“L'équilibre économique des éleveurs est précaire, mais celui des propriétaires l’est tout autant”, Christian Baillet (2/3)
Les discussions à ce sujet ne datent pas d’hier. Pourtant, la prime aux naisseurs n’a rien perdu de son intérêt et, surtout, de sa nécessité. En France, cette récompense financière bienvenue, d’autant que la situation économique des éleveurs reste précaire, a bien existé, avant de progressivement disparaître dans les années 2000, remplacée par la Prime d’aptitude à la compétition équestre et secondée par la Politique agricole commune. Une désertion que déplorent des grands noms du milieu, à l’image de Xavier Libbrecht ou encore Bernard Le Courtois, pour ne citer qu’eux. Tous deux font d’ailleurs partie de celles et ceux qui militent pour que soit financée, chaque année, une enveloppe européenne, voire mondiale, en mobilisant 1% des dotations globales versées dans l’ensemble des compétitions disputées sous l’égide de la Fédération équestre internationale. En 2022, pour le saut d’obstacles, discipline olympique la plus rémunératrice, plus de 138 millions d’euros ont été distribués dans les CSI labellisés 1* à 5*. Si le principe d’une prime aux naisseurs est loué par l’écrasante majorité des acteurs concernés, des blocages surviennent concernant sa mise en œuvre concrète. En cause notamment, la situation déficitaire de nombreux propriétaires, faisant face à des coûts toujours plus élevés, les statuts de la Fédération équestre internationale, mais également des questions techniques encore sans réponse. Deuxième épisode d’un article en trois volets.
La première partie de cet article est à (re)lire ici.
Bernard Le Courtois, mais aussi Xavier Libbrecht, ancien rédacteur en chef de L’Eperon et à l’initiative de la création de la Fédération mondiale pour l’élevage de chevaux de sport (WBFSH), défendent l’idée de mutualiser un certain pourcentage des gains reversés sur toutes les compétitions internationales de saut d’obstacles, concours complet et dressage, afin de le reverser aux éleveurs, en fonction des performances de leurs produits.
Un pourcent qui pourrait tout changer
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En 2022, les seules compétitions de jumping disputées sous l’égide de la FEI (CSI 1*, 1* YH, 2*, 3*, 4* et 5*) ont distribué pas moins de 138.323.931 euros¹ de dotations. Si un seul et unique maigre pourcent de ce total - soumis à toute sorte de taxes, et des répartitions diverses entre cavaliers et propriétaires selon les accords de chacun - était perçu, 1.383.239 euros¹ pourraient être reversés aux meilleurs éleveurs. Un total à peine moins élevé que celui du Grand Prix d’Aix-la-Chapelle, qui, pour rappel, a décerné 500.000 euros au vainqueur de cette prestigieuse épreuve. Un pourcent qui pourrait, en définitive, tout changer. S’il proposait de récupérer un pourcentage légèrement plus élevé, Bernard Le Courtois se souvient que l’idée “n’avait pas plu à tout le monde.” Et de développer : “Pourtant, un tel prélèvement changerait-il la vie des propriétaires et cavaliers, qui partagent les gains de leurs chevaux, 30 et 50 % revenant généralement au cavalier, selon les contrats et arrangements concernant les frais de pension ? Sincèrement, je ne le pense pas. Les freins résultent plutôt d’un état d’esprit individualiste qui devrait évoluer vers une vision prenant mieux en compte l’intérêt général de la filière.”
“Lors du lancement de la WBFSH, il y a maintenant plus de trente ans, nous avions déjà ce projet dans les cartons. J’ai tenté de le relancer, il y a cinq ou six ans, parce que je pensais qu’il était de la responsabilité de l’autorité et du bon sens que cette Fédération s’y emploie. Nous avons bâti un projet, sachant que la WBFSH représente aujourd’hui environ quatre-vingts stud-books et 150 000 éleveurs et a conclu des accords de développement avec la FEI, à travers un MOU, Memorandum of Understanding, pour essayer de travailler sur des idées qui servent la cause du cheval, tant pour le sport que l’élevage. Nous avions alors proposé d’aller chercher 1% de toutes les compétitions affiliées FEI, et ce dans les trois disciplines olympiques. Le mode de redistribution était à réfléchir - est-ce au travers des stud-books, en se basant sur les classements de la WBFSH ou par un autre moyen ?”, ajoute Xavier Libbrecht, toujours impliqué sur le sujet. “Pour donner vie à ce projet, il fallait convaincre deux composants : les propriétaires, d’abord, et la FEI. Les propriétaires, ou les personnes considérées comme telles et, de fait, enregistrés à la FEI, touchent l’argent des organisateurs lorsque leurs chevaux remportent une épreuve ou sont classés. Pour pouvoir développer ce projet de prime aux naisseurs, il fallait donc que la FEI en accepte le principe et modifie ses statuts afin de la rendre possible. Malheureusement, apparaissent deux blocages. Premièrement, les pays concernés par une telle mesure ne sont pas légion, peut-être une quarantaine (et leur législation n’est pas nécessairement compatible avec une telle initiative, ndlr). Et, deuxièmement, le véritable obstacle provient des propriétaires qui considèrent qu’ils font déjà tourner la machine en achetant des chevaux aux éleveurs.”
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Quid du modèle des courses ?
Un temps Président du club des propriétaires (JOC), entre 2010 et 2017, Christian Baillet, et notamment propriétaire de certaines montures du champion olympique Philippe Rozier, évoque trois raisons principales à ce refus. “Ce projet n’a pas eu un écho très important, ni n’a été beaucoup suivi. Lorsque nous en avons parlé au sein du club des propriétaires, nous n’étions absolument pas favorables à cette mesure, qui ne nous paraissait pas opportune. Ce qui est important n’est pas tant notre position, mais les raisons sous-jacentes à celle-ci. On parle toujours du propriétaire de tel ou tel cheval, qui gagne tant d’argent, ou qui a été vendu tel prix, en se disant ‘oui, pourquoi pas reverser une petite partie à l’éleveur’. Or, on s’adresse là à un tout, tout petit nombre de chevaux. Dans l’extrême majorité des cas, les propriétaires sont nets déficitaires. Le coût d’un cheval est largement supérieur aux gains que l’on en tire. Évidemment, prendre 1% à un cheval qui gagne 200.000 euros dans la saison ne changerait pas la donne, mais il s’agit d’un cas exceptionnel. En France, il y a peut-être une vingtaine de chevaux qui permettent à leurs propriétaires de rentrer dans leurs frais, entre les coûts de transport, d’assurance, de pension, etc. Nous n’allons pas financer, même modestement, un éleveur alors que nous sommes déjà largement déficitaires. Je sais que l’équilibre économique des éleveurs est précaire, mais celui des propriétaires l’est tout autant, si ce n’est plus. Nous sommes très, très loin de l’équilibre”, martèle-t-il.
Un autre contre-argument avancé par Christian Baillet repose sur les fréquentes comparaisons faites entre le monde du jumping et celui des courses. Un milieu qu’il connaît d’ailleurs très bien, étant propriétaire de chevaux de galop. “Il est toujours facile de demander plus d’argent aux autres pour l’avoir soi-même. Souvent, les porteurs d’un projet de prime aux naisseurs généralisée dans les sports équestres font référence au monde des courses. Or, le fonctionnement est totalement différent. Ce ne sont pas les propriétaires qui donnent une partie de leurs gains ; les primes sont abondées sur les paris, qui n’ont, de fait, rien à voir avec les propriétaires. L’analogie avec les courses n’a pas de raison d’être”, souligne-t-il.
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En revanche, le Parisien ne ferme pas la porte à une PAN, à condition qu’elle puise son financement ailleurs que dans le portefeuille des propriétaires. “Si demain il y a une autre source, plus proche du monde de l’élevage, à l’image de la PAC en agriculture (développée à l’échelle européenne, la Politique agricole commune tend à développer et moderniser l’agriculture, tout en aidant les agriculteurs par un contrôle des prix et le versement de subventions, ndlr), ou une prime du ministère de l’agriculture, je n’aurai absolument rien contre. Nous serions favorables à tout ce qui relèverait de ressources supplémentaires pour encourager l’élevage, mais pas en prenant dans la poche des propriétaires, des cavaliers ou des organisateurs.”
Troisième et dernier point soulevé par Christian Baillet : la répartition de cette supposée PAN. “En admettant qu’une somme soit distribuée à la fin de l’année, comment est-elle répartie ?”, interroge-t-il. “Quand on crée un pool, comme l’argent vient d’ailleurs, tout le monde est d’accord. En revanche, lorsqu’on parle de la répartition de cette prime, il y a des désaccords, sans compter que les gains sont soumis à des taxes, des impôts et des redistributions.”
Une autre priorité ?
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Trouver l’équilibre entre une répartition suffisamment forte, pour ne pas tomber dans la dérision, tout en restant équitable, s’ajoute à la liste des blocages pour débloquer une PAN. À l’image d’un Grand Prix, pourquoi ne pas récompenser les naisseurs des douze meilleurs chevaux de l’année ? Le classement, par gains, édité par Hippomundo, donne, dans l’ordre, pour l’année 2022 : Killer Queen VDM, Pacino Amiro, HH Azur (ex Azur Garden’s Horse), Leone Jei (ex Hay El Desta Ali), Tobago, King Edward Ress, DSP Chakaria (ex Carelia), Gamin Van't Naastveldhof, Monaco, Ben 431 et Unick du Francport. Des chevaux, certes, connus et performants, mais issus d’élevage somme toute modestes et loin d’être des usines de production.
Pour autant, et même s’il rejoint volontiers Christian Baillet sur la nécessité d’édicter des règles claires et strictes de répartition monétaire, Dominique Mégret, président du club des propriétaires en poste et proche du monde de l’élevage, notamment grâce à l’activité de son épouse, Geneviève, et de fille, Elise, soulève un autre problème. “Le sujet de la prime aux naisseurs est évoqué depuis des années, pour des tas de raisons. Nous parlons d’ailleurs d’une reconnaissance pour les chevaux internationaux et pas seulement français. C’est une thématique assez compliquée. La première question à se poser est la suivante : où est l’intérêt des éleveurs ? De mon point de vue personnel, qui n’est pas celui du Jumping Owners Club (JOC) - puisque nous n’avons pas du tout évoqué cela - la chose la plus importante pour les éleveurs est le fait de conserver le nom d’origine des chevaux. J’ai d’ailleurs évoqué la problématique avec les organisations d’éleveurs internationaux. L’image d’un élevage est liée aux chevaux produits, donc à leurs noms, leur affixe ou leur suffixe. Dans certains pays, les propriétaires acceptent de conserver le nom des chevaux - parfois par déontologie personnelle. Jamais le haras de Clarbec n’a changé le nom de l’un de ses chevaux. Nous considérons que nous avons un devoir vis-à-vis des éleveurs : réaliser les meilleures performances possibles, mais surtout leur permettre de bénéficier d’une reconnaissance. [...] Certains noms sont parfois extrêmement longs et absolument incompréhensibles dans une autre langue. Il faudrait sans doute limiter le nom des chevaux à un nombre de lettres plus court et éduquer les gens, afin qu’ils essayent de trouver des noms qui tiennent la route sur la compréhension internationale”, loue-t-il.
La suite de cet article est disponible ici.
Photo à la Une : Une fois le stade de poulain dépassé, et leurs produits vendus, que reste-t-il aux éleveurs de chevaux de haut niveau ? © Mélina Massias
¹ : Ces totaux ont été calculés à partir des dotations indiqués sur le programme prévisionnel de chaque concours internationaux de saut d’obstacles portant le label 1, 2, 3, 4, 5* ou YH, entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2022. Les sommes versées dans d’autres monnaies internationales ont été converties en euros selon leurs cours respectifs au 26 décembre 2022.