours relevé, pour poursuivre son œuvre. Investi dans la défense des droits des cavaliers, Ludger fait notamment partie du Club international des cavaliers de saut d’obstacles.
Une légende plus vivante que jamais
Au-delà de sa carrière et de son image charismatique inégalable, l’Allemand a construit l’avenir. Dans ses installations de Riesenbeck, dont il a pris possession en 1996 et qui n’ont cessé de prendre de l’ampleur au fil des ans, il forme tout un tas de cavaliers, qui figurent aujourd’hui parmi les meilleurs du monde. Henrik von Eckermann, qui marche sur l’eau depuis plusieurs saisons, est passé par ses rangs, tout comme Marco Kutscher. Philipp Weishaupt, Christian Kukuk ou encore Eoin McMahon bénéficient aujourd’hui de ses conseils et de montures de premier plan. Dans son rôle d’organisateur de concours aussi, Ludger excelle. Habituée des épreuves nationales et des CSI 2*, auxquels quelques beaux noms se joignent régulièrement, sa structure a accueilli les championnats d’Europe Longines de 2021, initialement annulés puis finalement maintenus malgré la présence au calendrier des Jeux olympiques de Tokyo quelques semaines plus tôt. Franche réussite, l’événement a incité le Kaiser à viser plus grand. Dans moins de quinze jours, le Longines Global Champions Tour et sa Ligue feront étape chez lui, pour la première fois. Visionnaire et souvent en avance sur son temps, Ludger Beerbaum a fait bien plus que se construire un palmarès sportif. Une chose est sûre, la légende est plus vivante que jamais et le nom Beerbaum n’est pas près de disparaître du paysage équestre.
Photo à la Une : Ludger Beerbaum lors de son discours d’adieux à Aix-la-Chapelle. © Dirk Caremans/Hippofotomedia