Candy, Folie, Foxy. Qu’ils soient de Nantuel ou de la Roque, tous trois puisent leurs origines dans le Berry, où Claire et Jacques Gouin ont fait prospérer le premier affixe cité, avant de transmettre le flambeau à leur fille, Marie-Laure Deuquet, et leurs deux petits-fils, Arthur et Eliott. Plus au goût du jour que jamais, cet élevage familial bien connu du paysage français n’en finit plus de connaître le succès, grâce au bon sang et à l’intelligence de la barre dont héritent tous les poulains qui y naissent, ou presque. En janvier dernier, quelques jours avant la première victoire en Grand Prix 5* de Folie de Nantuel, et après les exploits de Foxy de la Roque en 2024, Jacques, Marie-Laure, Arthur, Eliott et leur équipe ont confié quelques uns de leurs précieux secrets, au cœur de leur petit coin de paradis. Reportage.
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Depuis 2019, Thara Nantuel a donné quinze poulains, avec une saison 2021 exceptionnelle et sept embryons récoltés. Pour autant, l’ambition affichée n’est ni de dilapider cette précieuse génétique, ni de l’exploiter outre-mesure. D’ailleurs, l’alezane n’aura pas de nouveaux produits en 2025. “Nous changerons peut-être d’avis, mais nous ne ferons probablement pas d’ICSI avec Thara”, expose Arthur. “Si Thara nous donne encore un ou deux embryons, nous serons déjà très contents”, renchérit Marie-Laure. Pour poursuivre l'œuvre de leur mère, les filles de l’alezane ne manquent pas. Le trio peut ainsi compter sur neuf descendantes de leur pépite, toutes avec un père différent ! De quoi envisager l’avenir sereinement. D’ailleurs, Isba de Nantuel (Chilli Willi), l’une des filles de Folie, a remporté le Grand Prix des sept ans au CSI de Royan, fin février sous la selle d’Arthur, avant d’enchaîner par une nouvelle victoire, cette fois face à trente-quatre autres barragistes (!) au Mans, fin mars, tandis que son frère utérin, Loveur de Startup (Chacoon Blue), quatre ans, fait sensation depuis le testage des étalons Selle Français en fin d’année dernière. “Si on regarde les poulains de Thara, aucun n’est raté !”, s’enthousiasme, à raison, Arthur.
Pendant que sa mère enchaîne les victoires à sept ans, Nosy Be de Nantuel, une fille d'Inshallah de Muze et petite-fille de Folie de Nantuel, continue de grandir sur ses terres natales. © Mélina Massias
Dans leurs choix de croisements, Marie-Laure, Arthur et Eliott s’attachent à préserver les qualités de cette lignée et le travail de Jacques Gouin. “Nous essayons de trouver des étalons avec des lignées françaises ou ayant au moins une part de sang français. C’est pour cela que nous avons, par exemple, utilisé Dexter de Kerglenn. Mais il y a plein d’autres étalons qui nous donnent envie. Les chevaux étrangers peuvent potentiellement avoir plus d’aptitudes, mais n’ont pas forcément la même mentalité”, raisonne Eliott. Toutefois, pour l’heure, Thara n’a aucune fille Selle Français Originel, comme elle. La faute, sans doute, à un manque d’options suffisamment convaincantes pour produire pour le plus haut niveau, avec un intérêt commercial, le tout sans sang de Diamant de Semilly, omniprésent du côté des SFO et déjà père de Thara.
De Chevrier à Nantuel, d’excellentes reproductrices
Chaque année, en moyenne, entre huit et quinze poulains découvrent la vie à Corquoy. Mais tous ne descendent pas de Thara, de ses filles ou petites-filles. Shiva de Nantuel, jument de cœur d’Eliott, est une autre des toutes bonnes héritières de Royaltie III à faire sa place au sein de l’affixe. L’alezane a ainsi donné l’étalon olympique Boreal Nantuel (Diamant de Semilly), alias Darshan, vu à Tokyo en 2021 avec l’Egyptien Mohammed Talaat et vice-champion de monde à six ans sous la selle de Harm Lahde, ou encore Gerico (Diamant de Semilly) et Ice Cream de Nantuel (Luidam), tous deux ISO 140 et âgés de neuf et sept ans. Comme pour Thara, la majeure partie des descendants de Shiva est encore jeune et laisse présager de belles choses pour l’avenir. “Shiva était très respectueuse, mais aussi très rigide. Elle a très bien sauté jusqu’à 1,40 et 1,45m, et reproduit désormais très bien également. Nous lui avons fait faire pas mal de transferts d’embryons. Elle n’aura pas autant de produits que Thara, mais sa production est assez homogène et montre de la qualité”, apprécie Eliott. “Nous avons plusieurs poulinières, mais si nous devions en retenir deux, ce serait Thara et Shiva”, souligne Marie-Laure.
Parfois dans l'ombre de Thara, Shiva de Nantuel ne démérite pas à l'élevage. © Mélina Massias
La précieuse alezane d'Eliott Deuquet est notamment la mère de Darshan, alias Boréal de Nantuel, ici en action lors des Jeux olympiques de Tokyo ! © Dirk Caremans / Hippo Foto
La souche d’Urcanute, la mère d’un certain Tobago Chevrier, continue également de grandir et de faire ses preuves à Nantuel. “Royaltie était ma jument, mais papa l’a récupérée à l’élevage. J’avais envie de suivre ses traces et de me lancer, moi aussi, dans cette activité. J’ai donc acheté Ucarnute lors d’une vente aux enchères, à Fences, alors qu’elle était pleine de Clinton. J’ai eu un coup de foudre pour elle et j’étais fan de Clinton. Elle a donné Tobago Chevrier, le tout premier cheval que j’ai fait naître”, évoque Marie-Laure, avec beaucoup d’émotion. Grand espoir sous la selle de Pénélope Leprevost, puis trop tôt retraité et à l’origine d’une production intéressante en tant qu’étalon, le charmant gris a eu cinq frères et soeurs dont Valencia Chevrier (Quality Touch), présentée jusqu’à 1,45m par Eliott, Argentina Chevalier (Kalaska Semilly), classée jusqu’à 1,50m avec Arthur, la toute bonne Bogota Nantuel (Dollar dela Pierre), exportée outre-Atlantique où elle a concouru jusqu’en Grand Prix 4* avec l’Américaine Kayla Savard, ou encore l’étalon Colorado Nantuel (Ugano Sitte), disparu prématurément. “Intrinsèquement, en termes de moyens et d’influx, Valencia avait beaucoup de potentiel”, estime Eliott. “À huit ans, Argentina, quant à elle, était classée à 1,50m. C’était une vraie bonne jument. Certes, elle avait des défauts que n’ont pas les autres souches de Nantuel, mais avait de gros moyens et une assez bonne tête, même si elle pouvait facilement commettre une faute”, complète Marie-Laure. “Bogota, elle, est sûrement la plus surprenante. Elle était petite, avait une mauvaise technique et nous pensions qu’elle deviendrait une bonne jument d’1,15 ou 1,20m. Nous lui avons fait faire deux poulains, Ghana et Farra de Nantuel, puis nous l’avons mise au sport à sept ans.” Et Eliott de poursuivre : “Son physique s’est mis en route, puis elle est passée d’épreuves à 1,10m à 1,30m.” Jusqu’à atteindre ses premiers parcours à 1,60m sur la scène internationale !
Jacques Gouin offre une caresse à Ghana de Nantuel, une petite-fille d'Urcanute, la première jument de sa fille Marie-Laure. © Mélina Massias
Si Valencia a donné un poulain pour l’affixe de Nantuel, avant de produire pour celui d’Aubigny, la très plaisante Ghana attend un quatrième poulain, cette fois par Cashpaid J&F, tandis que la grande Argentina a été mariée à Check In après avoir été croisée à Quel Homme de Hus, Dollar dela Pierre, Candy de Nantuel et Ogrion des Champs. La famille Deuquet a également investi dans un embryon d’Eldorado vd Zeshoek et France de Hus, la mère de Flagship de Hus, qu’Arthur, Eliott et Marie-Laure avaient particulièrement appréciée sous la selle de Grégory de Wathelet, et sœur utérine de Banda, l’ancienne complice de Kevin Staut au plus haut niveau. Après avoir porté son premier poulain l’an dernier, Kenya de Nantuel devrait être valorisée sportivement dans les prochains mois. Côté sentimental, Olita de la Luth (ISO 148, Nidor Platière x Jasmin), la dernière jument de concours de Marie-Laure, a aussi eu plusieurs produits, dont une seule pouliche, baptisée Mada de Nantuel et fille, évidemment, de Tobago Chevrier.
Marie-Laure Deuquet a fait faire quelques poulains à sa chère Olita de la Luth, sa dernière jument de compétition, qui coule une paisible retraite dans les prés de l'élevage. © Mélina Massias
Des choix de croisements réfléchis
“Une bonne poulinière ne fait pas juste un bon poulain, elle présente de l’homogénéité dans sa production. Lorsque nous avons pris la suite de papy à l’élevage, nous avions la chance d’avoir du recul sur chaque jument. Certaines ont arrêté la reproduction, tandis que nous en avons mis d’autres en avant, comme Thara. Une bonne poulinière croise bien avec n’importe quel étalon, ou presque !”, expose Eliott avec sagesse. Et en matière de choix de croisements, la troupe de Nantuel finit toujours par trouver un terrain d’entente après mûres réflexions et en se basant sur différents critères. Le premier d’entre eux ? La fertilité. “Nous privilégions les étalons fertiles, qui apportent les qualités que l’on peut rechercher en fonction des juments, ou du moins de détériore pas leurs atouts”, poursuit-il. Et Marie-Laure de reprendre : “Il y a de très bons chevaux de sport, qui ne sont pas forcément améliorateurs en tant que pères, et, inversement, certains chevaux qui passent plus inaperçus alors qu’ils ont des choses à transmettre à l’élevage. Nous favorisons les étalons qui ont fait leurs preuves, tout en misant sur quelques jeunes. Mais cela représente une prise de risque et l’aspect chance reste important en élevage.” Arthur, Eliott et Marie-Laure ont ainsi fait confiance, par exemple, à Honduras La Silla (Mylord Carthago x Corrado I), dont ils apprécient la souche - celle de Diarado, C-Jay 3 et Corofino - et qu’ils connaissent bien, grâce à leurs liens étroits avec Pierre Valette, son éleveur et l’inséminateur des reines de Nantuel.
Le sang de Mylord Carthago, dont l'origine trouve aussi sa source dans le Cher, à l'élevage de Solange Planson, est plébiscité à Nantuel, que ce soit de façon directe, comme ici avec Nabucco, un fils de la propre sœur de Folie de Nantuel, ou avec l'utilisation d'étalon comme Dexter de Kerglenn ou Honduras La Silla. © Mélina Massias
Autre point de vigilance : le statut ostéo-articulaire. “Aujourd’hui, tout est important, et notamment les visites vétérinaires”, sait Marie-Laure. Au-delà du choix des reproducteurs, toute l’équipe de Nantuel veille aussi à l’alimentation et aux conditions de vie de ses protégés. “Nous nourrissons de façon traditionnelle, avec une base d’orge et d’avoine aplaties, mais nous nous sommes associés à Lambey, qui a mesuré toute nos rations et les a équilibrées avec des compléments et granulés, pour les poulains de six mois, un an, deux ans, trois ans et les poulinières. Papa aimait vraiment beaucoup nourrir ses chevaux, peut-être trop, donc lorsque nous avons repris l’élevage, Benoît et moi avons remis les choses en ordre d’un point de vue alimentaire”, détaille-t-elle. “Nous mettons de l’engrais dans toutes les parcelles dans lesquelles nous faisons le foin. Comme disait Jean-Maurice Bonneau : ‘si on fait déjà tout bien, on n’est pas sûr d’y arriver, alors si on ne fait pas choses correction, on est sûr de se louper’. Nous avons beau mettre toutes les chances de notre côté, nous essuyons aussi des échecs, comme tout le monde, mais compte tenu de la souche assez incroyable que nous avons, nous avons envie de prouver que nous sommes capables de faire perdurer l’élevage de Nantuel.”
L'alimentation de tous les chevaux de l'élevage est étudiée avec précision. © Mélina Massias
Du travail et des rêves en famille
“Notre grand-père a beaucoup investi pour créer cette souche. Nous avons la lourde responsabilité de poursuivre, voire améliorer son travail. Il y a une part de pression, mais avec une jument comme Thara, on ne voit pas trop de défauts dans sa production ! On ne peut qu’être reconnaissant envers notre grand-père d’avoir créé tout cela. À nous de peaufiner les détails”, se projette Arthur. Le trio a déjà le regard tourner vers l’avenir et sait qu’il doit anticiper les évolutions du sport pour rester dans le coup et voir, dans dix ans, les dernières générations made in Nantuel continuer à briller. “Comme le dit Guillaume Ansquer, il ne faut pas penser à produire des chevaux pour aujourd’hui, mais pour demain”, résume Arthur. “Notre grand-père disait toujours ‘le sang, le sang, le sang’. Il faudra des chevaux toujours plus rapides, toujours plus respectueux, tout en gardant de la force. Malgré le côté léger et délicat des parcours, ils deviennent de plus en plus hauts. Je trouve que l’on est en train de tendre vers un mixe entre l’ancienne époque, avec un côté massif et haut, et la modernité, avec de la finesse dans la construction des parcours. Je pense que cela va continuer dans ce sens dans les prochaines années.” Et Marie-Laure d’abonder en ce sens : “Aujourd’hui, il faut que les chevaux aient tout : force, moyens, rapidité, équilibre, mental. Il suffit de voir le parcours de la finale individuelle des derniers Jeux olympiques pour comprendre !”
Lauréate de son premier Grand Prix 5* en début d'année, Folie de Nantuel a encore de belles heures à vivre avec Scott Brash. © Mélina Massias
Malgré les sacrifices, les déceptions, les joies et les peines, la passion règne et rayonne chez toutes les personnes qui continuent de faire grandir et prospérer l’affixe de Nantuel. Conscients du trésor qui se trouve entre leurs mains, Eliott, Arthur et Marie-Laure peuvent prendre quelques instants pour savourer leurs réussites actuelles, emmenées par Folie et sa fille, Isba, pour ne citer qu’elles. Et puis, sans tarder, tous trois se remettront inlassablement au travail, en quête de leurs rêves les plus fous. “Je ne sais pas exactement quel est mon rêve, mais, de manière générale, j’ai envie que nous continuions d’évoluer, de faire grandir l’élevage. J’aimerais que notre affixe gagne en poids, en reconnaissance, et que nous donnions les meilleures chances possibles à nos chevaux, que ce soit sous notre selle ou celle d’autres cavaliers. C’est ce qu’il y a de plus beaux à mes yeux”, commence Eliott. “Olivier Perreau et Dorai d’Aiguilly ont une belle histoire. Olivier a élevé sa jument avec ses parents. Ils ont réussi à créer quelque chose, jusqu’à aller chercher une médaille olympique. Passé du poulain à une médaille olympique, c’est la consécration ultime pour un cavalier et un éleveur ! Mélanger les deux est l’une des plus belles joies que l’on peut avoir dans sa vie”, confie, quant à lui, Arthur. Et Marie-Laure de conclure : “Certaines personnes travailleront quarante ans de leur vie sans jamais avoir ce que nous avons. Nous avons un trésor extraordinaire. Ce que j’aime, c’est suivre l’évolution des poulains, de zéro à trois ans, leurs premiers sauts en liberté, puis leur évolution sur les circuits de quatre, cinq, six et sept ans, et les voir, ensuite, atteindre le haut niveau. C’est mon ADN. Je rêve de voir mes fils monter de très bons chevaux de l’élevage et d’évoluer au meilleur niveau possible. Aujourd’hui, le sport est beaucoup plus segmenté ; je ne sais pas s’ils arriveront aux sommets, mais imaginer les croisements et amener les poulains qui en sont le fruit jusqu’à sept, huit ou neuf ans est déjà formidable. Je trouve qu’Eliott et Arthur font un beau métier. Avoir élevé les enfants et les poulains est une double récompense !”
Jacques Gouin a transmis sa flamme et sa passion à sa fille, mais aussi à ses petits-fils, Arthur et Eliott, qui poursuivent aujourd'hui son œuvre avec fierté. © Mélina Massias
Photo à la Une : Malgré l'absence de Serge Letallic, qui assure la surveillance de l'élevage tous les week-ends, presque toute l'équipe de Nantuel, de Benoît Coulon à Eliott, en passant par Arthur, Marie-Laure Deuquet, Ericka Delaye, qui a travaillé à Corquoy durant plusieurs mois cet hiver durant la convalescence de Benoît, et, évidemment Jacques Gouin, à l'origine de ce florissant affixe, entourent Argentina Chevrier. © Mélina Massias