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“La première fois que j’ai monté Tabasco, j’ai dit qu’il passerait à la télévision”, Werner Dierckx (3/3)

Tabasco de Toxandria
dimanche 20 octobre 2024 Mélina Massias

L’Artiste, Nasa, Medoc, Tabasco. Tous les quatre sont nés à Ranst, en Belgique, chez Werner Dierckx. Du haut de ses quarante-neuf ans, le sympathique éleveur connaît une réussite éclaboussante depuis plusieurs mois et voit ses têtes d’affiche arpenter les pistes internationales, week-end après week-end, avec beaucoup de réussite. Discret et franc, celui qui est passé par plusieurs grandes maisons avant de se consacrer à sa propre structure, où il gère tout de A à Z, de l’insémination à la formation, savoure son succès mais laisse toute la lumière à ses chevaux. Dans son manège, ses écuries ou ses prés, le Belge prône le naturel et la simplicité tout en espérant que sa recette continue de fonctionner dans les années à venir, pour voir éclore de nouvelles pépites. Reportage, en trois épisodes, au cœur de cette terre de champions.

Les première et deuxième parties de cet article sont à (re)lire ici et ici.

Tabasco, un cheval au-dessus du lot

Cadets des quatre stars actuelles de l’élevage de Werner Dierckx, Tabasco est né en 2015, sur les mêmes terres que ses collatéraux. Comme Medoc, le bai est un petit-fils de Kadine du Boulanger, mais tous deux ne sont pas frères utérins pour autant. Tabasco est un fils de Thunder vd Zuuthoeve et Chablis de Toxandria, matrone des prairies de Ranst. “Elle ne produit que des chevaux avec un grain de folie ! Tabasco est né au pré. Lorsque j’ai voulu le mettre en sécurité, le séparer des autres chevaux pour ses premières heures de vie, sa mère m’a attrapé par l’épaule avec ses dents, m’a soulevé et éjecté cinq mètres plus loin ! Elle a du caractère, et elle le transmet à tous ses poulains !”, rigole l’éleveur. Et cette première mésaventure a donné le ton pour toute la vie de Tabasco.

Chablis de Toxandria, la mère de Tabasco de Toxandria, a un caractère bien trempé. © Mélina Massias

“Tabasco est resté ici jusqu’à ses six ans. Et lorsqu’il était au paddock, il m’était impossible de l’attraper. Alors, je lui faisais un couloir avec des ficelles et il rentrait tout seul au box. Il a toujours été très spécial. Au box, il ne voulait pas qu’on soit en contact avec lui. Il était gentil, mais fuyant”, narre Werner. “J’ai monté beaucoup de chevaux étant jeune, dont Valentina van’t Heike et Utopia vd Donkhoeve, qui ont concouru au plus haut niveau. Dès le premier saut que j’ai fait avec Tabasco, j’ai directement senti qu’il était fait pour le grand sport.” Ses premières sorties en compétition confirment ce sentiment et attirent les regards. À six ans, en 2021, après une poignée de parcours jusqu’à 1,25m, le hongre intéresse déjà plusieurs acquéreurs. Mais son naisseur, cavalier et propriétaire connaît la valeur de son complice et fixe son prix à un demi-million d’euros. Pas moins. “On m’a dit que j’étais fou”, se souvient le Belge, qui n’en démord pas : son poulain a quelque chose en plus. Cian O’Connor manifeste déjà son intérêt pour le bai et vient l’observer chez Jos Lansink, sous la selle de Pieter Clemens, se hisser sur le dos du grand sensible qu’est Tabasco étant encore difficile. L’essai terminé, sans vente conclue, Pieter Clemens glisse à Werner que Tabasco est bel et bien incroyable. Lui vient alors l’idée d’emmener son protégé aux Mondiaux de Lanaken. 

Chablis de Toxandria est probablement la meilleure poulinière de l'élevage de Werner Dierckx. © Mélina Massias



Mais, obtenir une place - sans débourser plusieurs milliers d’euros pour acheter une table - dans ce championnat n’est pas chose aisée, d’autant plus lorsqu’on est Belge. Werner propose alors à son ami Joel Valles Rosell, qui monte alors un autre produit de l’élevage, Claire de Toxandria (Carlow van de Helle x Air Jordan), elle aussi âgée de six ans, de présenter Tabasco lors de cette échéance. “Je lui ai dit que Tabasco était bon, et que sous la nationalité espagnole, il serait sans doute plus facile d’être retenu. Il a demandé son entrée et a été accepté”, se souvient Werner. Une semaine avant de se rendre dans les installations du haras Zangersheide, l’Espagnol vient essayer le grand bai. Seulement, l’entente entre les deux ne se fait pas. “J’ai alors téléphoné à Zangersheide pour trouver une solution. Un changement de cavalier ne leur posait pas problème. J’ai échangé avec la fédération belge et j’ai monté Tabasco à Lanaken ! Nous avons terminé sixième de la finale”, sourit-il. Impeccables de bout en bout, les deux complices ont notamment devancé d’un et trois rangs deux autres très bons chevaux : Impress-K van’t Kattenheye, vainqueur de son premier Grand Prix 5* en juillet avec Thibeau Spits, et un certain Fancy de Kergane, brillant sous la selle de… Cian O’Connor depuis plusieurs mois.

Werner Dierckx et son Tabasco de Toxandria ont terminé sixièmes des Mondiaux de Lanaken en 2021, pour leur dernier concours ensemble. © Sharon Vandeput / Hippo Foto

“Le vendredi, avant la finale, Stephan Conter m’a téléphoné. Lorsque je lui ai annoncé le prix de Tabasco, il m’a dit que j’étais fou, qu’avec une somme pareille il pouvait acheter deux chevaux de Grand Prix. Et puis, le dimanche, après la finale, il est revenu me voir. Mon téléphone n’arrêtait pas de sonner à ce moment-là ! Tout le monde avait vu Tabasco grâce à Clipmyhorse. J’ai alors proposé à Stephan d’essayer Tabasco sur cinq sauts, pas un de plus. Il a demandé à Kendra de venir le monter et l’affaire s’est conclue”, retrace l’éleveur. Quelques jours plus tard, Cian O’Connor franchit cette fois le cap et acquiert la moitié du hongre Zangersheide, qui sera formé par Kendra Claricia Brinkop jusqu’à l’été 2022. Après un passage peu fructueux sous bannière irlandaise pendant un an, le Zangersheide retrouve sa cavalière à l’automne 2023, et enchaîne avec une saison 2024 spectaculaire, à seulement neuf ans. Cinq Grands Prix 5* : quatre classements. Deux Coupes des nations CSIO 5* : deux victoires et trois sans-faute sur quatre. Si bien que le fils de Thunder vd Zuuthoeve entre dans les plans d’Otto Becker pour les Jeux de Paris, pour lesquels il a l’embarras du choix. Mais les co-propriétaires irlandais de Tabasco mettent leur véto pour une participation olympique et le bai quitte la Belgique et Kendra Claricia Brinkop quelques temps après le CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle, pour intégrer le piquet du jeune Tom Wachmann. Ce dernier impose son nouveau compagnon de jeu dans un Grand Prix 3* à Valence, mi-octobre pour leur deuxième CSI ensemble.

À neuf ans, pour sa première saison au plus haut niveau, Tabasco de Toxandria a réalisé des performances magistrales. © Mélina Massias

“J’étais vraiment heureux que Tabasco soit de retour avec Kendra, l’une des meilleures cavalières d’Europe. Nous avions un bon contact ensemble et j’avais conservé un lien avec Tabasco, ce qui est toujours très agréable pour un éleveur”, souligne Werner. Et d’ajouter : “Tabasco est un phénomène. Il a tout. La première fois que je l’ai monté, j’ai dit à mon ami Dries Delarue que si tout allait bien, il passerait à la télévision.” Prémonition plus que confirmée.

Alors que leur entente semblait angélique, Tabasco de Toxandria et Kendra Claricia Brinkop se sont dit au revoir il y a quelques mois. © Mélina Massias



Maîtriser un maximum de paramètres

Malgré le succès de Tabasco, Werner a toujours su garder les pieds sur terre. Pas question de vendre ses protégés à n’importe qui, ni de dilapider sa si précieuse génétique. “Un jour, avant les championnats du monde de Lanaken, un riche client est venu essayer Tabasco. Mais il a très mal monté. Après deux sauts, je l’ai remercié et lui ai demandé de partir. Je me moque de connaître la richesse des cavaliers qui viennent essayer mes chevaux ; s’ils ne montent pas assez bien à mes yeux, la vente ne se fait pas. Point. J’aime mes chevaux. Ils sont nés ici, je travaille avec eux quotidiennement. C’est facile pour un amateur d’essayer gratuitement dix bons chevaux par jour. Mais une fois que notre cheval est cassé… J’essaye au maximum d’aiguiller mes chevaux dans la bonne direction”, expose le Belge.

Chez lui, Werner Dierckx prône le naturel et la simplicité. Deux adjectifs qui le qualifient bien. © Mélina Massias

Même philosophie pour l’élevage pur et dur, où Werner travaille à partir de quatre lignées maternelles : celle de Kadine du Boulanger, évidemment, celle de Donnatella van de Zelm, à l’origine de L’Artiste de Toxandria, mais aussi celle de Balouette (Balou du Rouet x Carthago), ainsi que celle du regretté El Torreo de Muze, via White Power van’t Laerhof (Bon Ami x Goliath). “J’ai acheté White Power, une sœur utérine de Funky Music (Vigo d’Arsouilles), la mère d’El Torreo de Muze. Elle m’a donné Joie de Toxandria (Jilbert van’t Ruytershof), que j’utilise à l’élevage. Elle sautait à crever mais était vraiment folle ! Elle a huit ans, donc la lignée ne fait que commencer”, déroule l’éleveur. “Ensuite, j’ai Balouette, que j’ai montée jusqu’à 1,40, 1,45m. J’ai notamment eu un produit par Nixon van’t Meulenhof (Denzel van’t Meulenhof x Carthago) et un autre par Bamako de Muze (Darco x Jalisco B). Je pense que ce sont des chevaux normaux. La meilleure lignée reste pour moi celle de Chablis et de sa sœur, Cerise de Toxandria (Cicero van Paemel). J’ai en plus l’avantage que Chablis soit très fertile ! Elle m’a donné deux embryons l’an dernier, en plus du poulain qu’elle a porté elle-même. Alors, presque chaque année, j’ai au moins une pouliche. Elle n’a eu que trois mâles, dont Tabasco et Emir, mon étalon de six ans. Tous les autres sont des femelles. J’ai une Comme Il Faut de un an, une Diamant, une Emerald, etc. J’essaye de faire en sorte que cette lignée devienne une grande famille. J’ai, chaque année, entre neuf et dix naissances, contre deux ou peut-être trois il y a quelques années. Parmi ces naissances, je fais en moyenne deux à trois transferts d’embryon par année, mais seulement pour moi, pas pour en faire le commerce. Je n’aime pas cela. Je reçois beaucoup de coups de téléphone pour savoir si je suis intéressé pour participer à des ventes, mais je réponds toujours non. Je suis un petit paysan : j’aime voir mes jeunes chevaux dans les prés tous les jours, les regarder. Je préfère prendre le risque de les garder un peu plus longtemps. Sur le long terme, cela me paraît plus rentable. J’ai également eu recours à l’ICSI quelques fois. La mère de Medoc a maintenant vingt ans, alors j’ai utilisé cette technique, parce que je n’avais conservé aucune jument pour continuer sa lignée. Est-ce que c’est bien ? Je ne sais pas. Je n’aime pas l’idée d’utiliser l’ICSI uniquement dans un but commercial, mais lorsqu’on est un petit éleveur comme moi, ou que l’on a une jument dans le sport et que l’on veut un poulain, pourquoi pas.”

Le Belge a monté Air Power van't Bisthof, premier produit de White Power van't Laerhof, tante de l'étalon El Torreo de Muze dont il utilise la génétique pour faire prospérer l'affixe de Toxandria. © SportfotKoriganne de Toxandria, vingt ans, vit au milieu du troupeau de poulinières de l'élevage. © Mélina Massias



Que le rêve se poursuive

Dans l’ombre, en suivant ses idées et son chemin, Werner Dierckx continue de faire mûrir les prochaines stars de son affixe, déjà bien installé sur le devant de la scène. “Je ne me préoccupe pas de ce que font les autres. J’aime faire profil bas, ne pas être sous le feu des projecteurs. J’aime travailler chez moi, tranquillement, ne pas en faire trop avec mes jeunes chevaux. Si on leur en demande trop, trop tôt, à huit ou neuf ans, c’est déjà fini pour eux. Pour moi, ils ne sont plus motivés. C’est un peu pareil pour nous : si à dix-neuf ans on a déjà vu le monde entier, qu’est-ce qu’on fait à trente-cinq ? Alors, je préfère participer à des concours d’entraînement. Je n’ai pas besoin de préparer mes chevaux - et je ne le fais jamais. Et puis, cela enlève du stress aux chevaux comme à moi, leur permet de grandir et d’évoluer, et je reçois moins de demandes pour les vendre !”, dévoile le quadragénaire. 

Werner Dierckx au plus proche de ses juments, ses bébés. © Mélina Massias

En faisant reproduire ses juments jeunes, à trois ou quatre ans, avant de potentiellement les tester en compétition par la suite, le Belge a un système bien rodé. S’il a déjà plus que tutoyé les ambitions de bien des éleveurs, Werner Dierckx continue de rêver. Emir, son étalon de six ans par Eldorado vd Zeshoek et frère utérin de Tabasco, concentre nombre de ses espoirs. “J’aimerais beaucoup voir Emir et Tabasco ensemble dans un grand concours. Emir aura dix ans quand Tabasco en aura treize. Ce serait magnifique”, se projette-t-il. “Et puis, j’ai encore un rêve : celui de rester propriétaire d’un de mes chevaux tout en le voyant évoluer au plus haut niveau. Avec Tabasco, cela est un peu différent, car il n’est plus ici et je n’ai plus la même connexion avec lui. Ici, chaque matin j’entends mes chevaux hennir. Ce sont mes bébés. Bien sûr, je me rends sur quelques beaux concours pour voir Tabasco en vrai, mais ce n’est pas pareil. Avoir accès aux espaces VIP ou que sais-je ne m’intéresse pas ; j’aimerais simplement pouvoir dire ‘ce cheval m’appartient’. Je pense qu’Emir est aussi talentueux que Tabasco.” Et si ce n’est pas Emir, nul doute qu’un autre de Toxandria fera de ce souhait une réalité.

Emir de Toxandria rélisera-t-il les rêves de son éleveur ? Seul l'avenir le dira. © Mélina Massias

Photo à la Une : Kendra Claricia Brinkop et Tabasco de Toxandria formaient l’un des meilleurs couples de leur génération. © Mélina Massias