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“Je pense qu’il y a un manque d’intérêt pour la préparation mentale et qu’il devrait y avoir plus de discussions pour la normaliser”, Annette Paterakis

Annette Paterakis
mercredi 28 août 2024 Giulia Rezoagli

La préparation mentale, issue de recherches en psychologie du sport, permet aux athlètes de développer différentes compétences mentales afin d’améliorer leurs performances. Depuis quelques années, la santé mentale des sportifs est au cœur de nombreuses réflexions et son approche se veut vectrice de la question plus large du bien-être dans le sport de haut niveau. Dans un milieu toujours plus compétitif, la préparation mentale s’est imposée dans la pratique quotidienne de nombreux athlètes qui n’hésitent pas à y avoir recours pour atteindre leurs objectifs. Spécialiste en la matière pour les cavaliers, Annette Paterakis a accepté de partager un peu de son savoir pour en savoir davantage sur cet élément ô combien central. Entretien.

La première partie de cette interview est à (re)lire ici.

Il peut exister une forme de honte à demander de l’aide. Que diriez-vous à un cavalier pour le convaincre de passer le pas ?

Il peut subsister l’idée que travailler sur son mental signifie avoir un problème. Mon travail est d’aider les cavaliers à avancer. C’est une chose très différente d’une psychothérapie, dans le sens où je me concentre à la fois sur le présent et le futur, pas seulement sur le passé. J’ai appris avec le temps qu’essayer de convaincre quelqu’un n’est pas efficace. Les cavaliers qui font appel à moi ont besoin d’être convaincu par eux même et la seule façon pour moi d’y parvenir est de leur montrer à quel point leur potentiel est sans limite. La plupart d’entre eux accepte de se reconnecter avec leur moi intérieur pour réaliser que c’est ce dont ils ont besoin.

“J’aide les cavaliers à se fixer des objectifs tout en étant capable de supporter la pression”

Comment se déroule votre diagnostic et quelles sont les pistes que vous êtes en mesure de proposer ? Que préconisez-vous à un cavalier qui souhaiterait travailler son mental ?

Je ne suis pas une psychothérapeute, je ne pose donc pas de diagnostic. Je suis dans l’échange, en posant plein de questions et en essayant de comprendre ce qui fonctionne ou non. J’essaie vraiment de les aider à se reconnecter pour comprendre qu’ils n’ont aucun problème à résoudre. Je les aide à réaliser qu’avec une prise de conscience ils peuvent apprendre à choisir d’être cette version puissante d’eux même à chaque instant. Nombre de cavaliers ont du mal à le concevoir et c’est pourquoi je les aide se débarrasser de cette pression inutile en se concentrant sur le présent et non sur le futur et les résultats. Les cavaliers doivent pouvoir être présent mentalement pendant qu’ils montent à cheval. Ils doivent pouvoir se dire "je peux y arriver" et non "je dois y arriver". De ce fait ils apprécient beaucoup plus ce qu’ils font, tout en étant connectés à eux même et à leur cheval. Cette approche crée des résultats, car elle permet de débloquer une version de soi qui sommeille en chacun de nous et vers laquelle il est possible de cheminer, peu importe la façon dont nous nous y engageons, avec toute la pression et les objectifs que nous nous fixons. Grâce à la préparation mentale, j’aide les cavaliers à se fixer des objectifs tout en étant capable de supporter la pression, à apprendre à faire face à différentes situations tout en étant capable de performer.

Par le dialogue et l'échange, Annette Paterakis s'efforce de guider ses clients vers une version encore plus puissante d'eux-mêmes. © Mélina Massias



Quel est l’intérêt de la visualisation ? 

La visualisation est un outil incroyable et puissant qui peut manifester des résultats très rapidement si on l’utilise régulièrement. Il est important de retenir, selon ma propre expérience, que cela reste un outil. Par exemple, si je suis une personne stressée, inquiète ou qui manque de confiance en elle, la visualisation peut être utile mais cinq ou vingt minutes de visualisation par jour peuvent ne pas créer les résultats espérés si je suis n’est pas aligné avec ça. Il faut être capable de réfléchir étape après étape en se concentrant sur le moment présent. Avec le temps, j’ai appris à utiliser différents outils et celui que j’utilise beaucoup est l’exercice de respiration. C’est un exercice très important, car il aide à se connecter à son corps et plus largement à son cheval. Les exercices de respiration peuvent aider à ralentir et à se concentrer sur ce qui est requis pour le moment à venir afin de performer à son meilleur niveau, même si ce peut être juste pour apprécier le simple fait d’être à cheval. Les outils sont une bonne chose mais il ne faut pas se contenter de les utiliser à la manière d’une check-list car cela ne fonctionnera pas. Pendant de nombreuses années, je m’accordais quelques minutes le matin pour réaliser des exercices de respiration. Cependant, cela n’a pas eu l’effet escompté, car le reste de la journée j’étais concentrée sur ce qui se passait dans ma tête, en ne faisant que penser. Cet outil a révélé son efficacité et sa puissance lorsque j’ai commencé à être pleinement consciente de chaque moment et de l’action de ma respiration sur mon corps.

En fonction des profils de cavaliers, l'outil de visualisation s'utilise différemment. © Mélina Massias

Le cheval, véritable partenaire, joue-t-il un rôle dans la préparation mentale de son cavalier ?

Je tournerai la question autrement en commençant par le rôle de la préparation mentale pour le cavalier. Dans une certaine mesure, peu importe le cheval que l’on monte, si l’on a un cheval avec lequel se connecter nous semble difficile, ou que l’on trouve plus délicat à monter peut signifier que se préparer mentalement est d’autant plus important. Mais, en réalité, cela est toujours important. Ce genre de cas de figure donne simplement un retour d’expérience plus flagrant. Si l’on est un peu plus tendu ou inquiet, on risque de passer à côté de certaines informations que nous donne notre cheval. Alors, la monte va être plus complexe.  

“Certains cavaliers peuvent bien réagir à la pression et il y a quantité de façon d’ajouter de la pression positive, mais, pour beaucoup, elle est ressentie de façon négative”

Quelle place occupe l’entraîneur dans la préparation mentale ? Et plus largement dans la santé mentale ?

Je ne saurai répondre précisément car je pense que cela dépend de la nature de la relation entretenue par chaque entraîneur avec son cavalier. D’un point de vue général, l’entraîneur peut exercer une immense influence sur le mental. Différemment des cavaliers, les entraîneurs ont une belle opportunité d’intégrer davantage cet aspect dans la pratique équestre. De nombreux coachs, que je connais par le biais de mes clients ou de par mon expérience personnelle de cavalière, deviennent coachs car ils ont eux-mêmes été cavaliers ou le sont encore. Ils possèdent un savoir immense à propos chevaux mais n’ont pas, en tout cas pas la majorité, conscience des besoins des cavaliers. Souvent cela a à voir avec ce qui a fonctionné pour eux en tant que cavalier sans que la réciproque soit vraie pour leurs élèves. Un exemple avec la pression : certains cavaliers peuvent bien réagir à la pression et il y a quantité de façon d’ajouter de la pression positive, mais, pour beaucoup, elle est ressentie de façon négative, engendrant nervosité, déconnexion de sa monture et réflexion excessive. En tant qu’entraîneur, il est important de savoir qui sont ses cavaliers, comprendre comment ils réfléchissent et connaître leurs faiblesses pour les aider à les dépasser. La réponse à apporter doit être formulée en fonction de leur ressenti et non de celui de l’entraîneur.

Certains entraîneurs sont plus ou moins enclins à intégrer l'aspect mental à leur méthode de coaching. © Mélina Massias



Les organisations sportives intègrent-elles suffisamment l’accompagnement psychologique des athlètes de haut niveau à leurs dispositifs, notamment en termes de prévention ? Avez-vous des pistes d’amélioration ?

Je pense qu’il y a un manque d’intérêt sur ces questions et qu’il devrait y avoir davantage de discussions à ce sujet pour normaliser la préparation mentale. Les organisations sportives, telles que la Fédération équestre internationale (FEI) ou la Fédération équestre européenne (EEF), pourraient avoir un impact important en engageant ces conversations. Je vois de plus en plus de concepts, comme celui de la Young Riders Academy, organisés par les cavaliers eux-mêmes qui proposent une approche de la préparation mentale, ce qui est une bonne chose pour le sport. Au niveau des organisations, il y a plus à faire, comme discuter avec des professionnels tels que moi. Ce serait un bon début pour comprendre ce qu’il se passe dans la tête des cavaliers, plutôt que de chercher à le deviner. Cela passe évidement aussi par le fait de demander directement aux cavaliers. Parfois, quelques tabous peuvent subsister et les gens ne sont pas forcément prêts à passer le cap. La santé mentale telle qu’elle aborde certaines des difficultés psychologiques rencontrées par les athlètes peut alors devenir un moyen pour les aider à s’épanouir dans la vie et dans le sport. Dans ce cadre, la santé mentale est très importante car elle traite de différents thèmes, mais il est possible de faire plus en mettant en place, par exemple, des groupes pour être en lien avec des professionnels et des cavaliers afin d’aborder toutes ces questions. La prévention est également essentielle. La question de la santé mentale prend doucement de l’ampleur, grâce à des cas particuliers, mais il faudrait que cela prenne une dimension plus générale pour avoir plus de répercussions. Nous pourrions prendre exemple sur d’autres sports comme le tennis ou le golf. En attendant, c’est autant d’opportunités perdues.

"La question de la santé mentale prend doucement de l’ampleur, grâce à des cas particuliers, mais il faudrait que cela prenne une dimension plus générale", dit Annetta Paterakis. © Mélina Massias

“La qualité prévaut sur la quantité”

Dans votre livre Winning Habits, vous chercher à briser les mythes du talent et du travail acharné. Pouvez-vous nous livrer votre sentiment sur ces questions ?

Je ne peux que recommander, en premier lieu, de lire le livre pour mieux comprendre ces thématiques et leurs enjeux. Ce qui est important de retenir, et ce que j’ai appris en écrivant ce livre, est que beaucoup de gens parlent du travail acharné, qui est une partie du succès, sans être capable de le définir. De ma propre expérience de cavalière, j’ai longtemps pensé que si je travaillais dur j’allais être performante, en opposant talent contre travail. À ce sujet, je recommande le livre Changer d’état d’esprit de Carole Dweck. Son travail est hautement acclamé car il brise l’idée selon laquelle le talent est inné. Ses recherches, et tant d’autres, démontrent que la qualité prévaut sur la quantité. Si vous croyez que monter dix chevaux par jour fera de vous un meilleur cavalier, je peux vous dire d’avance que ce ne sera pas le cas. À l’inverse, si vous n’en montez que quatre en étant très précis sur ce que vous attendez du travail de chaque cheval, chaque jour, vous travaillerez votre cheval dans le bon sens mais vous vous améliorerez surtout en tant que cavalier.

Photo à la Une : Annette Paterakis. © VRV Photography