À Bordeaux, toutes les qualités de reproducteur de Mylord Carthago ont été mises en exergue. Non seulement sa fille, Is-Minka, s’est imposée dans le Grand Prix Coupe du monde sous la selle de Steve Guerdat, mais deux autres de ses descendants se sont classés dans cette même épreuve. Complices de Jeanne Sadran et Harrie Smolders, Dexter et Déesse de Kerglenn ont ainsi mis en lumière le travail de la famille Richard, installée au Conquet, en Bretagne. Devant sa télévision, Ronan Richard n’a pas manqué une miette des performances de ses anciens protégés. Le naisseur des deux et dixième meilleurs chevaux de l’épreuve reine du CSI 5*-W de Bordeaux revient sur leurs parcours et évoque le seul étalon ayant servi ses juments lors de la saison de monte 2012.
Qu’ils soient grands, petits, alezans, gris ou bais, les produits de Mylord Carthago éclaboussent les terrains de compétition de leur talent chaque week-end. Si les descendants du gris se comptent désormais par milliers - plus de trois mille équidés enregistrés dans l’Hexagone -, il était encore difficile de leur prédire un tel succès il y a une dizaine d’années. En 2012, dans la fleur de l’âge, le fils de Carthago et Fragance de Chalus, alors âgé de douze ans, compte neuf cent soixante-quatorze produits enregistrés au SIRE. Un chiffre déjà impressionnant. Dans le même temps, le complice de Pénélope Leprevost, déjà médaillé d’argent par équipe aux Jeux équestres mondiaux de Lexington deux ans plutôt, s’apprête à remporter la prestigieuse Coupe des nations du CSIO 5* d’Aix-la-Chapelle avec la France puis à prendre le départ des Jeux olympiques de Londres. En Bretagne, Ronan Richard a fait son choix : toutes ses juments seront adressées au Selle Français, pour dix naissances au total. “Lorsque j’ai choisi d’utiliser exclusivement Mylord et de faire des transferts d’embryons, les Normands se sont un peu moqués de moi, d’autant plus qu’il n’y avait pas eu tant de saillies que cela cette année-là”, se souvient le cavalier et éleveur sous l’affixe de Kerglenn.
Douze ans après ce choix de croisement plein de sens, Dexter et Déesse de Kerglenn se sont tous deux classés dans le Grand Prix Coupe du monde lors du CSI 5*-W de Bordeaux. Une chance et une récompense, aussi honorifique soit-elle, qui ne sont pas données à tout le monde. “On passe notre temps à rêver qu’un de nos chevaux évolue au plus haut niveau. Aujourd’hui, j’ai deux chevaux qui obtiennent de bonnes performances en Coupe du monde. C’est génial ! J’étais très content. C’est un aboutissement de les voir performer ainsi. J’étais invité à Bordeaux, mais étant malade, j’ai préféré rester à la maison. Nous avons suivi l’épreuve devant notre télé et c’était assurément mieux qu’un match de foot !”, sourit le Breton.
Dexter de Kerglenn : une bonne surprise et une belle histoire
En 2013, dix produits de Mylord Carthago voient donc le jour au Conquet, dans le Finistère. “Poulains, ils étaient tous sympas et formaient une belle équipe. Parmi nos dix poulains de ce cru, six évoluent au minimum à 1,45m”, souligne Ronan. “Côté caractère, tous avaient des mères très gentilles. Dana, Darius, Dulcinée et Dexter sont des descendants de Shana de Kerglenn (fille de Diamant de Semilly et Jumpy de Kreisker, championne de France à sept ans puis bonne compétitrice aux côtés de Philippe Leoni et considérée comme l’une des meilleures reproductrices françaises, ndlr). Tous quatre étaient des crèmes. Ils n’avaient aucun vice et j’étais vraiment content de ce croisement. Dame, Dahlia et Déesse sont quant à elles des filles de Vent du Sud (fille de Crusador et Shana de Kerglenn et classée jusqu’en Grands Prix Pro Elite à 1,50m, ndlr) et deux d’entre eux concourent à 1,45m et plus.”
Sous la selle de l’Américaine Hunter Holloway, Dana affronte régulièrement des parcours à 1,50m. Darius et Dulcinée ont aussi côtoyé ce niveau, mais leurs cavalières, Samantha Rice et Charlotte McAuley, les ont jusqu’à maintenant davantage engagées à 1,45m. En 2013, Unna de Kerglenn, petite-fille de Jumpy de Kreisker, jument fondatrice de l’élevage de la famille Richard, a également engendré Driss, classée jusqu’à 1,55m avec le Colombien René Lopez Lizarazo et Dorna de Kerglenn, passée sous selle amateur après avoir évolué jusqu’à 1,40 avec Ronan Richard.
Deuxième de l’étape de la Coupe du monde de Bordeaux, l’étalon de l’écurie Chev’El, Dexter de Kerglenn, est l’actuel meilleur représentant de l’élevage breton. “J’avais vendu Dexter à la famille Neyrat, de Béligneux le haras, lors du concours des étalons. Dexter était un petit cheval. Je l’avais toisé et il mesurait 1,61m. C’était un beau cheval, mais il avait une tête plutôt banale. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il connaisse le parcours qui est le sien aujourd’hui”, avoue l’éleveur. “Ce qu’il fait est vraiment extraordinaire ! Il a un galop absolument incroyable et une vraie envie de sauter. Jeanne Sadran et lui forment un super couple. Tous deux se sont bien trouvés et écrivent une belle histoire. J’ai une fille de Dexter à la maison. Elle a deux ans. Comme notre jumenterie est issue de la même lignée, cela apporte rapidement trop de consanguinité. En revanche, nous avons beaucoup utilisé les sœurs de Dexter à l’élevage.”
Avec Harrie Smolders, Déesse de Kerglenn confirme
Si Déesse de Kerglenn a donné trois produits, un à Jean-Christophe Lecorneur, à la tête de l’affixe Quill, et deux à Elise Mégret, du haras de Clarbec, ses deux propriétaires, elle n’a laissé aucune descendance à la famille Richard… mais lui permet de vibrer chaque weekend de plus en plus intensément. Pour preuve, depuis son arrivée sous la selle du Néerlandais Harrie Smolders, la baie ne cesse de progresser. Le week-end dernier, à Bordeaux, elle s’est ainsi classée dixième, après un bon parcours à quatre points, pour la deuxième épreuve Coupe du monde de sa jeune carrière.
“J’ai vendu Déesse à deux ans à une cavalière qui voulait absolument avoir une bonne jument de concours, parce que je n’aimais pas trop sa tête. (rires) Comme sa propriétaire était en première année de médecine, j’ai monté Déesse sur le circuit du Cycle classique à quatre ans. Elle n’a pas touché une barre de la saison. Finalement, sa cavalière a eu un peu de mal avec elle à cinq ans et Jean-Christophe Lecorneur et Elise étaient déjà très intéressés. Je leur avais dit d’attendre le début de la saison des six ans, et ils l’ont acheté dès son premier tour à six ans, parce que Déesse sautait d’une manière géniale”, se souvient Ronan. “Déesse a toujours très, très bien sauté. Elle était un peu particulière dans le sens où elle avait un peu peur de tout et était assez émotive, mais sa qualité a toujours été au rendez-vous. Il ne fallait pas l’embêter et la laisser évoluer le plus naturellement possible. Ensuite, il suffisait de lui indiquer la direction : elle savait tout faire. Il faut connaître Déesse pour l’aimer. Et pour qu’un cheval se donne, il faut l’aimer. Je crois que c’est le cas de son cavalier. Je pense que cette jument va reproduire ce genre de performances.” À n’en pas douter, de grandes choses attendent celle qui a passé quatre ans sous la selle de Félicie Bertrand avant d’éclore sous bannière néerlandaise à partir du printemps 2023.
Mylord Carthago, futur numéro un mondial ?
“Je n’ai pas deux Mylord qui se ressemblent ! Ils sont tous différents. Ils sont peut-être un peu tardifs, mais si on s’occupe bien d’eux, ce sont de vrais bons chevaux de concours. Ils sont géniaux à monter. Ils sont joueurs et aiment ce qu’ils font. Physiquement, je trouve qu’ils héritent davantage du physique de leurs mères, mais ils ont le galop et la générosité de leur père”, observe le Breton. “J’ai choisi Mylord avant tout pour sa lignée maternelle extraordinaire. J’avais déjà une très bonne lignée grâce à Shana et les autres juments de l’élevage. Je suis très attaché aux lignées maternelles”, glisse Ronan. “Je ne saurais pas dire ce qui fait la réussite de Mylord. Sans doute sa lignée maternelle, tout simplement ! Beaucoup de choses se jouent à ce niveau. Je ne suis pas certain que l’on retrouve pareille réussite chez de très bons étalons de Grand Prix mais qui n’ont pas une telle souche.”
Outre Dexter et Déesse, deux de ses nombreux et excellents représentants, Mylord Carthago semble avoir l’étoffe d’un futur numéro un mondial. Surtout, son œuvre à l’élevage présage encore de longues et belles réussites. Parmi les raisons pouvant expliquer le succès de l’attachant gris, il y a sans doute aussi l’expertise et la clairvoyance de ses éleveurs, Paule et Jean-Louis Bourdy-Dubois. En choisissant ce croisement, par transfert d’embryon, le couple de passionnés a mélangé l’intensité des qualités de Carthago et la technique parfaite de Fragance de Chalus. Mylord Carthago est la quintessence de ce mélange hautement réfléchi et le premier fruit de l'œuvre des deux Vichyssois qui, comme leur premier protégé, ont obtenu de sacrés résultats dans leur carrière d’éleveurs, notamment avec l’affixe de la Tour Vidal.
Quant à lui, Ronan Richard a bon espoir de voir ses Kerglenn briller encore de longues années sur le devant de la scène, avec le sang de Mylord Carthago ou non : “J’ai quelques chevaux sympas ! Il faut désormais ne pas être trop pressé, mais j’ai quelques produits qui, je l’espère, feront parler d’eux.”
Photo à la Une : Déesse de Kerglenn et Harrie Smolders à l'œuvre dans le Grand Prix Coupe du monde de Bordeaux. © Mélina Massias