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Luc Henry, l’art de sortir par la grande porte

Reportages mardi 15 décembre 2020 Julien Counet

L’élevage Hero est en vente après quatre jours de ventes aux enchères en ligne et pas moins de 95 lots. Comme toujours, Luc Henry, son fondateur, ne fait pas les choses comme tout le monde. Une vente qui aura surpris, étonné mais qui marque finalement une continuité dans la manière dont il aura toujours travaillé. Studforlife revient avec lui sur son parcours.

L’histoire commence à la fin des années 1990 avec l’achat de quatre produits de Femke (Voltaire), qui évolueront tous sur des épreuves à 1,50m au moins, avant l’acquisition de la jument elle-même. L’histoire continue avec l’approbation au BWP de Querlybet Hero (Baloubet du Rouet) et Quel Hero de Muze en 2003. Il s’agit de la première fois au monde qu’un studbook admet deux étalons issus de la même jument nés la même année ! Entre temps, l’homme a commencé à construire son cheptel en allant notamment chercher le meilleur du Holstein avec la grande gagnante Ulika (Caletto II), issue de la souche de Carthago ou encore la propre sœur du performer Stakkato qui lui donnera l’étalon For Hero (For Pleasure) qui fera sensation sous la selle de Steve Guerdat. 2012 marque l’arrivée des grands succès internationaux avec la participation aux Jeux Olylmpiques de Queen’s Lover Hero (Baloubet du Rouet), mieux connu sous le nom d’AD Bogeno pour le Brésil sous la selle d’Alvaro de Miranda alors que Tic Tac du Seigneur, qui avait rejoint l’élevage Hero à dix-huit mois, remporte le championnat de Belgique Seniors avec le cavalier de toujours de l’élevage, un certain Jérôme Guéry. Une collaboration qui aura engendré de nombreux succès.

Bien qu’avant tout éleveur, Luc Henry est surtout un homme de conviction et il est difficile pour lui de laisser en chemin un cheval qui le touche, c’est ainsi qu’Uriko, Ayade de Septon, Aganix du Seigneur, Chic Hin d’Hyrencourt et tant d’autres sont passés par l’élevage liégeois. L’homme décide de raccrocher au moment où la jeune génération des Hero fleurit sur le circuit international avec notamment les grandes promesses tels que Tinkoucha Hero Z, Klittle Hero, Atoucha Hero Z, Alana Hero Z, Ganesh Hero Z Dourkhan Hero Z, Tender Dream Hero. Il n’en reste pas moins l’un des personnages les plus énigmatiques de l’élevage belge ! À 51 ans, il décide de faire ses adieux à sa carrière d’éleveur en la clôturant par une grande vente aux enchères en ligne avec pas moins de 95 lots dont son nom d’élevage. Son stock d’embryons congelés sera lui aussi proposé à la vente sur une plateforme début 2021. Luc Henry tournera en fait une énorme page de sa vie en prenant du recul par rapport aux chevaux mais l’homme ne quitte pas vraiment le monde de l’élevage puisqu’il compte bien s’investir davantage dans sa seconde passion... les pigeons !

À 51 ans, vous tirez un trait sur plus de 25 ans d’élevage. Quel bilan en tirez-vous ?

« Avant de parler de bilan, cela a avant tout été une aventure humaine. J'ai débuté dans le métier en ayant la conviction profonde que ce serait possible de vivre de l'élevage de chevaux de sport tout en sachant que ce ne serait pas une simple partie de plaisir. Je savais que pour y arriver je n'avais qu'une issue : viser l'excellence. J'ai donc avancé pas à pas et au jour le jour tout en gardant très clairement l'objectif absolu de l'excellence. Ce fut un réel chemin initiatique. Question bilan, ce ne serait pas objectif que ce soit moi qui puisse juger ce que j'ai réalisé. L'important pour moi a toujours été de suivre mon intuition et de me laisser guider par elle. Je n'ai vraiment aucun regret car j'ai toujours essayé d'être totalement sincère et honnête avec moi et avec les autres même si j'ai pu faire par ignorance ou inconscience des erreurs professionnelles et humaines. Ces erreurs m'ont fait grandir et me font encore grandir car elles me permettent d'être plus conscient aujourd'hui. »

Luc Henry pose ici avec ses poulinières Kassandra van't Roosakker, propre soeur de la crack de Kent Farrington Kaprice van't Roosakker et de l'étalon Kassander van't Roosaker ainsi que Estrela Heureka Z et Athina Heureka Z, deux petites filles de la championne du monde Liscalgot.

Comment ressentez vous l'engouement que suscite cette vente ?

« Cela fait bien entendu plaisir de voir et de sentir cette incroyable émulation autour de la vente. Je suis moi-même surpris de recevoir des mails venant de l'étranger de personnes que je ne connais pas et qui me disent que je suis une réelle source d'inspiration pour eux ! C'est juste incroyable. Même si je n'ai pas fait tout ça pour la gloire ou la reconnaissance personnelle, ce qui arrive aujourd'hui prouve peut-être que ce qui a été accompli est assez juste et pourrait peut-être même être considéré comme sortant de l'ordinaire. »

Acquis à 2 ans par Luc Henry & Jérôme Guéry, cavalier emblématique de stud Hero, Tic Tac du Seigneur (Clinton & Panama du Seigneur) aura offert au brabançon son premier titre de champion de Belgique avant de s'envoler vers d'autres cieux évoluant au plus haut niveau avec Leslie Howard (ici en finale de coupe du monde à Lyon) puis avec Ben Maher avec qui il a représenté la Grande Bretagne aux Jeux Olympiques. 

Se retirer en pleine gloire est assez rare. C'était un plan de carrière ou une décision qui a mûri en vous ? Vous auriez imaginé agir ainsi il y a 10 ans ?

« Je suis très touché par la phrase "se retirer en pleine gloire" cependant je trouve le terme trop fort. C'est vrai que sur les trois quatre derniers mois, il y a eu beaucoup de choses positives. En effet c'est incroyablement gratifiant d'avoir deux jeunes produits exceptionnels comme Ganesh et Attoucha qui partent dans de grandes écuries et qu'ensuite trois des étalons les plus utilisés du haras de Zangersheide à savoir Aganix, Dourkhan et Kassander sont directement reliés à mon histoire et à ma vie d'éleveur parce que je les ai soit élevés soit vendus ou même utilisés massivement avant le grand public. Tout cela est bien entendu très gratifiant mais je n'ai cependant jamais cherché la gloire même si j'ai toujours eu d'abord pour objectif l'excellence car atteindre les sommets m'a toujours fasciné. Maintenant, si aux yeux du grand public j'ai accompli des choses extraordinaires, je l'ai fait avant tout parce que cela m'inspirait et que je savais que c'était la seule et unique voie qui me permettrait de vivre et même dans un premier temps de pouvoir simplement survivre. Je ne crois pas avoir jamais eu un réel plan de carrière et si il en avait eu un, je ne serais probablement pas parvenu à m'y tenir. J'ai toujours eu une direction mais pas de réel plan, je me suis adapté à ce que la vie m'offrait au cours du voyage tout en gardant le cap de la direction initiale. Pour ce qui est du fait que cela a mûri en moi, je réponds par l'affirmative sans hésiter. Cela a été un réel processus intérieur de plusieurs années. Je pense réellement entre cinq et sept ans. Je crois que la première fois que l'idée a émergé cela devrait bientôt faire sept ans. À cette époque je ne m'imaginais pas tout vendre mais plutôt vivre mon métier de manière plus légère et moins contraignante. C'était l'époque où d'ailleurs ma fille Aurore qui venait d'avoir huit ans est venue vivre en alternance avec moi. Avant cela, je ne la voyais que deux jours toutes les deux semaines. Cela a certainement été un élément déclencheur. Ensuite, cette idée de m'alléger le travail a grandi en moi petit à petit comme pourrait pousser un arbre, doucement mais surement, jusqu'à devenir une évidence et une certitude. »

Vous avez été dans les premiers à utiliser le transfert d’embryons, l'un des premiers à utiliser l'ICSI, vous n’avez pas eu peur d'utiliser les clones ? La technologie vous passionne ?

« La technologie ne me passionne pas en tant que telle. Ce qui m'a motivé était à chaque fois très simple : l'excellence et essayer d'être le premier sur la balle pour avoir une longueur d'avance. Si ces techniques me permettent cela alors je prenais le risque de les utiliser. »

N'est-ce pas surprenant de la part de quelqu'un qui a toujours pris les courses de galop et de trot comme modèle ?

« Je comprends vraiment bien la question cependant il ne faut pas comparer ce qui est incomparable. Pour évoluer dans un milieu, il faut faire avec les règles de ce milieu et ici, dans le cas présent, les règles sont différentes tant pour les galopeurs que les trotteurs et les chevaux de sport. Ce n'est pas moi qui fait les règles, je ne saurais pas les changer et je n'en ai pas non plus l'intention. Ensuite, pour boucler la réflexion, les règles de sélection ou la manière de faire évoluer un élevage ou un cheptel n'ont rien à voir avec le milieu dans lequel on gravite. Les règles de sélection sont à mes yeux universelles, applicables et transposables à tous les types de races d'animaux. En étudiant et approfondissant la sélection génétique chez les trotteurs et chez les galopeurs, j'ai réussi à me faire une idée très précise du chemin à prendre pour faire évoluer mon élevage de chevaux. J'applique très simplement ces règles de sélection à mes chevaux et aujourd'hui à ma colonie de pigeons voyageurs, cela a l'air de bien fonctionner pour les deux. »

Dourkhan Hero Z (Don't Touch de Tiji Hero Z x Zandor Z), issu de la souche d'Usha van't Roosakker, fait désormais partie des grands espoirs de Zangersheide et a été beaucoup utilisé par son éleveur.

On vous a souvent vu utiliser la jeune génétique avec de nombreux jeunes étalons. Qu'en est-il pour vos juments ?

« À partir du moment où un jeune étalon répond de manière positive à un grand nombre de critères de sélection et ce de manière naturelle, il est clair que je l'utiliserai. Cet individu ne doit pas être parfait mais il doit amener quelque chose de plus ou de supérieur et qui fera que la qualité générale moyenne du cheptel pourra évoluer de manière positive. Pour les pouliches, c'est exactement la même chose. Si j'ai eu une pouliche qui me montre qu'elle est exceptionnelle sous certains aspects, je lui ferai faire des transferts d'embryons dès son plus jeune âge. »

La crack Prima Donna van't Paradijs (Lys de Darmen), dans les prés de stud Hero, a elle-même évolué dans le sport tout en ayant produits de nombreux chevaux de Grand Prix comme Subliem van't Paradijs, Ultra Top van't Paradijs, Agata d'Ecaussinnes et bien sûr la crack Venezia d'Ecaussinnes sans oubier le fantastique poney Klittle Hero. 

On vous a souvent vu investir dans des juments de génétiques reconnues alors que vous n'avez jamais eu peur d'acheter de jeunes mâles, c'est un hasard ?

« Ce n'est pas tout à fait juste. La plupart des jeunes mâles que j'ai achetés étaient tous issus de souches de grandes qualités même si peut être n'étaient elles pas encore reconnues comme telles. Une souche est comme un arbre, il y a des branches plus vivantes que d'autres et il est important de faire vivre et d'exploiter celles qui donnent les bons fruits. Le grand problème est que la plupart des gens s'arrêtent trop aux papiers et aux grands noms. Je pourrais vous citer tellement d'exemples. À la fin, c'est toujours l'individu et lui seul qui compte. Il suffit de regarder Prima Donna et Liscalgot ! Leurs grand-mères maternelles respectives sont inconnues ! Pour en revenir aux pouliches, c'est ce qui est le plus difficile à trouver et à acheter. La vente que j'organise sera justement une opportunité extraordinaire de pouvoir acquérir une génétique d'exception ! Pour revenir à mon parcours. J'ai donc dû passer par le fait de soit acheter soit louer des juments d'exception. Je pense que ceci deviendra également de plus en plus difficile à l'avenir. »

Luc Henry et Marc Kluskens (élevage Roosakker) sont associés sur de nombreux chevaux dont Elstar II Hero Z (E Star x Rubens du Ri d'Asse) qu'ils ont élevé ensemble hors de la célèbre Quasibelle du Seigneur dont ils ont été co-propriétaire. 

Quand on voit les souches et les produits présentés dans votre vente, comment le voyez-vous ? C'est avant tout une fierté comme celle d'un collectionneur montrant ses trésors cachés ou celui d'un travail accompli ?

« Le fruit du travail accompli. Je n'ai jamais voulu avoir de musées même s'il y a deux chevaux qui ne partiront pas d'ici : les deux juments de coeur de mon père et avec lesquelles ma fille et moi partons en promenade. Pour le reste, je n'ai pas calculé et je le répète, j'ai suivi mon instinct et la direction que je sentais comme juste. »

Le jeune étalon Ganesh Hero (Gemini XX x Diamant de Sémilly), issu d'une propre soeur de Gatoucha van't Roosakker, fait partie des grands espoirs du stud Hero et évolue désormais sous les couleurs mexicains de Carlos Hank. 

On a vu avec la blessure de Gatoucha que la vie d'éleveur n'était pas de tout repos, est-ce un message que vous avez voulu passer en racontant cette histoire ?

« La nouvelle de la blessure de Gatoucha ce samedi a tout d'abord été pour moi un coup direct terrible. J'étais presque effondré parce que je savais à quel point elle était symboliquement et pratiquement une des pièces maîtresses de cette vente. J'ai d'abord pris toutes les décisions qui s'imposaient pour la sauver en l'opérant dès que possible. Ensuite, je me suis posé et j'ai essayé de m'imaginer quels seraient les scénarios les mieux adaptés. Nous étions en effet à moins de 6 jours du début de la vente et la jument que tout le monde attendait n'allait peut-être pas être présentée. Au fil des heures et en fin d'après-midi, j'ai senti très clairement que nous ne devions rien changer à ce qui était prévu mais simplement nous adapter à ce que la vie nous offrait. J'ai donc décidé de partager avec mon équipe l'idée que Gatoucha serait donc bien présentée à la vente et qu'un règlement de vente particulier serait adapté et créé à son cas particulier et à cette situation inédite. Nous avons donc tous senti très rapidement que pour réussir dans cette situation si particulière, nous devions tout simplement continuer à faire preuve de transparence, de communication claire et authentique. C'est pourquoi il y aura régulièrement des nouvelles à son sujet. Pour ce qui est du règlement la concernant, il sera bientôt disponible sur le site et bien visible. Je ferai en sorte que toutes les personnes réellement intéressées soient contactées personnellement pour qu'aucun malentendu ne puisse survenir au cours du processus de vente. Les maîtres mots sont et resteront : transparence et communication authentique. »

Continuerez-vous à suivre les Hero sur les terrains de concours même si on ne vous y voyait déjà pas beaucoup ?

« Aujourd'hui ,je réponds avec certitude oui bien sûr mais je les suivrai au travers de leurs résultats. Je n'irai certainement pas plus au concours que maintenant et je ne sais pas encore si je me rendrai encore à Aix la Chapelle ou à Lanaken pour les championnats du Monde des jeunes chevaux. C'étaient en effet les deux concours que j'essayais de ne jamais rater. Je verrai bien comment ma nouvelle vie prendra forme dans les prochains mois. Je vais tout d'abord faire en sorte que la vente se passe bien et que toutes les personnes qui nous ferons confiance, reçoivent un service irréprochable. Je pense que pour début février lorsque tout sera bouclé, je pourrai enfin me poser et regarder en arrière avec la satisfaction du devoir accompli pour ensuite laisser venir à moi ce que la vie me proposera. »

Acquis à 18 mois par Luc Henry, Aganix du Seigneur (Ogano Sitte) évoluera en concours sous la selle de Jos Lansink avant de rejoindre le haras de Zangersheide où il fait partie des étalons les plus convoités. 

Quels sont vos objectifs désormais ?

« Je souhaite dans un premier temps me reposer et prendre du temps pour moi. Je n'ai pas d'objectifs personnels encore bien définis mais prendre du temps avec ma fille est en tout cas essentiel. Nous avons déjà bien échangé sur le sujet et nous ne savons pas encore si nous partirons faire un voyage jusqu'au Népal ou ailleurs à moins que nous ne mettions en place ensemble un projet de ferme éducative ici en Belgique. Je ne sais pas encore réellement ce qui se mettra réellement en place. Pour ce qui est des pigeons, j'ai vraiment envie de prendre du plaisir. Je suis réellement fasciné et émerveillé tant par les capacités physiques que l'orientation de cet animal ainsi que par sa volonté de vouloir revenir à son foyer. Sébastien Bastogne, qui est un ami et avec qui je suis associé dans cette aventure depuis plus de dix ans, est en fait le vrai spécialiste de la colombophilie. Nous nous sommes associés par amitié, Sébastien m'aidera et m'accompagnera pour ce qui est de la gestion de la colonie de jeu et de mon côté, je serai plus responsable de la génétique et des choix de croisement. Nous prenons toutes les décisions ensemble. Nous avons pour objectif de nous faire avant tout plaisir tout en faisant les choses de manière très professionnelle. Nous espérons bien entendu faire des résultats exceptionnels mais ceci ne nous appartient pas. L'avenir nous dira si nous sommes sur la bonne voie. La vie est sincèrement un cadeau extraordinaire et nous essaierons de profiter et de partager ensemble les merveilleux moments qu'elle nous offrira. »

Crédits photos : Julien Counet