“Le bien-être passe par le respect mutuel”, Grégory Cottard (2/2)
Plus que d’une collection de médailles, Grégory Cottard rêve de symbiose, de communion, de fluidité dans la relation qu’il noue avec ses chevaux. Au cœur de sa réflexion, ses montures lui rendent tout ce qu’il leur offre. Il en a encore eu la preuve dimanche dernier, au Jumping International de Bordeaux, où il a décroché la plus belle victoire de sa carrière grâce à Cocaïne du Val. Rencontré deux jours avant son triomphe, le cavalier installé aux écuries de Wy, à Drocourt, évoquait son envie d’être régulier et de confirmer les progrès de ses deux cracks grises. Contrat rempli, donc. En plus de ses deux fidèles juments de tête, le Francilien continue de former la relève et devrait pouvoir s’appuyer sur plusieurs bonnes cartouches dans les mois et années à venir. De quoi se projeter vers la suite avec sérénité, toujours dans un système singulier, qui se démarque par son approche naturelle et simplifiée. Dans une interview en deux épisodes, le jeune quadragénaire, qui a vécu une riche année 2022, marquée notamment par trois grandes échéances, évoque son piquet de chevaux, ses objectifs, mais aussi le bien-être animal, son rapport à l’élevage ou encore l’influence de Pierre Crampon et Mickael Borot dans sa progression. Second volet.
La première partie de cet entretien est à (re)lire ici.
Quel rôle a joué Pierre Crampon, votre entraîneur privilégié, dans la mue que vous avez commencé à opérer depuis bientôt deux ans ?
Pierre m’a enseigné comment éduquer un cheval et c’est ce qu’il y a de plus important à mes yeux. Je continue à apprendre tous les jours, toujours dans cette méthode. Au départ, j’avais conservé les codes de mon ancienne équitation en piste. De fait, il était difficile de les casser. Cela commence à venir. Honnêtement, je me suis fait plaisir sur tous les parcours que j’ai fait depuis le début de l’année. J’espère que cela va continuer ainsi. Pour prendre un exemple parlant, changer ses habitudes en piste reviendrait à conduire en Angleterre pour un Français. Le volant passe de l’autre côté de la voiture, on conduit à gauche et il faut réapprendre le système. Imaginons, en plus, que les pédales s’inversent et cela demanderait une adaptation encore plus grande. Il faudrait alors réfléchir à chacune de ses actions. C’était mon cas ces dernières années lorsque je montais à cheval et cela n’était pas vraiment naturel. Aujourd’hui, ma façon de monter tend à devenir une équitation réflexe, faite d'automatismes.
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Les réseaux sociaux permettent à certaines personnes, qui ne sont pas forcément professionnelles, d’émettre des avis parfois constructifs et de soulever certains problèmes qui peuvent toucher les sports équestres. Sans parler des commentaires purement haineux ou véhément, cet outil n’est-il pas utile pour aider ce microcosme à ouvrir les yeux sur certains sujets ?
Les réseaux sociaux sont faits pour parler, pour communiquer. Malheureusement, aujourd’hui, il y a de temps en temps des gens mal intentionnés qui s’en servent pour faire monter en ébullition certaines choses. Dans notre sport, il faut venir voir ce que nous faisons, ce qui se passe en coulisse. On nous qualifie parfois de maltraitants, mais j’invite ces personnes à venir voir par elles-mêmes ce qu’il se passe. En étant sérieux, nous sommes quand même bienveillants avec nos chevaux, nous nous en occupons vraiment bien et il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Tout comme il y a des assassins dans la population mondiale, il y a peut-être des gens qui maltraitent leurs chevaux aussi, mais ce n’est pas parce qu’il y a une personne dans ce cas qu’il y en a mille. Il ne faut pas tout mélanger. Je crois qu’on ne pourra jamais aller contre les gens à l’origine de ces commentaires négatifs. Nous devons continuer à effectuer notre travail, à le faire correctement et passer à autre chose. Nos détracteurs se noieront tout seul.
Comment les athlètes peuvent-ils prouver leur bonne foi au grand public et le font-ils assez ?
Je crois que les cavaliers commencent à se mobiliser, à mettre des choses en place, que ce soit dans la gestion de leurs réseaux sociaux ou leur manière de communiquer en général. Avant, nous ne faisions pas du tout attention à cela. Nous étions davantage orientés vers notre sport et nos chevaux, sans nous préoccuper de l’extérieur. Nous sommes de plus en plus mis en lumière et ce partout. C’est la vie actuelle qui veut cela. Par conséquent, nous mettons en place des stratégies qui tiennent la route, qui sont plus cohérentes. Il y a toujours à critiquer et à redire, mais c’est le cas dans tous les domaines.
“On est dans la vie comme on est avec nos chevaux”
On parle beaucoup de bien-être animal. Pour vous, quelles en sont les notions essentielles ? Quelle serait votre définition ?
Pour moi, le bien-être passe par le respect mutuel, que ce soit du cheval envers nous, ou inversement, comme ce serait le cas avec un membre de sa famille, un employé ou n’importe quelle personne que l’on peut côtoyer. Je pars du principe que l’on ne fait pas aux autres ce qu’on ne voudrait pas que l’on nous fasse. À mon sens, le bien-être animal dépend uniquement de cela. Il en est de même pour le bien-être humain, de la femme, de l’homme, de tout le monde. À partir du moment où on est respectueux de notre environnement, des gens avec lesquels on travaille, je pense que l’on est dans la vie comme on est avec nos chevaux. Voilà à mes yeux le principe fondamental de cette notion.
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Parmi la liste des engagés du CSI 5*-W de Bordeaux, figurent seulement quatre femmes. À l’inverse, les amazones sont beaucoup plus nombreuses du côté des épreuves amateurs. Avez-vous des éléments à avancer pour tenter d’expliquer ce phénomène ?
Non, pas vraiment. Cependant, il faut souligner que nous sommes l’un des rares sports mixtes. Les cavalières et cavaliers atteignent souvent le haut niveau après plusieurs années de prise d’expérience, au poney-club d’abord, puis sur des épreuves plus importantes ensuite. Cela veut dire que le pic de nos carrières intervient peut-être à trente ans ou plus. À cette période de la vie, il est possible que les femmes aient envie d’avoir des enfants, une vie de famille. Je ne connais pas le pourquoi du comment, mais j’imagine que cela est un élément qui peut expliquer qu’il y ait un petit peu moins de femme à très haut niveau. Cela étant, je trouve qu’elles sont de plus en plus nombreuses et c’est très positif !
Vous bénéficiez des conseils d’un coach mental, Mickaël Borot, ancien taekwondoïste. Comment s’articule votre collaboration et sur quoi porte le travail que vous effectuez ensemble ?
J’ai rencontré Mickaël il y a maintenant quelques années. Nous avons surtout mis en place des routines afin d’appréhender au mieux les échéances majeures, de gérer le stress et la compétition de haut niveau. Il m’a beaucoup aidé sur ce point-là. Il m’épaule également dans la gestion des événements négatifs comme positifs qui rythment la vie d’un cavalier. Nous nous téléphonons régulièrement lorsque je participe à une compétition importante. Le reste du temps, nous communiquons et discutons, mais nous n’apportons pas de grands changements à notre système. Les routines sont vraiment primordiales (le champion suédois Peder Fredricson abonde également en ce sens dans son livre Six Feet Above, dans lequel il dévoile également comment ses collègues ont pu percevoir son fonctionnement lors des Jeux olympiques d’Athènes, en 2004, ndlr). Il y avait une pub qui circulait, où Zinedine Zidane détaillait la façon dont il se préparait avant une compétition ; c’est exactement ça. Créer une routine, que l’on suit au quotidien, permet à notre cerveau de continuer à fonctionner correctement lorsqu’on affronte un événement plus difficile.
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Dans plusieurs sports, en snooker ou en tennis par exemple, les athlètes osent de plus en plus parler de santé mentale. Qu’en est-il dans le monde équestre ?
La parole commence à se libérer. Je sais que la Fédération française d’équitation aborde ces sujets. Beaucoup de gens me contactent également par rapport à cela, notamment après avoir vu des vidéos de mes entraînements avec mon préparateur mental. Nous avançons doucement dans le bon sens. Les gens commencent à se rendre compte qu’ils ont besoin d’aide pour pratiquer leur sport. Et je pense qu’ils vont sans souci se diriger vers des coachs mentaux, puisque le travail effectué avec eux fonctionne !
“Avec l’ICSI, l’élevage devient une usine, une machine”
En parallèle de la compétition, vous vous intéressez aussi à l’élevage. Comment gérez-vous cette activité, que vous menez de front avec votre fidèle propriétaire, Marie-Caroline Besins ?
L’idée lorsque nous achetons des juments est de pouvoir les conserver pour, ensuite, profiter de leurs qualités à l’élevage. Nous avons plusieurs bonnes juments d’élevage, ce qui nous permet de faire naître des poulains pour l’avenir. Nous essayons de continuer cette activité et de gagner en qualités pour élever les meilleurs produits possibles. C’est très sympa !
Nous avons notamment la fille de Bibici par Cornet Obolensky (ex Windows van het Costersveld). Nous espérons évidemment qu’elle sera prometteuse ! En tout cas, à nos yeux, elle l’est déjà ! (rires) Elle ressemble comme deux gouttes d’eau à sa mère : elles ont la même robe et le même tempérament. Nous avons de beaux poulains qui grandissent, des descendants de Régate (d’Aure, Robin II x Drakkar des Hutins, gagnante jusqu’en Grands Prix 2*, ndlr) et d’autres bonnes juments.
Comment choisissez-vous les étalons que vous utilisez pour vos juments ?
Marie-Caroline et moi fonctionnons au coup de cœur. En général, nous procédons ainsi : je suggère une liste de cinq étalons par jument à Marie-Caroline, afin d’essayer de ne pas faire trop de mauvais croisements, puis elle choisit celui qu’elle préfère.
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Quel regard portez-vous sur les nouvelles techniques d’élevage, qui se démocratisent d’année en année ?
Je suis plutôt assez favorable au transfert d’embryons, en revanche, l’ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïde, ndlr) est en train de monter en flèche et cela avance trop vite pour moi. J’ai du mal à comprendre. Peut-être est-ce une adaptation à avoir, mais, pour l’instant, je ne suis pas entièrement convaincu. Le transfert d’embryon me semble plus tolérable. Avec l’ICSI, l’élevage devient une usine, une machine. Est-ce bien ou non ? Je ne sais pas encore. Pour l’heure, je ne suis pas fan.
Doit-on craindre que ces productions à grande échelle réduisent l’hétérogénéité des chevaux, que ce soit dans le modèle ou dans les courants de sang ?
Nous emmenons les chevaux vers un même modèle depuis des générations. Avant, nous avions les gros Selle Français, comme nous aimions les appeler. Maintenant, nous avons des chevaux de sang, beaucoup plus sensibles, qui tiennent la cadence en championnat avec l’énergie et le respect. Nous nous dirigeons vers un sport de plus en plus moderne. Sur ce point-là, je ne suis pas vraiment inquiet. En revanche, le nombre de poulains élevé la même année, issu de la même mère, me tracasse davantage. Cela peut casser le schéma et le rythme habituels pour certains éleveurs.
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Les questions écologiques sont aussi au cœur des préoccupations quasi quotidiennes des citoyens. Les sports équestres nécessitent de nombreux déplacements, dont l’empreinte carbone n’est pas négligeable. Est-ce un sujet auquel vous êtes sensible et existe-t-il des solutions pour limiter les émissions carbones en équitation ?
Oui, il s’agit d’un sujet qui nous concerne tous, mais, malheureusement, il n’y a pas trop de solutions. Nous devons nous déplacer pour aller en compétition. C’est quelque chose de délicat. Lorsque nous pouvons nous le permettre et venons de la même région par exemple, nous essayons de prendre la même voiture, de nous déplacer ensemble. Malheureusement, nous n’avons pas toujours cette possibilité… Nous essayons également de partager nos camions lorsque cela est possible (une double bonne initiative qui permet également aux grooms de partager le temps de route, ndlr).
Photo à la Une : Grégory Cottard, ici en tête du tour d'honneur, après sa plus belle victoire à ce jour, signée à Bordeaux. © Mélina Massias