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“Je rêve de continuer à vivre ces émotions auprès des chevaux”, Susana García Cereceda Epaillard (2/2)

Susana Garcia Cereceda Epaillard ne peut qu'éprouver de la fierté à voir son produit maison, Donatello d'Auge, exceller au plus haut niveau.
samedi 12 avril 2025 Mélina Massias

À Bâle, début avril, Julien Epaillard et Donatello d’Auge ont écrit l’histoire. Le Normand et son Selle Français Originel sont devenus le deuxième couple français à se hisser au sommet d’une finale de la Coupe du monde de saut d’obstacles. Une réussite qui n’aurait pas été possible sans une femme : Susana García Cereceda Epaillard. Diplômée de l’Université de Madrid en sciences politiques et sociologie, l’Espagnole, épouse du numéro quatorze mondiale depuis vingt ans, est très attachée à la Normandie, où elle a établi le haras de la Bosquetterie, dans un lieu acquis en 1999. C’est elle qui a fait naître l'exceptionnel Donatello d’Auge, fils de Jarnac et Tequila d’Auge, par Hello Pierville, son cheval de cœur. Trois jours après un tour d’honneur inoubliable, Susana García Cereceda Epaillard revient sur cette réussite avant tout collective, l’itinéraire de son Selle Français Originel ainsi que ses rêves et souhaits pour l’avenir.

La première partie de cet entretien est à (re)lire ici.

À quel moment avez-vous compris que Donatello était hors du commun ?

Donatello a toujours bien sauté. On le voyait dans la façon dont il approchait l’obstacle, dont il se dépliait. Parmi un lot de chevaux, il n’était pas comme les autres. On ne commence pas à faire sauter les chevaux ni à deux ans, ni à trois ans. On attend généralement quatre ans, mais, dès ce moment-là, on a toujours su qu’il sautait très bien. C’est aussi pour cela que je ne voulais pas le castrer. Je pensais déjà qu’il s’agissait d’un très bon cheval. Donatello avait une force et une envergure peu communes. Nous n’avons donc pas été surpris par son talent et ses qualités ! Nous avons ensuite géré sa formation, sans exiger de résultats. Lorsque notre cavalier jeune chevaux de l’époque, Severin Sigaud, qui travaille toujours à nos côtés, a fait son dernier concours avec Donatello, Julien lui avait dit de ne pas aller trop vite au barrage, qu’il était préférable de ne pas prendre trop de risque et de réussir un double sans-faute pour leur dernière sortie ensemble. Finalement, il a terminé troisième du Grand Prix 2* de Saint-Lô (en octobre 2021, ndlr) ! Ensuite, j’ai pris les rênes de Donatello et nous sommes allés à Oliva début 2022. J’ai fait quelques parcours à 1,30, 1,35m avec lui et, rapidement, j’ai dit “Julien doit récupérer ce cheval” ! Chaque fois qu’on approchait un obstacle, on sentait quelque chose de différent. Julien a donc pris la suite et l’a amené jusque là. Donatello est le cheval qui a le plus gagné de sa génération. Il a un pilote extraordinaire, et cela fait souvent la différence dans les résultats. Donatello a eu de la chance sur ce point. Malheureusement, il arrive que des chevaux passent à côté de leur carrière parce qu’ils ne trouvent pas le bon cavalier. 

À Bâle, Julien Epaillard et Donatello d'Auge n'ont rien lâché, jusqu'à soulever la Coupe ! © Mélina Massias



Selon vous, quelles sont les plus grandes qualités du couple que forment Julien Epaillard et Donatello d’Auge ? 

Je pense que c’est la confiance. Julien est un pilote extraordinaire. Grâce à la façon dont il fait les choses, les chevaux sont en confiance avec lui. Dans son travail, il cherche toujours la complicité du cheval. Il ne se bagarre jamais avec les chevaux. Il parvient à faire en sorte qu’ils lui donnent tout. Je pense que la confiance est ce qu’il y a de plus important au monde, autant avec les personnes qu’avec les animaux. Si on a la confiance d’un animal, on peut compter sur lui. C’est pareil avec les gens. On a besoin de cette valeur avec les animaux, mais aussi avec les humains. À mes yeux, la confiance est plus importante que l’amour, plus belle. Dire “j’ai confiance en toi” est encore plus fort que de dire “je t’aime”, car cela veut dire que l’on croit vraiment en la personne à qui l’on dit cela. À Bâle, je sentais que Donatello et Julien avaient confiance l’un en l’autre. Et moi, j’avais confiance en eux. Je savais que Julien ne craquerait pas. Il ne pouvait pas ! J’en avais la chair de poule. Ce sont des moments uniques, que l’on aura au moins vécus une fois dans notre vie ! Donatello a les moyens, mais si on devait lui trouver un petit défaut, ce serait un manque de sang. Alors, Julien avait à coeur de tout parfaitement gérer jusqu’au dernier jour. Mais la confiance est la plus grande qualité de leur couple. L’un ne va jamais laisser tomber l’autre, et inversement. Donatello a tout donné lors de cette finale. Il a voulu aller au bout et l’a fait avec sa tête et son cœur. Julien l’a accompagné jusqu’au dernier saut. Il n’y avait aucune place au doute entre eux deux. J’ai toujours été cavalière amateure et j’ai beaucoup de doute, tout le temps. Là, on avait la sensation que Julien et Donatello ne doutaient pas ! Ils étaient sereins, en sécurité. C’est incroyable. Il arrive que l’on perçoive des signes de tension sur le visage des cavaliers, surtout dans les grandes échéances. Tout au long du week-end à Bâle, que j’ai passé aux côtés de Julien, je n’ai rien vu de tout cela. Lorsqu’il a pris la décision de ne pas courir le barrage vendredi soir, il était sûr de lui, sûr de faire le bon choix pour son cheval. Il n’y avait pas de doute. Peut-être qu’avec un autre cheval, avec d’autres qualités, il aurait opté pour une stratégie différente. Mais il connaît Donatello par cœur. Julien sait s’adapter au cheval qu’il monte, et il en a connu beaucoup dans sa vie. 

La confiance qui règne entre Donatello d'Auge et son cavalier est l'une de leur plus grandes forces. © Sportfot

Outre Donatello et Gisèle d’Auge, Tequila d’Auge a trois autres produits, nés en 2020, 2022 et 2024. Comment sont-ils ? 

Ils sont encore tout jeunes et ne sont pas encore montés ! Nous avons eu du mal à remplir Tequila pendant quelques années. Mallorca, sa fille par Mylord Carthago, est très belle, tout comme Onatella, par Cornet du Lysqui n’a pas encore un an et qui est aussi très, très belle. Mais toutes deux sont très jeunes. En plus de Donatello, seule Gisèle est au travail parmi les poulains de Tequila.

Gisèle d'Auge, ici sous la selle de Severin Sigaud, qui a aussi formé son frère utérin, Donatello d'Auge, fait le bonheur de son éleveuse, Susana Garcia Cereceda Epaillard. © Pixels Events

A-t-elle porté ses poulains elle-même ou avez-vous eu recours au transfert d’embryons ?

Jusqu’à 2022, elle a porté tous ses poulains elle-même. Mais je ne souhaite plus qu’elle le fasse. L’élevage est quelque chose de difficile. On a de belles et bonnes juments, et j’en ai perdu quelques unes en raison d’un mauvais poulinage. Quand cela arrive, on souffre. Perdre une jument au poulinage est très, très dur. Depuis l’année dernière, Tequila ne porte plus ses poulains. Mais, la seule raison pour laquelle j’ai recours aux transferts d’embryons est d’éviter les accidents lors du poulinage. Je ne cherche pas à avoir trois ou quatre produits de la même mère la même année. 

La sublime Onatella d'Auge, sœur utérine de Donatello d'Auge par Cornet du Lys. © Collection privée

Quand avez-vous commencé à élever ?

Oh, il y a longtemps ! J’ai acheté le terrain où nous avons fondé le haras de la Bosquetterie en 1999. Cela fait donc vingt-cinq ans que j’ai le haras. Avant cela, j’avais déjà des chevaux depuis sept ou huit ans, en pension dans un endroit à côté. Finalement, cela fait presque trente ans ! Cela fait donc un bout de temps que je vis ma passion. Les chevaux font partie de ma vie.



Avec Donatello et Usual Suspect d’Auge (Jarnac x Papillon Rouge), deux chevaux issus de votre élevage ont participé à la finale de la Coupe du monde. Que cela représente-t-il pour vous ?

J’éprouve de la fierté, mais je suis aussi consciente d’avoir eu de la chance. Avec l’élevage et les chevaux, on ne peut pas tout maîtriser, tout prédire. J’ai eu la chance d’avoir deux bons chevaux avec Usual Suspect et Donatello, deux fils de Jarnac. Je me rappelle très, très bien de cet étalon (disparu le 19 mars dernier, ndlr). Le père de Jarnac, Ryon d’Anzex, défendait les couleurs de l’équipe espagnole. J’ai donc connu une partie de la famille de Jarnac ! Usual Suspect et Donatello se sont révélés être deux des, sinon les deux meilleurs produits de Jarnac en termes de résultats ! Usual Suspect était un cheval très chaud, très compliqué. Il ne voulait pas entendre parler des obstacles d’eau. C’était un vrai chat. Les concours extérieurs étaient plus délicats pour lui et il n’aimait pas sauter la rivière, ce qui n’est pas un problème pour Donatello. Nous n’avons pas forcé Usual Suspect avec la rivière et l’eau. Comme Julien avait connaissance de cela, il n’a jamais essayé de faire partie de l’équipe de France et il a décidé de ne pas le contraindre. Il s’est adapté à lui, et choisissait les compétitions où il n’y avait pas de rivière pour lui. Il n’était pas aussi complet que Donatello, mais il était, lui aussi, extraordinaire. 

Donatello n'est pas le seul représentant de l'affixe d'Auge à avoir affronté une finale de la Coupe du monde : Usual Suspect, lui aussi gagnant en Grand Prix 5* et fils de Jarnac, en a fait de même ! © Dirk Caremans / Hippo Foto

Même si vous ne l’avez pas élevé, Easy Up de Grandry est aussi un fils de Jarnac. Ce courant de sang semble bien réussir à Julien Epaillard…

Oui, Easy est aussi un Jarnac ! C’est le hasard, car nous n’avons pas spécialement cherché des produits de Jarnac. J’espère bien qu’Easy nous fera aussi rêver. Il est en train d’évoluer d’une manière fantastique et Julien croit en lui. Jarnac est décédé cette année, mais ses poulains lui font honneur. 

Easy Up de Grandry a de sacrées sources d'inspiration à la Bosquetterie, et semble en faire bon usage. © Mélina Massias

Après cette consécration décrochée à Bâle, de quoi rêvez-vous pour la suite, pour votre élevage, pour Donatello d’Auge et Julien Epaillard ?

À court terme, nous avons l’objectif des championnats d’Europe. Mais, d’une manière générale, nous rêvons de continuer à vivre nos vies comme nous l’avons fait ces vingt-cinq dernières années. Nous adorons les chevaux, faire des concours. Julien continuera à concourir toute sa vie, même si ce n’est pas au plus haut niveau. On rêve simplement de continuer à vivre ces émotions auprès des chevaux. J’essaye de continuer à faire naître quelques poulains qui me font rêver. Le 27 avril, Julien et moi célébrerons nos vingt ans de mariage. Le haras de la Bosquetterie est une vraie affaire de famille. Brieuc, le fils aîné de Julien, travaille avec nous à l’écurie. Il monte les jeunes chevaux, et je suis très heureuse qu’il soit avec nous. Luis, notre fils à Julien et moi, adore les chevaux mais n’aime pas monter à cheval. Il ne sera pas cavalier et empruntera une autre voie. Je souhaite que nous continuions à être soudés, à nourrir de grands espoirs et à rêver de beaux résultats. Nous n’avons pas vu le temps passer ces vingt-cinq dernières années, parce que nous avons été heureux tout du long ! Julien est un excellent cavalier depuis toujours. Il était temps qu’il décroche un titre comme celui-ci et il le méritait. C’est le plus beau résultat en date de sa carrière. C’est aussi la preuve que la carrière d’un cavalier de saut d’obstacles est longue. Rodrigo Pessoa a remporté trois finales de la Coupe du monde, dont la dernière il y a vingt-cinq ans, en 2000. Dans un article, il disait rêver d’être de la partie pour la prochaine finale, au Texas, l’an prochain. Dans quel autre sport un athlète peut-il dire cela, avoir une chance de réaliser un nouveau résultat majeur, avec vingt-cinq ans d’écart ? C’est une chance terrible ! Finalement, c’est ce que j’attends de l’avenir : continuer à rêver. Si les résultats arrivent, ce sera fantastique, mais si ce n’est pas le cas, nous aurons rêvé. C’est le chemin qui compte.

Auprès de Julien Epaillard et de ses chevaux, Susana Garcia Cereceda Epaillard rêve de continuer à vibrer et vivre de grands moments d'émotion. © Mélina Massias

Photo à la Une : Susana Garcia Cereceda Epaillard ne peut qu'éprouver de la fierté à voir son produit maison, Donatello d'Auge, exceller au plus haut niveau. © Mélina Massias