Jeroen Dubbeldam et De Sjiem, une histoire qui n’arrive qu’une fois dans une vie
Il y a un peu plus d’une semaine, Jeroen Dubbeldam annonçait la disparition de son fidèle De Sjiem, à l’aube de son trente-troisième anniversaire. Sacré champion olympique en individuel à Sydney, en 2000, le gris a marqué son époque et a surtout permis à son cavalier de se faire un nom dans le monde du jumping. Après une carrière jalonnée de pléthore de sans-faute, le crack De Sjiem a coulé une longue et heureuse retraite, au sein des écuries de son pilote. Le Néerlandais revient sur les événements ayant marqué leur aventure commune.
Son caractère, ses performances et son association avec Jeroen Dubbeldam ont contribué à forger la légende qu’est devenu De Sjiem, en rejoignant les étoiles, samedi 21 mai, cinq jours avant son trente-troisième anniversaire. En plus de deux décennies de vie commune, le gris et son pilote néerlandais ont écrit de belles pages d’histoire. De leur rencontre, fin 1995, à leur sacre olympique, en 2000, en passant par leur victoire dans le mythique Grand Prix d’Aix-la-Chapelle, l’année suivante, jusqu’à l’étape de la retraite, qui aura duré de 2005 à 2022, ces deux-là auront tout vécu ensemble.
La rencontre
Retour il y a un peu plus de vingt-six ans. Jeroen Dubbeldam croise la route d’un certain De Sjiem, un grand gris, fils d’Aram et Chief, une descendante du Pur-Sang Wahtamin. “Il a toujours capté l’attention de tout le monde avec son attitude. Je l’ai vu pour la première fois lors d’un concours national aux Pays-Bas. Il avait effectué un sans-faute, mais pas d’une façon particulièrement spectaculaire. Il paraissait un peu arrogant ; il regardait partout autour de lui, sans se concentrer sur les obstacles. Au dernier moment, il se préoccupait enfin des barres et les franchissaient sans faute. Tout ce qu’il faisait était insolent. C’était un cheval avec beaucoup de possibilités, mais avec une personnalité bien à lui. C’est comme cela qu’il a attiré notre attention”, se souvient Jeroen Dubbeldam. “Après ce concours, mon ex-beau-père (Bennie Holtkamp, ndlr) est sorti en courant du Casino et m’a dit : ‘je veux acheter ce cheval, il me plait bien’. Je lui ai répondu qu’il avait l’air un peu difficile, avec du caractère, et que je ne savais pas s’il deviendrait assez facile. Nous sommes allés l’essayer. Tout n’était pas parfait et De Sjiem était à moitié en train de faire du rodéo. Dans sa tête, mon ex-beau-père l’avait déjà acheté, avant même que nous n’arrivions là-bas. Il voulait absolument ce cheval et, heureusement, il n’a pas changé d’avis. Nous l’avons alors acheté.”
Le graal olympique
Comme prévu, les débuts du duo ne sont pas de tout repos. “Nous avons commencé à travailler avec lui et nous nous sommes rendu compte qu’il avait vraiment un fort caractère. Nous avons rencontré de nombreuses difficultés. La première année, nous avons eu beaucoup de mal à former un couple et à nous comprendre. Lorsque je voulais lui apprendre des choses, cela ne fonctionnait pas vraiment. Il avait sa propre personnalité. Mais, une fois que nous nous sommes entendus, les résultats sont arrivés les uns après les autres. Il a signé tant de sans-faute ! Il n’était pas un cheval super rapide au barrage pour remporter des épreuves, mais il était très régulier et a effectué énormément de sans-faute, dans les Coupes des nations et dans les Grands Prix, récoltant de nombreux classements. C’était spécial”, retrace Jeroen. Après une première expérience en grand championnat lors des Mondiaux de Rome, en 1998, une participation aux Européens d’Hickstead, en 1999, soldée par une médaille de bronze par équipe, ainsi qu’une finale de la Coupe du monde, disputée en 2000 à Las Vegas, De Sjiem s’envole pour Sydney, où se courent les Jeux olympiques. “Nous avons passé un long moment là-bas. Il y a d’abord eu une quarantaine ici, puis une autre à Sydney. Je suis resté tout le temps avec lui et nous avons vécu des moments incroyables. Pendant les trois semaines de quarantaine, je le sentais dans une forme étincelante", reprend le multi-médaillé. Son sentiment se confirme, jusqu’au graal. Le 1er octobre 2000, De Sjiem est le seul des trois chevaux qualifiés pour un barrage pour l’or olympique à sortir de piste sans renverser le moindre obstacle. À vingt-sept ans, Jeroen Dubbeldam s’offre le plus beau titre sportif individuel, premier d’une longue série. “Pour les personnes extérieures à notre monde, notre victoire était peut-être une surprise. Mais les deux années précédant Sydney, je crois que De Sjiem était déjà l’un des chevaux les plus réguliers du circuit, comme il le prouvait en Coupe des nations. Je savais qu’il était un cheval de championnats et qu’il serait capable d’aligner les sans-faute. Aux Jeux olympiques, il ne s’agit pas d’aller vite pour essayer de remporter une épreuve au chronomètre ; il faut sauter sans-faute. Je savais qu’il était capable de faire ça, et il l’a fait”, résume le champion olympique.
Aix-la-Chapelle, le Wimbledon des sports équestres
Si De Sjiem n’a pas collectionné les victoires face au chronomètre, il s’est toutefois démarqué sur certaines des plus belles pistes du monde. Un peu moins d’un an après son sacre olympique, le gris avait pris date dans l’arène du stade équestre de la Soers, à Aix-la-Chapelle. “Les Jeux olympiques et le Grand Prix d’Aix-la-Chapelle sont les temps forts de notre sport. Aix-la-Chapelle est le Wimbledon du saut d’obstacles. Être capable de remporter ce Grand Prix est vraiment, vraiment spécial. C’est sur la liste de tout cavalier”, assure Jeroen, qui grave son nom, et celui de son complice, sur le mur des vainqueurs, situé tout près de l’entrée de la carrière principale de l’événement allemand. “Il a aussi remporté ce Grand Prix en étant le seul double sans-faute. Les circonstances étaient très difficiles ce jour-là : il pleuvait et les conditions n’étaient pas idéales. Mais il était à son meilleur niveau.”
Après cette victoire de prestige, la paire a poursuivi sa route quatre années supplémentaires, à arpenter les terrains de concours. Au passage, elle a participé aux Européens d’Arnhem, en 2001, puis aux Jeux équestres mondiaux de Jerez de la Frontera, l’année suivante. Leur dernier grand championnat aura eu lieu en 2004, à l’occasion de la finale de la Coupe du monde de Milan.
Dix-sept ans d’une retraite de roi
Après près de huit ans au plus haut niveau, l’heure de la retraite a fini par sonner pour De Sjiem, alors âgé de seize ans. Et quelle retraite le gris aura eu ! En 2005, une première cérémonie l’honore. Un moment fort en émotions pour son cavalier et ses proches. “Nous avons vécu de grandes années après [sa victoire dans le Grand Prix d’Aix-la-Chapelle]. Nous n’avions pas annoncé qu’il prendait sa retraite. Quand il est entré dans le stade, cinquante mille personnes se sont levées et ont tout de suite compris ce qui allait se passer. De Sjiem était vraiment apprécié à Aix. C’était très spécial et ce moment était fantastique. Tout le stade avait la chair de poule”, poursuit Jeroen. Orné d’une couverture rendant hommage à sa carrière, et quelques carottes englouties plus tard, le grand De Sjiem se prête à un dernier tour de piste en Allemagne. Suivra une ultime cérémonie, face à son public, à Amsterdam, en avril 2006, puis de longues années, passées au pré, dans ses écuries de toujours, auprès de Femke Pieper et Tonnie Kreuwel, ses fidèles soigneurs.
“Toutes ces années passées avec lui forment un grand et bon souvenir”, conclut Jeroen, qui n’est pas près d’oublier son gris, qui a donné son nom à ses écuries. “Après sa cérémonie d’adieu, il a profité de sa vie au pré. Nous l’avons gardé dans le même box que celui dans lequel il était lors de sa carrière sportive, au centre des écuries. Il réclamait toujours beaucoup d’attention, jusqu’à la fin. Il a vécu une longue et belle vie. Il a été très important pour moi. C’est lui qui m’a fait connaître et m’a ouvert des portes dans ce monde. C’est une histoire qui n’arrive qu’une fois dans une vie ; c’était fantastique.”
Photo à la Une : Jeroen Dubbeldam et De Sjiem à Sydney, lors de leur sacre olympique. © Jacques Toffi/Fédération équestre internationale