À l’élevage de Goutte Noire, Quentin Memin mise sur des matrones confirmées
Situé à l'ouest de Lyon, l’élevage de Goutte Noire, initié par Quentin Memin il y a une dizaine d’années, prend une nouvelle dimension. Grâce à des souches confirmées, le jeune trentenaire, qui est à la tête d’un salon de coiffure en parallèle de son rôle d’éleveur, se donne le droit de voir grand. Comptant notamment sur Rosée de Cerisy, la mère d’un certain Vénard, mais aussi sur Secret Love NML, sa jument de concours et sœur utérine des tous bons Abricot et Butterfly Ennemmel, le Rhônalpin, qui vit toujours les choses à 200%, espère voir le nom de son élevage briller au plus haut niveau dans les années à venir.
Coiffeur à la ville, Quentin Memin se dédouble chaque jour pour faire fleurir son jeune élevage, initié il y a une dizaine d'années, sous l’affixe de la Goutte Noire. Depuis 2017, et plus encore depuis 2018, l’activité du Rhônealpin, installé non loin de Lyon, a pris une ampleur bien différente. Cette semaine, alors que les meilleurs chevaux de la planète se donnent rendez-vous au Danemark, où se tiennent les championnats du monde, cet aficionado de saut d’obstacles suivra avec attention l’échéance. Non pas pour observer ses propres produits, encore trop jeunes pour affronter une telle compétition, mais bien pour garder un œil sur deux cracks dont il exploite les souches à l’élevage : Vénard de Cerisy (ISO 176, SF, Open Up Semilly x Djalisco du Guet) partenaire olympique du Suisse Steve Guerdat, et Butterfly Ennemmel (ISO 156, SF, Quaprice Bois Margot, ex Quincy x Lux Z), sacrée championne de France à six ans à Fontainebleau en 2017, propre sœur d’Abricot Ennemmel et engagée à Herning sous la selle du Sud-Africain Oliver Lazarus.
Issu d’une famille extérieure au monde équestre, Quentin Memin découvre les joies de l’équitation grâce à sa marraine, titulaire du monitorat et alors propriétaire de deux chevaux à la retraite. De fil en aiguille, le jeune garçon s’initie plus sérieusement à son sport, en centre équestre, puis en devenant à son tour propriétaire. La passion est telle qu’il envisage même d’en faire son métier en entrant dans un lycée agricole. Mais, la raison le rattrape et il décide alors de choisir une autre voie professionnelle : la coiffure. “Ma mère avait peur des chevaux et mon père n’aimait pas ça du tout”, se souvient le trentenaire. “J’hésitais entre le cheval et la coiffure, mais, mes parents étant totalement étrangers au monde agricole, je me suis dit qu’il fallait que j’assure mon futur. Ils m’avaient d’ailleurs mis en garde. Alors, je me suis dit que j’allais choisir un métier que j’aimais, mais moins passionnel. J’ai fait une école de coiffure et, à vingt et un ans, je suis devenu patron de cinq ou six salariés.” Sous les conseils de sa famille, Quentin tente alors de prendre un peu de recul sur le monde équestre, le temps de pérenniser sa nouvelle activité. Mais chassez le naturel, il revient au galop. “J’ai tenu peut-être quatre ou cinq mois”, rit-il. Avec ses économies, le coiffeur s’offre une jument, Orphée de Prélavaux (SF, Quatoubet du Rouet x Tain du Banney). Alors que le couple progresse à son rythme, avec l’objectif de performer en compétitions, la belle déclare un épisode de coliques. Un coup dur pour son propriétaire, d’autant plus grand que son père refuse de l’aider financièrement et lui conseille l’euthanasie. Finalement, la Selle Français s’en sort et l’aventure de l’élevage est lancée.
Amber de Goutte Noire, une première réussie
En 2010, ce n’est pas un poulain, mais deux qui porteront l’affixe de Goutte Noire. En effet, en plus d’Orphée, inséminée en 2009 pour lui offrir quelques mois de repos sportif par Olimbos Merzé (SF, Kannan x If de Merzé), alors distribué dans l’élevage éponyme, près de Cluny, la géniale Naomie de Goutte Noire, une ponette pie aux origines inconnues acquise auprès d’un marchand sur un coup de cœur, montée dans de belles épreuves par Tressy Muhr et à l’origine du nom de l’affixe choisi par Quentin, donne, elle aussi, un poulain : Aron de Goutte Noire (OC, Tinka’s Boy). Si le hongre a évolué en épreuves Clubs, avec de nombreuses victoires à la clef, la fille d’Orphée, Amber de Goutte Noire, arpente les terrains de concours avec Géraldine Cadic. Toutes deux se sont notamment illustrées à La Baule, terminant troisième du Grand Prix à 1,35m cette année.
“Dans mon idée de production, je cherche à faire naître des poulains qui soient bons à tout niveau. Effectivement, j’ai envie d’avoir des chevaux pour faire de belles épreuves. Tout éleveur en rêve. Mais je suis assez lucide”, explique l’éleveur. “Par exemple, Amber, que j’avais vendue, me ravit. Elle fait du 1* avec une cavalière amateure et se classe tous les week-ends. Elle était troisième aux championnats de France Amateur Elite l’an dernier, et quatrième cette année. C’est super ! Pour moi, il faut avant tout des chevaux qui ont l’envie. Toutes les juments que j’ai eues étaient atypiques, mais elles avaient toutes l’envie. Je me dis qu’à l’avenir, les gens sceptiques ne nous poseront plus de problèmes s’ils voient que les chevaux aiment ce qu’ils font et le font sans contrainte.”
Une fois son poulain sevré, Orphée a repris le chemin des concours et son cavalier a pu poursuivre ses ambitions sportives. Toujours déterminé, peu importe ce qu’il entreprend dans la vie, le pilote s’est alors rapproché de Loïc Michelon, rencontré à la fin des années 2010, et qui allait ouvrir sa propre structure, dans l’Ain, quelques années plus tard. “Mon ami Loïc s’est installé à son compte. Il était à une heure et quart de route de chez moi. J’allais monter chez lui quatre fois par semaine, en plus de mon travail. J’avais mis quelques chevaux en pension chez lui, et lui me coachait. Il m’a expliqué que deux choix s’offraient à moi : soit investir beaucoup d’argent et acheter de nouveaux chevaux tous les trois ou quatre ans, soit trimer un peu plus que les autres. J’ai choisi la deuxième option et il m’arrivait de monter à cheval jusqu’à 23 heures, voire minuit”, reprend le pilote. “À la même période, j’ai récupéré une jument, prénommée La Copacabana (ISO 129, SF, Val de Saire x Ferdigano), qu’un marchand de chevaux m’avait échangée contre un quatre ans. Elle avait fait de belles épreuves, mais était délicate. Grâce à elle et Loïc, j’ai tout réappris et je suis parvenu à sauter des épreuves à 1,30 et 1,35m.”
“Quentin et moi nous sommes connus lorsque j’étais salarié pour Vincent Feuillerac, il y a une quinzaine d’années. Il voulait déjà évoluer en compétitions à l’époque. Puis, lorsque je me suis installé à mon compte, il venait s’entraîner régulièrement chez moi, de manière assez assidue. Cela a plutôt bien fonctionné à l’époque. Quand il a quelque chose en tête, il ne lâche jamais le morceau. Cela fait à la fois sa qualité, mais aussi son défaut (rires). Il s’entraînait après son travail, et il lui arrivait même de monter jusqu’à minuit. Il passait des heures, les soirs d’hiver, à monter à cheval pour progresser. Ses jours de congés, il les passait aux écuries. Il se donne à fond”, dépeint le cavalier professionnel, désormais basé près d’Annecy. “Quentin est parfois un peu excessif. Il peut passer de tout à rien, et recommencer. Mais cela fait aussi sa qualité : il est tenace.”
Joy de Goutte Noir, fils de La Copacabana et Dollar du Rouet.
En quête de souches solides
Entre 2011 et 2015, l’affixe “de Goutte Noire” s’enrichit de cinq produits supplémentaires. L’année suivante, la fameuse La Copacabana, désormais retraitée chez son ancien cavalier, a, à son tour, été mise à contribution, mettant au monde Hardy de Goutte Noire (SF, Ogrion des Champs), son premier produit. Puis, en 2017, tout s’accélère. Souhey du Stecha (SF, Papillon Rouge x Pidayack), avec laquelle Quentin a évolué jusqu’à 1,35m, se consacre à la reproduction et est rejointe par Pin Up des Bonnes (SF, Don Pierre, AA x Almé du Theil), débarquée sous les conseils de Loïc Michelon et mère du tout bon Tanael des Bonnes (SF, Watch Me van’t Zorgvliet, monté par Aldrick Cheronnet puis Marie Demonte à haut niveau et cédé outre-Atlantique, ndlr). À partir de là, la machine est lancée et naissent chaque année plusieurs produits : trois en 2018, cinq l’année suivante, trois en 2020, cinq en 2021, … “La Copacabana prenant de l’âge, je me suis dit qu’il allait me falloir des chevaux”, poursuit Quentin, qui se met en quête de nouvelles montures pour développer son élevage. Et la première sur qui il jette son dévolu n’est autre que Rosée de Cerisy (SF, Djalisco du Guet x Siego, AA), la mère de Vénard de Cerisy, le partenaire olympique de Steve Guerdat, et la sœur d’Uno de Cerisy, excellent complice d’Edward Levy au plus haut niveau. Après avoir donné un unique produit à son élevage d’origine, puis servi de mère porteuse en raison du caractère instable et délicat de son premier fils, la Selle Français Originel, issue d’une souche Anglo-Arabe, avait été cédée en tant que jument de loisirs, donnant toutefois deux produits, avant de faire une pause de plusieurs années à l’élevage. “Alors que j’étais en vacances en Thaïlande, j’ai vu la mère de Vénard de Cerisy sur un site internet. Je voulais vraiment avoir de bonnes poulinières pour mon élevage. Elle était dans le Sud et faisait de la balade. J’ai appelé son propriétaire, qui m’a confirmé qu’elle pouvait être spéciale et caractérielle. Mais, sur le coup, je lui ai dit que je la lui achetais et que je lui faisais un virement. Lorsque je suis rentré de vacances, je suis allé la chercher et, effectivement, elle avait son caractère et refusait de monter dans le camion. Je crois que j’aime bien ce type de jument”, sourit l’heureux éleveur. “Quand j’ai une idée en tête, je fonce”, ajoute-t-il à juste titre.
Avec Rosée, Quentin a dû s’armer d’une bonne dose de ténacité. “Lorsque j’ai acheté Rosée, nous avons essayé de la faire inséminer par Eldorado vd Zeshoek (BWP, Clinton x Toulon). Tout s’est parfaitement déroulé et elle a eu une pouliche. En revanche, l’année d’après, il a été quasiment impossible de la faire remplir ! Nous l’avons inséminée peut-être dix ou douze fois. J’ai été dans le Cantal pour avoir accès à de la semence fraîche, l’ai mise en pension chez une amie afin qu’elle soit rentrée au box tous les soirs après avoir passé sa journée dans des paddocks en herbe, mais rien n’y faisait. Alors, avec Anne-Sophie Levallois, nous avons décidé de tenter une dernière fois. J’ai envoyé Rosée en Normandie, et nous avons réussi à obtenir un embryon d’Open Up Semilly (SF, Diamant de Semilly x Arpège Pierreville), le père de Vénard et d’Uno de Cerisy. Le poulain est né cette année et il est donc, pour l’instant, le seul propre frère de Vénard. En 2022, Rosée s’est un tout petit peu déclenchée et m’a donné deux embryons”, relate l’éleveur.
En 2020, en plein confinement, Quentin tombe amoureux de Secret Love NML (ex Cynthiana Ennemmel, Z, Strangerlove Ennemmel x Lux Z) présentée sur vidéo par son ami Robin Muhr. Le coup de cœur est immédiat et le côté atypique de l’alezane ne peut que séduire le jeune trentenaire. Après discussion, les deux parties trouvent un arrangement et le cavalier devient propriétaire d’une nouvelle jument de qualité. L’objectif premier est sportif, mais le côté élevage ne tarde pas à revenir sur le devant de la table. “J’adorais cette jument, sa façon de sauter, de s’enrouler autour des obstacles. Je trouvais qu’elle avait un truc. Malgré tout, elle restait assez spéciale, très chaude et pas très grande. J’ai commencé sur des épreuves à 1,05, 1,10 et 1,15m avec elle, en juin 2020. Et en octobre dernier, j’ai achevé ma saison sur 1,40m, pour la première fois de ma vie. Je crois qu’elle est prête à me donner beaucoup”, savoure celui qui bénéficie des précieux conseils de Marie Pellegrin lors de ses sorties en concours. Et de compléter : “Il s’avère que cette jument-là est la sœur d’Abricot et Butterfly Ennemmel. J’étais tombé sous le charme de cette dernière, avant qu’elle ne soit championne de France. La grand-mère de ces trois chevaux est Sultane Kerellec, qui a évolué en Grands Prix avec Gilles Bertran de Balanda. J’ai fait deux transferts d’embryons avec elle l’an dernier, et deux autres sont en route pour 2022.”
L’envie de réussir
Parti de rien, ou presque, Quentin s’est donné les moyens de construire son élevage, en se basant sur des souches confirmées. Si sa production reste jeune, les promesses sont bien là. “Cela reste un jeune élevage. Nous avons testé en liberté une de ses juments de trois ans, par Galoubet A (SF, Almé x Nystag, TF). Je pense qu’elle sera une bonne jument, une bonne sauteuse. Je n’ai pas trop de recul sur ses autres produits, mais je crois qu’il se donne à fond pour faire quelque chose de bien”, salue Loïc Michelon. Cette fille de Galoubet, baptisée Jodie de Goutte Noire et issue de Souhey du Stecha, a été suivie par deux autres pouliches, descendantes de… Baloubet du Rouet (SF, Galoubet A x Starter) et Quick Star (SF, Galoubet A x Nithard, AA), sans doute les deux meilleurs fils étalons de Galoubet. Une sorte de “grand chelem” pour Quentin. “Quand j’étais gamin, je regardais Baloubet et Rodrigo Pessoa sur Equidia. J’étais fasciné par ce cheval, qui jetait ses antérieurs au-dessus des barres. Je suis content d’avoir ces trois sœurs. Désormais, mon but va être de donner à mes poulains le maximum de chance”, se projette-t-il. Et pour cela, le cavalier-éleveur a une politique stricte : pas question de vendre ses chevaux à n’importe qui. Il veut viser aussi haut que possible et offrira les meilleures possibilités à ses protégés.
La belle Souhey du Stecha, fille de Papillon Rouge, ici suitée de Lexie de Goutte Noire, une fille de Baloubet du Rouet.
Cette année, six poulains sont nés à l’élevage de Goutte Noire. Une dizaine est attendue pour 2023. S’il s’est essayé à l’ICSI, Quentin ne recommencera pas, ne trouvant pas son compte sur l’aspect éthique. “Croiser la sœur de Vigo d’Arsouilles (BWP, Nabab de Rêve x Fleuri du Manoir), ou n’importe quelle souche connue avec un étalon à la mode simplement pour vendre des embryons n’est pas ma politique d’élevage. Je veux connaître mes juments et avoir mes propres idées de croisements, en fonction des mères”, martèle-t-il. Dès qu’un étalon lui semble pouvoir correspondre à l’une de ses matrones, Quentin note son nom dans son smartphone. En fin d’année, il élimine les prétendants, pour ne garder que ceux qui, selon son sentiment, feront les meilleures combinaisons.
Bien entouré, notamment par la famille Muhr, qui n’hésite pas à investir dans certains poulains, mais aussi par d’autres éleveurs, avec lesquels il échange, le jeune Rhônalpin ne compte pas ses efforts, dans des journées rythmées entre surveillance des prés, qu’il loue autour de la région lyonnaise, gestion de son salon de coiffure, équitation et séances de sport. Heureusement, ses poulains, auxquels il aime donner des noms qui sortent de l’ordinaire et sonnent presque comme ceux de certains humains, le lui rendent bien. “La sœur de Vénard est d’une réactivité hors norme. Elle est adorable, mais a un côté hyper sensible, comme son grand frère. Je ne peux pas dire si ce sera une star. Elle a deux ans et je ne l’ai pas encore fait sauter en liberté. Mais, la façon dont elle saute les clôtures pour changer de pré me laisse penser qu’elle a un coup de saut de malade”, sourit Quentin, fier de ses premiers produits. Martine, Elo, Jodie, Leon ou Joy suivront-ils les traces de leurs aïeux et participeront-ils un jour aux championnats du monde ou aux Jeux olympiques ? Patience. Seul l’avenir le dira. En attendant, gageons que Vénard et Butterfly leur donnent quelques idées depuis le Danemark.
Photo à la Une : Rosée de Cerisy, ici aux côtés d’Elo de Goutte Noire, la seule sœur utérine de Vénard de Cerisy. © Collection privée