D’une humilité rare pour un champion de son rang, Scott Brash fait pourtant bel et bien partie des plus grands de sa discipline. Médaillé d'or olympique par équipe à Londres en 2012, ancien numéro un mondial, seul cavalier à avoir réussi le Grand Chelem Rolex de saut d’obstacles, l’Ecossais de trente-neuf ans s’est paré d’une breloque dorée, l’été dernier à Paris. Épanoui et apaisé, ces derniers mois ont marqué son retour en état de grâce, en attestent ses trois victoires en Grand Prix 5*, à Doha, Shanghai et Saint-Gall, depuis le début de l’année. Après avoir dû composer avec les retraites de ses meilleures montures, les convalescences d’autres, le natif de Peebles s’est donné les moyens de former un nouveau groupe de chevaux d’exception. Avec Hello Mango, dont il pense le plus grand bien, Hello Folie, Hello Chadora Lady, Hello Valentino ou encore son fidèle Hello Jefferson, le sympathique pilote peut envisager sereinement les saisons à venir. En plus de sa carrière au plus haut niveau, celui qui n’a pas manqué de suivre son cher Hello Vincent, de retour en France pour la saison de monte 2025, par écran interposé lors du salon des étalons de Saint-Lô s’investit de plus en plus dans l’élevage. Des premiers pas de ses poulains, sous l'œil attentif de sa sœur et de toute l’équipe qui œuvre sur ses terres natales, en passant par leur débourrage jusqu’à leurs premiers pas sous la selle, Scott Brash ne rate aucune étape de leur éclosion, et contribue à chacune d’entre elles. Dans un riche et long entretien, il s’est confié avec passion sur son fonctionnement, sur le potentiel des premières perles qu’il a fait naître, son piquet de chevaux actuel, et d’autres sujets. Ultime épisode.
La première partie de cet entretien est à (re)lire ici et la deuxième ici.
Sans les éleveurs, comme vous l’avez souligné, les chevaux n’existeraient pas, et les sports équestres encore moins. Pourtant, ils restent encore trop souvent dans l’ombre. Selon vous, qu’est-ce qui pourrait être mis en place pour accorder plus de reconnaissance à leur travail ?
C’est un bon point et sans les éleveurs, nous ne serions pas là aujourd’hui, c’est certain. Il me semble essentiel de leur accorder de la reconnaissance. Je crois que cela s’est beaucoup amélioré avec le temps. La réussite de chevaux comme M’Lady ou Folie, bénéficie à leurs éleveurs. Aujourd’hui, le sport attache plus d’importance aux origines des chevaux, un peu à l’image du monde des courses. L’élevage devient de plus en plus populaire. Je pense qu’un éleveur peut bien gagner sa vie en ayant fait naître un excellent cheval et en conservant sa souche. Si un autre crack émerge de cette lignée, cela accroît encore l’intérêt pour ces origines. Quoi qu’il en soit, il faut continuer à reconnaître et mettre en lumière le travail des éleveurs. Cela pourrait aussi passer par des actions de la part des organisateurs de concours. Ils ont d’ailleurs fait beaucoup d’efforts à ce sujet. Je me souviens que l’éleveur de Sanctos avait été invité et récompensé à Genève ! Il avait reçu une magnifique montre et les organisateurs avaient mis sur pied une très belle cérémonie en son honneur. Pour venir à Genève, il avait pris l’avion pour la première fois de sa vie ! Une histoire incroyable, qui a été rendue possible par les organisateurs et sponsors de l’événement (en 2024, l’éleveur de Monaco, Ralf Lütje, vainqueur du Grand Prix Rolex, a également été récompensé grâce à une prime au naisseur, offerte par le concours, ndlr). Mais beaucoup d’organisateurs essayent de mettre en œuvre ce genre d’initiatives et font un très bon travail à cet égard.
Willy Taets, éleveur de Sanctos van het Gravenhof, avait été mis à l'honneur à Genève il y a quelques années. © Dirk Caremans / Hippo Foto
“De même que sans éleveur, nous ne serions pas là sans mes propriétaires”
Comme d’autres chevaux, les vôtres sont systématiquement débaptisés et perdent ainsi leurs noms de naissance, qui les rattachent souvent à leurs éleveurs. Pourquoi faire ce choix ?
Mes propriétaires (Lord & Lady Kirkham et Lord & Lady Harris, ndlr) ont toujours utilisé le préfixe Hello. Leur premier cheval s’appelait Hello Max, et cela est resté. Ils aiment nommer leurs chevaux Hello, suivi de leur nom. Je trouve également important qu’ils bénéficient d’une forme de reconnaissance en tant que propriétaires. De même que sans éleveur, nous ne serions pas là non plus sans mes propriétaires. Parfois, certains chevaux portent des noms très longs et compliqués. J’aime les noms en seul mot, comme Sanctos, Folie, etc. Ils sont faciles à retenir et prononcer pour la plupart des gens. Bien sûr, cela est propre aux goûts de chacun. Lorsque des propriétaires achètent un cheval, j’estime qu’il est normal qu’ils puissent choisir un nom qu’ils apprécient.
Hello Vincent a débuté sa carrière d’étalon il y a deux ans maintenant. Quel premier bilan pouvez-vous tirer de cette nouvelle page qui s’écrit pour lui ?
Les premiers poulains de Vincent sont nés seulement l’an dernier. Nous n’en sommes qu’au tout début de sa carrière de reproducteur. J’ai quelques-uns de ses premiers produits. Ursula, M’Lady et Folie ont chacune eu un poulain de Vincent. Les voir est stimulant ! Les premières conclusions que l’on peut tirer de la production de Vincent sont qu’il donne de magnifiques poulains, comme lui qui attire vraiment le regard. Je trouve qu’il transmet certains de ses atouts et je pense que nous verrons plein de très, très bons descendants de lui dans le futur. J’ai vu beaucoup de ses poulains, issus de mères différentes à travers le monde, et ils ont en commun leur look et leur très beau modèle. Souvent, les éleveurs m’identifient sur leurs photos sur les réseaux sociaux et c’est toujours très chouette. Il faudra attendre quelques années avant de savoir comment sautent les fils et filles de Vincent, mais s’ils ont hérité de ses qualités, ils seront excellents.
En attendant que sa soeur utérine, Image de Coquerie, poursuive ses gammes au sein des écuries Brash, le sublime Coquin de Coquerie, alias Hello Vincent, se consacre désormais à l'élevage. © Sportfot
“Le haras de Clarbec s’occupe à merveille de ses étalons et cela a été un élément déterminant dans mon choix de confier Hello Vincent à la famille Mégret”
Cette année, Hello Vincent est stationné en France pour la saison de monte, au haras de Clarbec, après avoir passé deux ans au sein des infrastructures de Stallion AI Services. Pourquoi avoir fait le choix de le ramener de l’autre côté de la Manche ?
Avant Vincent, je n’avais jamais fait d’étalonnage. Je voulais donc commencer en Grande-Bretagne, avec des gens que je connaissais très bien et en qui j’avais totale confiance. Les équipes d’AI Services ont eu Vincent chez elles pendant un an et demi et ont fait un travail remarquable. La qualité de sa semence était bonne, et Vincent s’est très bien comporté, comme je m’y attendais, pour monter sur le mannequin et être prélevé. Il est formidable pour tout ce que l’on fait avec lui et extrêmement gentil. Après ses deux saisons à AI Services, je me suis dit qu’il serait bien qu’il revienne en Normandie, là où il est né et a grandi. À chaque fois que j’allais en concours avec lui à Saint-Lô, Deauville ou Dinard, j’avais toujours le sentiment que beaucoup de personnes venaient le voir. Alors, je me suis dit que ce serait chouette d’offrir aux éleveurs la possibilité de l’utiliser en frais. Il n’y avait probablement pas meilleur endroit pour lui que la Normandie, où il est certainement le plus populaire ! Je connais Geneviève Mégret depuis longtemps, notamment à travers le sport. En fin d’année dernière, j’ai échangé avec la famille Mégret à Genève, et l’opportunité de leur confier Vincent pour la saison de monte s’est offerte à moi. Je suis très heureux qu’il soit au haras de Clarbec. Pour moi, le plus important était que Vincent soit entre d’excellentes mains et que l’on s’occupe parfaitement de lui. C’était primordial pour moi, et cela primait sur l’aspect business, que je n’apprécie pas particulièrement. L’intérêt de mon cheval passe avant tout le reste. Je savais que Geneviève Mégret et son équipe en prendraient grand soin. Le haras de Clarbec s’occupe à merveille de ses étalons et cela a été un élément déterminant dans mon choix de lui confier Vincent. La famille Mégret m’envoie très souvent des photos et des vidéos de Vincent, ce qui me donne l’impression de le voir très souvent ! Il semble très heureux et c’est ce qui m’importe le plus. Je pense qu’il serait absurde que les gens ne saisissent pas la chance de pouvoir l’utiliser en tant qu’étalon. J’ai travaillé avec beaucoup de chevaux dans ma carrière, mais jamais avec un étalon doté d’un tempérament aussi génial que celui de Vincent. C’est un cheval très froid, très posé dans sa tête. L’une de ses plus grandes qualités est son mental, son envie de travailler et de bien faire. Il est très facile. Aujourd’hui, il y a beaucoup de chevaux très sensibles, vifs, qui peuvent parfois avoir un mental délicat. Ils peuvent avoir beaucoup de talent et de qualités, mais il arrive qu’on se dise “si seulement ils avaient meilleure tête, s’ils étaient plus à notre écoute, ils seraient encore meilleurs”. Si Vincent transmet cette qualité, parmi toutes les autres dont il dispose, nous aurons des chevaux fantastiques !
Hello Vincent a brillé au plus haut niveau avec Scott Brash. © Sportfot
De plus en plus de cavaliers révèlent des chevaux issus de leurs propres élevages au plus haut niveau. Selon vous, pour quelles raisons les meilleurs mondiaux s’intéressent-ils de plus en plus au fait de faire naître leurs propres montures ?
Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. Dans mon cas, la principale provient du fait que j’ai monté d’excellentes juments par le passé. Lorsqu’on a monté le père et la mère d’un poulain, notre compréhension de celui-ci n’est que meilleure. J’aime l’idée d’avoir le fruit du croisement entre Vincent et Ursula, ou Vincent et M’Lady. J’estime que j’aurais une connexion et un lien encore plus forts avec ces chevaux. Marcus Ehning, par exemple, a monté beaucoup de chevaux issus d’étalons et/ou de juments avec lesquels il a aussi évolué en compétition. Je trouve cela super. Je pense que c’est l’une des raisons qui explique que les cavaliers se lancent dans l’élevage. Former ses propres chevaux est toujours très intéressant. On voit aujourd’hui Pieter Devos, qui fait du très bon travail avec son élevage, briller au plus haut niveau avec des produits maison. On doit éprouver beaucoup de satisfaction dans ce genre de cas. Ce serait en tout cas un vrai rêve pour moi d’en faire autant.
Ces deux jeunes pousses seront-elles les futures stars de Scott Brash ? Réponse dans quelques années ! © Anna Faire Photography
“À mon avis, une forme de régulation devrait être mise en place par les autorités compétentes pour limiter le nombre de produits d’une même jument”
En février dernier, depuis Doha, vous avez suivi en live les présentations de votre cher Hello Vincent au salon des étalons de Saint-Lô. Avez-vous observé d’autres étalons présents lors de cet événement ?
Oui, j’ai aussi regardé le fils de Folie, Loveur de Startup ! Mais, comme j’étais en concours, je n’ai pas regardé davantage l’événement. Si j’en ai l’occasion, je regarderais peut-être d’autres extraits du salon, car c’est très intéressant.
Ce salon est sans équivalent dans le monde. Pourriez-vous envisager d’y assister en personne à l’avenir, si votre programme de compétition vous le permet ?
Oui, absolument. Ce serait une bonne chose et l’occasion de voir les jeunes étalons en devenir. C’est très chouette que les éleveurs puissent voir les étalons en chair et en os. On peut ainsi sentir davantage leur personnalité, leur caractère. Le salon des étalons de Saint-Lô me semble être un très bel événement. Je suis déjà venu à Saint-Lô, pas encore à cette date, mais je suis sûr que je passerai une tête un jour !
Hello Vincent lors du salon des étalons de Saint-Lô, en février dernier. © Mélina Massias
Comment se comportent Hello Northern Star et Hello Duchess, six ans, vos deux poulains les plus âgés, qui ont fait leurs débuts internationaux l’an dernier ?
Hello Northern Star est un fils de Big Star et Ursula. Il est assez grand et semble avoir de bonnes qualités. Les poulains d’Ursula ont, en général, été faciles à débourrer. Leur mère leur a transmis leur envie d’apprendre. Comme elle, ils ont tous envie de travailler avec leur cavalier. Ursula était incroyable et une magnifique jument, et elle l’est toujours ! Elle a un caractère exceptionnel, et l’a transmis aux poulains que j’ai débourrés et qui ont fait leurs premiers pas sous la selle. Hello Northern Star ne déroge pas à la règle. Je la retrouve en lui, ce qui est très intéressant. Il a l’air d’avoir des moyens et d’être respectueux. Compte tenu de sa taille, son équilibre a pris un peu plus de temps à se mettre en place, mais il est sur la bonne voie ! Il n’a que six ans, mais je suis impatient de voir ce que l’avenir lui réserve.
Hello Duchess, elle, est très vive et sensible. Elle est extrêmement respectueuse, mais a l’esprit toujours en alerte. Elle ressemble à sa mère sur ce point. Son père est Cornado, que j’adorais. Je le trouvais magnifique ! En échangeant avec Marcus, il m’a dit que je serai surpris de sa réactivité et de sa sensibilité. Le mariage entre M’Lady et lui était donc certainement risqué, mais je pense que Hello Duchess est très talentueuse. Elle a des yeux au bout des sabots ! Elle et Northern Star ont concouru à Oliva et au Sunshine Tour de Vejer de la Frontera l’an dernier à cinq ans. Elle a enchaîné les sans-faute, ce qui est positif pour la suite. Nous continuons à travailler sur le relâchement avec elle ; elle est très intelligente et a un fort caractère, mais je crois que nous avons de bons ingrédients avec lesquels composer.
Hello Vincent serait donc certainement un bon choix pour un futur poulain, n’est-ce pas ?
Effectivement, et nous avons d’ailleurs une jument qui porte l’embryon de Hello Duchess et Hello Vincent (la pouliche de ce croisement est née fin avril, ndlr) ! Je me suis dit que Vincent serait un bon choix, notamment en raison de son tempérament réfléchi et posé.
Vous dites ne pas vouloir prélever un trop grand nombre d’embryons de vos meilleures juments. Pourtant, aujourd’hui, beaucoup de poulains sont issus des mêmes lignées maternelles, et certaines juments engendrent parfois plus de dix produits par an. Que pensez-vous de ce que l’on pourrait qualifier d’élevage moderne et des nouvelles techniques qui se démocratisent ?
Mon avis est peut-être impopulaire en la matière, mais je ne suis pas un fan de l’ICSI, ni du clonage. Alors, personnellement, je n’ai pas recours à ces deux techniques, qui, je trouve, s’éloignent trop du naturel. Ce n’est simplement pas pour moi. Je ne pense pas qu’avoir dix poulains de la même jument par an soit idéal. Et, à mon avis, une forme de régulation devrait être mise en place par les autorités compétentes. Tout ne devrait pas tourner autour du profit et du business. Nous devons être prudents avec ces choses-là. Mais ce n’est que mon opinion.
Après avoir donné plusieurs embryons, la géniale Ursula XII profite désormais d'une retraite complète, son cavalier ne souhaitant plus lui imposer de transferts d'embryons. © Dirk Caremans / Hippo Foto
Photo à la Une : Autour du crack Hello Sanctos, les poulains et jeunes chevaux élevés par Scott Brash grandissent paisiblement, dans un cadre idyllique. © Anna Faire Photography