“J’espère que Tokyo ne sera pas ma dernière expérience olympique”, Niels Bruynseels
Niels Bruynseels, trente-huit ans, fait partie des figures Belges à évoluer très régulièrement à haut niveau depuis de nombreuses années. En ce début d’année, le Diable Rouge n’a pris part qu’à deux événements majeurs, à Doha, préférant se concentrer pleinement sur ses jeunes chevaux, qu’il estime très prometteurs. Comptant sur un piquet qui ne cesse de s'étoffer, le sympathique pilote semble pouvoir aborder la suite de sa carrière sereinement. Entre deux questions sur son expérience en clair-obscur à Tokyo et sur l’avenir de sa fidèle Gancia de Muze, Niels Bruynseels s’est également livré sur la multiplication des circuits, l’ouverture du sport à un plus large public et sur de grands sujets d’actualité, à l’image de la guerre qui sévit toujours en Ukraine. Entretien.
Comment vous sentez-vous et quel bilan tirez-vous de votre début d’année 2022 ?
Jusqu’à maintenant, j’ai surtout participé à de petits concours. Je me suis concentré sur le fait de faire progresser mes jeunes chevaux, car je pense avoir un très grand potentiel parmi mon groupe de montures âgées de huit, neuf et dix ans. J'aimerais qu’ils puissent passer un cap vers le plus haut niveau cet été. J’ai arrêté les compétitions hivernales assez rapidement, puisque dès janvier je me suis rendu à Oliva avec tous mes jeunes. J’ai passé deux semaines à Lierre et je vais en faire de même à Bonheiden, avant de reprendre les compétitions plus importantes. J’ai également participé aux CSI de Doha, et je prendrai part aux étapes du Global de Miami et Mexico ensuite.
Cet hiver, vous avez dit au revoir à Frenchy VDS (Westph, Cornet Obolensky, ex Windows van het Costersveld x Quidam de Revel), passée sous la selle de l’Irlandais Billy Twomey. Comment avez-vous accueilli la nouvelle ?
C’est évidemment une grande perte. Frenchy me permettait de me maintenir au très haut niveau. Elle sautait des Grands Prix et était une jument très compétitive. Il est toujours difficile de laisser un cheval comme elle quitter ses écuries.
Votre tout bon Jenson van’t Meulenhof (BWP, Vagabond de la Pomme x Quidam de Revel) a récemment repris la compétition sous la selle de Thomas van de Minnebruggen, après avoir été arrêté près de six mois. Que va-t-il advenir pour lui à l’avenir ?
Il a contracté une blessure après le Grand Prix d’Aix-la-Chapelle, ce qui explique pourquoi il n’a pas concouru pendant six mois. Désormais, Thomas monte mes jeunes chevaux et s'attelle à remettre Jenson en route jusqu’à ce qu’il retrouve son niveau. À ce moment-là, je recommencerai à le monter. À vrai dire, je n’ai pas été très chanceux ces six derniers mois. Ilusionata (van’t Meulenhof, BWP, Lord Z x Carthago, ndlr) s’est aussi blessée après Aix-la-Chapelle. Elle suit actuellement un programme de travail allégé et ne saute pas encore. Je vais vraiment prendre mon temps avec elle parce que c’est une jument vraiment spéciale pour moi. Elle reprendra le chemin des compétitions seulement lorsqu’elle sera à 100%.
Malgré tout, vous avez accueilli Cristel (Holst, Diamant de Semilly x Double’s Cento) en fin d’année dernière. Pouvez-vous compter sur d’autres montures ?
J’ai toujours Delux, qui reste mon cheval de tête, mais Cristel est vraiment importante dans mon piquet. Elle peut sauter tous les Grands Prix. Elle va participer à quelques étapes du Global Champions Tour et peut-être à des Coupes des nations également. Elle appartient aux écuries Optimus, qui développent un grand programme d’élevage. Il est presque certain que cette jument ne sera pas vendue, car après sa carrière sportive, elle devrait se consacrer à la reproduction. C’est bien de pouvoir compter sur elle. J’ai également un nouvel étalon, confié par la famille Bockmann, en Allemagne : Label d’Amour (SCSL, Landadel x Stakkato). Il m’a accompagné à Doha et j’ai un très bon sentiment avec lui. Il ira à Miami et Mexico et je pense qu’il sera un très bon cheval pour soutenir mon écurie au plus haut niveau. Delux, quant à lui, a profité de quelques mois plus tranquilles. Il a sauté lors de deux compétitions à Lierre et je vais refaire un petit concours avec lui la semaine prochaine avant d’aller à Miami et Mexico.
Parmi vos chevaux plus jeunes et moins expérimentés, lesquels pourraient passer le cap du niveau supérieur cette année ?
J’ai Diornella-D (SCSL, Diamant de Semilly x For Pleasure), une fille de Diamant de Semilly. Elle a onze ans et a beaucoup de potentiel. Je crois qu’elle est presque prête à passer à l’étape suivante. Il en va de même pour Matador (BWP, Emerald van’t Ruytershof x Laredo), un fils d’Emerald âgé de dix ans. Il s’est classé troisième d’un Grand Prix 2* à Lierre. Il semble prêt à aller plus haut. Il s’agit de deux très bons chevaux, et j’ai également un excellent cheval de huit ans, Origi vd Vosberg (Echo van’t Spieveld x Clinton), un descendant d’Echo van’t Spieveld (très bon étalon que montait Niels, ndlr). Je pense qu’il s’agit également d’un atout pour le futur.
“Nous doutons et réfléchissons beaucoup concernant Gancia”
Comment se porte votre fidèle Gancia de Muze (BWP, Malito de Rêve x Nimmerdor), absente des terrains de compétition depuis le CSIO 5* de Barcelone, en octobre ?
C’est une question difficile… En fait, c’est la première fois qu’on me la pose (rires). Je me demandais si elle allait arriver un jour ou non ! Nous doutons et réfléchissons beaucoup concernant Gancia. Pour être franc, rien n’est encore officiel. Il y a toujours une possibilité pour qu’elle revienne dans le sport, mais il y a aussi une chance pour qu’elle prenne sa retraite. Il ne s’agit pas d’une décision facile. Elle a été tellement importante pour ma carrière que je ne souhaite pas l’utiliser pour courir de petites épreuves. Pour l’heure, rien n’est décidé.
Quels vont être vos objectifs sportifs cette année ? Pensez-vous aux Mondiaux de Herning, prévus début août ?
Bien-sûr, j’adore participer aux championnats. Si mon cheval est prêt et en top forme, j’aimerais participer aux Mondiaux. En revanche, s’il n’est pas à son meilleur niveau, je préfère rester à la maison (rires). Une chose est sûre : je vais tout faire pour décrocher ma sélection. Je prévois de faire quelques Coupes des nations, notamment à La Baule et Rotterdam, et peut-être Knokke, puisque notre pays a de nouveau sa Coupe. En parallèle, je prendrais part à des étapes du Global. Bref, je pense que la saison sera suffisamment intéressante !
Aux Jeux olympiques de Tokyo, l’été dernier, vous avez vécu une véritable désillusion en étant éliminé lors de la finale individuelle. Comment avez-vous digéré cet événement ?
Je suis passé au-dessus de cela, mais je sais que c’est quelque chose que je porterais en moi pour le reste de ma vie. Je sais que cela fait partie du sport, mais que cela se produise aux Jeux olympiques, qui sont le rêve de tout sportif… Le pire a sans doute été d’avoir de grands espoirs après la première journée, puisque tout s’était bien passé (le couple avait réalisé l’un des vingt-cinq sans-faute qualificatifs pour la finale, ndlr). Une fois en finale, on se dit que, potentiellement, on peut peut-être faire mieux qu’une simple participation, et tout d’un coup, quelque chose comme cela arrive et coupe tous nos espoirs…
Malgré cette déception, quel bilan tirez-vous de vos premiers Jeux olympiques ?
On sent vraiment que les Jeux olympiques sont des championnats particuliers. Ce n’est pas comme les Européens ou les Mondiaux. Tous les meilleurs athlètes de tous les sports sont présents, les pays du monde entier viennent aussi. C’est une émotion particulière, même si cela n’a pas été simple avec le Covid et les règles sanitaires. Malgré tout, on pouvait sentir une ambiance différente. C’est quelque chose de très spécial. Je suis fier d’avoir participé aux Jeux olympiques. Il s’agit d’une expérience que l’on garde en tête toute sa vie, et j’espère que ce ne sera pas la dernière.
Qu’avez-vous pensé du nouveau format à trois couples, instauré par la Fédération équestre internationale pour permettre à un plus grand nombre de nations de participer à cet événement majeur ?
À mon sens, si les instances souhaitent maintenir la compétition avec trois couples, elles peuvent le faire, à condition de réinstaurer un drop score. Nous évoluons avec des animaux, et non des machines. Nous devons respecter le bien-être des chevaux. Avec un joker, si un problème survient pour le cheval ou le cavalier, il serait toujours possible d’obtenir un résultat.
Pensez-vous à Paris 2024 ?
Bien-sûr, c’est dans un coin de ma tête. Si j’ai les bons chevaux, je serais ravi d’aller à Paris. Comme je l’ai dit, j’adorerais participer de nouveau aux Jeux olympiques et tenter de réaliser une bonne performance.
“Au fil des années, notre sport a beaucoup changé”
Comment fonctionne votre système ?
J’ai une écurie de commerce et de sport. J’essaye de combiner les deux volets aussi bien que possible. Nous devons acheter et vendre des chevaux pour payer nos frais. Ma façon de faire est la suivante : j’achète beaucoup de jeunes chevaux talentueux, je les fais travailler et j’essaye d’en conserver certains pour me maintenir au très haut niveau.
Certains cavaliers, ou certaines personnalités, vous inspirent-elles particulièrement ?
J’essaye d’apprendre de tous les très bons cavaliers que je peux voir en concours. Je les observe beaucoup lorsqu’ils montent. Je tente de retenir le positif et les bons points de chaque personne et de chaque système. Par exemple, si je pense qu’un de mes chevaux a besoin de telle ou telle chose, je m’inspire de cavaliers dont la technique et la manière de faire pourrait correspondre. J’apprends beaucoup en regardant.
En parallèle de votre vie bien chargée, avez-vous le temps de vous adonner à d’autres activités ?
Je dois dire que lorsqu’on a ses propres écuries, il ne reste pas beaucoup de temps pour d’autres activités. La plupart de mon temps est consacré aux chevaux : si je ne suis pas sur un concours 5*, je me consacre à mes plus jeunes montures sur un concours moins important ; si je n’ai pas de compétition de prévue, je vais voir mes très jeunes chevaux. J’ai une grande famille, qui aime aussi beaucoup les chevaux. C’est super, car sans ça, ce serait très difficile.
Le calendrier sportif semble être de plus en plus rempli. Comment jugez-vous l’évolution du sport ?
Au fil des années, je crois que notre sport a beaucoup changé. Désormais, nous avons les Coupes des nations, les étapes du Global Tour, les Coupes du monde, etc. Avant, nous avions des saisons bien définies. Désormais, cela n’existe plus. On peut aller en 5* toutes les semaines, et même participer à plusieurs 5* un même week-end ! Il y a plus d’argent, plus de retransmission audiovisuelle, etc. Je pense que ces évolutions sont positives.
N’est-il pas compliqué pour un cavalier de parvenir à être présent sur tous les fronts ?
Il faut avoir un certain nombre de chevaux de Grands Prix, sinon les cavaliers n’ont aucune chance de pouvoir participer à tous ces circuits. Mais je pense qu’il faut avant tout écouter ses chevaux, et ne pas penser au classement mondial où à l’argent. La priorité doit être donnée au suivi des chevaux : savoir s’ils sont en forme, à quelle fréquence ils peuvent sauter, etc, et gérer son écurie en fonction de ces données.
Avec ces multiples compétitions, aux règlements parfois différents, comment peut-on sensibiliser un public non équitant aux sports équestres ?
C’est une question intéressante et très difficile, à laquelle il est impossible de donner une réponse en deux minutes. Sinon, le problème serait déjà réglé ! (rires) Je ne pense pas toujours à comment rendre les choses plus compréhensibles pour les personnes qui ne sont pas impliquées dans notre sport. À la place de quelqu’un qui ne connaît rien aux chevaux, si je devais regarder quarante cavaliers avant que le barrage ne commence à la télévision le samedi soir… je crois que j'éteindrais tout après cinq couples. Je ne sais pas comment l’expliquer, mais je pense qu’il faudrait rendre les choses plus excitantes. Réduire le nombre de partants ou de barragistes pourrait être une idée, mais cela rendrait sans doute l’épreuve trop courte pour les diffuseurs. Je n’avais pas vraiment pensé à cela avant. Il y a quelques années, la Formule 1 n’était pas si populaire. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’intérêt pour ce sport, notamment grâce à des finales terriblement passionnantes. Nous devons chercher ce qui peut faire vibrer les spectateurs pour notre sport.
“La guerre entre l’Ukraine et la Russie me rend très triste”
Après Rome ou Aix-la-Chapelle, La Baule est, à son tour, sortie du circuit des Coupes des nations de la Fédération équestre internationale. Que pourrait faire cette dernière pour redonner de l’attrait aux étapes de sa ligue ?
Ils doivent travailler sur ces questions. Dire ce qu’ils doivent faire exactement est tout aussi compliqué que pour la question précédente. Si j’avais la solution, il serait facile de résoudre le problème. Je pense qu’ils ont tout intérêt à écouter les cavaliers et chercher comment rendre ces épreuves plus intéressantes. De mon côté, je suis ravi que tous ces concours n’aient pas disparu. En tant que cavalier, nous ne pouvons pas nous plaindre de cela. Tant que les événements et que les Coupes des nations continuent à exister, c’est positif. Le choix des sponsors ne nous appartient pas. Nous sommes simplement ravis que ces compétitions vivent et que nous puissions toujours aller à La Baule, Rome, ou même Knokke. J’aime beaucoup les Coupes des nations.
En parallèle, le circuit de la Fédération équestre européenne (EEF), qui propose un panel de CSIO 3*, semble bien fonctionner. Quels sont les avantages de ces événements ?
Je crois qu’il s’agit d’une très bonne chose pour les pays qui ont beaucoup de jeunes cavaliers. Cela permet de leur donner une chance de monter à un niveau plus important. Ces épreuves sont une bonne passerelle entre des concours classiques 2 ou 3* et les 5*.
En Belgique, peu importe la catégorie d’âge des équipes, tout semble vous réussir. Quel regard portez-vous sur le réservoir de cavaliers, mais aussi de chevaux dans votre pays ?
Le nombre de cavaliers et jeunes cavaliers talentueux que nous avons dans un pays aussi petit que la Belgique est dingue. Nous sommes bons pour élever des chevaux et pouvons ainsi compter sur des jeunes chevaux prometteurs. Maintenant, je pense qu’il faut que nous soyons conscients et que nous portions beaucoup d’attention au fait de conserver nos bonnes cartouches en Belgique, pour le sport. S’il n’y a pas de chevaux, peu importe le nombre de bons cavaliers que nous avons, nous ne pouvons rien faire.
Le monde d’aujourd’hui est particulièrement chamboulé, entre le réchauffement climatique, la pandémie de Covid-19 et désormais la guerre en Ukraine. Que cela vous inspire-t-il ?
Je n’ai qu’une question : quand est-ce que tout cela va cesser ? Le Covid est un virus, contre lequel on ne peut pas faire grand-chose, à part tenter de se défendre. De nombreuses personnes qualifiées tentent de trouver des solutions. En revanche, quand je vois la guerre entre l’Ukraine et la Russie, cela me rend très triste, qu’à cette période de nos vies, des gens trouvent encore le moyen de faire la guerre. Je n’arrive pas à y croire et cela m’attriste profondément.
Face à ces sujets, les cavaliers et cavalières semblent parfois moins engagé.e.s que d’autres sportifs. Pensez-vous avoir un rôle à jouer pour sensibiliser les gens ?
Il est difficile de se prononcer à ce sujet. Je pense que si l’on prend position sur l’une de ces questions, il faut être parfaitement au fait des causes pour lesquelles on s’engage. Il ne faut pas faire quelque chose simplement pour suivre ce que nous demandent d’autres personnes. Ensuite, il faut parfaitement suivre cette ligne de conduite. En tant que sportif de haut niveau, je pense que nous devons déjà nous concentrer sur tellement de choses… On peut avoir nos propres opinions, bien-sûr, et les partager à travers les réseaux sociaux si on le souhaite. C’est intéressant et important, mais personnellement, je reste très prudent face à ce genre de choses. Avant de me prononcer, je préfère être sûr et certain de ce que j’avance. Alors, en général, je me fais plutôt discret. En plus, les choses peuvent dégénérer facilement sur les réseaux sociaux, etc. Il y a d’autres personnes que les sportifs qui travaillent et tentent de trouver des solutions vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour ces grands sujets.
Photo à la Une : Niels Bruynseels. © Scoopdyga