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“La seule façon d’améliorer l’image de notre sport est de prendre les choses en main”, Steve Guerdat (2/2)

Interviews vendredi 16 décembre 2022 Mélina Massias

À l’occasion d’une table ronde organisée par Rolex, dans son élégante loge surplombant l’immense piste de Palexpo, Daniel Deusser et Steve Guerdat, deux des prestigieux représentants de la marque jaune et verte, qui compte dans ses rangs sélects d’immenses champions, tous sports confondus, et s’implique auprès des sports équestres depuis soixante-cinq ans, se sont prêté au jeu des questions-réponses. Face à six journalistes de la presse écrite, deux représentants de la télévision asiatique et plusieurs membres de l’équipe de rEvolution, les deux champions ont évoqué l’avenir de leur sport, leurs ambitions pour le temps fort dominical du CHI de Genève, soutenu par Rolex depuis 1996, leur attachement au Rolex Grand Slam, initié en 2013 et récompensant des cavaliers en mesure d’empocher trois des quatre Grands Prix Majeurs à la suite - à Bois-le-Duc, Spruce Meadows, Aix-la-Chapelle ou Genève -, et dressé le bilan de leur année, qui s’est achevée sans participation au prestigieux Top Ten IJRC, soutenu par Rolex depuis sa création, en 2001. Toujours aussi francs et enclins à défendre leurs valeurs, l’Allemand et le Suisse se sont livrés sans détour. Entretien croisé en deux volets.

La première partie de cette table ronde est à (re)lire ici.

À l’issue du Top Ten Rolex IJRC, les grooms des dix cavaliers engagés dans cette épreuve ont été invités sur le podium. Quelle importance ont-ils dans la réussite des pilotes, et quelles actions pourraient être menées pour les mettre davantage en lumière ?

Daniel Deusser : Les grooms sont l'une des personnes les plus importantes dans nos vies, mais aussi dans celles des chevaux. Sans eux, nous ne pourrions pas faire le même travail. Ils ont, à mon avis, un rôle et des tâches très difficiles. Ils vivent avec les chevaux vingt-quatre heures sur vingt-quatre, voyagent avec eux sept jours sur sept. Je pense qu’avoir un bon soigneur confère beaucoup d'avantages au cavalier. Par exemple, si nous savons que notre cheval se sent bien, que nous n’avons pas à nous soucier de petites choses aux écuries avant de partir pour la détente, nous avons alors beaucoup plus de temps et sommes plus détendus pour nous concentrer sur nos épreuves. Cela peut faire une énorme différence.

Sean Lynch dévoue sa vie aux cracks de Daniel Deusser depuis de nombreuses années. © Mélina Massias

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Quel conseil donneriez-vous à la prochaine génération de cavaliers, notamment pour trouver l’équilibre alors que les compétitions sont de plus en plus nombreuses ?

Steve Guerdat : Il y a beaucoup de choses à savoir sur notre sport, mais je pense qu'il faut avant tout l’aimer. Vouloir être compétitif est aussi certainement un point clef. Mais la chose la plus importante est sans aucun doute l'amour des chevaux. C'est la seule chose qui vous suit toute la journée, toute l'année, il n'y a pas de jour sans eux. Dans les bons jours, mais aussi, et surtout, dans les mauvais, il faut donner beaucoup de son temps. Les chevaux nous apprennent quelque chose chaque jour, ils nous demandent beaucoup d'énergie, beaucoup de temps de réflexion sur ce que nous pourrions faire de mieux pour eux. Si vous n'êtes pas absolument amoureux de l'animal, vous ne pourrez pas tenir toute votre carrière, donc pour moi c'est la chose la plus importante. Rencontrer du succès ou non est une autre chose, mais si l’on veut passer sa vie ou faire carrière dans ce sport, il faut aimer ses chevaux.

Steve Guerdat et Dynamix de Bélhème. © Ashley Neuhof/Rolex Grand Slam

DD : Je partage ce que vient d’évoquer Steve. Il faut avoir beaucoup de patience avant tout. On travaille avec un animal et on pense toujours à ce que nous pourrions faire mieux. Chaque animal et chaque cheval sont différents. Ce qui est bon pour l’un de ne l’est pas forcément pour l’autre. Avec l'âge et l'expérience, nous pouvons nous améliorer dans notre sport, ce qui est parfois un peu frustrant. Lorsqu’on est jeune, on a envie de se fixer des objectifs et de les atteindre, mais parfois, cela ne va pas assez vite à notre goût. J’ai rencontré ce problème quand j’étais plus jeune. Plus tard, on comprend qu’il faut être patient et ne pas ressentir de la frustration dès la première année. Ce n’est que le début. Comme l’a aussi dit Steve, nous dépendons d’une très bonne relation avec nos chevaux. De fait, il faut former une très bonne équipe avec eux et cela n’arrive pas en un ou deux ans. Il faut se connaître. Parfois, avec un jeune cheval talentueux par exemple, cela prend un peu plus de temps. Le temps et la patience sont les deux meilleurs conseils que l’on peut donner. Ne soyez pas frustré. Pensez-y encore et encore, faites un pas en arrière ou recommencez à zéro si besoin. Puis, avec l'âge et l'expérience, vous pourrez recommencer.

Discussion entre Daniel Deusser, à gauche, et Marcus Ehning. © Mélina Massias

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Comment peut-on améliorer l’image de ce sport ?

SG : Je pense que la seule façon de le faire est de prendre les choses en main.

Je ne crois pas que ce soit seulement dans notre sport. Il s’agit de quelque chose de plus général, notamment avec les réseaux sociaux. Les gens parlent de choses qu’ils ne connaissent pas. Quatre-vingt-dix à quatre-vingt-quinze pourcents des personnes qui ont une vision négative de notre sport ne le connaissent pas. Nous devons donc, à mon avis, être très prudents. Bien sûr, les gens peuvent en parler, s’exprimer, poser des questions, mais nous devons nous saisir du problème et le prendre au sérieux. Sans nécessairement nous battre pour l’équitation, nous devons au moins expliquer ce que nous faisons, l’attention que nous portons à nos chevaux, pour leur bien-être, etc. La première question à se poser est la suivante : pourquoi montons-nous à cheval ? Nous montons à cheval parce que nous aimons les chevaux. Il y a deux jours, à 23h30, j’allais me coucher lorsque j’ai reçu un appel de Robert Whitaker. Ma fille était juste à côté et j’ai hésité à répondre. J’ai finalement décroché mon téléphone. Robert était en pleurs parce que Catwalk IV venait de mourir (compagnon du Britannique de longue date, le bai, lauréat entre autres de l’étape de la Coupe du monde d’Helsinki, s’est éteint à dix-neuf ans, un peu plus d’un an après avoir pris sa retraite, ndlr). On ne s’attend pas à cela de sa part, mais j’ai dit à ma femme (la Française Fanny Guerdat-Skalli, ndlr) que nous oublions à quel point nous aimons nos chevaux. Pour nous, c’est normal. Mais pourquoi sommes-nous ici ? Nous sommes ici pour les chevaux, parce que nous les aimons. Nous ne devons pas l’oublier. Cela doit venir de nous, nous devons l’expliquer, le montrer. Le problème vient des gens qui posent des questions et obtiennent des réponses de personnes qui ne savent pas ce que nous faisons.

Sortie de piste après la Coupe des nations d'Aix-la-Chapelle pour Steve Guerdat et Venard de Cerisy. © Mélina Massias

DD : Je n’ai pas grand-chose à ajouter. Pour être honnête, je ne passe pas beaucoup de temps à regarder les mauvaises nouvelles qui affectent notre sport. Sur une photo, sur un instant, on peut tout montrer. Il se peut que les gens prennent des photos ou des vidéos où la tête du cheval ou en-deçà de la verticale pendant un instant. Cela arrive. Mais je pense que nous devrions aussi montrer les bons moments et essayer de faire comprendre aux gens à quel point ce que les chevaux font en piste est impressionnant. C’est difficile à prouver, mais les chevaux qui remportent des épreuves dans des concours comme celui de Genève, qui s’imposent dans des Grands Prix du Rolex Grand Slam, veulent faire du sport, veulent être rapides au barrage et font parfois quelque chose avant même que le cavalier ne leur communique son intention d’aller à gauche ou à droite, ou de tourner court. Je pense qu’il est primordial de souligner la capacité d’apprentissage de ces êtres et de montrer tout ce qu’ils font pour nous. C’est vraiment impressionnant. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut leur apprendre, mais ils veulent le faire et apprécient être en piste. Ils aiment sauter face au public. Nous devrions mettre cela en avant.

L'adorable et exceptionnel Scuderia 1918 Tobago. © Mélina Massias

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Le calendrier sportif est extrêmement chargé, avec parfois plusieurs CSI 5* par week-end. Comment décidez-vous des concours auxquels vous participez et avec quels chevaux, et comment articulez-vous votre programme autour des quatre Majeurs du Rolex Grand Slam de saut d’obstacles ?

SG : J’ai personnellement une petite routine. Il y a certains concours où j’aime vraiment aller. J’adore la saison estivale et monter sur de grandes pistes en herbe. Mon premier choix se porte donc toujours sur ce type de terrain pour les beaux concours. J’aime également les compétitions où nous pouvons monter plusieurs chevaux, et pas seulement deux, et où il y a beaucoup d’épreuves, qui nous permettent d’emmener des jeunes chevaux. J'aime fondamentalement les concours traditionnels. Ceux-ci sont mon premier choix. Ensuite, je construis ma saison autour de cela. Durant l’hiver, le circuit de la Coupe du monde est ma priorité. Lorsque j’ouvre le calendrier en début d’année, il y a toujours deux championnats : la finale de la Coupe du monde ainsi que les Européens, Mondiaux ou Jeux olympiques. À cela s’ajoutent les quatre Majeurs. Je coche ces six dates, puis celles des concours sur classiques sur herbe. Parfois, j’ajoute quelques CSI 2* ou des concours moins importants, où je peux continuer à former la nouvelle génération. Concernant le choix des chevaux, je connais les grandes lignes, quel cheval devrait concourir dans tel championnat ou tel Majeur, mais cela dépend également de la forme de mes montures au moment M, de ce qu’elles ont encore besoin d’apprendre, d’où elles se trouvent dans leur formation et de leur capacité à être compétitives ou non selon le type d’événement.

Venard de Cerisy, vainqueur de l'épreuve des combinaisons à Genève, est encore plus à son avantage en extérieur. © Mélina Massias

DD : Personnellement, j’essaye aussi de planifier mon année autour des Majeurs. Ma situation est similaire à celle de Steve. Comme lui, j’adore monter sur de grandes pistes en herbe, mais il faut avoir le bon cheval, qui se sent à l’aise dans ces conditions. Au fil des années, on forme son cheval, on cerne un peu mieux ses préférences et les endroits où il est le plus compétitif. Saute-t-il mieux sur l’herbe ? Sur le sable ? Dans des pistes plus étroites ? Plus spacieuses ? En fonction de mon ressenti et de mon expérience avec le cheval, je choisis alors lequel peut se rendre à quel concours. Killer Queen se sent vraiment bien sur les terrains en herbe. Elle aime les vastes pistes. Pour elle, Aix-la-Chapelle et Calgary sont de très bonnes options. Tant que je peux compter sur elle et qu’elle se montre en forme, j’essaie d’organiser son programme de façon à ce que ces deux événements soient les points d’orgue de sa saison. Entre temps, j’avise en fonction de mon piquet de chevaux, de ceux qui ont besoin d’un concours plus petit pour engranger de l’expérience, etc. Voilà comment j’aborde la saison.

Killer Queen, ici à Dinard, sur une grande piste en herbe. © Mélina Massias

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Steve, vous avez connu beaucoup de réussite avec des chevaux Selle Français par le passé, tels que Nino des BuissonnetsPaille de la RoqueJalisca Solier, Victorio des Frottards, etc. Votre piquet actuel est composé de plusieurs montures nées en France, dont les très prometteurs Dynamix de Bélhème, Double Jeu d’Honvault et Easy Star de Talma. Avez-vous une explication à cela ? Y’a-t-il quelque chose qui vous attire chez ces chevaux, où votre bonne entente avec cette race est-elle davantage dûe au hasard ? 

SG : Je me suis déjà posé cette question à moi-même, mais je n’ai pas vraiment trouvé la réponse ! Je ne cherche pas à tout prix un cheval français, mais ils finissent souvent par me convenir. Je n’ai pas d’explications. Je pense pouvoir trouver beaucoup d’éléments de réponse. D’abord, il est plus facile pour moi de trouver de nombreux chevaux en France. En Allemagne et aux Pays-Bas, il y a tellement de marchands que tous les jeunes chevaux, dès six ans, sont connus de tous. En France, il est encore possible de découvrir des chevaux que personne ne connaît. Cela permet de les acquérir jusqu’à ce qu’ils aient huit ans environ. C’est sans doute la raison principale. Je crois aussi que je n’aime pas les chevaux ennuyeux, qui font les choses parce qu’on leur a appris à les faire. Ceux-là font les choses très bien, mais j’aime les chevaux qui ont un peu de caractère. Les Selle Français ont souvent un peu de personnalité. Cela peut aussi répondre à la question. D’un autre côté, peut-être qu’ils aiment aussi ma façon de monter, que mon équitation leur convient. Je ne sais pas vraiment, mais je peux dire que mes plus grands succès ont été rendus possibles par des chevaux français. Alors, même si je n’ai pas d’explication claire, cela semble bien fonctionner entre les chevaux français et moi.

La superbe Dynamix de Bélhème a déjà tout d'une immense championne. © Mélina Massias

Photo à la Une : Steve Guerdat et sa pépite Dynamix de Bélhème, une jument… Selle Français, née chez la famille Aimez. © Mélina Massias