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“Les gens qui travaillent dans l’ombre sont bien souvent ceux qui passent le plus d’heures avec les chevaux”, Giulia Martinengo Marquet (1/2)

Giulia Martinengo Marquet
mercredi 18 décembre 2024 Mélina Massias

Participer au CHI de Genève était un rêve pour Giulia Martinengo Marquet. L’Italienne, très régulière tout au long de la saison, et notamment sacrée championne d’Italie au printemps avec Scuderia 1918*Calle Deluxe, a prouvé que sa place était parmi l’élite de sa discipline. En plus d’accomplir son rêve en foulant la piste du plus bel indoor du monde, l’amazone de quarante-cinq ans s’est offert une brillante deuxième place avec le Selle Français Delta del’Isle, dans une épreuve particulièrement relevée. Rencontrée deux jours avant cet accomplissement qu’elle n’est pas près d’oublier, la pétillante Transalpine avait déjà des étoiles plein les yeux et de l’admiration à revendre pour ses complices à quatre jambes et les membres si importants de son équipe. Cinquante-cinquième mondiale en décembre, la mère de famille n’a jamais dérogé à son amour et son respect des chevaux. À l’heure où l’hyperflexion demeure toujours trop banalisée, cette dénicheuse et formatrice des talents de demain n’hésite pas à détendre son cheval de Grand Prix le nez au vent, sur les plus belles pistes du monde. Mieux encore, les trois chevaux qu’elle a présenté en Suisse le week-end dernier ont évolué sans guêtres postérieures et ce, sans exception. Maîtrisant la langue de Molière à la perfection, grâce à une immersion de trois mois dans les écuries du champion français Éric Navet offerte par sa mère en guise de cadeau de fin d’études voilà vingt-six ans déjà, Giulia Martinengo Marquet est revenue avec bienveillance et bonheur sur une saison réussie à tout point de vue, sur sa famille, son système, ses trois cracks, mais aussi sur l’univers du saut d’obstacles de haut niveau. Un entretien à découvrir en deux épisodes.

Vous participez pour la première fois de votre carrière au CHI de Genève. Comment vivez-vous cette expérience ?

Que puis-je dire ? C’est la crème de la crème ! Tout est magnifique. Venir ici était un rêve depuis toujours. Je suis tellement heureuse que l’on m’ait donné la chance de pouvoir participer à ce concours !

Quel bilan tirez-vous de votre année 2024, marquée par plusieurs succès ?

Fantastique ! Quand on a une super équipe, de supers chevaux et que tout fonctionne bien, voir les résultats arriver est toujours appréciable. Cette année, j’ai pu compter sur trois chevaux fabuleux : Scuderia 1918*Calle Deluxe (Cesano II x Con Air), Delta del’Isle (Tibet Tame x Grain de Soleil) et Captain Morgan Weering (Carrera VDL, né Balou x Arezzo VDL, né Amant M). Ce sont surtout eux qui ont tiré cette année vers le haut. C’était vraiment une année formidable et je ne pouvais pas en demander davantage !
Delta del'Isle permet à sa cavalière de réaliser ses rêves. © Mélina Massias



“Remporter un championnat est toujours agréable pour le collectif”

En ce mois de décembre, vous occupez le cinquante-cinquième rang du classement mondial Longines de saut d’obstacles. Il s’agit de votre meilleur résultat en date. Est-ce symbolique pour vous de faire officiellement partie du gratin du saut d’obstacles international ?

Symbolique, oui. Je ne suis pas naïve et je ne vais pas dire que ce classement n’a pas de valeur, mais je n’ai jamais couru après cette hiérarchie mondiale, et je ne vais pas commencer maintenant ! Je vois davantage le classement mondial comme une photo d’une situation à un moment donné. Pour mon équipe, mes propriétaires et toutes les personnes qui se sont investi dans notre projet, qui ont cru en moi, en mon mari (Stefano Cesaretto, ndlr), qui est toujours à mes côtés, c’est une belle récompense. Cela nous fait plaisir de pouvoir nous dire “wow, nous avons bien travaillé, bravo”. Symboliquement, c’est appréciable. Ce résultat a été rendu possible par mes chevaux. Certains, qui étaient à mes côtés depuis longtemps, ont évolué, d’autres sont entrés dans ma vie plus ou moins récemment et m’ont permis de réaliser de bons concours à haut niveau, mais mes décisions et mes choix ne sont jamais dictés par le classement mondial. C’est plutôt l’inverse : si tout fonctionne bien, on progresse dans cette hiérarchie mondiale.

Lorsqu'elle évoque sa réussite, Giulia Martinengo Marquet met toujours en avant le rôle déterminent de son équipe et de son entourage. © Mélina Massias

Au printemps, vous avez décroché votre troisième titre de championne d’Italie, avec Scuderia 1918*Calle Deluxe. Comment avez-vous vécu ce nouveau sacre ?

J’adore les championnats ! J’ai remporté le championnat d’Italie avec trois chevaux différents (en 2015 avec Istafan Sissi, Istafan x Szelplak X-28, et en 2018 avec Verdine S, Verdi TN, né Vanquidam x Hearbreaker, ndlr) au fil des années. En Italie, nous avons un bon championnat. Il se déroule toujours avant le CSIO de Rome et nous met tous dans un bon état d’esprit. Même s’il ne s’agit pas d’un championnat international, c’est une belle récompense, pour moi, mais surtout pour mon équipe. Je trouve très important de souligner leur importance dans mes succès. Oui, il y a l’instant de la compétition, où l’on voit le cavalier en piste et où l’on se dit qu’il s’agit d’un sport individuel, mais derrière tout cela, il y a un village entier ! Remporter un championnat est toujours agréable pour le collectif.
Le versatile Calle Deluxe a permis à son amazone de décrocher son troisième titre de championne d'Italie au printemps dernier. © Mélina Massias

“Sans mon groom, Christian, je suis perdue ! Cela fait dix-huit ans que nous travaillons ensemble”

Vous évoquez énormément votre équipe, qui joue un rôle crucial dans votre réussite. Beaucoup de personnes, à l’image des grooms ou des cavaliers maison, sont encore trop souvent dans l’ombre. Selon vous, comment serait-il possible de leur donner plus de reconnaissance ?

Je trouve que les médias permettent de les mettre plus en lumière. Le fait que le nom des grooms soit écrit à l’écran lors des épreuves est souvent décrit comme un petit geste, mais je trouve que c’est une grande chose. C’est très important ! Les gens qui travaillent dans l’ombre sont bien souvent ceux qui passent le plus d’heures avec les chevaux, avec des horaires parfois compliqués, et qui permettent aux cavaliers d’être dans de bonnes conditions pour se concentrer sur la compétition. J’ai vraiment beaucoup de respect pour chaque membre de mon équipe, et en particulier pour mon groom, Christian (Petru Moroseanu, ndlr). Je ne vais pas parler de mon parmi, tant son importance est capitale et qu’il est toujours à mes côtés, comme entraîneur, sponsor ou partenaire de vie ! Mais sans Christian, je suis perdue ! Cela fait déjà plus de dix-sept ans que nous travaillons ensemble ! Toute l’équipe est très soudée et nous travaillons ensemble depuis longtemps, que ce soit avec les autres grooms, notre maréchal-ferrant ou notre vétérinaire. J’ai la chance de pouvoir dire que mon équipe n’a jamais beaucoup changé. Encore une fois, c’est pour cela que je dis que cette année a été magnifique pour l’équipe : rien n’a vraiment changé, mais, en même temps, tout a changé. Ce n’est pas comme si nous avions modifié quelque chose, ou que nous faisions les choses différemment. On a besoin des chevaux pour performer et je suis tombée sur un trio incroyable et mon équipe a continué à bien travailler ! Tout cela a découlé sur une bonne saison. Je reste vraiment les pieds sur terre et je sais que les bons résultats arrivent quand on travaille bien et que l’on a la chance d’avoir de bons chevaux. Mais je sais aussi que tout peut partir très rapidement. Quoi qu’il arrive, il faut rester la même.

Christian travaille auprès de Giulia et ses chevaux depuis bientôt dix-huit ans. Sans lui, l'Italienne se dit "perdue". © Mélina Massias

Conserver le même état d’esprit ne doit pas être aisé à mesure que les résultats fluctuent…

J’ai quarante-cinq ans. J’ai une idée assez précise et rationnelle de notre sport et de son fonctionnement. Bien sûr, vivre une saison comme celle que j’ai connue cette année est fantastique, mais je m’amuse chaque jour dans mon métier, même lorsque je suis en concours au niveau national. Je prends les moments comme ce week-end à Genève comme un grand cadeau.



“Je pense qu’il ne faut jamais oublier la raison pour laquelle on a commencé : l’amour des chevaux”

Au fil des années, des hauts et des bas, comment garde-t-on l’essence même de ce métier, la raison pour laquelle tout cavalier a, logiquement, décidé d’emprunter cette voie : l’amour des chevaux ?

Je pense qu’il ne faut jamais oublier la raison pour laquelle on a commencé : l’amour des chevaux. Tout le monde, cavaliers, grooms, journalistes est porté par cela. Dans les moments négatifs, que l’on vit souvent dans ce métier, il ne faut jamais oublier pourquoi on fait cela. Nous sommes déjà des privilégiés et il faut toujours réussir à nuancer et mettre en perspective les problèmes. Nous avons la chance de partager notre vie avec des animaux formidables, qui nous permettent de vivre une existence fantastique ! Je garde bien cela dans ma tête.

L'amour des chevaux doit demeurer une priorité absolue selon Giulia Martinengo Marquet. © Mélina Massias

Au plus haut niveau, il pourrait pourtant être facile de laisser le sport passer devant l’animal…

Non, il ne faut jamais que cela arrive. L’une de mes forces réside peut-être dans le fait que je ne suis pas en CSI 5* chaque semaine. J’alterne beaucoup les différents niveaux de compétition. Même maintenant que j’ai de bons chevaux pour le très haut niveau, je ne les sollicite pas toutes les semaines en CSI. J’adore monter les jeunes chevaux et je le fais depuis toujours. À quelques exceptions près, j’ai monté tous les chevaux avec lesquels j’ai évolué au plus haut niveau lorsqu’ils étaient jeunes. J’ai toujours fonctionné ainsi et je ne changerai jamais cela. Sur un mois, je fais peut-être un concours exceptionnel, et le reste du temps je suis chaque semaine en CSI 2* ou sur des événements nationaux, avec des jeunes chevaux, etc. Dans les deux cas, je prends beaucoup de plaisir !

Comment trouvez-vous le bon équilibre ?

Peut-être que cela fonctionne parce que je n’ai jamais été lancée de façon permanente à haut niveau. J’ai toujours fait ainsi. Quand on a une habitude et que l’on trouve qu’elle porte ses fruits, on s’y accroche ! Je crois que l’on aime tous cela, que ce soit mon équipe, mon mari, ou moi. Mon mari est extrêmement passionné, toujours en quête du prochain jeune cheval et à mes côtés le week-end en concours. Le sentiment d’avoir la future star des écuries en formation avec soi en concours, peu importe le niveau, est toujours une grande source de motivation. Ces dernières années, j’ai participé aux grands championnats et à toutes ces choses-là, mais toujours avec des chevaux en formation en parallèle.

Grâce aux jeunes chevaux et aux concours de niveau 2, 3* ou national, l'Italienne parvient à garder les pieds sur terre. © Mélina Massias

“J’ai un mari très progressiste !”

Comment fonctionne votre système ?

Je dois dire que mon mari est le maillon le plus important. Il me permet de ne penser qu’à monter à cheval, ou presque. Il s’occupe de tout le reste et cela signifie beaucoup. Je peux poser mon téléphone ; c’est lui qui regarde les vidéos, échange avec les sponsors, les propriétaires, les différents membres de l’équipe, du vétérinaire au maréchal-ferrant en passant par les physiothérapeutes, etc. Il est aussi mon coach. C’est peut-être étrange que cela fonctionne aussi bien, mais c’est le cas depuis longtemps et nous espérons que cela dure ! Je pense que nous nous complétons très bien : nous avons des côtés très similaires et d’autres complémentaires. Beaucoup de personnes, et surtout de femmes, se demandent pourquoi il n’y a pas plus de cavalières à haut niveau. Si elles doivent tout faire, c’est compliqué ! On s’effondre. S’il faut communiquer avec tout le monde et prendre soin de sa famille, des enfants et de l’organisation de la maison en plus, c’est vraiment difficile. J’ai un mari très progressiste ! (rires) Il a quitté le haut niveau pour moi, pour pousser ma carrière et je ne peux que le remercier.

Votre fille, Bianca, monte aussi à cheval ! Pensez-vous qu’elle souhaite suivre vos traces ?

Oui, ma fille monte aussi à cheval. Elle est ici, à Genève, ce week-end. Elle adore suivre le haut niveau, c’est une vraie fanatique ! Elle monte deux chevaux et commence sa petite carrière. Je ne sais pas si elle en fera son métier à temps plein à l’avenir. Je veux être très mesurée par rapport à cela et parvenir à prendre du recul, même si mes sentiments à son égard sont extrêmement forts. Ce seront ses choix, pas les miens. Cela est primordial pour moi. Qu’elle puisse voir comment cet univers fonctionne, comment sa famille travaille, est une bonne chose et j’en suis très contente, mais je n’attends rien d’elle par rapport à cela : elle fera sa vie comme elle l’entend.

Bianca, aux premières loges pour féliciter sa maman après sa deuxième place dans le Grand Prix Rolex de Genève, dimanche 15 décembre. © Mélina Massias

“Delta del’Isle est un génie”

Quelle est l’histoire de votre cheval de tête, Delta del’Isle, initié à la compétition en France en 2018 et 2019 par Baptiste Bohren ? Comment avez-vous croisé sa route et quels sont ses atouts ?

Delta est un cheval français de onze ans. Nous sommes tombés sur lui complètement par hasard. Il y a une drôle d’histoire autour de lui ! Delta a passé quelques mois chez Silvia Torresani, une vétérinaire et physiothérapeute équine qui suit la première équipe suédoise et avec qui nous travaillons depuis quinze ans. Alors qu’en quinze ans elle ne m’avait jamais, jamais parlé d’un cheval, elle m’a dit, un jour, qu’elle avait un cheval dans ses écuries et qu’elle était persuadée qu’il serait fantastique pour moi. Sentant qu’il s’agissait vraiment d’une occasion spéciale, je suis vite allée l’essayer et je suis tombée amoureuse ! Les propriétaires de Delta, Konstantin et Martina Thomas, qui sont installés en Allemagne, ont vu la vidéo de l’essai et apprécié la façon dont j’avais monté leur cheval. Alors, ils m’ont proposé de l’essayer en concours, pour voir si nous nous entendions bien. Ils sont toujours propriétaires de Delta aujourd’hui, et ils sont très contents de notre couple ! Dès le début, j’ai eu un ressenti incroyable avec Delta. Sa propriétaire m’a alors demandé si j’étais d’accord pour qu’il reste chez Silvia. Alors, il habite toujours chez elle, et non chez moi ! Les écuries de Silvia et son époux, les écuries Bellavista, se trouvent à trois-cent-cinquante kilomètres de chez nous. Delta y a son box et son paddock. Il y a également un marcheur aquatique et les écuries sont situées dans un endroit très vert, avec beaucoup de forêts. Il est donc entretenu physiquement et mentalement là-bas et reste très content, très frais ! Il vient chez nous juste avant les concours. Je ne le monte que deux ou trois jours à la maison, puis nous partons en compétition ! Je pense que ce genre d’histoire n’arrive pas tous les jours. On peut entendre des choses similaires avec des éleveurs qui confient leurs jeunes chevaux pour le week-end à un cavalier, mais pas à ce niveau ! Delta nous montre que c’est la vie qu’il aime. Alors, il évolue ainsi depuis que j’ai commencé à le monter, il y a un an et demi. Entre nous, nous plaisantons souvent en disant qu’il a la vie d’un cheval appartenant à deux personnes divorcées ! Il a deux familles ! Encore une fois, je n’ai pas simplement une équipe derrière moi, mais bien tout un village ! C’est quelque chose d’extraordinaire, où tout le monde essaye de faire au mieux pour les chevaux. Delta est un cheval très spécial, à tout point de vue. C’est un génie, un talent pur.

Delta del'Isle a terminé deuxième à Genève, huit ans après le triomphe de son oncle, un certain Quabri de l'Isle ! © Mélina Massias

Photo à la Une : Giulia Martinengo Marquet n'a pas quitté son large sourire de l'après-midi à Genève, où elle a enregistré le plus beau résultat de sa carrière. © Mélina Massias

Retrouvez la seconde partie de cet entretien ici.