En quinze mois, Lorenzo de Luca et Denver de Talma se sont légitimement imposés comme l’un des meilleurs couples de la planète. L’alezan de onze ans, né chez Michel Guiot, enchaîne les performances depuis ses débuts en Grand Prix 5*, en mai dernier. Sur les dix épreuves de ce niveau qu’il a disputées, le fils du regretté Vigo Cécé s’est classé à huit reprises. De quoi permettre à son cavalier de rêver de grands championnats et de médailles. Avant d’être acquis par Elizabeth Johnson, propriétaire des luxueuses écuries Louisburg Farm, en Floride, Denver de Talma a été le protégé de Catherine Bonnafous, véritable femme de cheval et dénicheuse de talent hors-pair, pendant près de sept ans. Mathilde Lockwood, qui lui a fait découvrir la compétition puis ses premiers parcours à 1,50m, a été l’une des clefs de la réussite de ce cheval pas comme les autres, à la personnalité aussi drôle qu’attachante. Retour, en trois épisodes, sur une belle histoire qui continue de s’écrire.
La première partie de ce portrait est à (re)lire ici.
“Denver a été très préservé”, Mathilde Lockwood
Partie quelque temps en Belgique puis aux Etats-Unis, Mathilde Lockwood retrouve Denver à ses six ans, pour sa première année de concours. “La progression de Denver a pris du temps. Catherine, les cavaliers qui l’ont monté et moi ne nous sommes pas précipités. Il n’a pas du tout été usé et n’a pas suivi le parcours classique d’un jeune cheval. Il n’a pas participé au circuit des quatre ans, ni des cinq ans”, reprend l’amazone. La paire débute ainsi sur une Préparatoire 1,10m, puis enchaîne avec quelques sorties sur le Cycle classique réservé aux chevaux de six ans et autres épreuves Pro, jusqu’à affronter son premier CSI Jeunes chevaux, en octobre 2019 à Barbizon. L’alezan signe un double sans-faute dans le Grand Prix à 1,30m réservé à sa classe d’âge et se classe quatrième. “Denver a été très préservé”, confirme Mathilde Lockwood. “Ma maman, Caroline, qui adore Denver, a aussi fait un énorme travail avec lui, en l’emmenant en forêt pendant des heures ! Cela a été un vrai travail d’équipe entre Catherine, ma maman et tous les cavaliers qui l’ont monté.”
Après ces débuts prometteurs pour Denver, Mathilde Lockwood regagne l’autre côté de l’océan Atlantique et Denver passe la première moitié de l’année 2020 sous la selle d’Olivier Guillon. Malheureusement, le cavalier se blesse et Catherine Bonnafous place son protégé dans les écuries de Pénélope Leprevost. En dehors de quelques mois passés aux côtés de Tressy Muhr puis Faustine Laferrerie, Denver reste sous sa selle jusqu’à la fin de l’année 2022. Mais la magie n’opère pas entre le couple. Si le fils de Vigo Cécé dispute ses premières épreuves à 1,45m avec la Normande, sa propriétaire choisit de renouveler sa confiance à Mathilde Lockwood, et Denver la rejoint aux Etats-Unis, fin 2022.
“Denver était un cheval très, très difficile, chaud, turbulent, fort, voire violent, mais avec un talent d’enfer. Nous l’avons fait travailler ici, à la maison, avec Mathilde et sa maman qui l’emmenait en promenade. Nous avons fait un petit mélange familial très sympa. Denver a été performant à six ans avec Mathilde, puis je l’ai confié à Pénélope Leprevost, avec qui j’avais eu de très bons échanges lorsqu’elle montait Topinambour, qui a fait partie de l’équipe de France. Mais Pénélope est passée à côté de Denver, qui a rejoint Mathilde aux Etats-Unis”, explique Catherine Bonnafous. “Il était dans une très, très bonne et belle écurie. À partir du moment où Mathilde, qui le connaissait bien et l’adorait, l’a monté comme j’aime et comme je lui ai appris, en insérant énormément d’écoute, d’échange et de travail sur le plat dans son équitation, Denver s’est complètement bonifié. Il était considéré à sa juste valeur, comme le cheval de prestige qu’il est.”
Des retrouvailles bénéfiques
Mathilde Lockwood et Denver de Talma, qui se sont quittés pendant trois ans, retrouvent rapidement leurs marques et disputent leur première épreuve à 1,50m en mars 2023. “Lorsque j’ai récupéré Denver, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Il y avait ce que j’avais ressenti lorsqu’il était jeune cheval, mais je l’avais perdu de vue quelques années. Sa progression a été assez déconstruite. Lorsqu’il est revenu sous ma selle, à la fin de ses neuf ans, il avait fait quelques parcours à 1,40 et 1,45m mais n’avait pas beaucoup de métier. Denver est un cheval extrêmement sensible, qui fonctionne à l’affect. Que nous nous soyons retrouvés a été, je crois, quelque chose d’exceptionnel. Comme lui, je fonctionne aussi beaucoup à l’affect avec mes chevaux. Je me suis dit que Denver était ma star, qu’il serait mon cheval de tête. Il méritait cette considération là”, avoue Mathilde Lockwood, qui poursuit la formation de son crack. “J’ai passé beaucoup de temps avec Denver, nous avons énormément travaillé sur le plat et je n’ai pratiquement pas sauté avec lui. Il a énormément de sang et est très, très fort. S’il ne nous aime pas, il nous le dit tout de suite ! (rires) J’ai essayé de m’adapter à lui plus que l’inverse. J’ai aussi accordé beaucoup d’importance à son mental et nous avons fait beaucoup de balades. Je montais pour ses propriétaires actuels, aux écuries Louisburg Farm, qui offrent un cadre de travail exceptionnel à Wellington, avec une équipe incroyable et des gens de chevaux formidables. C’est un petit paradis pour les chevaux.”
Si ce retour en concours donne quelques défis à relever au couple, il trouve rapidement des clefs pour avancer, notamment grâce à l’aide de l’Américaine Molly Ashe Cawley, pour qui Mathilde Lockwood a un “énorme respect”. “Quand j’ai fait ma première épreuve à 1,30m aux Etats-Unis avec Denver, j’en avais plein les bras ! Je me suis demandé comment j’allais faire. Il ne touchait pas une barre et était exceptionnel, mais je manquais de contrôle sur le parcours. J’ai beaucoup travaillé avec Molly Ashe Cowley, la cavalière principale de Louisburg Farm. Elle m’a énormément aidée et a cru en Denver et moi. C’était une collaboration géniale !”, s’enthousiasme la cavalière. Et de poursuivre : “Lorsque j’ai trouvé le contrôle, que j’ai commencé à le monter sur de plus gros parcours, je me suis vraiment rendu compte que ce n’était pas un cheval comme les autres. Je n’avais jamais ressenti cela auparavant. J’ai monté beaucoup de chevaux dans ma jeune carrière, mais jamais un de cette qualité. Lorsqu’on va en piste, on a le sentiment qu’il va se battre pour nous, qu’il va tout donner. C’est extraordinaire ! Après notre premier parcours à 1,50m, pendant un CSI 4* à Wellington, je me suis dit que je pourrais tout sauter avec lui, sur n’importe quelle piste.”
“Vendre Denver n’a pas été un plaisir”, Catherine Bonnafous
Bien lancé, le binôme n’aura pas l’occasion d’aller plus loin, Denver ayant trouvé une nouvelle famille. “J’ai confié Denver à Mathilde en lui disant que je n’aurais pas les moyens de le conserver. Le vendre n’a pas été un plaisir. Je soigne mes chevaux d’une façon extrême, mais c’est aussi mon métier. Mathilde s’est régalée avec lui, puis il a été acquis par la propriétaire des écuries Louisburg Farm (Elizabeth Johnson, ndlr). Elle va conserver Denver, qui est monté par Lorenzo de Luca : c’est magique”, profite Catherine Bonnafous, qui reste la plus grande fan de Denver. “Denver m’a rejoint aux Etats-Unis pour être vendu. Cela a toujours été l’objectif. J’aurais aimé le garder, mais c’est ainsi. J’étais forcément triste de le voir partir, parce qu’on ne croise pas des centaines de chevaux comme lui, de perdre mon meilleur ami, le cheval d’une vie, et de voir notre progression s’arrêter. Mais j’étais aussi très heureuse que Louisburg Farm l’achète. Ils ont vu l’évolution du cheval en direct et c’était pour moi le meilleur endroit pour lui. Si tous les chevaux vendus pouvaient être soignés comme ils le sont là-bas… C’est exceptionnel et ce qu’on peut souhaiter de mieux.”
Alors que les chemins de Mathilde Lockwood et sa star se séparent, cette fois définitivement, un nouveau chapitre s’ouvre pour Denver de Talma. L’alezan intègre le piquet d’une cavalière qui le connaît bien : Molly Ashe Cowley. Mais tous deux n’apparaîtront qu’à l’occasion de deux parcours sur la scène internationale, quelquefois supplémentaires en national, avant que le hongre ne regagne l’Europe à la fin de l’été 2023.
“Beth Johnson, la propriétaire des écuries Louisburg Farm, aimait beaucoup Denver et l’a acheté. Initialement, il était destiné à sa cavalière, Molly Ashe, une très bonne amazone qui représente les Etats-Unis. Elle a dû prendre une pause pour une petite opération du dos et Beth Johnson m’a appelé, me demandant si je serais prêt à accueillir Denver dans mon piquet. Beth me confiait déjà Cappuccino 194 (Comme Il Faut 5 x Sir Shutterfly), que j’avais commencé à monter cette même saison en Floride. Evidemment, j’ai dit oui !”, relate Lorenzo de Luca, heureux cavalier de la perle de l’élevage de Michel Guiot depuis un peu plus d’un an. “C’est une belle histoire. Denver était monté par Mathilde Lockwood lorsque j’étais en Floride en 2023. Il était encore en apprentissage quand il est arrivé dans mes écuries. Il a toujours eu de la qualité, mais a beaucoup de caractère et est très sensible. Cela m’a pris pratiquement un an pour le comprendre. Avant que je n’en prenne les rênes, il n’avait fait qu’un ou deux parcours à 1,50m ; il était donc encore assez vert au plus haut niveau.”
“Denver est un génie !”, Lorenzo de Luca
Pourtant, la progression des deux nouveaux complices est exponentielle. En quelques mois et sept CSI, ils s’imposent dans le Grand Prix 3* de Valence, début mars. “Dès que Denver est arrivé, son coup de saut était incroyable. Le reste, en revanche, n’était pas tout à fait au point (rires). Il est plein d'énergie et il faut trouver une bonne entente avec lui, un partenariat. Nos débuts ont été un peu en dents de scie sur les épreuves plus importantes. J’ai voulu repartir sur de nouvelles bases et j’ai donc organisé une série de concours à Oliva Nova en janvier, afin de pouvoir me concentrer pleinement sur lui pendant trois semaines et nous mettre sur de bons rails. Il a ensuite commencé à faire ses premiers Grands Prix 3*, à être très régulier et notre connexion s’est nettement améliorée. Il a commencé à me faire davantage confiance et à être de plus en plus régulier à haut niveau”, détaille Lorenzo de Luca. “Il peut lui arriver d’être un peu trop excité en piste, mais il ne fait que progresser. Il est d’une telle intelligence… Ce cheval est un génie ! Son coup de saut a toujours été phénoménal. C’est l’un des meilleurs qu’il m’ait été donné de ressentir. Denver couvre facilement les oxers et fait tout avec beaucoup de facilité. On parle d’une superstar. De mon côté, je m’attache simplement à le garder calme, relâché. Il a tous les moyens, tout le respect et n’a peur de rien. Il lui arrivait, et lui arrive encore, de fuir à la réception ou de chauffer à l’abord. Je me concentre surtout sur le travail sur le plat avec lui, car je ne peux pas améliorer sa technique de saut naturelle ! J’essaye d’avoir autant de fluidité que possible avec lui, de faire en sorte qu’il ait confiance en ma main, qu’il accepte mes jambes et se détende.”
En mai, deux mois après sa première victoire internationale avec son nouveau binôme, Lorenzo de Luca le lance dans le grand bain. À Windsor, Denver de Talma affronte son premier Grand Prix 5* Rolex, qu’il conclut au onzième rang, après n’avoir concédé qu’une faute au barrage. “Depuis son premier Grand Prix 5*, il n’a fait que progresser, encore et encore. Je me suis rendu compte qu’il pouvait prendre part à ce genre d’épreuves avec beaucoup d’aisance. Depuis, il a été sans-faute dans la plupart des Grands Prix 5* qu’il a disputé”, souligne son cavalier, qui a également pu tester le mental de son partenaire dans le plus mythique concours de la planète équestre : le CHIO d’Aix-la-Chapelle, dont il a conclu le Grand Prix au treizième rang, avant d’obtenir une cinquième place à Dinard, une quatrième à Bruxelles, une huitième à Rabat, une neuvième à Lyon et une cinquième à Riyad. “Avoir un cheval avec aussi peu d’expérience que lui qui entre en scène à Aix-la-Chapelle comme il l’a fait, qui enchaîne sans-faute sur sans-faute sur une telle piste, n’arrive pas tous les jours. Denver est très spécial. Il sait qu’il est le meilleur cheval de mes écuries. Il est très gâté et mérite de l’être ! Sa personnalité transpire à quel point il est doué en piste. Il joue toujours avec nous, aime avoir de l’attention : c’est un champion, tout simplement !”
Ce caractère singulier a également marqué Mathilde Lockwood, qui se souvient de Denver comme d’un cheval “très, très drôle”. “C’est un clown !”, s’amuse-t-elle. “Il fait toujours des trucs bizarres, sort la langue, etc. C’est aussi un fou de carottes ! Il vendrait son âme pour une carotte ! (rires) Il est, en même temps, hyper délicat et mignon. Il y a plein de fois où je me suis assise à côté de lui, pendant qu’il était couché dans son box. Il a besoin d’être le centre de l’attention. Lorsque j’allais voir un cheval à côté de lui, il me regardait comme si je le trompais ! Je le comparerais un peu à quelqu’un qui veut toujours faire des blagues, qui rit beaucoup. Il est toujours très joyeux et devient un guerrier lorsqu’il entre en piste, tout en conservant sa petite touche d’humour.”
La troisième et dernière partie de ce portrait sera publiée la semaine prochaine sur Studorlife.com…
Photo à la Une : Mathilde Lockwood et Denver de Talma lors de leur aventure à Wellington. © Sportfot