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“Je préfère lorsque mes juments portent elles-mêmes leurs poulains”, Rikke Belinda Barker (2/2)

Rikke
mardi 11 juin 2024 Mélina Massias

Soutenue par ses parents et sa famille, pourtant complètement étrangers à la sphère équestre il y a encore quelques années, Rikke Belinda Barker s’est progressivement fait une place parmi l’élite du saut d’obstacles. De sa première Coupe des nations en CSIO 5* à l’été 2022, à son premier grand championnat Sénior un an plus tard à Milan en passant par sa première victoire en Grand Prix 5* en fin d’année dernière, la sympathique jeune femme s’est forgé une première expérience de choix grâce à la complicité de son cher Tabalou PS, un fils de Taloubet K dont elle est tombée amoureuse voilà quatre ans. Installée en Belgique, au sein des écuries de son compagnon et entraîneur Steve Tinti, l’amazone de vingt-neuf ans mène de front sa carrière à haut niveau et son emploi au sein de l’entreprise familiale. Discrète et encore peu connue du grand public, celle qui est passée par les écuries de Rolf-Göran Bengtsson et Nelson Pessoa tend à s’affirmer encore davantage. L’avenir s’écrira même peut-être aux rênes de l’un des poulains du haras de Soualem, où l’étoile montante de la bannière danoise fait naître chaque année quelques prometteurs produits. Une rencontre à découvrir en deux parties.

Le premier épisode de cette interview est à (re)lire ici.

Sur quels autres chevaux pouvez-vous compter pour épauler Tabalou au plus haut niveau ?

J’ai un très chouette étalon qui s’appelle Icloud (Calmando x Clearway). Nous ne l’avons que depuis un peu plus de six mois, donc je ne le connais pas encore assez bien pour l’engager dans les épreuves majeures. Mais je pense que cela arrivera bientôt et qu’il sera d’une grande aide pour permettre à Tabi de ne pas avoir à sauter toutes les grosses épreuves.

Le tout bon Icloud est l'un des espoirs du piquet de Rikke Belinda Barker. © Sportfot

Quid de Empire SBK (Elvis Ter Putte x Quintero), huit ans ? 

Il est assez vert. Je l’ai depuis qu’il a cinq ans, mais il a toujours tout fait avec une telle aisance que nous ne lui avons jamais fait faire beaucoup de concours. À Fontainebleau, il disputait son troisième concours de l’année. Maintenant que les obstacles sont un peu plus hauts, on ressent un peu plus son manque d’expérience, mais il a beaucoup de moyens et donne toujours le meilleur de lui-même. Je pense que c’est un très bon cheval pour l’avenir, mais il a un peu de retard pour l’instant. Cela ne m’inquiète pas. Il est jeune et a le temps. Il va profiter des super expériences offertes par les beaux concours sur lesquels nous pouvons nous rendre. C’est très excitant pour la suite.

Le jeune Empire SBK est en pleine progression sous la selle de sa cavalière. © Mélina Massias

“Mon étalon préféré est Mylord Carthago”

Vous êtes également à la tête du haras de Soualem, où vous prenez plaisir à faire naître et voir grandir plusieurs poulains chaque année. Comment vous êtes-vous lancée dans cette aventure ?

Beaucoup de juments que je montais en Junior, Jeune cavalier et au début de ma carrière Sénior, ont pris leur retraite. Quoi qu’il arrive, j’allais continuer à les entretenir comme il se doit au pré. Alors, je me suis dit que l’on pourrait joindre l’utile à l’agréable avec des poulains. C’était l’idée initiale. Désormais, nous avons environ quarante-cinq chevaux. On a un peu perdu le contrôle ! (rires) Les premiers poulains commencent à prendre de l’âge et voir ce qu’ils donnent sous la selle est chouette. La plus âgée que nous avons à la maison a six ans. C’est une vraie sauteuse. Elle a beaucoup de sang et est très moderne dans son modèle. J’ai hâte de voir ce que nous réservent les deux, trois prochaines années, afin que nous puissions juger de leurs qualités respectives. Monter les fils et filles après avoir aussi concouru avec leurs mères est plaisant. Je vois beaucoup de points communs entre mes juments et leurs produits.

Après sa carrière sportive, Quarelie de la Louvet a intégré le programme de reproduction lancé par Rikke Belinda Barker. © Sportfot

Comment gérez-vous la partie élevage de votre activité ? Quelqu’un vous vient-il en aide ?

Oui, le secrétaire de Steve est super et m’aide beaucoup. Cette année, nous n’avons pas encore inséminé la moindre jument (entretien réalisé le 26 avril, ndlr). Je suis tellement concentrée sur le sport que j’ai du mal à tout faire. La saison n’est pas encore terminée, donc on peut encore inséminer certaines juments.



Avez-vous recours au transfert d’embryons ou d’autres techniques de reproduction avancées ?

Nous avons procédé à quelques transferts et avons également utilisé l’ICSI une fois sur deux juments. Personnellement, je préfère lorsque mes juments portent elles-mêmes leurs poulains. L’une de mes juments a eu cinq poulains. Lors de son cinquième poulinage, la personne qui s’occupe de cette partie-là m’a avertie que la mise bas avait été un peu difficile. De fait, cette jument ne portera plus de poulains elle-même et nous aurons recours au transfert d’embryon, mais lorsque cela est possible, je préfère qu’elles le fassent. Je pense que c’est une belle expérience pour elle. Voir les juments tisser un lien avec leurs poulains nouveaux nés est simplement adorable. 

Quels étalons aimez-vous utiliser ?

Mon étalon préféré est Mylord Carthago. Il produit des chevaux assez similaires dans la qualité. Ils peuvent être un peu raides, mais ils semblent tous avoir un mental de lion et j’adore ça ! Mais j’utilise beaucoup d’étalons différents : Emerald van’t Ruytershof, Conthargos, Elvis Ter Putte, etc. Il y a plein de choix possibles et de nombreux bons reproducteurs. Toutefois, ma préférence serait évidemment Tabalou ! (rires)

Mylord Carthago fait partie des étalons qu'apprécie particulièrement Rikke Belinda Barker, mais le Selle Français n'est pas le seul à attirer ses faveurs. © Mélina Massias

Combien de poulinières composent la base de votre élevage ?

Nous avons quatre juments principales. Parfois, lorsque nos pouliches prennent trois ans et qu’elles présentent une bonne lignée maternelle, nous les inséminons afin qu’elles poulinent à quatre ans. Cela leur permet de finir leur croissance et d’attaquer le sport plus tard. Je trouve que c’est une bonne option. Si elles sont trop petites à trois ans ou qu’elles ne nous semblent pas prêtes à être mères, nous ne le faisons pas.

“Trouver un chouette cheval, qui ait du potentiel pour le futur, est devenu extrêmement coûteux”

De plus en plus de cavaliers s’intéressent et s’impliquent dans l’élevage à différents niveaux depuis quelque temps. Selon, qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

C’est une bonne question. Je pense qu’il s’agit peut-être d’un mélange entre le fait de vouloir élever parce qu’on a les bonnes juments à disposition et que cela créer une belle histoire, et aussi par rapport à l’aspect financier. Les prix des bons jeunes chevaux ont doublé voire triplé ces dernières années. Trouver un chouette cheval, qui ait du potentiel pour le futur et soit en bonne santé est devenu extrêmement coûteux. Je pense que cela joue un rôle dans le fait que les cavaliers s’intéressent de plus en plus à l’élevage.

Quitha Blue fait partie des poulinières de l'élevage de Soualem. © Sportfot

L’arrivée de ces nouveaux cavaliers éleveurs, qui ont souvent accès à de très bonnes juments, la présence de quelques élevages extrêmement productifs et la recrudescence des ventes d’embryons et autres génétiques recherchées vous semble-t-elle laisser une place aux petits éleveurs qui font naître un, deux ou trois poulains par an ?

Oui, je le pense. Bien sûr, si l’on fait naître cinquante poulains par an, on a plus de chances d’avoir ce cheval spécial. Cela étant, je pense que les petits éleveurs apportent plus d’attention à leurs choix de croisements, afin de faire correspondre parfaitement un étalon à une jument donnée. Avec cinquante juments, il est, par exemple, facile de se dire “on va utiliser cet étalon pour la moitié ou toutes les juments cette année”. Je pense que les réflexions sont un peu différentes en fonction de l’échelle à laquelle on élève. En tout cas, c’est mon sentiment, sans prétendre qu’il s’agit d’une vérité absolue applicable à tout le monde ; je n’ai moi-même pas autant de juments. Dans mon cas, j’essaye vraiment de considérer les faiblesses de mes poulinières pour essayer de les combler aussi bien que possible avec le bon étalon. J’imagine que les autres petits éleveurs ont possiblement la même façon de réfléchir.



Avec un accès facilité à quelques grandes souches extrêmement utilisées et étalons en vogue, notamment à travers le commerce d’embryons et l’ICSI, selon vous, à quoi va ressembler l’avenir de l’élevage ? 

Pour être honnête, je ne sais pas trop. Je pense que l’ICSI est une super façon de faire de la reproduction. Dans le même temps, cela ne me semble pas très naturel. Lorsqu’on insémine une jument, la semence la plus “forte” est celle qui “gagne”. L’ICSI se pratique sous un microscope… C’est donc le spermatozoïde choisi par l’homme qui l’emporte. Je ne sais pas si cela aura des conséquences dans le futur. Nous ne le savons pas encore, car cette technique est encore toute nouvelle. En tout cas, c’est un point d’interrogation à mes yeux. Toutefois, je n’ai rien contre l’ICSI, puisque j’y ai eu recours. Lorsqu’on voit que certaines juments ont vingt poulains par an, cela devient un peu exagéré. Il y a des limites à l’ICSI, mais je trouve que c’est une très bonne option d’élevage.

“Les Jeux olympiques sont l’un de mes grands rêves”

L’équipe danoise de saut d’obstacles obtient de plus en plus de belles performances au plus haut niveau. Quelles sont selon vous les forces et faiblesses de votre collectif national ?

Je suis d’accord. J’ai de super collègues ! Nous avons un excellent esprit d’équipe. Je pense que l’une de nos faiblesses est que beaucoup de nos cavaliers vivent du commerce. Alors, lorsqu’ils ont une offre, ils vendent leurs chevaux. Je suis dans une position très chanceuse, où je peux conserver mes chevaux. Je suis très reconnaissante envers mon père pour son soutien. Plus globalement, nous avons des cavaliers très motivés et doués. Je pense que nous allons en avoir de plus en plus dans le futur. Il y a des jeunes très motivés au Danemark, qui sont en train de trouver des sponsors. Je pense que nous allons dans la bonne direction.

Rikke Belinda Barker a participé aux derniers championnats d'Europe, à Milan, avec son fidèle Tabalou PS. © Mélina Massias

D’un point de vue personnel, quels sont vos rêves et objectifs à moyen et long terme ?

Bien sûr, les Jeux olympiques sont l’un de mes grands rêves. Cette année, nous n’avons qu’une place individuelle. Nous verrons ce qu’il advient. Ce n’est pas moi qui ai décroché cette qualification ; elle l’a été par Andreas Schou. Nous étions juste derrière avec Tabalou, mais une seule personne ira à Versailles. Je vais faire de mon mieux ; si cela est suffisant, tant mieux, sinon, ce sera, avec un peu de chance, pour dans quatre ans ! Sinon, j’espère continuer à obtenir de bons résultats et participer aux prochains championnats. Il y a les Européens l’an prochain, puis les championnats du monde et de belles choses en perspective. C’est très excitant.

Lorsqu’il vous arrive d’avoir un peu de temps libre en dehors de votre vie de cavalière, qu’aimez-vous faire ?

Je n’ai pas assez de temps libre pour savoir ce que j’aime faire ! Le temps libre, c’est quoi ? (rires) En plus de ma carrière de cavalière, je travaille également au sein de l’entreprise de mon père. Plus sérieusement, j’aime passer du temps avec mes amis, aller au restaurant, profiter d’un bon dîner. J’adore aussi faire du shopping.

En plus de l'élevage et du sport, la Danoise travaille au sein de l'entreprise de son père. © Sportfot

Quel est votre rôle au sein de l’entreprise de votre père et comment combinez-vous les activités qu’elle implique avec les nombreuses responsabilités déjà inhérentes à votre vie de cavalière et éleveuse ?

Je faisais du marketing digital, mais l’entreprise a tellement grandi que j’ai changé de poste. Je n’étais pas assez disponible et les gens étaient trop dépendants de mon rôle précédent. Je suis désormais une analyste commerciale. C’est assez nouveau. Grosso modo, je dois mener des recherches. Ce n’est rien de très fou, mais c’est sympa de faire quelque chose d’autre, qui n’a rien à voir avec les chevaux et d’être impliquée dans l’entreprise familiale, pour laquelle mes deux sœurs travaillent aussi. J’essaye toujours de terminer de monter à cheval vers midi, puis je déjeune et je travaille les après-midis. Je ne fais pas cela tous les jours ; quand je suis en concours, par exemple, mes collègues savent que je ne suis pas aussi disponible. 

Photo à la Une : Sortie de piste tout en émotion pour la jeune Danoise et son cher étalon, Tabalou PS. © Mélina Massias