S’ils n’en sont pas à leur première réussite, Danny et Jens Nijs, père et fils, récoltent les fruits dorés d’un travail minutieux entamé voilà une trentaine d’années. Au nord de la Belgique, non loin de la frontière des Pays-Bas, fleurit l’affixe de Nyze. En 2024, deux de ses représentants se sont classés au niveau 5* : Calvino II de Nyze, sous la selle du jeune prodige Thibeau Spits, et Crack de Nyze, plus connu sous le nom de Landon et complice de Kent Farrington. Si le premier a été vendu au cours de l’été à l’écurie Iron Dames et que le second a perdu confiance lors du CSIO 5* de La Baule et manqué les Jeux olympiques, l’avenir ne s’en annonce pas moins radieux pour l’élevage. À raison d’une dizaine de naissances par an, concentrées sur deux lignées principales, et d’une formation homemade, tous les ingrédients semblent réunis pour connaître le succès. De pré en pré, où chaque poulain, chaque poulinière, chaque mère porteuse sont scrutées par le regard affûté de Danny, son fils conte les jalons ayant forgé cette belle histoire, toujours en cours d’écriture. Un reportage en trois parties.
Le premier épisode de cet article est à (re)lire ici et le deuxième ici.
À chaque arrêt dans une nouvelle pâture, où mères et poulains cohabitent en petits groupes, Danny Nijs porte le même regard sur ses protégés. Calme, taiseux et attentif, l’homme à l’origine du Stud de Nyze observe avec attention les pépites de son cru 2024. Et son fils, Jens, fait les présentations. “Nous avons environ une dizaine de naissances par an. En 2024, nous en avons eu douze. Ce n’est que depuis la vente de Landon que nous avons commencé à faire naître davantage de poulains”, expose-t-il. “Mais tout tourne autour des mêmes juments, et d’une en particulier. C’est parfois difficile à expliquer : le meilleur cheval que nous ayons élevé jusqu’à présent est assurément Crack de Nyze, Landon, mais il n’est pas un fils d’Urmina. Pourtant, c’est avec Urmina que nous avons tout fait et que nous avons la plus grande descendance.”
Les stars de demain bénéficient d’une quinzaine d’hectares, dispatchés ci et là autour d’Arendonk, pour grandir paisiblement. Tous les jours sans exception, Danny les nourrit, lui-même, et assure les manipulations de base, garantissant des jeunes chevaux équilibrés et une formation facilitée. “Nous ne laissons pas nos chevaux livrés à eux-mêmes, ni ne les envoyons en pension ailleurs. Beaucoup de gros éleveurs mettent leurs chevaux dans des champs avec d’autres. Je pense que notre fonctionnement fait aussi notre réussite : nos chevaux sont sains, nourris par mon père, qui est tous les jours à leurs côtés dans les prés”, met en lumière Jens. “Je peux prendre les pieds de tous poulains et des jeunes chevaux, parce que mon père les manipule. Nous n’avons jamais de problème avec le maréchal ferrant, ni pour embarquer les chevaux dans le camion. Certains monteraient même dedans en courant ! Toutes ces petites choses facilitent ensuite leur apprentissage en tant que jeunes chevaux. Ils aiment aller en concours, sont relâchés à la douche et contents que l’on prenne soin d’eux. Évidemment, ils restent des jeunes chevaux, on doit toujours être attentif et il arrive que certains aient peur ou paniquent, mais ce sont des choses qui arrivent. Mais je pense sincèrement que le succès du Stud de Nyze ne réside pas seulement dans la qualité intrinsèque de nos chevaux, mais aussi dans le fait que nous faisons tout nous-mêmes. Je pense que cela fait une vraie différence.”
Chez ses poulains, Danny aime constater “le sang, la vivacité, l’électricité”, traduit son fils. “Lorsqu’il voit les poulains se lever, juste après leur naissance, il sent déjà toutes ces choses là. L’œil de l’éleveur !”, ajoute-t-il. En plus d’embryons, le duo père-fils vend aussi certains foals. “Premièrement, nous devons payer les factures. Deuxièmement, je ne peux pas avoir dix chevaux au travail par génération”, justifie Jens. “Mon père peut vendre des poulains plus ou moins quand il veut, ce qui est positif. Il vend certains de ses meilleurs produits, afin que nos clients soient satisfaits. On ne peut pas vendre seulement ceux que l’on ne souhaite pas garder soi-même. Il faut trouver le bon équilibre, le bon compromis. Il nous arrive donc de nous séparer de poulains que nous aurions pourtant vraiment voulu former. Pour des événements comme les ventes aux enchères Zangersheide, nous sélectionnons les meilleurs des meilleurs.” Les premières années de vie des poulains écoulées, l’heure vient pour Jens de se mettre en selle. Là encore, une sélection s’opère, au fil du temps, avec pour but de former les meilleurs représentants de l’affixe de Nyze jusqu’à sept, voire huit ans, et de leur donner les meilleures chances possibles pour la suite. “L’expérience joue un rôle. J’ai évidemment commis des erreurs, et j’en ferais encore, mais nous nous basons sur notre feeling. Lorsqu’on sent qu’un cheval a un respect absolument extrême, je pense que c’est un signe pour prendre son temps, rester calme et lui faire prendre de l’expérience. Je dis toujours qu’il y a les champions des paddocks, c’est-à-dire les jeunes chevaux qui sautent tellement haut qu’ils sont difficiles à juger. Souvent, ceux-là sautent très haut sur petit, puis moins haut lorsque les barres montent… Avoir eu Crack et Calvino, qui sont deux chevaux totalement différents mais qui font le même sport, nous a permis d’apprendre beaucoup de choses pour la suite. Nous savons sur quels chevaux nous avons envie d’investir du temps et de l’argent. Je suis assez sélectif, tandis que mon père est plus du genre à me demander de prendre davantage de temps, de laisser plus de chances aux chevaux. Il a eu raison à plusieurs reprises, mais il n’y a que quelques heures par jour et nous devons les remplir avec les meilleurs chevaux possibles. On marche toujours sur un fil, mais je crois que nous le faisons assez bien”, développe le cavalier Belge.
Connaissant les hauts et les bas inhérents au métier de cavalier, mais aussi à celui d’éleveur, Jens garde les pieds sur terre et son humilité lorsqu’il évoque sa philosophie, sa méthode de travail avec ses jeunes chevaux. “Je pense que nous sommes aujourd’hui très professionnels dans notre façon de faire, avec une vision à long terme, ce qui est quelque chose de très difficile à apprendre, d’autant plus avec mon passé de cavalier de commerce, où tout doit aller très, très vite. Nous ne sommes pas dans un milieu où nous pouvons nous permettre d’investir trop de temps dans un cheval qui ne correspond pas à nos attentes. Mais grâce à notre élevage, à la qualité de la jument avec laquelle nous avons commencé, un peu de chance et de cran, nous sommes dans une situation où je peux être patient”, apprécie Jens. “Quand il y a un jeune cheval que mon père et moi aimons, prendre notre temps vaudra sûrement le coup. À quatre ans, ils ne font jamais beaucoup de choses. En fonction de chacun, nous les débourrons à trois ou quatre ans. Ensuite, ils sont montés tous les jours, sur de courtes séances, et sautent peut-être quatre ou cinq fois monté. Les plus regardant peuvent faire quelques séances dans d’autres environnements, puis ils retournent au pré. Cela étant, nous nous adaptons au cas par cas. En règle générale, avant cinq ans, assez peu de nos chevaux concourent, suivent les épreuves du Cycle belge ou participent aux championnats, même si c’est quelque chose que j’adore.” Avec Clan de Nyze (Comme Il Faut x Darco), arrière-petit-fils d’Urmina, le trentenaire a d’ailleurs fait une exception, en terminant deuxième des championnats de Belgique à cinq ans. “Mais cela ne fait pas partie de notre politique”, ajoute-t-il. “Clan est un étalon, rustique, il pouvait le faire et l’a fait. Je suis toujours un amateur de sport, mais je dois vraiment me forcer à rester calme et d’avoir un plan plus grand, celui de donner à nos jeunes chevaux les meilleures chances d’accéder au plus au niveau. À partir de sept ans, j’estime que les chevaux peuvent commencer à apprendre à être un peu plus compétitif. Ensuite, dans la plupart des cas, je passe les rênes aux cavaliers de haut niveau.”
Même s’il y a tutoyé les sommets, notamment avec Urmina, Jens a sans doute, un temps, rêver d’accéder au Graal avec un produit de l’élevage maison. Mais l’expérience a forgé le caractère du Belge. “Dans ce monde-là, il n’y a pas de place à l’erreur. Nous évoluons dans un milieu très particulier, où les décisions doivent être prises en une fraction de seconde. Si on pense ou voit une foulée un peu trop tard, on ne peut pas faire partie des meilleurs mondiaux. Et pour vivre du sport, je crois qu’il faut vraiment faire partie de l’élite. En dessous, le schéma n’est pas viable très longtemps. Alors, j’ai choisi de former nos chevaux. Et nous sommes vraiment vernis avec la qualité des chevaux que nous élevons ! Éduquer ces jeunes chevaux est peut-être la tâche la plus importante de notre sport”, philosophe-t-il.
Après avoir fait grandir sa structure grâce au commerce, Jens ne peut toujours pas s’empêcher d’acquérir, de temps à autre, quelques montures en lesquelles il perçoit un futur intéressant, sans pour autant viser le haut niveau. “C’est rare, mais je ne peux pas m’en empêcher quand je vois un cheval qui pourrait rendre quelqu’un heureux, même s’il n’a parfois pas un pourcent de la qualité des chevaux de l’élevage. Mais je dois me contenir là-dessus, parce que les écuries sont pleines de nos propres chevaux et ils méritent de recevoir les meilleurs soins possible”, souligne-t-il. Et ces pépites méritent aussi de trouver le bon cavalier. “En ayant vu le sport, le commerce et l’élevage, je trouve que nous avons un certain entraînement pour voir les bons couples. Par exemple, Landon est superstar pour Kent Farrington, qui est l’un des meilleurs cavaliers du monde. En revanche, un cavalier amateur ne pourrait probablement pas franchir un seul obstacle avec lui. Mais il y a d’autres montures parfaitement adaptées, en fonction de chacun”, poursuit le Belge. “Lorsque Kent Farrington a commencé à s’intéresser à Landon, je savais qu’il fallait qu’il l’essaye. Faire le maximum pour pousser le bon cheval dans les bonnes mains est très important pour nous.”
Dans cette belle aventure entamée il y a une trentaine d’années, Danny et Nijs sont accompagnés d’une petite équipe familiale. “Il y a peu de personnes qui travaillent aux écuries. J’ai expérimenté le fait d’avoir davantage d’employés, mais je trouve que l’on obtient un meilleur résultat en faisant les choses par soi-même. Mais, évidemment, on a besoin d’aide. Il y a trois ou quatre personnes qui travaillent avec nous. Sinon, ce ne serait pas possible ! J’ai un cavalier très talentueux et motivé qui s’occupe des trois et quatre ans, même si je les monte de temps en temps pour ressentir les sensations que l’on a sur leur dos, porter un premier jugement sur leurs qualités et établir le meilleur plan pour eux”, détaille Nijs.
Tandis que la production d’Indigo van de Meulenberg commence tout juste à pointer le bout de son nez, la descendance d’Urmina, elle, est bien en marche. Ses fils, filles, petits-fils, petites-filles et même arrière-petits-enfants commencent à arpenter les terrains de concours. Parmi eux, difficile de dire lequel ou laquelle sera la prochaine star de l’affixe de Nyze. Peut-être Drone de Nyze (Diamant x Heartbreaker) ? “Connaissant l’histoire de Landon, les gens pensent que Drone de Nyze, qui est une jument alezane, est sa propre sœur. Et personne ne se pose de questions ; pour eux, il n’y a aucun doute possible ! Et pourtant, Drone est une fille de Diamant et Urmina, et donc une sœur utérine de Calvino, entre autres. C’est assez drôle et je suis assez flatté, parce que Landon était un vrai sauteur au même âge et Drone est très similaire ! Ils n’ont rien en commun côté origines, mais c’est un peu comme si l’histoire se répétait, avec un autre alezan électrique”, sourit, rêveur, Jens.
Âgée de sept ans 2025, Drone a encore quelques marches à gravir. Peut-être qu’à l’inverse de son frère imaginaire, la belle pourra porter son affixe tout en haut. Car Crack de Nyze, lui, l’a perdu lorsqu’il a posé le sabot sur le sol américain, comme tous les autres chevaux que monte Kent Farrington… et comme un autre produit made in Nyze : C-Hunter de Nyze (Cassini II x Corland), renommé C-Hunter tout court et gagnant jusqu’à 1,60m avec Lucas Porter, longtemps décrit comme la relève américaine et plutôt discret ces dernières années. Sur le sujet de la débaptisation, Jens et Danny ne partagent pas nécessairement le même avis. “Bien sûr, mon père, en tant qu’éleveur, n’a pas tort lorsqu’il dit qu’il s’agit d’un désastre. L’affixe est l’héritage de l’éleveur, héritage qu’il transmette au nouvel acquéreur de leur protégé. Voir le nom de son élevage au plus haut niveau est le travail de toute une vie. Mon père estime qu’il s’agit d’un vrai problème et déteste que le nom de ses chevaux soit changé. Je le comprends, mais, par expérience, mon point de vue est plus nuancé. Je n’ai jamais changé le nom des chevaux de commerce que j’ai achetés, mais j’aurais peut-être dû ! Les éleveurs doivent aussi se remettre en question. Parfois, leurs chevaux ont des noms très particuliers… Lorsque nous avons baptisé Crack de Nyze, nous l’avons fait en pensant au terme que l’on peut utiliser lorsqu’un cheval saute extrêmement bien. En revanche, en anglais, crack peut avoir une tout autre signification et peut faire référence à une drogue. Je comprends donc que son nom ait été changé, même si nous aurions beaucoup aimé qu’ils conservent son affixe. Dans tous les cas, c’est une discussion sans fin. On ne peut pas interdire aux propriétaires qui viennent de dépenser une somme faramineuse de changer le nom de leur cheval. C’est comme lorsqu’on adopte un chien et que son nom ne nous plaît vraiment pas. Veut-on appeler son chien ainsi pendant dix ans ? Non, on change son nom. Je comprends les deux parties”, résume-t-il.
Et si ce n’est pas Drone qui perce au plus haut niveau, peut-être sera-ce un descendant de la toute jeune Chess de Nyze (Chacco-Blue x Heartbreaker), en laquelle Danny croit beaucoup pour prendre la relève de sa mère à l’élevage, ou bien un produit de l’étalon maison, Calvino II de Nyze. “Nous avons quelques Calvino. C’était un peu un débat entre mon père et moi pour savoir si nous devions l’utiliser ou non. J’ai vu beaucoup d’éleveurs qui utilisaient leurs propres étalons. Il faut évidemment croire en eux, et je crois que dans notre cas c’est plutôt approprié de le faire, mais je reste très prudent quant au fait d’utiliser ses propres étalons”, tempère Jens. “Mon père a un autre avis. Nous avons par exemple une fille de Calvino avec Daïquiri de Nyze, une petite-fille d’Urmina, qui est donc la mère de Calvino. C’est une jument extraordinaire ! Nous en sommes fous. Elle a quatre ans et est très intelligente. Forcément, je suis donc très heureux que nous l’ayons utilisé, mais il faut rester prudent. Notre succès s’est aussi construit grâce à d’autres étalons : Diamant de Semilly, Calvaro, etc.”
Partis de rien ou presque, Danny et Jens Nijs ont posé de solides fondations à leur Stud de Nyze, qui est bien loin d’avoir fini d’écrire son histoire. “Quand on a du cran, une certaine vision et une part de chance, comme mon père en a eu à l’époque, rien n’est impossible”, encourage le cadet du duo. “Cela devient de plus en plus difficile, non seulement car le sport change, mais surtout parce que les coûts sont de plus en plus importants, pour tout. La vie est chère, la vie avec les chevaux est presque inabordable. Cela ne rendra pas les choses faciles pour les gens qui ne partent de rien, mais nous sommes la preuve vivante que cela est possible. Avec une bonne jument, de la qualité, de l’audace et de la chance, tout est possible.”
Photo à la Une : Danny et Jens Nijs au plus près de leurs protégés. © Mélina Massias