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L’élevage d’Albain, une histoire de famille avant tout (1/3)

Albain
jeudi 29 février 2024 Thomas Danet Tribut

Guidés par l’amour du cheval, Sophie et Alexis Bouillot ont monté de toute pièce un élevage de chevaux de sport, désormais connu et reconnu, sous l’affxe d’Albain. Cet ambitieux projet est d’autant plus remarquable que ces deux quadragénaires sont issus de familles sans lien avec le monde équestre. L’expression “se retrousser les manches“ semble avoir été faite pour eux, car sans grands moyens mais avec beaucoup de détermination et de sacrifices, ces deux passionnés sont aujourd’hui à la tête d’un cheptel de plus de quatre-vingts équidés, tous sexes et âges confondus. Surtout, le couple peut s’enorgueillir d’avoir fait naître coup sur coup Canabis, Flambusard et Haschich, trois étalons ayant chacun marqué leur génération. Aller à la rencontre de la famille Bouillot, c’est aussi faire le constat que le virus du cheval est contagieux et se partage dorénavant en famille. À leur tour, Charlély et Mélina embrassent la passion dévorante de leurs parents et comptent bien continuer à s’investir à leurs côtés.  

Partis de rien

Il ne pouvait pas en être autrement : Sophie et Alexis Bouillot se sont rencontrés grâce aux chevaux. “Nous sommes tous les deux originaires de Mâcon, et nous ne sommes pas du tout issus du monde du cheval. Aucun de nos parents n’était concerné de près ou de loin par ce milieu. Mais depuis tout petits, Alexis et moi partageons la passion des chevaux. C’est donc naturellement que nous avons commencé à monter à poney, chacun de notre côté”, introduit Sophie, qui a débuté sa carrière de cavalière au poney-club de Laizé, de la famille Duterte, de ses six ans jusqu’à ses dix-huit ans. “Alexis montait dans un poney-club voisin et nous étions amenés à nous voir souvent sur les terrains de compétition de notre région. Autant j’ai beaucoup monté en concours complet, autant Alexis n’a toujours fait que du saut d’obstacles, sortant à l’époque en Grand Prix poney. Par la suite, nous nous sommes retrouvés à monter dans le même centre équestre quand nous sommes passés à cheval. À partir de ce moment, nous ne nous sommes plus jamais quittés. Il avait seize ans et j’en avais dix-neuf”, se souvient Sophie.

L'élevage d'Albain écrit son histoire en famille. © Yves Gay

Par la suite, la jeune femme décide de poursuivre une brillante scolarité en entrant en classe préparatoire à l’école du Parc de Lyon, avant d’intégrer l’École nationale vétérinaire de Marcy l’Étoile, fusionnée en 2010 avec l’École nationale des services vétérinaires et l’École nationale d’ingénieurs des travaux agricoles de Clermont-Ferrand, pour former le groupe VetAgro Sup. “À ma sortie d’études, je me suis installée comme vétérinaire associée, dans ma propre clinique canine, à Ouroux-sur-Saône. Nous avons aussi monté un centre de reproduction équine avec Alexis, dont j’ai la charge seule, au sein de notre élevage”, explique-t-elle.



De son côté, et après un baccalauréat général, Alexis intègre une faculté d’économie. Mais l’aventure tourne court : l’envie de monter à cheval et d’en faire son métier est trop forte. C’est décidé, il sera cavalier professionnel. Malheureusement cette orientation ne démarre pas sous les meilleurs hospices. Lors d’un essai près de Lille, pour être engagé comme cavalier maison, Alexis est victime d’un accident, engendrant trois fractures du bassin et l’obligeant à rester hospitalisé un mois et demi, avant d’entreprendre deux mois de rééducation. Il lui faudra attendre l’automne suivant pour pouvoir se remettre en selle. Une fois remis sur pieds, le jeune homme patiente durant les études de Sophie en jonglant entre un travail alimentaire et un emploi salarié à l’élevage de Blany de Jean Bertoncini, où il prend notamment en charge les sorties en compétition des chevaux de l’élevage. 

Alexis Bouillot au côté de Jewel d'Albain, un fils de son génial Flambusard d'Albain et frère utérin d'un autre crack maison : Canabis d'Albain. © Thomas Danet Tribut / @un_hibou_dans_la_lune

À sa sortie d’école, Sophie rejoint Alexis. Ensemble, ils décident alors de lancer leur propre élevage. Alexis passe rapidement son Brevet professionnel de responsable d'entreprise agricole (BRPEA), afin de faciliter leur installation. Et cette dernière ne sera pas chose facile, car le jeune couple ne dispose d’aucun apport. “Obtenir la confiance des banques pour acheter a été le plus difficile. Quand Alexis a passé son BPREA, il a monté tous les dossiers nécessaires pour bénéficier du statut de jeune agriculteur. Nous avons pu compter sur le soutien de la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire pour nous aider. Notre recherche idéale portait sur des fermes ou des terrains à construire, afin de créer notre exploitation au fur et à mesure”, détaille Sophie. Cependant, une belle opportunité s’offre à eux, à Montret, petit hameau situé à quelques kilomètres de Louhans, en plein cœur de la Bresse bourguignonne. “Le contexte était un peu particulier”, reprend Sophie. “Il s’agissait à l’époque d’un centre équestre qui appartenait à l’ancien Centre d’aide par le travail (CAT), devenu depuis Établissement et services d’aide par le travail (ESAT). À la suite d’une remise à plat juridique de l’ensemble du site, la Direction a pris la décision de mettre rapidement en vente son centre équestre. Nous avions fait une première visite au printemps. L’ensemble nous paraissait énorme. Il y avait déjà tout : boxes, manège, stabulation poneys, carrière, … Objectivement, cela nous semblait compliqué d’imaginer pouvoir nous positionner et encore plus d’être retenus. En plus, au départ, la direction de l’ESAT cherchait un gestionnaire pour donner des cours d’équitation. Or, développer une activité de centre équestre ou même une écurie de propriétaires n’étaient pas du tout notre ambition. Nous avons donc laissé tomber l’affaire avant d’être rappelés quelques mois plus tard. Tous les crédits de la structure étaient alors gelés tant que le centre équestre n’était pas vendu et la Direction avait besoin de trouver rapidement une solution à son problème. Nous avons appris par la suite qu’Alexis et moi étions les seuls candidats sérieux qu’ils avaient rencontrés. C’est ainsi que nous sommes devenus propriétaires.”



Des AQPS aux chevaux de sport

Avant de poser leurs valises dans leur structure, Sophie et Alexis avaient déjà commencé à goûter aux joies de l’élevage. “Notre premier poulain est né en 1998, mais nous avons vraiment développé l’activité à partir de 2000. Pour nous, faire naître était une solution à notre incapacité à acheter de jeunes chevaux qualiteux, déjà formés”, se souvient Sophie. 

Les premières poulinières sont hébergées chez les parents d’Alexis, qui viennent alors de faire l’acquisition d’une maison, autour de laquelle trois boxes sortent rapidement de terre, le tout étant complété par un peu de terrains récupérés ci et là. Situé à Saint-Albain, ce premier point de chute donne naissance à l’affixe d’Albain. “C’était une belle époque, dont nous gardons de très beaux souvenirs. Mais il faut avouer que nous n’avons pas compté nos heures. Tous les soirs, il nous fallait une heure et demie pour faire la tournée d’eau des différents parcs. On conditionnait le foin en petites bottes, que l’on rentrait avec un vieux tracteur de plus de quarante ans !”, s’amuse Sophie, un brin nostalgique. “Il fallait bien commencer quelque part et on a fait comme on pouvait, en se débrouillant par nous-même.”

La vie est belle à l'élevage d'Albain. © Thomas Danet Tribut / @un_hibou_dans_la_lune

Mariés en 2003, le couple devient donc propriétaire de sa propre structure à Montret en février 2004, sur une superficie d’une vingtaine d’hectares. “Progressivement nous avons acheté plus de surface. Aujourd’hui, nous disposons de cinquante-cinq hectares de prairies naturelles. Nous avons aussi apporté les modifications nécessaires pour reconvertir la structure, initialement vouée à l’enseignement, en centre dédié à l’élevage et à la valorisation des jeunes chevaux”, détaille le couple.

Le manège n’étant pas un outil indispensable au projet, sa reconversion a par exemple permis la construction de grandes stabulations destinées à l’hébergement des poulinières et des jeunes chevaux“L’hiver, nous rentrons tous nos chevaux. Nous le faisons maintenant aussi en été, car il est préférable de les avoir à l'abri des fortes chaleurs, en stabulation, à manger du foin, plutôt que d'abîmer les prairies à cause de la sécheresse”, justifient-ils. Depuis peu, un marcheur et un rond d’Avrincourt sont sortis de terre, ainsi qu’un bâtiment photovoltaïque, permettant de stocker le fourrage et entreposer du matériel. “Pour l’anecdote, au départ, nous faisions naître plus d’Autre que Pur-sang (AQPS) que de chevaux de sport. En effet, Alexis aidait alors un éleveur de chevaux de course à débourrer et à pré-entraîner”, révèle Sophie. Et Alexis de compléter : “Il faut dire que l’élevage d’AQPS était assez rentable, du fait de l’existence de primes aux naisseurs et d’un marché bourguignon tel qu’il nous était possible de vendre des foals. Ainsi, les premières retombées économiques étaient plus rapides que pour les chevaux de selle. Mais le monde des courses n’était pas notre milieu. De plus, nous avions une certaine dépendance vis-à-vis des entraîneurs, alors qu’aujourd’hui, nous gérons tout nous-mêmes, de A à Z. Il faut reconnaître que nous avons eu, d’emblée, plus de réussite avec les chevaux de selle qu’avec les chevaux de course.”

L'élevage d'Albain est proche de l'autonomie en matière de fourrage. © Thomas Danet Tribut / @un_hibou_dans_la_lune



Détermination et travail : deux ingrédients de la réussite made in Albain

Aujourd’hui, ce sont plus de quatre-vingts chevaux qui s’ébattent sur les surfaces de l’élevage d’Albain. “Nous n’avons pas suffisamment de surfaces pour produire nous-mêmes nos propres céréales. Nous les achetons donc à la coopérative agricole. Concernant la paille, achetée en andains, nous la pressons nous-mêmes afin d’en limiter les coûts. Pour le foin, nous visons l’autonomie fourragère, que nous ne sommes pas loin de réussir à atteindre”, énumèrent Sophie et Alexis. Au quotidien, la famille Bouillot peut compter sur l’aide de Dylan, salarié à plein temps, et Maël, apprenti, pour accomplir les tâches incombant à un élevage de chevaux de sport. “Le site est entièrement dédié à l’élevage. Les seules pensions que nous touchons sont celles des juments qui viennent à la reproduction, durant la saison de monte”, précisent-ils. 

À partir de 2008, Sophie débute une nouvelle activité liée à l’insémination de juments pour le compte de propriétaires, en plus de son activité au sein de sa clinique vétérinaire. “J’ai tout de suite eu une trentaine de juments sur place, le tout complété par celles d’autres élevages, comme celui de la Geneste ou Courcelle d’Yves Chauvin, au sein desquels je me déplaçais. Toutefois, je me suis rendue compte, au fil des années, que tout faire devenait compliqué. J’ai donc pris la décision de me concentrer sur notre site”, développe SophieDepuis, la progression est continue. “Le nombre de clients augmente tous les ans, sans avoir fait la moindre publicité pour autant. En incluant les nôtres, j’ai dû voir entre cent quatre-vingts et deux cents juments en 2023. La majeure partie provient des départements voisins mais il nous arrive aussi d’accueillir des juments venues spécialement pour nos étalons, que nous proposons en frais, sur place”, se réjouie l’éleveuse

Alexis Bouillot dans son élément, entouré de nombreux poulains de l'élevage. © Thomas Danet Tribut / @un_hibou_dans_la_lune

Toujours dans l’optique de développer leur centre de reproduction, Sophie a passé et obtenu son diplôme de chef de centre de reproduction équine, et avec lui, la possibilité de congeler la semence de ses étalons et de pratiquer le transfert d’embryons. “Nous avons notre propre troupeau de juments receveuses, constitués de Trotteuses que nous achetons ou de juments de selle que nous réformons. Nous utilisons aussi les quelques juments AQPS qu’il nous reste. Beaucoup de clients ne savent pas que je propose aussi du transfert d’embryons. J’avoue ne pas avoir non plus trop communiqué à ce sujet, car ma clinique occupait les trois-quarts de mon temps jusque-là”, note-t-elle. “Cependant, j’envisage d’inverser progressivement la tendance en me consacrant davantage au centre de reproduction et à l’élevage.”

La deuxième partie de ce reportage est disponible ici.

Photo à la Une : Mélina Bouillot et l'une des stars de l'élevage de Sophie et Alexis Bouillot : Canabis d'Albain. © Agence Ecary