“L’idée d’une prime au naisseur n’est pas seulement généreuse ; elle est intelligente, juste et mobilisatrice”, Xavier Libbrecht (3/3)
Les discussions à ce sujet ne datent pas d’hier. Pourtant, la prime aux naisseurs n’a rien perdu de son intérêt et, surtout, de sa nécessité. En France, cette récompense financière bienvenue, d’autant que la situation économique des éleveurs reste précaire, a bien existé, avant de progressivement disparaître dans les années 2000, remplacée par la Prime d’aptitude à la compétition équestre et secondée par la Politique agricole commune. Une désertion que déplorent des grands noms du milieu, à l’image de Xavier Libbrecht ou encore Bernard Le Courtois, pour ne citer qu’eux. Tous deux font d’ailleurs partie de celles et ceux qui militent pour que soit financée, chaque année, une enveloppe européenne, voire mondiale, en mobilisant 1% des dotations globales versées dans l’ensemble des compétitions disputées sous l’égide de la Fédération équestre internationale. En 2022, pour le saut d’obstacles, discipline olympique la plus rémunératrice, plus de 138 millions d’euros ont été distribués dans les CSI labellisés 1* à 5*. Si le principe d’une prime aux naisseurs est loué par l’écrasante majorité des acteurs concernés, des blocages surviennent concernant sa mise en œuvre concrète. En cause notamment, le déficit de nombreux propriétaires, les statuts de la Fédération équestre internationale, mais également des questions techniques encore sans réponse. Ultime épisode d’un article en trois volets.
Les deux premières parties de cet article sont à (re)lire ici et ici.
“Nous n’avons pas de fermeture sur le sujet”, Dominique Mégret
Dans sa réflexion, Dominique Mégret distingue trois grandes catégories de propriétaires : ceux qui ne portent que cette casquette, ceux qui sont également naisseurs du cheval en question et ceux dont la première activité est le commerce. Dans l’optique de la mise en place du prime basée sur un pourcentage des gains alloués aux compétitions internationales, les premiers cités seraient également les premiers et principaux touchés. “Tous les éleveurs seraient évidemment contents de toucher une prime aux naisseurs. Mais quels sont les enjeux ? Si c’est pour gagner cinquante euros à la fin de l’année, cela n’a aucun intérêt. Ensuite, qui va s’occuper de récupérer cet argent ? Il faut répondre à ces questions. Ce sont des techniques que nous pouvons mettre au point. Ensuite, qui paye ? À la fin, soyons clairs, ce seront les propriétaires”, reprend Dominique Mégret. “Va-t-on encore leur prendre, deux, trois ou cinq pourcents de leurs gains, alors qu’ils perdent, globalement, beaucoup d’argent, notamment parce qu’ils acceptent de conserver leurs chevaux ? Il arrive que nous en vendions un de temps en temps, mais la plupart restent à leurs côtés jusqu’au plus haut niveau et le plus longtemps possible. [...] Nous sommes probablement prêts à avoir ce débat concernant la prime aux naisseurs. Maintenant, est-ce que cela présente un intérêt majeur ? Le pourcentage ne pourra rester que très petit. Je ne connais pas le montant des sommes versées tous les ans, mais en admettant que l’on prenne un pourcent, cela débloquerait quand même pas mal d’argent. Nous en revenons à ces questions : qui va le gérer ? Comment sera-t-il réparti ? De façon automatique, au prorata des gains des chevaux ? Par quelqu’un ? Sous forme de prix spécial pour le meilleur éleveur de l’année ? Il y a plein de questions sur la table. Le nombre de chevaux qui gagnent un million d’euros dans l’année est faible (une seule en 2022 selon Hippomundo, Killer Queen VDM, dont les sept premiers dauphins ont, eux, franchi la barre des 800.000 euros, ndlr). Imaginons qu’un éleveur ait fait naître un cheval qui gagne 500.000 euros. Un pourcent représente cinq mille euros. C’est évidemment déjà très bien, mais la performance est tellement exceptionnelle que le plus intelligent serait peut-être de procéder autrement. Peut-être serait-il possible de partir sur quelque chose de beaucoup plus significatif, de l’ordre de 50.000 ou 100.000 euros pour le meilleur éleveur ? Pourquoi pas. On peut tout faire, mais il faut vraiment mettre cela sur la table. Nous pouvons en discuter, mais il faut le faire sérieusement. Pour l’heure, je considère qu’il n’y a pas eu de discussion sérieuse, bien que cet élément soit sur la table depuis quatre ou cinq ans. En ce qui me concerne, j’ai eu très peu de débat à ce sujet. Il faut donc poser les enjeux, ce qui me semble assez simple, et savoir comment on récupère l’argent et qui le gère. Certains propriétaires ne sont pas du tout intéressés par cette prime, mais nous n’avons pas de fermeture sur le sujet.”
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Garder espoir
Si rien ne s’est - encore - concrétisé à l’échelle européenne ou mondiale, des initiatives nationales voient régulièrement le jour. Dernière en date, le Belgian Breeders Bonus, une subvention réservée aux éleveurs belges. Cette année, grâce aux performances de Killer Queen VDM, la famille Bruggeman touchera 15 000 euros, sur le total de 95 000 mis en jeu. “Je trouve que le Breeders Bonus instauré en Belgique est une très bonne initiative et la prime un supplément appréciable. Particulièrement lorsqu’on élève avec l’intention de voir nos chevaux grandir et ne pas les vendre immédiatement, cela devient une activité coûteuse. Cela prend aussi du temps avant d’obtenir un retour financier. Killer Queen a connu trois années extraordinaires. En 2020, elle avait terminé en tête des meilleurs chevaux gagnants dans le monde, et je crois qu’elle était deuxième et proche de la tête l’an dernier”, a commenté Lisa Bruggeman auprès d’Hippomundo.
Le reste de l’enveloppe dédiée aux éleveurs se décomposera ainsi : 10 000 euros pour Simon Scott, deuxième grâce à Pacino Amiro, 7 500 euros au bénéfice de Nathalie Beaufort, à l’origine de la génialissime Azur Garden’s Horses, troisième du classement, 5 000 euros pour Gijs van Mersbergen, qui a fait naître Hay El Desta Ali, plus connu sous le nom de Leone Jei et quatrième meilleur gagnant, 2 500 euros distribué à Jonas Bellemans en raison des résultats de Tobago, puis 2 000 euros pour les naisseurs des chevaux classés du rang numéro six au numéro trente inclus. Cinq éleveurs supplémentaires recevront également mille euros chacun. Les cinq premiers de ce classement seront invités à venir récupérer leur chèque lors de l’Equigala 2023, une cérémonie annuelle, organisée en janvier, à Bruxelles, où sont récompensés les meilleurs acteurs du sport de l’année écoulée.
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En Allemagne aussi, le premier maillon de la chaîne est reconnu et récompensé. "Traditionnellement, les sports équestres allemands versent une prime aux naisseurs à titre d’incitation et de remerciement pour les éleveurs de chevaux allemands qui ont particulièrement réussi dans leur discipline. La prime à l’éleveur existe depuis les années 1920”, met en contexte le site de la fédération germanique. Les meilleurs chevaux (et poneys) de l’année, classés en fonction de leurs performances et ce dans les trois disciplines olympiques, bénéficient d’un pourcentage donné sur les dotations versées annuellement. Les naisseurs de chevaux allemands peuvent également prétendre à une récompense si leurs produits décrochent une médaille aux championnats du monde ou aux Jeux olympiques, s’ils évoluent avec brio sous la selle de cavaliers étrangers ou s’ils se montrent performants dans leurs championnats nationaux. Pour une médaille olympique, la somme versée est de mille euros. En 2020, plus de quatre mille éleveurs se sont partagé 720 000 euros pour les performances de leurs anciens protégés la saison précédente. Inférieure au Belgian Breeders Bonus, ces primes offertes outre-Rhin, et dont le système détaillé est disponible ici, ont au moins le mérite d’exister et surtout de perdurer.
En France, outre les actions du Groupe France Elevage, qu’elles soient au profit de tous les éleveurs hexagonaux, comme ce fut le cas à Saint-Lô, ou à celles et ceux ayant utilisé la semence des étalons estampillés *GFE, les travaux sont toujours en cours. La Société hippique française (SHF), notamment, continue de plancher sur la question, qui lui tient forcément à cœur. À côté de cela, il convient de souligner l’existence de la PACE, mais aussi de la PAC, qui revêt un intérêt agricole bien supérieur au seul microcosme équestre. Mais, une chose est sûre, pour que l’espoir d’un jour entrevoir la mise en place d’une prime aux naisseurs européenne voire mondiale demeure, la mobilisation ne doit pas cesser. Au contraire, les énergies doivent s’allier pour faire front. “L’idée d’une prime au naisseur n’est pas seulement généreuse ; elle est intelligente, juste et mobilisatrice. Cependant, lorsque les intérêts particuliers prévalent sur l’intérêt général et que les corporatismes l’emportent, on n’a plus envie de pousser”, souligne Xavier Libbrecht. “Nous vivons en démocratie. Lorsque le système évolue d’une certaine façon et que ses membres se satisfont de la situation actuelle, sans autres ambitions, on ne peut rien changer. Mais, si demain tous les éleveurs français, qui sont aussi des compétiteurs, arrivent à faire circuler des listes, que les cavaliers disent ‘un pourcent, ce n’est pas ce qui va nous ruiner, mon propriétaire et moi’, si un mouvement s’enclenche, on ne pourra pas lutter contre. Il serait plus fort que le reste. C’est tellement évident et légitime que rien ne pourrait l’arrêter. Mais il faut que ce projet s’enclenche, que des énergies, des intelligences et des générosités se mettent à son service.”
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Photo à la Une : Avant d’aboutir à une prime aux naisseurs mondiale, les acteurs de l’élevage ont encore du pain sur la planche. © Mélina Massias
Cet article a été modifié le 11 janvier 2023 à 22 heures. Dans sa version initiale, les propos que Studforlife prêtait à Dominique Mégret ne reflétaient pas suffisamment précisément sa réflexion à l’égard de la prime aux naisseurs et toute sa considération envers les éleveurs, dont il fait lui-même partie. La rédaction présente ses excuses à ses lecteurs, à Dominique Mégret et à toutes les autres personnes concernées.