“Le bien-être démarre en laissant le cheval vivre comme tel”, Michael Jung (2/2)
Est-il un cavalier de concours complet, de saut d'obstacles, de dressage ou bien les trois à la fois ? Difficile de ranger Michael Jung dans une case tant sa polyvalence est impressionnante. Depuis une petite dizaine d’années, le multimédaillé allemand s’adonne, en parallèle de sa brillante carrière en concours complet, au saut d’obstacles de haut niveau. Sa fidèle FischerChelsea, quinze ans, lui a d’ailleurs permis de remporter son premier Grand Prix CSI 4* en mai 2021. Toujours vaillante, la belle l’accompagnait au Jumping International de Bordeaux, il y a maintenant deux semaines. Dans le cadre de ce concours qu’il affectionne tout particulièrement, notamment grâce au fait qu’il lui permet de disputer à la fois l’épreuve de cross indoor et celles de jumping, celui qui est souvent érigé au rang de légende s’est prêté à l’exercice de l’interview, évoquant son piquet de chevaux, ses objectifs à venir, la politique de son sport, le bien-être animal ou bien encore l’élevage, activité dans laquelle il s’est récemment lancé. Second volet de cet entretien.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
En Allemagne, la rumeur veut que les cavaliers soient plus complets, qu’ils accordent davantage d’importance aux fondamentaux et notamment au travail sur le plat. Est-ce lié à votre culture ?
C’est certain. Nous essayons d’apprendre tous les jours et avec les chevaux, c’est inévitable. Même lorsqu’on est âgé et expérimenté, on continue d’apprendre parce que chaque cheval est différent. Les chevaux ne fonctionnent pas comme un ordinateur où il suffit d’appuyer sur tel et tel bouton pour que tout se mette en marche. Chaque cheval est différent, et tout au long de notre vie on ressent ces moments où l’on se dit “aaah, d’accord !” Le feeling avec les chevaux, l’aspect vétérinaire, les transports ; tout est vraiment important. Et il faut toujours penser à ce que l’on peut améliorer. Il faut toujours ouvrir les yeux, observer les bons entraîneurs, les bons cavaliers, comme Michel Robert par exemple. On peut apprendre des choses partout.
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Avez-vous travaillé avec Michel Robert ?
Non, mais il y a plein de vidéos sur internet, ainsi que de nombreux livres à notre disposition. Tout est rempli de choses à prendre. Rien que sur un paddock de détente, on peut discuter et échanger avec d’autres cavaliers. Cela me semble essentiel.
“Accentuer le travail sur le plat ou à l’obstacle permet de rendre les chevaux meilleurs, et notre sport plus sûr”
Vous avez été l’un des premiers cavaliers, il y a maintenant une dizaine d’années, à vous consacrer avec rigueur à deux disciplines olympiques, en les pratiquant à très haut niveau. En concours complet, de plus en plus d’athlètes tendent à suivre le même chemin. Comment l’expliquez-vous ?
Le sport qu’est le concours complet devient de plus en plus difficile. Évoluer dans une autre discipline est également un bon apprentissage. Prenons l’exemple du cross indoor ; on ne monte pas de la même façon qu’en cross-country classique. Les parcours de cross en indoor ne sont pas notre discipline de base. Ces compétitions se rapprochent davantage d’épreuves de vitesse, que nous, cavaliers de complet, n’avons jamais l’occasion de disputer. Nous avons le cross en extérieur, qui fonctionne de façon totalement différente ; on galope sur une longue distance, rassemble et prépare son cheval, franchit la combinaison et galope vers l’obstacle suivant. Pour la phase d’hippique, on doit être sans-faute, dans un temps imparti. Cela se rapproche d’une épreuve à barrage en saut d’obstacles, mais pas d’une Vitesse. À l’intérieur, les chevaux doivent réfléchir très rapidement, comprendre quel est l’obstacle suivant, tourner court à droite, à gauche, se rassembler, etc. C’est un très bon exercice, que j’apprécie beaucoup. C’est bénéfique, tant pour les cavaliers que pour les chevaux. Accentuer le travail sur le plat ou à l’obstacle permet de rendre les chevaux meilleurs, de les avoir en meilleure santé et de rendre notre sport plus sûr. Tout cela va ensemble.
Beaucoup d’observateurs s’accordent pour dire que vous seriez aussi capable de dérouler au niveau Grand Prix à dressage…
Je l’ai déjà fait !
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Aimeriez-vous reconduire l’expérience ?
Lorsqu’on arrive à ce niveau, le dressage est aussi un sport magnifique. Le cheval commence à danser et l’on sent alors toute sa puissance, la façon dont il peut bouger, croiser ses jambes dans un appuyer, se rassembler et s'asseoir sur son arrière-main ; c’est incroyable. Mais il faut du temps pour cela ! En l'occurrence, évoluer à haut niveau en dressage serait de trop dans mon emploi du temps. J’ajouterai également qu’il faut savoir se concentrer sur ce que l’on fait. Sans quoi, on fait les choses à moitié. Je préfère donc me donner vraiment à 100 % et dédier tout mon temps à moins de disciplines.
Finalement, que n’avez-vous jamais fait dans votre carrière ?!
J’aime bien toucher à tout, tout essayer, mais toujours dans l’objectif d’apprendre, de progresser et de transmettre mes connaissances aux autres, pour que les cavaliers deviennent meilleurs et travaillent mieux avec leurs chevaux. J’aime aussi enseigner la manière dont un façonne un cheval de trois, quatre, cinq, six ou sept ans, dont on le prépare pour son premier concours, voire pour un championnat. Un peu tout, en somme !
Votre polyvalence et votre talent ont contribué à faire de vous l’un des cavaliers les plus populaires du monde, voire vous hisser au rang de légende vivante. Comment vivez-vous cela ?
Je me sens surtout reconnaissant pour tout ce que j’ai et peux faire. Je suis particulièrement reconnaissant envers ma famille, toutes les personnes que je rencontre, celles qui m’aident aux écuries, les éleveurs, les propriétaires, les sponsors, les amis et tous les gens qui travaillent dans l’ombre.
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“Il y a toujours des choses à améliorer, des pistes différentes à explorer”
À Bordeaux, la battle de dressage a rencontré un franc succès, tout comme le cross indoor. Lors de ces deux épreuves, l’ambiance était électrique, ce qui est un peu moins le cas en jumping. Qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour attirer et séduire davantage le grand public, qui n’est pas toujours connaisseur des spécificités de la discipline ?
Je ne sais pas. Il y a toujours des choses à améliorer, des pistes différentes à explorer. Il faut garder l’esprit ouvert et tenter de nouvelles choses. Une chose est sûre : on peut toujours faire mieux. Peut-être que l’on pourrait expliquer davantage, notamment au sujet du cheval lorsqu’il entre en piste. Qu’a-t-il fait ces trois dernières semaines ? Peut-être a-t-il profité d’un mois de repos ? Était-il aux Etats-Unis le week-end dernier ? Ou bien, gagnait-il un autre Grand Prix ? Ce genre d’informations pourrait permettre aux gens de mieux comprendre les différentes stratégies et pourquoi tel cheval ne va très vite, tandis que le suivant est lancé à vive allure. L’idée est-elle de préparer ce cheval pour le Grand Prix, d’utiliser cette épreuve comme une mise en jambe ? Ou alors, peut-être réaliser des interviewes. Par exemple, on pourrait demander au cavalier d’expliquer, en dix secondes, son plan pour l’épreuve du jour. “Je suis prêt, je veux gagner”, pourrait être une réponse, tout comme “Je veux profiter de ce parcours pour me concentrer et travailler sur le contrôle”. On peut trouver des sources d’inspirations n’importe où. Il faut simplement essayer. Ensuite, on voit si cela fonctionne ou non.
“Ce sont les cavaliers et chevaux qui devraient faire le sport”
On parle de plus en plus du bien-être animal. Pour vous, quels sont les fondamentaux de cette notion ?
Par où commencer ? Je ne sais pas. Cela démarre en laissant le cheval vivre comme tel. Il doit donc aller dehors, au pré. Il faut ensuite s’assurer qu’il ait de la nourriture de qualité à disposition, un bon box, un maréchal-ferrant compétent. Tout doit être bien, mais pour le cheval, nul besoin que tout soit joli. Le plus important est avant tout que les choses soient adaptées à ses besoins. Par exemple, un cheval n’a que faire d’aller dehors dans la boue. Ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus glamour, peut-être qu’il va se salir, mais à ses yeux, cela n’a pas d’importance. Au contraire, c’est bien pour lui de pouvoir aller dehors se rouler dans la boue ! Parfois, on devrait penser davantage à ce que nos chevaux aimeraient, et non pas à ce qu’on voudrait nous, cavaliers. Il faut voir les choses à travers les yeux de son cheval.
Êtes-vous impliqué dans l’aspect politique des sports équestres ? Votre position et votre regard très complets serait sans doute un atout dans ce domaine…
C’est difficile. On ne peut pas faire grand-chose. On peut avoir des idées, ou suggérer des améliorations, mais tout le monde s’en fiche.
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Il n’y a pas si longtemps, Steve Guerdat prenait très régulièrement la parole pour défendre son sport. Aujourd’hui, il semble plus discret. Pensez-vous que cela relève d’une volonté de ne plus dépenser de l’énergie et du temps en vain ?
Oui, exactement. Les instances font ce qu’elles veulent et c’est à nous de nous assurer que nous pouvons tout gérer. C’est triste que nous ne puissions pas plus travailler ensemble. Normalement, ce sont les cavaliers et chevaux qui devraient faire le sport, veiller à ce que les équidés se sentent bien et que nous pratiquons un beau sport. Nous devrions être en mesure de nous assurer que nous avons de bons sols, obstacles et parcours. Seulement, lorsque l’on dit “cela ne va pas, ne fonctionne pas et il faudrait plutôt procéder ainsi”, on nous trouve tout un tas d’excuses du genre : “c’est à cause de la télévision, de ci ou de ça”. C’est difficile.
“Il faut durcir l’obtention de l’approbation pour les mâles, car ils sont trop nombreux”
Vous intéressez-vous à l’élevage ? Faites-vous naître vous-même quelques poulains ?
Oui, un peu. Nous commençons tout juste, avec FischerRoccana (Ituango x Carismo, sacrée championne du monde de concours complet à six ans, médaillée d’argent en individuel et d’or par équipes aux Jeux équestres Mondiaux de Caen en 2014 puis vice-championne d’Europe en solo aux Européens de Strzegom en 2017, ndlr). Nous avons eu un poulain (par Grey Butt, Grey Top x Sunset Boulevard, ndlr) et j’en ai acheté un second afin qu’ils puissent grandir et vivre ensemble. L’année prochaine, nous en aurons peut-être un autre ! Nous n’en sommes qu’au début et faisons cela avec parcimonie.
Comment choisissez-vous les étalons que vous souhaitez utiliser ?
Je pense qu’il y a trop d’étalons. Il faut durcir l’obtention de l’approbation pour les mâles, car ils sont trop nombreux. Surtout, ils sont trop nombreux à ne pas être suffisamment sains ou bons. Dans la nature, seuls les chevaux les plus forts et durs au mal survivent et se reproduisent. Je pense que nous devons repenser un peu à cela et pas seulement nous concentrer sur ceux qui sautent le plus haut ou vont le plus vite. Nous devons nous assurer que les étalons sont agréables à monter, qu’ils ont une bonne carrure, qu’ils sont sains et francs. Bien sûr, la qualité importe aussi. Mais avec ces critères, il resterait peut-être la moitié des reproducteurs actuellement disponibles. Je ne sais pas combien ils sont aujourd’hui, mais c’est énorme ! Comment peut-on choisir parmi tous ceux proposés ? C’est difficile.
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Si votre emploi du temps fort chargé vous laissait un peu plus de temps pour vous adonner à des activités annexes aux chevaux, lesquelles aimeriez-vous pratiquer ?
Il est vrai que je n’ai pas beaucoup de temps libre ! Cependant, j’aime profiter de moments avec ma famille ou mes amis et faire quelque chose en leur compagnie. Peu importe ce que nous faisons, tant que nous passons du bon temps ensemble.
Photo à la Une : Michael Jung à Bordeaux. © Mélina Massias