“Le but de notre métier est de faire en sorte que les chevaux sautent le mieux possible”, Louis Konickx
Souvent dans l’ombre, les chefs de piste sont un peu au saut d’obstacles ce que l’artiste est à l'œuvre d’art. Lors des championnats du monde de Herning, temps fort de l’année, Louis Konickx et ses équipes se sont affairés à faire de l’immense stade Sutteri Hask une arène de jeu parfaite pour les dizaines de couples au départ. S’il y a toujours des choses à améliorer, le bilan global de cette échéance est bon, et aucune image difficile n’a été aperçue au Danemark. En définitive, les meilleurs ont été sacrés, et l’heureux chef de piste a, depuis, pu décompresser et analyser sa prestation et celle de son équipe. Le Néerlandais revient également sur ses débuts dans l’univers des constructeurs de parcours, et sur l’avenir, avec Paris 2024 qui trotte dans la tête de tout le monde.
Quel bilan tirez-vous des championnats du monde de Herning, où vous officiez en tant que chef de piste ?
Je suis très content. En tant que chef de piste, on veut toujours voir du beau sport, fluide, élégant et non pas basé sur la puissance pure. Nous voulons regarder des chevaux dans le rythme, en équilibre et qui montrent une belle entente avec leurs cavaliers. J’ai apprécié beaucoup de parcours à Herning, même lorsqu’il s’agissait de couples que je connaissais moins. Ils étaient en confiance et faisaient de leur mieux. Pour moi, c’est l’image que nous devrions voir du sport de demain : des parcours qui semblent naturels et faciles. Ils ne doivent pas être réalisés dans la bagarre ni la contrainte. C’est pour cela que je suis heureux d’avoir vu de belles prestations aux Mondiaux. J’étais aussi ravi pour le public. J’ai vraiment pris du plaisir. Tout le monde peut avoir ses propres héros pendant un championnat, mais, peu importe la nationalité, les spectateurs étaient heureux. Prenons l’exemple du dernier parcours de Marcus Ehning : peu importe quel pays il représente, sa connexion avec son cheval et la façon dont il a résolu toutes les équations de ce parcours étaient magnifiques. Il n’avait aucune chance de médaille, mais il s’est présenté comme une véritable icône pour le futur et un exemple pour tous.
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À froid, y’a-t-il des choses que vous souhaiteriez modifier dans les parcours que vous avez proposé à Herning ?
Il y a toujours des choses à améliorer. Je pense que le tracé qui a engendré le plus de discussions est celui du premier tour de la finale du dimanche. J’ai peut-être été un peu trop précautionneux avec le temps. Avec un peu plus de pression de ce point de vue, nous aurions eu un bon parcours. Dans tous les cas, je voulais que l’apogée du championnat arrive à la toute fin. Le grand sport devait être dans la deuxième manche, pas la première. Dimanche, si le premier parcours avait été plus difficile, on aurait vu des chevaux perdre confiance et perdre en moyens pour le second acte. Or, tous les chevaux sautaient encore merveilleusement bien, même si l’ultime tracé présentait de vrais défis aux cavaliers. Il fallait rester concentré et bien monter, notamment pour le double de bidets, qui attirait l’attention des chevaux.
Nous avons travaillé avec une super équipe danoise, qui avait en charge la décoration de la piste. Mais c’était un sacré travail ! Alors, si je pouvais changer autre chose, j’aurais aimé que cette tâche soit plus simple. Sur une piste comme celle de Herning, il n’y a que très peu de décors. Lorsqu’on est en hauteur, ou avec les différentes caméras et la spidercamera, on voit beaucoup de sable. Utiliser des fleurs et de la verdure était l’une de mes priorités. L’équipe a fait un super travail pour tout mettre en place à chaque fois. Avec les épreuves de dressage, la mise en scène changait constamment.
Par quelles réflexions passe un chef de piste avant d’obtenir un parcours définitif, qui plus est pour un championnat du monde ?
Je pense que deux ou trois mois avant les championnats du monde, nous avions déjà commencé à imaginer des parcours, sur plan et sur ordinateur. Nos premiers lots de vrais tracés sont intervenus trois semaines avant, à la demande de l’Américain Anthony d'Ambrosio, qui était notre délégué technique. À première vue, nous aimions bien ces premières ébauches, et commencions à réfléchir à quel tracé pourrait correspondre à quelle épreuve de la semaine. Mais, je peux assurer que nos premières idées ont considérablement changé dans les derniers jours ! Il y a toujours de meilleurs parcours cachés derrière nos premiers jets. Dès que l’on commence à remplir les obstacles, à ajouter des bidets, la rivière, les combinaisons, une sorte de doute s’installe et on commence à voir d’autres connexions, d’autres liens possibles entre les obstacles. On remarque également des éléments qu’on aime moins, qui nous semble trop faciles ou pas adéquats en fonction de leur positionnement. Nous avions parfois trop d’obstacles ! (rires) Dès samedi matin, nous avions imaginé le second parcours de la finale individuelle. Plus on pense à tous les aspects extérieurs au tracé, plus on voit de choses à modifier. Les obstacles aux couleurs des sponsors sont souvent utilisés pour les combinaisons. Il faut également prendre en compte le côté dramatique du sport. Il faut avoir un peu de suspens, et la fin de parcours ne peut pas être une formalité pour tous les cavaliers. Il faut susciter un peu d'excitation jusqu’au bout. Lorsqu’on change un obstacle, il nous faut alors modifier celui d’avant, et celui d’encore avant. En somme, notre point de départ est de créer une belle ligne élégante. Puis, les choses se compliquent dès que l’on commence à décorer les obstacles, et à trouver de bonnes distances. Les parcours doivent faire preuve de variété en lui-même, mais aussi entre les différentes journées d’épreuves.
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“Il incombe au cavalier de lire et décrypter le tracé lors de la reconnaissance”
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon chef de piste ?
Un bon chef de piste est celui qui survit ! (rires) Je crois que le but de notre métier est de faire en sorte que les chevaux sautent le mieux possible. Pour cela, on doit mettre en place des challenges dans nos parcours, dans les distances, etc. Ensuite, il incombe au cavalier de lire et décrypter le tracé lors de la reconnaissance et de l’adapter à son cheval, ses capacités et ses points forts. Par exemple, s’il remarque que l’oxer 3 est un peu regardant, il sait comment réagir une fois en piste. Le chef de piste met en place un bon parcours, puis le cavalier doit l’analyser et trouver une stratégie. L’une des choses les plus intéressante est de voir les cavaliers discuter entre eux à la reconnaissance, se demander s’il faut mieux faire six ou sept foulées dans une ligne, pour qu’à la fin, tout le monde en fasse sept parce que les premiers à avoir tenté six ont pris trop de risques et écopé d’une faute (rires). C’est cela qui rend un parcours intéressant pour un cavalier. Nous faisons toujours ce métier en faveur du beau spectacle, avec l’ambition de voir des chevaux en confiance et dans la bonne cadence.
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Cette année, la Fédération équestre internationale (FEI), a modifié les règles liées au chronomètre. Désormais, chaque seconde de temps dépassé équivaut à un point, là où une unité était ajoutée au compteur des cavaliers par tranche de quatre secondes par le passé. En quoi cela modifie-t-il votre approche dans la construction de parcours ?
Dans la première manche de la Coupe des nations à Herning, toutes les équipes étaient au départ. Le temps accordé pour ce parcours était généreux, mais c’était voulu. Nous ne souhaitions pas que la qualification pour la finale collective se joue sur des points de temps. Nous avons donc été satisfaits de ce tour. Le classement pour la seconde manche a été déterminé par les fautes aux obstacles, pas sur le chronomètre. Vendredi, pour la finale, seules les dix meilleures équipes étaient là. La situation était donc complètement différente. Les écarts étaient très serrés et tous ont écopé de quelques points de temps dépassé. C’était intéressant d’avoir un peu de pression lié au chronomètre à ce moment-là. Le temps n’était pas trop court, juste ce qu’il faut. On a d’ailleurs vu plusieurs couples faire une ou deux foulées supplémentaires pour aborder le triple (qui a causé beaucoup de difficultés ce soir-là, ndlr). Sanne Thijssen, qui était très rapide, s’est même presque arrêtée avant la combinaison et est quand même rentrée dans le temps ! En règle générale, je n’aime pas que le temps soit l’élément proéminent de mes parcours. Je préfère le doser avec justesse, afin d’ajouter simplement un peu de pression. Pour moi, les bons cavaliers, capables de dérouler de bons tracés, et même s’ils ne montent pas les chevaux les plus rapides du monde, doivent pouvoir rentrer à l’heure. Si le temps est tel que même les chevaux les plus rapides ne parviennent pas à être sans-faute, on s’approche trop de la course à mon goût. Bien sûr, il m’est arrivé d’avoir beaucoup de points de temps dans certains Grands Prix. Après coup, j’ai eu du mal à dormir la nuit !
Comment êtes-vous devenu chef de piste ?
Il y a longtemps, j’étais un cavalier lambda. J’aimais monter à cheval, au niveau national. J’ai eu la chance de croiser la route de quelques bons chevaux, qui m’ont permis d’évoluer jusqu’à 1,35m, mais je n’étais pas très doué. Lorsqu’on a pas un très grand talent, on commence à analyser davantage les parcours. Les tracés devenaient de plus en plus techniques à cette époque et j’entraînais des poneys un peu grassouillets dans un club. J’ai dû trouver un moyen de les faire sauter. Cela faisait partie de mes atouts et intérêts. Dans notre région, nous n’avions peut-être pas le meilleur chef de piste qui soit. Il recevait d’ailleurs quelques critiques. Un jour, il m’a dit “pourquoi tu n'essayerais pas de construire des parcours ?” C’est ce que j’ai fait, et j’ai commencé à m’amuser en faisant cela. Les cavaliers semblaient apprécier mes tours. Rapidement, j’ai eu la chance de pouvoir assister plusieurs grands noms, comme Arno Gego, Linda Allen, etc. J’étais un assistant dévoué et je travaillais toujours très dur. Ils ont apprécié cette qualité, et cela a permis de lancer ma carrière internationale. Frank Kemperman, du CHI de Bois-le-Duc, et Emile Hendrix, qui était directeur du CHIO de Rotterdam, ont eu la gentillesse de me faire confiance pour leurs événements. J’ai appris aux côtés de Frank Rothenberger à Bois-le-Duc pendant quelques années, puis j’ai pris sa suite. J’ai fourni beaucoup d’efforts dans ce travail. Je me levais aux aurores pour prendre l’avion, parcourir le monde et construire des parcours un peu partout. J’avais soif d’apprendre. Cela m’a beaucoup aidé, puisque les cavaliers me voyaient toujours en train de travailler et d’observer. Je dois beaucoup à mes professeurs, et je leur en suis extrêmement reconnaissant.
“Les Jeux olympiques sont des championnats difficiles”
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Un peu plus tôt cette année, vous avez confié être sur le chemin de la retraite. Qu’envisagez-vous pour l’avenir ?
Je veux passer le flambeau aux jeunes (rires). Parfois, les chefs de piste restent des années dans le milieu, et deviennent, de fait, de plus en plus vieux. Mais c’est une bonne chose de laisser sa chance à la jeune génération. J’ai un excellent assistant en la personne de Quintin Maertens. Je pense qu’il a beaucoup de talent. J’ai utilisé un grand nombre de ses idées dans les parcours que nous avons construits à Herning. Lorsque j’imaginais un parcours, il le corrigeait, puis je faisais à mon tour des modifications. Pour chaque tracé, nous avions quatorze ou seize versions ! C’est plaisant de voir de jeunes chefs de piste. À Herning, il y avait aussi le Canadien Peter Grant, qui officie à Calgary. Il est aussi très talentueux. Gérard Lachat était là également. Nous construisons chaque année le Grand Prix de Genève ensemble. J'essaie d’impliquer de nouveaux noms autant que possible. Je ne peux pas avoir quinze personnes à mes côtés, parce que je veux qu’ils aient tous un vrai rôle à jouer pendant les championnats, et qu’ils ne soient pas simplement là pour regarder de loin. J’ai hâte de voir ce qu’ils feront dans les prochaines années. J’ai déjà passé les rênes du CHIO de Rotterdam et du Jumping d’Amsterdam à Quintin. Je serai encore dans le coin, mais j’ai désormais moins de pression sur les épaules.
Votre nom revient forcément parmi la liste des candidats aux prochains Jeux olympiques, qui auront lieu à Paris, dans moins de deux ans. Pensez-vous à cette échéance ?
Oui. Je crois que beaucoup de personnes pensent à Paris, depuis des années. La décision revient au Président du comité de saut d’obstacles et au directeur de la Fédération équestre internationale. Je ne suis pas certain, mais il me semble que le choix n’a pas encore été officialisé car les organisateurs des épreuves équestres viennent juste d’être connus. J’espère simplement que le meilleur chef de piste pourra officier à Paris (rires). J’ai été directeur technique à Tokyo, mais Paris me tenterait bien. Peut-être que je ne serai qu’un visiteur, ou que je ferai partie de l’équipe. Je ne sais pas. Herning a été mon moment cette année. En tout cas, je suis sûr d’une chose, les JO sont des championnats difficiles. Pas seulement pour leur formule, ou la construction des parcours, mais aussi pour toutes les choses qui gravitent autour d’une telle échéance : la publicité, la décoration des pistes, les équipes, la télévision, les caméras, la lumière, les ombres, les sponsors, etc. Les Japonais ont mis en œuvre un excellent événement et proposé un bon championnat, mais sans public. Avec les spectateurs, les tribunes vont être déchaînées. C’était génial de pouvoir revivre ça à Herning.
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Photo à la Une : Louis Konickx à Barcelone, lors de la finale du circuit des Coupes des nations Longines, l'an dernier. © Scoopdyga