Le développement des connaissances sur le fonctionnement du cheval et son comportement, la mise en œuvre de nouvelles méthodes d’apprentissage, la sensibilité croissante du grand public et des utilisateurs d’équidés à la question du bien-être animal ont engendré ces dernières années des évolutions réglementaires dans divers pans de la filière.
Vie du Stud-Book
Amendement majeur, la modification du dispositif et de la hauteur des obstacles : désormais, qu’il s‘agisse des épreuves locales, régionales ou des finales réservées aux femelles de deux et trois ans, des Qualificatives et de la finale pour les mâles de deux ans, comme des épreuves ouvertes aux trois ans Sport ou aux Espoirs du complet, l’oxer positionné en bout de ligne du dispositif de saut en liberté (pour rappel, croisillon, 7 mètres, vertical, 7,60 mètres, oxer) sera réduit en hauteur de 10 centimètres, et élargi de 10 à 20 centimètres selon les catégories afin de mieux évaluer l’étendue et la trajectoire du cheval. Lors des Qualificatives pour les mâles de deux ans, le nombre de palanques qui compose l’oxer sera réduit à deux, l’objectif étant toujours de proposer un obstacle sautant pour permettre au cheval de montrer son potentiel au cours de l’exercice.
MOINS DE MÈCHES ET PLUS DE TEMPS
Par ailleurs, comme indiqué au point 1.9 du règlement 2022 intitulé "bien-être animal", sur l’ensemble des finales (Evènement femelles, Espoirs du Complet, Championnat des 3 ans Sport, Finale des mâles de 2 ans), l’équipe en charge d’encadrer les chevaux dans le rond d’Havrincourt dispo- sera désormais de chambrières sans mèche, de sorte que les chevaux soient seulement accompagnés par les hommes de rond au cours de leur présentation.
En outre, toujours lors des finales toutes catégories, les chevaux disposeront de davantage de temps pour se familiariser avec l’environnement du rond d’Havrincourt. Ils auront la possibilité d’effectuer deux tours à chaque main sur le dispositif présenté sous forme de barres au sol, une mesure qui permettra également aux juges d’évaluer la locomotion des sujets présentés dans de meilleures conditions. Dernière modification, afin de mieux encadrer le cheval et de lui permettre de réaliser l’exercice à son rythme sans un appui fort des hommes de rond, des barrières seront installées le long de tout le dispositif depuis le virage. « L’idée générale de ces modifications est de voir les chevaux exprimer le plus possible leurs aptitudes naturelles grâce à l’éducation faite en amont », indique Elisa Pautex, chargée de mission auprès du Stud-Book Selle Français.« Si les éleveurs pourront profiter des Qualificatives pour éduquer leurs chevaux grâce aux chambrières à mèche, et à l’aide des hommes de rond, le finaliste devra se montrer prêt avec un minimum d’aides extérieures. Lorsque l’apprentissage se déroule dans le calme et la sérénité, les chevaux apprennent mieux, et l’acquis est plus durable. Il nous appartient d’aider les éleveurs à évaluer la qualité de leurs produits pour les orienter et les valoriser au mieux. »
“ L’idée de ces modifications est de voir les chevaux exprimer le plus possible leurs aptitudes naturelles” Elisa Pautex
FAVORISER UNE PRÉSENTATION NATURELLE ET RENFORCER LA PRÉVENTION
En parallèle de ces mesures concernant le déroulement pratique des tests à l’obstacle, lors des finales nationales et des Qualificatives des mâles de 2 et 3 ans, une commission d’enquête est mise en place afin d’analyser la prestation d’un cheval qui présenterait les trois caractéristiques de comportement observables suivantes: une inquiétude excessive et persistante, une exagération du mouvement dans la contraction, une perte de trajectoire sur le saut et / ou une perte d’équilibre à la réception de l’obstacle. Cette commission d’enquête, sous l’autorité du président du jury, est composée par au moins la majorité des juges du concours de tous les ateliers, dont tous les juges de l’atelier en cause. Pour les concours nationaux, la commission est renforcée de deux membres de la Commission d’approbation du Stud-Book. Les juges qui seraient confrontés aux observations décrites ci-dessus pourront demander à ce qu’une enquête soit diligentée. Cette demande est effectuée par le président du jury dès la fin du test du cheval et avant sa sortie du rond. Cette demande d’enquête est annoncée publiquement. Le cheval est noté, mais la notation, réservée, n’est ni annoncée, ni publiée avant la délibération de la commission, qui revoit la vidéo de la prestation. La commission d’enquête, qui se base sur les photos et vidéos, se réunit à l’issue de l’épreuve et avant la publication des résultats, pour examiner le cas concerné, au regard de l’aspect naturel ou non de la présentation du cheval. Le propriétaire ou son représentant est invité à visionner les images du test, en présence des membres de la commission. Il émet verbalement son avis, ses observations, fournit toutes les explications qu’il souhaite, sans que les membres de la commission n’interviennent, puis répond aux questions du président de la commission, une phase susceptible d’être enregistrée. La Commission délibère ensuite à huis clos, sans la présence du propriétaire ou de son représentant. A l’issue de l’enquête, les membres de la commission valident l’évaluation ou décident de disqualifier le cheval du concours. Leur décision, prise à la majorité, est motivée et sans appel. En cas de partage des voix, la voix du président de la commission est prépondérante.
En cas de disqualification d’un cheval, la décision est communiquée publiquement lors de la proclamation du classement de l’épreuve. La disqualification est mentionnée dans le classement. Par ailleurs, le président du jury est habilité à intervenir à tout moment en interrompant l’exercice lorsque les juges constatent un comportement du cheval susceptible d’occasionner un risque d’atteinte à son intégrité physique ou mentale, voire un risque pour la sécurité des personnels dans l’aire du test.
Cette mesure n’est pas sans rappeler la présence des experts
sur les terrains de cross en mesure d’arrêter un cavalier pour "équitation dangereuse". La décision de la commission d’en- quête est sans appel. Celle-ci peut décider de signaler le cas à la commission des statuts et conflits du Stud-Book. L’intervention éventuelle de la commission pourra être étendue aux autres concours d’élevage en 2023.
PRÉSERVER LA LONGÉVITÉ DES CHEVAUX
Par l’ensemble de ces mesures, alors que le bien-être est un sujet de plus en plus présent au sein de la société civile, et de la filière équine, le Stud-Book Selle Français affiche sa volonté de prendre les devants pour montrer que ce circuit, destiné avant tout à la formation, est conduit avec la volonté de préserver la longévité sportive et le mental des jeunes espoirs. La réflexion a été poussée plus loin sur l’impact physique des concours d’élevage.
Anne Ricard, chercheuse auprès de l’IFCE dans l’équipe de recherche "biologie intégrative et génétique équine" de l’Inrae, a procédé à une étude sur la longévité sportive des finalistes de deux ans sur les dix dernières années. Les statistiques en attestent ; les concours d’élevage n’impactent pas la longévité sportive des chevaux. Ceux-ci affichent même une longévité supérieure aux autres, sans pour autant que les raisons aient été isolées. On peut éventuellement supposer que les chevaux ont été bien préparés, que l’éleveur leur a laissé le temps nécessaire, qu’ils ont bénéficié de soins et d’un accompagnement adaptés, ont été confiés à un bon cavalier, qui les a, à son tour, accompagné dans les meilleures conditions et a travaillé sur des sols de qualité.
Le Stud-Book Selle Français a également prévu de mener à bien une étude avec le CIRALE (centre d’imagerie et de recherche sur les affections locomotrices équines de l’École nationale vétérinaire d’Alfort) pour travailler sur la maturité du squelette de jeunes chevaux sur la base d’un échantillon de mâles de 2 ans ayant ou non participé aux sélections.
On l’observe, le bien-être animal intègre tous les circuits. Pour preuve, la récente décision de la SHF d’interdire les protège-boulets dans les épreuves Jeunes chevaux, afin d’éviter tout abus concernant l’ajustage des protections susceptible de modifier artificiellement le geste du cheval. Au sein du Stud-Book, ces protections ont toujours été interdites sur les concours de deux et trois ans. Seules les guêtres antérieures sont autorisées, de même que les cloches, sur autorisation spéciale du jury si une blessure au glome a été constatée.
L’ŒIL DU CHEF DE ROND
Eric Livenais, chef de rond lors des sélections étalons et des finales pour le Stud-Book Selle Français, et animateur de nombreuses formations à travers l’Hexagone sur l’atelier du saut en liberté, fait observer que l’objectif de ces nouvelles mesures, notamment la suppression de la mèche en bout de chambrière lors des finales, est de faire en sorte que les chevaux sautent le plus naturellement possible. « A l’occasion des sélections, les chevaux effectuent souvent leur première sortie. Ils sont encore dans l’émotion, et méritent d’être accompagnés. Nous souhaitons qu’un travail d’éducation soit réalisé en amont par les éleveurs et les préparateurs, de sorte que les Qualificatives se passent le mieux possible. Qui sait, pourquoi pas, à l’avenir, supprimer également les mèches lors des Qualificatives ? ». Eric Livenais tient à préciser et à expliquer le rôle du responsable du rond pour épauler les chevaux lors du test de saut en liberté « L’utilisation éventuelle de la chambrière n’est jamais coercitive mais indicative, un peu comme la cravache en course qui fait des allers-retours sur l’encolure du cheval sans vraiment le toucher. Toutefois, lors des premières séances, elle peut parfois sauver une situation dans le cas où le cheval marque une hésitation et risque de retomber au milieu de l’obstacle. Lors des concours, on constate des difficultés avec certains chevaux qui sont insuffisamment prêts. Je pense qu’il est parfois préférable de soutenir sur l’obstacle un cheval qui manque un peu d’envie ou de préparation, pour lui donner l’indication de le franchir dans de bonnes conditions, plutôt que de le laisser seul, faire un effort, finir par s’écraser dans l’oxer et se faire mal car il n’est pas stimulé. » Selon Eric Livenais, la chambrière est véritablement le dernier outil qu’utilise le personnel d’en- cadrement du rond, à partir du moment où le cheval est engagé dans le dispositif dans les bonnes conditions, avec un encadrement adapté. « La préparation débute par l’éducation à l’appel de langue, puis par un mouvement vers le cheval avec le corps pour l’inciter à conserver sa ligne. Si nécessaire on passe au poser de la chambrière sur le postérieur, puis au toucher, lors duquel on envoie légèrement la mèche pour éveiller l’attention du cheval, et en dernier recours nous avons recours à un toucher appuyé qui constitue une indication plus prononcée. » Concernant le moment précis de son intervention avec la chambrière, Eric le précise, toujours essayer de toucher le cheval en position aérienne, au moment où il est déjà en l’air. « Je prends souvent l’exemple de quelqu’un qui apprend à plonger. Il lui faut pousser avec les jambes, puis monter vers le haut avec les bras loin vers l’avant pour décrire une belle parabole. C’est un peu comparable au saut en liberté du cheval. Si je pousse le cheval au moment où il prend son appel, il s’aplatira. En revanche, si je le pousse au moment où il est en l’air, je lui fais prendre de la hauteur. Si on les touche alors qu’ils sont au sol, on perturbe leur mouvement. En revanche, quand le mouvement est engagé, on renforce la hauteur et la trajectoire. Tout est une question de savoir faire quant au positionnement, au déplacement et à l’intervention. C’est un peu comme la pâtisserie. Nous sommes là pour poser la cerise sur le gâteau, encore faut-il que la préparation en amont soit réalisée dans les règles de l’art. »
“ Nous souhaitons qu’un travail d’éducation soit réalisé en amont par les éleveurs et les préparateur” Éric Levinais
DES FINALES DÉCALÉES DANS LE TEMPS POUR RESPECTER LA CROISSANCE
Auparavant, les finales destinées aux chevaux de deux et trois ans avaient lieu en mai. Elles sont désormais programmées entre octobre et décembre. Comme l’explique Eric Livenais, cette décision a été prise pour permettre aux jeunes chevaux de profiter pleinement de l’herbe du printemps et de l’été. « Grâce à ce nouveau calendrier, les chevaux, nés au printemps, ont deux ans révolus lors des finales. S’ils sont mâtures physiquement, travaillés progressivement pour parvenir à l’échéance en question, ils seront à même de réaliser les tests sans forcer. Il appartient à l’éleveur de faire preuve de professionnalisme et de déterminer si son cheval est prêt sur le plan physique et mental, s’il a les aptitudes requises, où s’il faut l’attendre davantage, car tous les chevaux n’ont pas le même rythme dans leur évolution. »