Sensationnel au-dessus des barres, Enoch de Bréhat n’en est pas encore au niveau du stratosphérique United Touch S. S’il n’a pas encore goûté au niveau 5*, l’étalon de neuf ans par L’Arc de Triomphe a déjà permis à son formateur et éleveur, Jean-Francis Simon, de gravir les marches vers le haut niveau. Le duo self made a honoré ses premières sélections en CSI 4* cette année, à Chantilly puis Poznan, et n’a pas encore dit son dernier mot. Retour sur le parcours croisé et l'ascension éclair de ces deux complices.
Dix ans en arrière, le jeune Jean Francis Simon n’aurait sans doute pas rêvé de passer les fêtes de fin d’année en repensant à ses sélections aux CSI 4* de Chantilly Classic et Poznan. Pourtant, c'est bien ce qu’il s'apprête à faire. À vingt-sept ans, le Breton a même décroché son premier ticket d'entrée pour un CSI 5*-W. Tout cela, il le doit à son “crack”, Enoch de Bréhat, un puissant étalon de neuf ans qu’il a fait naître et dont il est toujours propriétaire.
“Je suis plus que ravi que la Fédération française d’équitation m’ait permis de concourir à Chantilly, avec deux chevaux. Il y a quelques années, je ne m’attendais pas du tout à cela. Il y a des cavaliers dix fois meilleurs que moi, c’est normal, ils ont aussi d’autres systèmes derrière eux, mais j’essaye de faire mon bout de chemin de mon côté, en profitant de chaque expérience qui m’est donnée”, débute Jean-Francis Simon.
Passionné depuis de longues années, le jeune homme n’était pourtant pas destiné à une telle ascension. Si sa mère était propriétaire de deux doubles poneys, destinés à la balade, son lien avec le monde hippique s’arrête ici. Finalement, grâce à sa sœur, partie à la découverte des joies de l’équitation dans le cadre scolaire, Jean-Francis goûte lui aussi aux plaisirs de ce sport partagé avec les chevaux. “Lorsque j’étais jeune, j’avais mon caractère. Comme je n’écoutais pas trop ce que les adultes me disaient, les loisirs m’étaient plus ou moins interdits. Lorsque ma sœur est allée au centre équestre avec son école, j’ai demandé à mes parents d'y aller à mon tour. Ils ont accepté que je prenne un cours et, comme cela m’a apaisé, j’ai continué”, retrace-t-il. Après ces premières expériences, les chevaux ne quittent plus sa vie. Jean-Francis intègre une Maison familiale et rurale (MFR) à ses quatorze ans. Treize ans plus tard, il gère sa propre structure, au Mans. “Je ne peux pas me plaindre”, sourit-il.
Idole du Valon et Jean-Pierre Herpin, deux rencontres déterminantes
De son baccalauréat professionnel, mention Comptabilité et gestion de l’entreprise hippique (CGEH), à ses premiers pas aux côtés des meilleurs mondiaux, Jean-Francis a connu une montée en puissance ultra rapide. En 2011 et 2012, pour ses deux premières années de compétitions, le pilote en herbe fait ses gammes, comme n’importe qui, sur des épreuves de niveau Poney 2 et Poney 3, dont les barres sont placées à quatre-vingts et soixante-dix centimètres. En juillet 2012, Jean-Francis participe même à ses premiers championnats de France dans la seconde catégorie, à Lamotte-Beuvron, qui accueille chaque année des centaines de jeunes compétiteurs. Dans le même temps, le Breton pose ses valises à l’élevage du Valon de Jean-Pierre Herpin. Entre juillet 2012, date de sa dernière compétition Poney, et avril 2013, Jean-Francis, alors âgé de dix-sept printemps, gravit les marches quatre à quatre. Après seulement deux saisons de concours, il se retrouve propulsé sur le Cycle classique, afin de former des montures de cinq et six ans. “Un peu comme tout le monde, je me suis formé dans des centres équestres en tant que stagiaire. J’ai également travaillé dans plusieurs élevages, dont celui de Monsieur Herpin, que je remercie. Je suis resté chez lui une bonne année et il m’a permis de faire mes premiers pas avec les jeunes chevaux et d’acquérir une première expérience précieuse”, résume l’intéressé.
En plus d’avoir donné sa chance à Jean-Francis, Jean-Pierre Herpin lui permet de croiser la route d’une certaine Idole du Valon. La Selle Français Originel le lance dans l’élevage. En 2013, la fille de Narcos II avec une mère par Elf III est croisée à L’Arc de Triomphe. “J’ai acheté Idole du Valon à Monsieur Herpin lorsque je travaillais chez lui. À la base, j’avais choisi For Pleasure pour elle, mais il y avait eu un souci avec la livraison des paillettes. De ce fait, j’avais finalement opté pour L’Arc de Triomphe. Finalement, ce malentendu a débouché sur quelque chose de positif !”, s’amuse le cavalier-éleveur. De ce croisement est né, en 2014, le génial Enoch de Bréhat, tout premier à porter son affixe. À ce moment-là, Jean-Francis décide de s’installer à son compte, et continue son évolution jusqu’en Grands Prix à 1,35m sur la scène nationale, notamment grâce à Quenwood du Parc.
Un duo d’autodidactes
Petit saut dans le temps. 2018, Enoch de Bréhat fait ses premiers pas en compétition. Après une première saison notamment marquée par un double sans-faute au CIR de Pompadour et une participation à la finale de Fontainebleau en Cycle classique quatre ans, le grand bai brun permet à son éleveur et unique cavalier, encore à ce jour, de réaliser un premier rêve en prenant part à plusieurs CSI YH 1* et de partir en direction de Lanaken, pour les championnats du monde réservés aux chevaux de cinq ans. Qualifiés pour cette même échéance à six ans, Enoch et Jean-Francis devront attendre 2021 pour retrouver Lanaken, cette fois pour les Mondiaux des sept ans, la faute à la pandémie de Covid-19. Chaque année, le fils de L’Arc de Triomphe a franchi les paliers un à un, pour le plus grand bonheur de son cavalier, qui a progressé en même temps que son protégé.
“Enoch vit comme n’importe quel autre cheval. Il est monté, souvent le matin, et passe le reste de sa journée au paddock. Jusqu’à l’année dernière, je le proposais même pour des saillies en main. Il a un caractère extraordinaire. Il ne dit rien en concours. Il est tellement calme qu’on ne peut pas deviner qu’il est entier ! Il est d’une gentillesse sans faille et a un excellent mental”, loue Jean-Francis, qui travaille seul au quotidien. “Cela peut être bien dans un sens, mais il y a aussi de moins bons côtés. Heureusement, lorsqu’on est en concours, on peut toujours discuter avec des cavaliers de renom et avoir un avis extérieur. Je n’ai pas l’expérience des cavaliers qui ont déjà participé aux Jeux olympiques ou sauté des Coupes des nations, mais j’essaye de m’inspirer”, ajoute-t-il.
Malgré un parcours de roturier, le Breton et son plus fidèle complice sont parvenus à atteindre un niveau plus que respectable et ont disputé, ensemble, leurs premières épreuves à 1,50m, sur le circuit du Grand National, d’abord, puis sur la scène internationale. À seulement huit ans, Enoch de Bréhat était ainsi classé dans les Grands Prix Pro Elite de Montfort sur Meu et 3* de Royan, en plus d’autres bonnes performances à 1,40 et 1,45m. Cette saison, en trente-quatre parcours, soit son plus grand total depuis ses débuts en 2018, Enoch a de nouveau obtenu de bons résultats, lors du Grand Prix Pro Elite de Mâcon, d’une épreuve nationale à 1,45m à Royan ou encore à l’occasion de la puissance de Pontivy. Evidemment, avec ses moyens illimités, son génie et son respect, le Selle Français a rapidement attiré tous les regards. “Depuis son plus jeune âge, il suscite beaucoup d’intérêt”, assure son naisseur. “Lorsqu’il avait cinq ans, j’ai déjà refusé des sommes extraordinaires. L’année dernière, beaucoup de personnes se sont encore intéressées à lui, sans doute avec les Jeux olympiques de Paris en tête. J’ai refusé des sommes à sept chiffres. Ce sont des montants qui changent une vie, mais j’ai fait naître Enoch et pour le moment, je ne suis pas prêt à le vendre.”
Figaro du Vouge, une autre belle histoire
Les pieds sur terre, Jean-Francis ne nourrit pas de rêves illusoires. De belles sélections, comme celles obtenues cette saison à Chantilly ou plus récemment à Poznan, le raviront. “Les Jeux olympiques font évidemment rêver tout le monde, mais je suis conscient qu’il y a beaucoup de cavaliers bien plus aguerris et prêts que moi pour ce genre d’événement. Des places en Coupes des nations CSIO 3*, même en tant que réserviste, serait déjà de belles opportunités”, complète-t-il. Le plus important, quoi qu’il arrive ? “Prendre de l’expérience”, répète le jeune homme.
Si pour l’heure Enoch de Bréhat reste le crack et le fer de lance de l’écurie, Figaro du Vouge est un atout aussi original que talentueux dans le piquet de Jean-Francis. À Chantilly Classic, le fils de Dandy du Plapé a affronté ses deux premiers parcours à 1,45m dans le cadre du CSI 2* cantilien. “Figaro évolue également en concours avec sa propriétaire (Françoise Lippi, ndlr), sur des épreuves entre 90cm et 1,05m, une à deux fois par mois. Et puis, de temps en temps, je le prends avec moi en concours. Il est ultra compétitif sur les plus petites épreuves. Il a remporté trois épreuves (à 1,15m, ndlr) au CSI 2* Open de Saint-Tropez et a également gagné dans le CSI 1* de Royan trois semaines plus tard. Nous ne savons pas vraiment quels sont ses moyens. Nous verrons jusqu’où il peut aller”, raconte le Français. “Surtout, c’est une belle histoire. La propriétaire de Figaro l’a acheté pour un tout petit budget, moins de 10.000 €. Depuis, elle aussi refusé quelques belles sommes. J’avais remporté le CIR (au Lion-d’Angers, ndlr) à six ans avec lui. Nous avons également fait quelques épreuves réservées aux chevaux de sept ans. Figaro a un très bon mental. Il fait plaisir à sa propriétaire, qui est très contente de pouvoir s’amuser avec lui. Il vit H24 au pré et rentre seulement pour l’hiver. Le reste du temps, il est en troupeau. Il passe la nuit au box avant d’aller en concours, puis il grimpe dans le camion et vient avec nous. C’est un chouette cheval, qui est toujours à cent pourcents avec son cavalier.”
Si Enoch de Bréhat et Figaro du Vouge n’ont pas dit leur dernier mot, la suite s’écrit peut-être déjà dans les prés de l’élevage de Jean-Francis Simon, qui peut compter sur plusieurs poulinières, triées sur le volet, parmi lesquelles se trouvent une fille et une sœur utérine de la star Enoch, dont la jeune production devra faire ses preuves dans quelques années.
Photo à la Une : La joie de Jean-Francis Simon après un sans-faute de son étalon maison, Enoch de Bréhat, né sur l’île de Bréhat. © Mélina Massias