Les guêtres se font la malle sur les terrains de saut d’obstacles
Après les fers, voilà que les cavaliers retirent également les guêtres des membres de leurs chevaux. Conséquence jugée logique par beaucoup du passage pieds nus, le retrait des protections aux antérieurs se démocratise et semble apporter son lot de points positifs. Moins de chaleur autour des tendons, moins de gêne, gain de temps, … Pour Studforlife, Victor Bettendorf, Robin Muhr, Hugo Paris et Adrien Theyssier détaillent leur démarche.
Il y a quinze jours, à Cabourg Classic, événement organisé par GRANDPRIX Events, les remises des prix ont souvent été menées par des chevaux ne portant pas de guêtres sur leurs antérieurs. Bilal Zaryouh, Victor Bettendorf ou encore Alexa Ferrer ont en effet opté, tout comme d’autres pilotes, pour ce nouveau fonctionnement, qui semble prendre de l’ampleur sur les pistes de jumping. L’Américaine Margie Goldstein Engle a sans doute été l’une des premières, sinon la première cavalière de saut d’obstacles à conduire le puissant Dicas, antérieurs nus, sur les terrains de compétitions. Pourtant, la démarche de l’amazone est longtemps restée figure d’exception.
La multiplication du phénomène ces derniers mois est grandement liée au retrait des fers, traditionnellement utilisés sur les pieds des chevaux au travail. Sous l’impulsion de la famille Hécart et de Julien Épaillard notamment, de plus en plus de cavaliers de haut niveau, y compris les actuels numéros deux et trois mondiaux, les Suédois Henrik von Eckermann et Peder Fredricson, ont recours à cette pratique, visant à redonner liberté et fonctions naturelles aux sabots. Chez certains, les guêtres ont donc aussi été rangées au placard. “Nous en sommes arrivés à ne plus mettre de guêtres à nos chevaux à la suite de la nouvelle méthode que nous appliquons depuis mars, à savoir les chevaux sans fer. Ma sœur (Audrey Paris, ndlr), notre groom et moi avons suivi une formation pour apprendre à parer nos équidés et découvrir l’approche pieds nus. Nous avons appris beaucoup de choses et nous avons ensuite déferré trois quarts de notre écurie”, débute Hugo Paris, cavalier dans la structure familiale de l’élevage des Forêts, sise à Couvains, en Normandie. “Qui dit chevaux ferrés, dit protections. Or, comme nos chevaux n’ont plus de fer, nous avons aussi retiré les protections, car les risques de blessures sont moindres. Cela nous semblait naturel, puisque sans fer, il y a moins de chances qu’un cheval se donne un mauvais coup.” Aux yeux du jeune homme, le retrait des fers présente un autre avantage : “Nous aimons bien que nos chevaux sortent autant que possible de leurs boxes. Depuis qu’ils n’ont plus de fer, nous pouvons les mettre au paddock en troupeau, sans protection particulière sur leurs membres. C’est une bonne chose pour leur mental, mais aussi pour leur physique, puisqu’ils marchent toute la journée, de 7h30 à 17 heures.”
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Du côté de l’écurie de Theyss, gérée par Adrien Theyssier et où évolue la cavalière Alexa Ferrer, la démarche est similaire. “À la base, les guêtres sont faites pour protéger les tendons des fers des postérieurs, qui peuvent venir heurter les antérieurs. Cela peut arriver, mais le cheval peut aussi bien se mettre un coup dans le tendon que dans le pied ou le genou (qui n’est pas protégé, ndlr)”, éclaire l’intéressé. “Notre culture est rattachée à celle de Julien Épaillard et Michel Hécart, que nous avons la chance de compter dans nos proches contacts. Ils ont l’expérience et beaucoup de compétences. Nous avons donc suivi leurs conseils. Compte tenu des problèmes de maréchaux que nous avons pu avoir, nous avons essayé de laisser nos chevaux pieds nus. Dès que nous avons essayé, tous nos chevaux ont été déferrés. Puis les guêtres ont suivi, puisque nous essayons d’en utiliser le moins possible, autant sur les antérieurs que sur les postérieurs.”
Victor Bettendorf, qui, comme Adrien Theyssier et Hugo Paris, tient à ce que ses chevaux passent beaucoup de temps en extérieur et utilisent leurs pieds au naturel, avance une autre raison quant à la mise au placard des protèges tendons. “J’ai commencé à déferrer mes chevaux il y a deux ans, lors de mon arrivée au haras de la Roque. Nous sommes dans un système où les chevaux vivent beaucoup dehors, en troupeaux. Nous essayons de leur faire passer autant de temps que possible dans la nature et le moins possible au box. Concernant les guêtres, je n’en mets plus depuis une chute subie par Adeline (Hécart, sa compagne, ndlr) : sur un parcours, sa jument s’était coincé un postérieur dans la guêtre et s’était arraché la peau d’un antérieur. Chez nous, il n’y a donc pas de guêtre ou de bande. Et, comme il n’y a plus de fer, ils ne peuvent pas se faire mal”, révèle le Luxembourgeois. Robin Muhr, représentant d’Israël, a également adopté cette méthode. “Le sable peut parfois s'immiscer à l’intérieur des guêtres, ce qui peut gêner les chevaux et faire chauffer les tendons. Cela peut aussi provoquer une gêne dans le mouvement, notamment pour plier les antérieurs. Et puis, cela a un côté pratique : nous n’avons plus besoin d’effectuer de contrôle en sortie de piste. À la base, les chevaux vivent sans guêtre, donc je ne pense pas que cela les dérange de ne plus en porter. En revanche, il s’agit d’un gain de temps pour moi, qui n’ai plus besoin de les mettre et les enlever”, explique-t-il.
Les protections, source de chaleur pour les tendons ?
Même sans guêtre, cavaliers et professionnels ne semblent pas craindre les blessures. Au contraire, chacun semble s’accorder pour trouver des avantages au retrait de ces protections, jusque dans la science. “Les guêtres et les bandes sont couramment utilisées pour protéger les membres inférieurs du cheval contre les traumatismes pendant l'exercice. Cependant, des recherches antérieures suggèrent que cette utilisation peut entraîner une augmentation de la température des membres, ce qui peut être préjudiciable aux tendons sous-jacents”, débute ainsi une étude conduite par Luke Brock, au sein de l’Université d'État de Middle Tennessee en mai 2021. L’étudiant a mené ses recherches sur six chevaux et autant de types de protections différents. L’un des deux membres antérieurs de l’équidé était laissé nu, afin de servir de témoin. Le membre non protégé était toujours moins chaud que ses voisins, et les bandes de polo ont produit le plus de chaleur. Après cent quatre-vingts minutes de repos, aucun des pourcentages d’humidité ou de températures mesurés n’était revenu à la normale. “Les résultats soutiennent l'hypothèse selon laquelle le refroidissement par convection est altéré par les guêtres et les bandages pendant l'exercice. Étant donné que la température de la peau de la jambe a été corrélée à la température de la surface du tendon sous-jacent, cela suggère que même lors d'un exercice d'intensité modérée, dans des conditions ambiantes modérées, un membre guêtré ou bandé peut atteindre des températures nuisibles”, estime Luke Brock, dont le travail est soutenu par d’autres études similaires.
Sur les carrés de dressage, tout type de protection est interdit en compétition. Cela ne pose pas de problème majeur, pas même aux équidés ferrés. Dans des disciplines où les éléments extérieurs sont encore moins contrôlables, comme en concours complet, il n’est pas rare non plus de voir des chevaux évoluer dans au moins deux des trois tests, jambes nues, notamment outre-Manche, sur des niveaux Amateurs. À l’hippique, cela permet notamment d’éveiller l’attention des montures, alors plus à même de sentir une touchette sur les barres. Alors, protéger les membres des chevaux est-il devenu une habitude plus qu’un réel besoin ? Peut-être en partie. “Au début, lorsque nous avons déferré, nous ne nous sommes pas forcément rendu compte que nous n’avions plus besoin de guêtres. C’était plus un réflexe ou un automatisme qu’autre chose. En fin de compte, je me suis rendu compte qu’avec des chevaux sans fer, il n’y a plus de raison de mettre des guêtres”, appuie Victor Bettendorf, rejoint sur ce point par Adrien Theyssier, Hugo Paris et Robin Muhr.
Tous quatre s’accordent aussi à souligner l’importance de s’adapter à chaque monture. Peut-être que certaines, par leur fonctionnement biomécanique, nécessiteront toujours une forme de protection. “Il y a des chevaux dont la locomotion permet de ne pas mettre de guêtres, mais il y en a d’autres qui ont tendance à se taper les canons”, reprend Adrien Theyssier. “En revanche, cela peut être bénéfique pour les chevaux qui ont des problèmes de tendons ou de tendinites, car l’absence de guêtre empêche une surchauffe des tendons.” À l’inverse, d’autres cavaliers restent attachés au fait de protéger les membres de leurs complices à quatre jambes, par précaution ou crainte de blessures diverses.
Entre Julien Épaillard, Bilal Zaryouh, Alexa Ferrer, Robin Muhr, la famille Paris, mais aussi de nombreux autres cavaliers, à l’image de Jean-Luc Mourier, Pius Schwizer ou encore Pieter Devos, qui se sont essayé à cette méthode avec au moins l’une de leur monture en CSI, le retrait de toute forme de protection semble prendre de l’ampleur, preuve, sans doute, de certains bénéfices. Espérons que ces bonnes intentions se poursuivent et se décalent jusqu’aux postérieurs des montures, encore fréquemment équipés de guêtres postérieures, visant à améliorer leur geste au-dessus de l’obstacle, mais aussi aux muserolles et autres nosebands, qui recouvrent encore (trop) souvent le chanfrein des chevaux.
Photo à la Une : les membres nus de Simolo de la Roque lors du CSI 4* de Fontainebleau. © Mélina Massias