“Le problème avec le métier de groom est qu’il n’est pas reconnu en tant que tel”, Kay Neatham
Kay Neatham a œuvré auprès de quelques-uns des meilleurs cavaliers du monde. Des écuries de la complétiste Pippa Funnell, où elle donnait un coup de main lors de ses vacances scolaires alors qu’elle n’était qu’une adolescente, jusqu’à celles de Marcus Ehning, où son aventure de groom s’est achevée après vingt années de dévotion et de passion, en passant par celles de Peter Wylde, Beat Mändli et Bernardo Alves, cette femme de l’ombre aura vécu un paquet d’aventures en tout genre. “Lorsqu'Henk Nooren a commencé à travailler avec Marcus Ehning, il m'a demandé si je connaissais une excellente groom. Je lui ai dit que, sans l'ombre d'un doute, Kay était la personne pour ce poste. Tous les cavaliers pour lesquels elle a travaillé ont fait partie des dix meilleurs mondiaux : Beat, moi, Bernardo et Marcus”, va même jusqu'à confier le talentueux Peter Wylde. Une nuit, alors qu’elle s’apprête à conduire une nouvelle fois son camion, Kay décide que le moment est venu pour elle de tourner la page. Progressivement, la jeune quadragénaire mettra un point final à ce riche chapitre de sa vie. Une course en voilier plus tard, elle suit une reconversion qui lui permet, aujourd’hui encore, de s’épanouir en gérant la partie administrative d’un hôpital, situé au sud de l’Allemagne. Dans un long entretien, la Britannique revient avec franchise sur les défis qui jalonnent la reconversion des grooms de haut niveau et sur sa nouvelle vie, qui n’est finalement jamais bien loin des équidés.
Quel a été votre parcours en tant que groom ?
J’ai d’abord travaillé pour Beat Mändli. En 2000, je l’ai accompagné aux Jeux olympiques de Sydney avec Pozitano. Ensuite, j’ai rejoint les écuries Peter Wylde. Je travaillais à la maison et montais ses chevaux. Lorsqu’il avait Fein Cera (légendaire jument ayant signé un quadruple sans-faute lors de la finale des Jeux équestres Mondiaux de Jerez de la Frontera en 2002, ndlr) et qu’il a participé aux Jeux olympiques d’Athènes (en 2004, où le duo a participé à la médaille d’or collective des Etats-Unis, ndlr), je gérais ses écuries et entraînais ses montures. Je suis restée chez lui presque deux ans, puis j’ai été embauchée par Bernardo Alves. Enfin, j’ai terminé ma carrière aux côtés de Marcus Ehning. J’ai été très chanceuse. J’ai travaillé pour de top cavaliers et pris soin de super chevaux.
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Après pas loin de deux décennies à endosser le costume de groom, vous avez décidé, en 2018, de raccrocher et de débuter une nouvelle vie. Comment avez-vous pris cette décision ?
Au fil des années, beaucoup de personnes demandent “Combien de temps peux-tu faire ce métier ? Que vas-tu faire ensuite ? Veux-tu rester à la maison ? Veux-tu fonder une famille ?”. Qu’on ait vingt, trente ou quarante ans - comme ce fut le cas lorsque j’ai arrêté -, ces questions reviennent tout le temps, de la part d’amis, de journalistes ou de n’importe qui. Évidemment, ce métier est très difficile : physiquement, mentalement, et cela ne s'arrête jamais. Si l’on veut bien le faire, cela prend toute notre vie. Personnellement, j’ai toujours dit que je saurais le jour où il serait temps pour moi de changer de voie. Je ne me suis jamais fixé d’objectif, ni dit “je continue deux ans” ou “juste jusqu’aux prochains Jeux olympiques”. Plein de grooms fonctionnent comme cela, mais ce n’était pas mon cas. Un jour d’hiver, je descendais mes valises de mon appartement dans la nuit, vers 2 heures du matin. Je devais conduire le camion 10 ou 12 heures pour aller en concours avec les chevaux. Dans les escaliers, alors que je tirais mes sacs derrière moi, je me suis dit “je ne veux plus faire ça”. À ce moment-là, j’ai compris que j’en avais fait assez, que j’avais vu suffisamment de pays. J’étais prête. J’en ai ensuite parlé à Marcus. Bien sûr, la situation était difficile pour tout le monde. C’est un grand changement. Trois ou quatre mois plus tard, nous avons rencontré une nouvelle groom concours, Mel (Melina Jobst, ndlr) qui est toujours en poste chez Marcus. Au début, j’ai décidé de rester à la maison. Je ne voulais juste plus voyager et conduire le camion des heures et des heures. Je montais à la maison et allais, une fois de temps en temps, en concours lorsque Mel ne pouvait pas tout faire. Et puis, j’ai eu l’opportunité d’aller faire une course en mer, alors je suis partie en voilier, pendant presque quatre mois ! (rires) C’était une compétition amateur, et je crois que cela m’a vraiment donné le courage de réaliser que je pouvais faire autre chose. C’était la première fois de ma vie où je n’étais pas au contact des chevaux tous les jours et où personne n’avait besoin que j’aille à tel ou tel endroit. En tant que groom, nous vivons notre vie d’un concours à l’autre, nous ne savons pas quel mois c’est, mais nous savons que nous devons aller là, là et là. En fin d’année, ce sont toujours les trois mêmes concours, puis Noël arrive, et nous allons ensuite à Malines. À partir de là, s’enchaînent Bâle, Zurich, etc. Casser ce schéma est difficile. Sur le voilier, j’ai réalisé que je pouvais faire d’autres choses et que j’étais assez forte mentalement pour cela. Lorsque je suis revenue en Allemagne, j’ai continué à travailler pour Marcus pendant six mois, toujours à la maison. Avant d’arrêter ce métier, je n’avais pas réalisé tout ce que j’avais fait. Mais je ne changerai pas la moindre chose. C’était formidable. Je suis ravie et heureuse de chaque journée que j’ai vécue.
“Parler à quelqu’un a été très utile”
Comment s’est déroulée votre reconversion ?
Ici, en Allemagne, nous avons la chance d’avoir un endroit où nous pouvons nous rendre pour avoir de l’aide lorsque l’on perd son emploi ou que l’on souhaite se reconvertir. Via cet organisme, on peut bénéficier d’une aide gouvernementale lorsqu’on n’a plus de travail. On peut également être conseillé sur nos recherches d’emplois. J’y suis allée et j’ai dit à la dame “j’ai quarante ans, je ne peux plus continuer à exercer mon métier, notamment physiquement : un jour, mon dos ne le supportera plus”. Elle m’a montré les options que j’avais et nous avons décidé que je devrais retourner à l’école. Le gouvernement allemand a financé ma formation afin que je puisse travailler dans la santé. Je n’ai pas vraiment donné de préavis à Marcus à la fin. Je lui ai dit “écoute, j’ai une place à l’école, au Sud de l’Allemagne, et je vais y aller”. Six semaines plus tard, j’étais assise dans une salle de classe, avec quinze autres personnes qui devaient être re-formées, en raison d’accidents survenus dans leurs anciennes professions ou des raisons de ce genre. J’ai été chanceuse de me trouver là non pas en raison d’un accident, mais parce qu’il était temps de tourner la page. Bjorn Nolting (malheureusement disparu en 2021, ndlr), qui était notre vétérinaire chez Marcus, m’a envoyé un message en me demandant si j’avais mal aux fesses à force de rester assise sur une chaise toute la journée. (rires) Je lui ai répondu par l’affirmative ! Je craignais de prendre du poids, parce que mes journées se résumaient à rester assise et à manger. Notre salle de cours était au sixième étage, alors j’empruntais toujours les escaliers. Tout le monde se demandait pourquoi je ne prenais pas l'ascenseur ! (rires) J’ai réussi mes examens et reçu une offre d’emploi dans l'hôpital où j’avais effectué ma formation obligatoire de six mois. Je travaille toujours là-bas. Je pense que tout cela devait arriver de cette façon car, une fois ma décision prise, tout s’est déroulé avec aisance. J’ai rencontré mon petit ami, avec qui je vis aujourd’hui, lors de la course en voilier. Je pense que ma meilleure décision a été de choisir cette école, qui était à huit, voire neuf, heures de route des écuries de Marcus. C’était très difficile à certains moments. Si j’avais été à une heure de chez lui, je pense que je serais revenue rapidement. Cet éloignement a été une bonne chose et j’ai dû surmonter les passes plus délicates. Ce n’est pas simple, car être groom est un vrai mode de vie.
Avez-vous bénéficié de l’aide de quelqu’un lors de votre transition entre vos deux métiers ?
J’ai reçu l’aide de la psychologue qui avait officié aux Jeux olympiques pour l’équipe allemande. J’ai été la voir quelques fois lorsque j’ai arrêté d’aller en concours parce que je ne pouvais pas dormir. Nous sommes tellement habitués à dormir parce que nous sommes épuisés… Nous sommes si fatigués que nous pouvons nous allonger n’importe où et nous endormir. Après, mes journées commençaient à 7 heures pour se finir à 17 heures. Les premiers mois, c’était plutôt chouette, puis on se demande quoi faire avec tout ce temps et cet espace dans sa tête. Notre psychologue a été super. Elle m’a dit que les grooms étaient des athlètes. Au bout du compte, nous construisons toute notre vie sur un rêve, pour accomplir des choses ; nous avons toujours un objectif en tête. De même que pour les sportifs qui prennent leur retraite, il est difficile de repenser notre vie, de changer nos buts et de lever le pied. Le stress disparaît et nous manque au début. Parler à quelqu’un a été très utile. Il y a des moments dans la vie, et ce pour tout le monde, où les choses ne fonctionnent pas correctement et où on ne les comprend pas. Malgré tout, il faut avancer, et je pense qu’il est toujours bénéfique de parler à quelqu’un d’extérieur à la situation, à un professionnel par exemple, qui est capable de comprendre ce qui se passe, sans le côté émotionnel. Tout le monde sait que nous prenons un jour après l’autre, mais nous avons parfois besoin que quelqu’un nous le dise.
“Revoir les chevaux à travers les yeux d’une jeune fille de quatorze ans est formidable”
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À quoi ressemble votre nouveau métier ?
Je travaille dans un hôpital et je suis plus ou moins en charge de tout l’aspect administratif. Nous sommes une petite structure, donc je gère tout ce qui est en lien avec les assurances, les factures, les statistiques, le service client, etc. La liste est longue ! Chaque système de santé est différent en fonction des pays. En Allemagne, ils adorent la paperasse. Par conséquent, je dois gérer tout un tas de papiers chaque jour. (rires) Je suis toujours en train de courir après la signature de quelqu’un ! Il faut vraiment aimer ça ici. (rires)
A-t-il été difficile de trouver un nouvel emploi ?
J’ai eu beaucoup de chance et c’est une histoire assez drôle. Friedrich (Stürzer, ndlr), qui possédait les camions de Marcus et était également le propriétaire d’Anka, avec qui Marcus a remporté la finale de la Coupe du monde en 2003 (à Las Vegas, ndlr), vit près d’ici, au Sud de l’Allemagne. Je l’ai appelé et lui ai dit que j’étais dans le coin. Il m’a demandé ce que je faisais ici, et je lui ai expliqué ma situation. Nous avons diné ensemble et je lui ai dit que je cherchais un stage dans un hôpital afin de découvrir concrètement ce métier. Il m’a dit qu’un bon ami à lui avait un hôpital et qu’il allait nous mettre en contact. À l’époque, M. Schindlbeck était propriétaire de la clinique - qu’il a depuis vendue. Il m’a contactée et m’a dit “Kay, nous nous connaissons”. J’étais un peu surprise, puis il m’a rappelé que sa fille, Sofia, était venue s’entraîner dans les écuries de Marcus pendant quatre mois. Comme j’avais beaucoup aidé sa fille, il m’a rendu la pareille. Le monde est petit ! Je travaille toujours là-bas et il y a une famille adorable, les Ferch, qui sont installés non loin de l'hôpital. Je monte là-bas deux fois par semaine et j’aide parfois leur fille de quatorze ans, Ava. Elle faisait partie de l’équipe d’Allemagne médaillée d’or aux championnats d’Europe Enfants cette année. C’est super cool de pouvoir garder un pied avec les chevaux et de répondre à certaines questions. J’avais déjà fait étape dans leurs écuries quelques fois dans le passé, quand nous allions à Rome par exemple. Il y a encore des chevaux dans ma vie ! (rires)
Finalement, on ne peut jamais vraiment renoncer aux chevaux…
Non ! Et bien sûr, il y a trois ou quatre ans, je n’avais jamais allumé un ordinateur ! Quand j’ai repris mes études, je tapais avec un seul doigt. (rires) Mais j’ai progressé ! Il y a parfois des jours au travail où on se dit “mon dieu, je ne sais rien, je suis incapable de faire quoi que ce soit, ce n’est pas mon univers”. Et puis, je vais monter à cheval le soir et je me dis que je suis toujours capable de faire ça et que c’est incroyable. Cela donne un sentiment réconfortant et un boost de motivation. Le lendemain, l’ordinateur n’est plus si hostile que la veille ! (rires) Surtout, cela a été très intéressant de simplement monter pour le plaisir. Je montais beaucoup. Peu importe quel cheval est sous notre selle, que ce soit Plot Blue, Küche (Noltes Küchengirl, ndlr) ou un jeune cheval, on se demande constamment comment ils fonctionnent, s’ils sont prêts, si on a assez galopé, s’ils reviennent bien, s’ils sont aussi souples que la veille, si je peux assurer à Marcus, Beat ou Peter qu’ils sont prêts pour sauter un Grand Prix le week-end, etc. Le simple fait de monter à cheval et de profiter du moment est vraiment génial. J’ai réalisé, après coup bien sûr, que nous avons tout le temps beaucoup de pression sur les épaules. Je pense que je monte différemment maintenant, parce que je ne suis pas tout le temps sous pression. On ne s’en rend pas compte quand on est dans le feu de l’action parce qu’on aime notre métier. Cela nous parait normal. Je n’ai compris cela que lorsque j’ai fait un pas en arrière. J’ai accompagné Ava à quelques concours et revoir les chevaux à travers les yeux d’une jeune fille de quatorze ans est formidable. À haut niveau, il faut que les chevaux restent en place. On doit être stricts avec les étalons, sans quoi ils peuvent en profiter pour être coquins, voire dangereux. On colle constamment à un système. Avec cette jeune fille, les poneys sont adorables et ce sont des hongres, donc on peut jouer avec eux ! Il n’y a plus de “ne lui donne pas de bonbons, il va gratter le sol perpétuellement”. Cela n’a plus d’importance ; je peux leur donner des friandises. (rires)
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“Lorsque nous quittons le métier, nous sommes un peu livrés à nous-mêmes”
Pensez-vous que certains grooms restent pour de mauvaises raisons ? Qu’ils puissent se sentir coupables de partir et de laisser leurs complices derrière eux ?
Je crois qu’il est très difficile de prendre cette décision. Je m’en suis rendue compte moi-même, même si le moment était venu et que je ne l’ai jamais regretté. Parfois, je pense que certaines personnes restent trop longtemps. On le voit à leur frustration. Ils l’expriment sur leurs chevaux et cela se transforme parfois en méchanceté avec les gens. À mon avis, cela vient peut-être du fait de ne pas être capable de partir ou de changer les choses. Je trouve cela vraiment triste que les grooms se battent avec leurs cavaliers. La situation est parfois très intense. Tout le monde veut gagner, y compris les grooms. Il est donc difficile de rester détendu dans certaines situations. D’une certaine façon, les grooms ont parfois encore plus envie de réussir que les cavaliers. Et je pense que le problème avec ce métier est qu’il n’est pas reconnu en tant que tel dans la réalité collective. Or, il devrait l’être. Ce travail va bien au-delà du simple fait de brosser un cheval. Il y a la gestion d’équipe, de nombreuses responsabilités, être capable de se débrouiller seul, penser par soi-même, travailler avec les autres, etc. Il devient difficile de faire autre chose. Il est probablement plus facile de décider, lorsqu’on a la vingtaine, de faire autre chose. Une fois la barre des trente ans franchie, cela devient compliqué de trouver un moyen de gagner de l’argent. Je pense que le rôle des grooms doit se professionnaliser et qu’un système de soutien est nécessaire (depuis quelque temps, l’International Groom Association, IGA, a vu le jour, ndlr). Il y a tellement de rôles possibles dans la sphère équestre ces jours-ci. Les connaissances des grooms, leurs contacts avec les cavaliers, les propriétaires et toutes les autres parties prenantes de cet univers pourraient être mises à profit. Peu de grooms, hormis peut-être ceux de Ludger (Beerbaum, ndlr) McLain (Ward, ndlr) et Beezie Madden, sont restés toute leur vie aux côtés de leur cavalier. Les cavaliers eux-mêmes s’habituent à avoir un turnover chez leurs soigneurs. On ne voit pas le fait d’être groom comme une profession pour la vie, mais je pense que ça pourrait l’être. Si l’on débute aux côtés d’un jeune cavalier et que l’on reste avec lui, il aura forcément besoin de quelqu’un pour gérer les écuries, les concours ou garder un œil sur ce qui se passe à la maison. Il y a plein de solutions que l’on peut trouver et qui pourraient éviter d’avoir des personnes frustrées. Cela permettrait aussi de conserver un certain standard. Les concours ont évolué. Les grooms ont beaucoup plus sur les étapes du Global Tour. C’est une bonne chose, mais à travers cela, beaucoup ne veulent plus faire que du 5*, où ils n'amènent que deux chevaux et peuvent jouer les touristes toute la journée à Londres ou ailleurs. Ce n’est pas pour cela que les autres générations ont fait ce métier. Je ne dis pas que tous les grooms sont comme cela aujourd’hui ; il y a toujours des différences entre les générations, mais je pense que les gens n’apprécient pas suffisamment le fait qu’il s’agit d’une profession. Ce n’est pas toujours perçu ainsi.
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J’ai eu beaucoup de chance que la psychologue que j’ai rencontrée et à qui j’ai fait part de mes difficultés à quitter mon métier m’offre du soutien et m’écoute. Ce n’est pas souvent le cas ; nous sommes un peu livrés à nous-mêmes. On quitte son travail et après, qu’est-ce qu’on fait ? Le plus souvent, nous n’avons pas d’endroit où vivre. La plupart des emplois incluent un appartement. Alors, on n’a plus de travail et plus de logement. Si l’on n’a pas, par exemple, un nouveau compagnon ou une nouvelle compagne, où va-t-on ? Rentre-t-on chez ses parents ? C’est probablement la dernière chose que l’on a envie de faire. C’est une transition vraiment difficile. Je pense que les gens sont frustrés de conserver ce travail, même s’ils n’avoueraient sûrement pas qu’ils ont besoin de partir. Ils ne le savent probablement pas eux-mêmes. La frustration, le fait de ne pas savoir comment continuer et le manque de soutien mènent à une forme de plainte constante. On commence à râler pour tout. Tout est nul, tout est mauvais, les chevaux nous tapent sur les nerfs, etc. Parfois, on a l’impression que c’est normal pour un groom, ce qui n’aide pas avec le fait que nous devrions reconnaître ce problème.
“Parfois, j’imagine combien il serait merveilleux d’avoir une sorte de réunion des grooms”
Et une fois la porte du grooming fermée, tout s’arrête d’un coup…
Parfois, j’imagine combien il serait merveilleux d’avoir une sorte de réunion des grooms. Je prends Aix-la-Chapelle comme exemple. Disons que certains grooms ont vécu dix, huit ou cinq éditions de ce concours. Pourquoi ne pas organiser une soirée où tous se retrouvent ? Je ne sais pas quel chiffre serait le bon, mais ce serait sympa pour celles et ceux qui ont passé des années à venir à Aix-la-Chapelle de se saluer. Dans une certaine mesure, on donne toute notre vie pour ce métier. Forcément, parfois nous sommes de mauvaise humeur, forcément, nous avons dit les mauvaises choses à certaines personnes, forcément nous n’avons pas toujours tout fait parfaitement - parce que nous étions fatigués ou contrariés ou que nous voulions gagner. Peu importe les circonstances. Il est très difficile mentalement d’encaisser cette pression perpétuelle. Et une fois qu’on quitte le navire, c’est fini. On peut acheter une place et aller s'asseoir au fond des gradins, ou appeler nos anciens cavaliers, qui nous aideraient sûrement à assister au concours. Ce sont des options. Mais en tant que groupe, que grooms, nous partageons de nombreux moments difficiles ; lorsqu’un cheval est coincé et que tout le monde vient prêter main forte pour le tirer d’affaire, que quelqu’un est victime d’une crevaison et que l’on vient chercher ses chevaux, ou lorsque l’un de nous est malade et que l’on prend le relais pour nourrir ses chevaux le matin. Nous partageons beaucoup de choses ensemble en concours, mais, forcément, nous vivons tous loin les uns des autres. Il devient difficile de garder le contact et de se souvenir de tout le monde. Je trouve qu’il manque cette forme de retrouvailles entre les anciens grooms. N’importe quel concours, que ce soit Bordeaux, Paris, Genève, Vérone ou un autre, est en mesure d’organiser quelque chose comme ça. En tant que groom, dans notre cercle, nous sommes quelqu’un. Lorsqu’on arrive, tout le monde nous dit bonjour, tout le monde montre une forme d’appréciation et nous dit de gentilles choses. Nous avons beaucoup de retour. C’est quelque chose de difficile à perdre lorsqu’on change de voie. Il suffit que l’on parte six mois et personne n’appelle, personne ne prend le temps de se dire “oh, je me demande ce qu’ils font en ce moment”. Il est difficile de surmonter cela. Je pense que cela fait partie des raisons pour lesquelles certaines personnes partent, mais reviennent dans le milieu après un an ou deux.
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Le mauvais comportement des cavaliers, vis-à-vis des chevaux ou de leur personnel, peut-il influencer la décision de quitter le métier de groom ?
Cela existe. Lorsque j’ai quitté le sport, je pense que la situation tendait à s’améliorer. Les jeunes qui arrivent sont plus conscients du problème. Au fil des années, le rôle des grooms est devenu beaucoup plus concret et mis en lumière. Cela contribue au fait qu’ils soient employés correctement. Mais il y a effectivement des gens qui ne payent pas bien, qui ne donnent jamais de jours de congés ou payent pour qu’on ne les prenne pas, des personnes qui n’ont pas de papiers, ou des chevaux qui ne sont pas bien traités à la maison. Toutes ces choses ont existé et existent probablement toujours. Cela s’est amélioré à mesure que le sport est entré sous le feu des projecteurs. Il est désormais plus difficile de fonctionner ainsi. Les grooms sont plus connus. Nous avons beaucoup progressé par rapport à il y a vingt ans. D’une certaine mesure, cela est aussi lié aux réseaux sociaux. Désormais, tout peut être partagé en deux secondes. Je tends à croire que cela fait réfléchir les gens à deux fois. L’image est tout. Dans le passé, il était beaucoup plus facile de traiter les gens comme des moins que rien et de s’en tirer. Il y a toujours la version des choses qui nous dit, si nous nous plaignons de ne pas avoir eu un jour de repos ou d’avoir trop conduit, que nous l’avons fait. C’est vrai. Bien sûr, la personne qui consent à cela pourrait aussi partir. Mais ce n’est pas si simple. Dans le monde et dans tous les sports, il y a des personnes qui ont bonne réputation auprès de leurs employés, et d’autres qui ont une mauvaise réputation. Mais je ne suis pas sûre que cela arrête les grooms de travailler pour eux. Au cours de ma carrière, il y a quelques personnes que j’ai été voir après qu’ils ont changé de métier et à qui j’ai dit “je suis heureuse que tu travailles désormais pour une bonne personne et que tu vives dans un bon environnement, j’espère que tu es content”. En quelque sorte, on ressent aussi lorsque les gens ne sont pas traités correctement. Lorsque j’avais seize ans, je montais en Angleterre. J’ai souvent donné un coup de main à Pippa Funnell, une cavalière de concours complet, lorsqu’elle était encore en Jeune Cavalier. J’ai eu la chance de pouvoir l’aider aux écuries pendant les vacances scolaires. Je me souviens avoir écrit une lettre à Virginia Leng, une complétiste très connue à l’époque, lui demandant si je pouvais engranger de l’expérience à ses côtés. Elle m’a répondu en me disant qu’elle n’avait pas de place pour moi, mais m’a donné un conseil : de toujours chercher des écuries où les chevaux restent. Je crois que cela fait une grande différence. Et j’ai suivi son conseil toute ma vie. Travailler dans des écuries de commerce, avec des chevaux destinés à la vente ou autre, où la rotation est extrêmement rapide, est un mode de vie différent. J’étais avec Funky Fred lorsqu’il a disputé sa première épreuve internationale (à Genève, en 2011, ndlr), et le voir, aujourd’hui, toujours dans la même maison, change tout sur la façon dont nous, en tant que grooms, traitons les chevaux. Notre comportement est différent lorsque nous savons que ces chevaux sont là pour de longues années. Je pense que nous traitons les chevaux de commerce différemment, inconsciemment ou non, car nous apprenons à ne pas nous attacher.
Photo à la Une : Kay Neatham et Plot Blue lors d’une visite vétérinaire, en 2012. © Sportfot