Avec un Top Price à 330.000 euros pour le fils de Pegase van’t Ruytershof, Roquetas vd Radstake, acquis par Cian O’Connor, et un chiffre d’affaires global de 1.468.000 euros, l’édition 2024 des ventes Elite de l’Agence Fences a été un nouveau succès. Mais comment fonctionne cette grosse machine bien rodée ? Rencontre avec quelques-uns des acteurs qui en assurent la réussite et témoignages de Jeanne Cotreuil, directrice opérationnelle de cette petite entreprise qui ne connaît pas la crise, d’Eric Livenais, homme-orchestre des écuries et du rond de présentation à l’obstacle, de Benjamin Ghelfi, président, et de Frederik De Backer, voix des enchères.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
Lors de la semaine des ventes Fences Elite, et même avant, toute une équipe veille au grain sur la large centaine de chevaux présents dans les installations de Bois-le-Roi. “Nous sommes une cinquantaine pendant plus d’une semaine car les chevaux arrivent dès le samedi midi. Ils sont répartis par barns, en fonction de leur sexe : un est dédié aux mâles, un autre aux juments et un troisième aux les poulinières et à leurs foals. Aux écuries, il y a plusieurs parties, avec chacune un responsable : Emilie Leverrier pour le toilettage, Nicolas Moreau pour la logistique, qui comprend la gestion des boxes, de l’eau, de l’électricité, etc, Jean Gonzales, pour l’écurie mâle et l’écurie femelle, Maxime Prevost pour l’écurie foals et poulinières, Grégory Servantie, chargé du travail des chevaux et de leur présentation aux clients et Manon Pointillard, responsable de toute la partie décoration et qui est également ma coéquipière aux barres pendant la présentation. Tous sont expérimentés et fidèles du rendez-vous. Beaucoup viennent de Normandie et de Bretagne, mais aussi du Grand Est, où j’ai animé pas mal de formations pour la préparation à l’obstacle en liberté", confirme Eric Livenais. "J’ai beaucoup de demandes pour intégrer l’équipe, même si c’est très physique. Les journées sont longues et intenses : elles démarrent vers 6h30 et se terminent très tard. Même avec de grandes pauses dans la journée, il faut parvenir à tenir le rythme sur une semaine ! Chacun a son poste bien défini et c’est une réussite collective. La personne chargée de faire marcher les chevaux avant leur présentation contribue à leur réussite. Notre équipe est très soudée, et chacun doit faire preuve d’observation. Si un cheval est un peu nerveux au box, on essaye de le changer de place, de le sortir davantage pour lui faire manger de l’herbe. Nous devons également rassurer les vendeurs, qui peuvent s’inquiéter pour leurs chevaux. Les acheteurs ont libre accès aux écuries et peuvent demander à voir les chevaux en dehors de leurs boxes, afin de les voir de plus près au modèle et en mouvement en main, au pas et au trot. Il y a parfois jusqu’à quinze demandes pour certains chevaux, et ce ne sont pas forcément ceux qui seront vendus le plus cher, même si les Top Prices sont, en général, très observés. Lors de fortes demandes, nous essayons de regrouper les sorties sur un créneau horaire, afin de préserver les chevaux. Les stratégies diffèrent également en fonction des acheteurs : certains aiment être discrets, en venant de préférence le matin, tandis que d’autres ne demandent pas directement à faire sortir les chevaux mais observent ceux demandés par d’autres clients potentiels. Certains futurs acquéreurs viennent également avec leur vétérinaire, afin d’effectuer des radios bien spécifiques, toujours avec l’accord du vétérinaire officiel, présent sur place. Toutes les informations sanitaires ainsi que les radios du protocole Denoix sont disponibles sur le site internet, avec les fiches de chaque cheval. Une nouvelle visite vétérinaire est effectuée le lundi, afin de vérifier qu’il n’y a pas eu de problème depuis la sélection du cheval.”
Éric Livenais qui officie aussi pour le stud-book Selle Français lors des sélections de la jeune génétique mâle, est aussi au premier rang dans le rond d’obstacle, cœur du chaudron les soirs de présentation. “Il y a beaucoup d’observation, entre les sélections et la répétition. Il faut amener le cheval au mieux sur les barres, parce qu’il y a, bien sûr, un enjeu économique, mais toujours en le respectant. Tous les chevaux ont été sélectionnés sur un dispositif bien rodé, qui convient à tous, mais nous pouvons parfois modifier une distance pour mettre un cheval plus à l’aise. Lorsque les enchères montent, il faut savoir se mettre dans une bulle par rapport à la salle et rester dans le respect du cheval. On peut élargir un peu la sortie de ligne, car on sait que ces chevaux hors norme n’auront pas de difficulté de couverture. Garder le cheval dans les bonnes conditions pour refaire un saut, alors qu’il marche au pas depuis cinq minutes et qu’il n’a pas l’opportunité de se remettre dans le bain avec un croisillon, est difficile. Le rôle des coureurs pour le lâcher, l’accompagner et le motiver est essentiel.”
Et tout cela se déroule sous les intonations de la voix de Frederik de Backer, chargé d’exprimer la montée des enchères.
Frederik de Backer, la voix des enchères
Éleveur belge passionné de génétique équine et bovine, speaker sur de nombreux grands rendez-vous internationaux de jumping, comme le circuit du Longines Global Champions Tour, Frederik de Backer a rejoint les ventes Fences il y a cinq ans. Il se souvient de la proposition des associés avec beaucoup d’émotion et de fierté. “En Belgique, les ventes Fences sont une référence ; c’est la plus grande vente au monde ! Je fais beaucoup de ventes aux enchères en Europe et en Amérique, mais je n’ai jamais vu cela. Il n’y a aucune vente de ce type qui dure cinq jours. L’ambiance est festive, beaucoup plus que lors d’autres ventes pourtant très prestigieuses, comme celle de Paul Schockehmöhle par exemple. Officier aux ventes Fences est comme participer à Aix-la-Chapelle ! Les ventes Fences sont mes Jeux olympiques, et il faut s’y préparer ! Je passe beaucoup de temps à lire le catalogue, à faire des recherches sur les pédigrées. J’ai aussi de très bonnes relations avec les associés Fences et nous échangeons beaucoup. C’est eux qui me ‘vendent’ les chevaux, qui me les font voir à travers leurs yeux. La répétition du mardi est un moment clef pour obtenir des informations sur les chevaux”, narre avec toute la passion qui le caractérise l’incollable polyglotte. “Les ventes Fences impliquent aussi toute une préparation physique. Je dois soigner ma voix pour qu’elle soit parfaite du premier cheval de la vente du mercredi au dernier de la vente de service du dimanche. Je ne passe jamais au Grand Parquet : je reste à l’hôtel, je ne bois pas d’alcool, pas de café, beaucoup d’eau tiède et je fais des exercices pour chauffer ma voix. C’est tout un management ! Il faut aussi beaucoup d’attention dans la salle et tous mes sens sont mobilisés. Quelqu’un prend son téléphone ? Je le vois. Un commissaire prend une enchère ? Je l’entends…. C’est une concentration extrême et je ne reste jamais après la vente car je suis épuisé. Je ne peux même pas parler avec quelqu’un : trop d’informations se bousculent.”
Habitué à prêter sa voix à de nombreuses compétitions de très haut niveau toute l’année, Frederik De Backer ne voit pas vraiment de différences dans la narration d’une histoire ayant trait à une épreuve sportive et le rôle qu’il exerce en Seine-et-Marne. “C’est la même chose : il faut savoir ce que l’on peut dire ou pas, et au bon moment. C’est comme en concours : on ne sait jamais ce qui va se passer. Le meilleur couple peut ne pas être le meilleur ce jour-là, comme d’autres peuvent se révéler. On cherche la bonne histoire, et pour cela il faut sentir l’atmosphère. C’est pour cela que je dois mettre tous mes sens en éveil”, confie Frederik De Backer. “Et puis il y a Alexandre (Depagne, qui fait l’annonce des chevaux à leur entrée et anime les soirées de ventes à ses côtés, ndlr). Au début, nous avons dû trouver le bon rythme, car on ne peut pas se permettre de perdre trop de temps, et on ne sait pas à l’avance quel sera le dernier saut d’un cheval. Maintenant, nous fonctionnons comme un tandem : je suis derrière Alexandre et je peux rouler les yeux fermés, je sais qu’il a la bonne conduite ! Nous n’avons pas de script, nous nous adaptons, et je pense que nous avons réussi à créer une bonne dynamique. Il arrive même qu’Alexandre se moque de moi et de mon français ! (rires)”
Ce grand connaisseur des chevaux de sport se plaît aussi à souligner qu’à quarante-deux ans il apprend beaucoup en venant aux ventes Fences. “J’ai découvert l’élevage français et ses souches. D’où nous sommes positionnés lors des enchères, on ne voit pas bien sauter les chevaux et l’écran est derrière nous, donc je ne peux pas vraiment apprécier ce qui se passe dans le rond, où l’équipe d’Éric Livenais fait un travail formidable. Pour lui aussi, cela doit être comme ses Jeux olympiques ! Il doit tout repérer pour améliorer le saut. Il y a aussi le travail remarquable de sélection mené par l’équipe. Sur le catalogue et les résultats, je vois la confirmation de jeunes étalons, comme cette année avec Candy de Nantuel et Pegase van’t Ruytershof”, plaide-t-il. “Cette semaine est phénoménale, il n’y a pas d’autres lieux où l’on peut voir autant de bons jeunes chevaux et trouver autant d’informations. Entrer aux ventes Fences, c’est comme entrer à l’université pour apprendre le plus haut niveau !”
Photo à la Une : Depuis cinq ans, Frederik De Backer est la voix des ventes Fences Elite. © Mélina Massias